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Derrière la maîtrise d’un style identifiable au premier coup d’œil, fait de classicisme et de grotesque, Robert Crumb a toujours nourri une inspiration protéiforme. Si l’on connaît la veine animalière de Fritz the cat ou les crapuleries pornographiques du Snoid, les farces psychédéliques de Mister Natural ou les pamphlets prophétiques dans lesquels Crumb se met en scène, il ne faut pas oublier qu’il s’est fait, tout au long de sa carrière, le chroniqueur des êtres perdus et des déshérités.
Pourfendant le rêve américain et ses mensonges, il n’a cessé de se pencher avec un regard affûté – parfois ironique, le plus souvent empathique – sur les victimes d’un système dont il dit être lui-même l’enfant dégénéré. Crumb brasse dans un carrousel lugubre et grinçant tout ce que l’Amérique moderne a accouché de névroses et d’aliénations. Il peint les idéalistes condamnés à la défaite, les classes moyennes s’oubliant dans l’abrutissement télévisuel, les blancs intoxiqués par la croyance de leur supériorité, les noirs rabaissés à l’état de caricatures, les femmes assujetties au désir masculin et à la frustration ménagère, les mâles conditionnés à écraser leurs semblables ou à ramper dans le dégoût d’eux-mêmes…
Chacun de ces portraits dessine le subconscient morbide d’une Amérique dont Crumb se sait le produit ordinaire. N’hésitant pas à se prendre pour modèle de ce qu’il dénonce, il s’amuse sans complaisance des pulsions et des schémas qui nous gouvernent. Et si les tentatives de dévier de ce chemin paraissent vouées à l’échec, elles restent le seul moyen de redresser la tête.
© Cornélius