Vous utilisez « Adblock » ou un autre logiciel qui bloque les zones publicitaires. Ces emplacements publicitaires sont une source de revenus indispensable à l'activité de notre site.
Depuis la création des site bdgest.com et bedetheque.com, nous nous sommes fait une règle de refuser tous les formats publicitaires dits "intrusifs". Notre conviction est qu'une publicité de qualité et bien intégrée dans le design du site sera beaucoup mieux perçue par nos visiteurs.
Pour continuer à apprécier notre contenu tout en gardant une bonne expérience de lecture, nous vous proposons soit :
Copyright © 1998-2024 Home Solutions
• CGU Site
• CGU Logiciel
• CGV
• Cookies
• Design by Home Solutions
Page générée le 04/12/2024 à 09:18:41 en 0.0149 sec
Bien que mon approche de cette série (étant donné que La Peur Émeraude fait partie d'une petite saga avec son prédécesseur, Delicatessen Tout est Bon) se soit faite par les notes élogieuses de la presse, donc deux articles dans Télérama, ma première réaction face à ce livre a été une certaine perplexité. Il est difficile d'entrer dans l'univers proposé par l'auteur, qui a quelque chose d'une fresque historique mêlée aux fables animalières et sociales d'un Grandville; et le dessin n'apporte pas non plus grand-chose à la lisibilité de l'ensemble, malgré d'indéniables qualités plastiques (clin d'œil réussi à l'impressionnisme). J'ai donc décidé de reporter une évaluation à la lecture de Delicatessen, c'est-à-dire de la série complète.
De cette lecture, j'ai deux choses à corriger au résumé proposé par les éditeurs : la lecture de La Peur... n'est pas indépendante de Delicatessen et ne doit pas se faire dans l'ordre inverse (ce que j'ai fait) si l'on veut entrer correctement dans un monde un peu hermétique (un problème, étant donné que Delicatessen n'a eu quasiment aucune couverture médiatique, contrairement à sa suite) et le livre n'a rien à voir avec les « années folles », les années 1920, mais se déroule dans le Paris décadent de la fin du XIXe siècle.
Mais quel Paris déformé, dénaturé jusqu'à la caricature, monstrueux, si je puis dire... peuplé non seulement d'animaux mais de bêtes de toutes sortes... à ce stade, je dois prévenir que je ne suis pas fan d'un certain type de fiction historique qui se complaît à relier tous les clichés possibles à une époque ou à un lieu. La ville de Paris a notamment été victime de ce genre d'opération, de la part de Woody Allen (parmi beaucoup d'autres) tout comme le Londres de From Hell a souffert de la part des adaptateurs hollywoodiens. Mais ce qui distingue la fable de Nine de ce genre d'approche, c'est qu'elle est plus une parodie du système que sa énième mise en scène, et que si l'on ne comprend pas cela dès le départ (une erreur facile à commettre, étant donné la division de l'histoire en deux volumes), on risque d'être mis à l'écart. Car en tant que fiction historique, Delicatessen-Peur ne prend pas de petites libertés ; le docteur Charcot n'aurait jamais pu connaître la Tour Eiffel, pour ne citer que la plus évidente. Mais c'est dans la combinaison de tous ces éléments de manière apparemment arbitraire (apparemment, puisque le sens de certains amalgames est révélé à la fin) que réside le plus grand mérite de la série : Nine est une sorte d'Alan Moore sous drogue, et son prétendu hommage à la ville des Impressionnistes est aussi une minutieuse mise en absurde, sa destruction finale.
L'intrigue de la série est, dans l'ensemble, un feuilleton classique, qui doit plus à Gaston Leroux, Rocambole ou Fantômas qu'à une quelconque BD contemporaine. Son protagoniste, le médiocre journaliste René Dulac, est un vulgaire extorqueur élevé au rang de proto-super-héros, et qui, pour ajouter à l'outrage, est caractérisé par une grenouille (tout comme son antagoniste est un monstrueux cochon, tout droit sorti d'un vieux film muet, dont j'ai pu vérifier l'existence sur YouTube, intitulé Le Cochon Danseur). Cette construction autour du super-héros/vilain - qui est plus évident dans « La Peur... » - est un point intéressant, étant donné que le livre produit une sorte de révision historique du concept (voir la fausse double page journalistique) qui met en évidence sa matrice française. Il s'agit là d'un autre facteur de distorsion qui mérite d'être souligné, étant donné que l'auteur, si j'ai bien compris, est argentin, et que cette vision de la culture française (assez attentive aux détails : je ne sais pas du tout comment il a connu le « Pleure pas grosse bête, tu vas chez Noblet ») est encore une projection extérieure. Cependant, il touche plus d'un point clé qui - imprégnés comme nous le sommes actuellement par la fiction américaine - sont souvent perçus comme étrangers. La fin, en ce sens, avec sa réduction à néant de l'intrigue et des personnages, fonctionne de manière analogue au Fantôme de l'Opéra de Leroux, dont le dénouement est souvent vite passé sous silence ou rappelé comme un mauvais rêve alors qu'il est en réalité l'un des pivots du livre.
Bref, une œuvre singulière, qui invente en quelque sorte son propre lecteur - ou prétend le faire, à une époque où les créateurs de BD font le pari d'être rapidement déductibles en quelques pages - et qui risque d'être incompréhensible si l'on ne part pas du bon pied. Les dessins, aussi beaux soient-ils, vont également dans ce sens. Ce n'est pas le cas des dialogues, brillants en général, qui servent de point d'ancrage parmi tant de singularités. Je me doute que la série n'aura pas trop de lecteurs et laissera les fans des schtroumpfs furieux. Elle est loin d'être parfaite, mais au moins elle se risque sur un nouveau terrain, à une époque où la BD ressemble de plus en plus à un désert bien rangé.