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Alors que les deux derniers volumes de "Soil" avaient apporté un certain nombre, sinon d'explications, mais au moins de conclusions aux mystères de la ville nouvelle, Atsushi Kaneko a donc décidé avec ce 6ème volume de relancer la machine folle en multipliant les intrigues nouvelles, en faisant littéralement exploser son récit entre passé et présent, et en remettant donc en question tout ce sur quoi l'on avait cru pouvoir s'appuyer jusqu'à présent : car si le capitaine Yokoi faisait seulement semblant de ne pas être concerné par les énigmes fantastiques de Soil, et si la famille Suzushiro dont la disparition inexpliquée a servi de détonateur à toute cette histoire n'existait en fait pas, que peut-on croire de ce qu'on a lu dans les cinq premiers tomes ? Ce pari de Kaneko est évidemment risqué : en voulant relancer sa machine à fictions dans une nouvelle direction, il risque de provoquer une overdose, ou au moins une lassitude chez le lecteur (c'est un peu le syndrome de l'épuisement de la crédibilité de "Lost" qu'on a vécu lorsque les scénaristes de la série ont multiplié contre toute logique la complexité de leur intrigue...). De ce point de vue, le volume 7 sera évidemment crucial : restera-t-on accros à "Soil" ou non ?
Bof, bof, ai-je envie de dire... Déjà le troisième tome pour moi (j'ai beaucoup de retard, je sais...) de "Murena", et j'ai toujours du mal à voir ce qui peut passionner les nombreux fans de la série historique de Dufaux et Delaby : "La Meilleure des Mères" confirme - de manière légèrement ennuyeuse cette fois - les évidentes déficiences de la série, soit l'académisme grisâtre du dessin, la pauvreté de la mise en couleurs, le classicisme dépassé de la narration... En résumé, malgré l'apparent (je dis apparent, car je ne suis bien entendu pas un expert de l'histoire romaine...) sérieux de la base historique sur laquelle Dufaux s'appuie, "Murena" n'excite guère l'imagination, ne surprend jamais, bref est tout sauf une série passionnante : la pauvreté psychologique de personnages très "monochromatiques" - soit l'une des tares les plus sérieuses de la "BD de papa" dont "Murena" est une parfaite illustration -, et l'incapacité du scénariste à transcender d'aucune manière son sujet (les intrigues de pouvoir ne nous révèlent rien, ni sur Rome, ni sur l'âme humaine, que nous ne sachions déjà...), d'ouvrir la moindre brèche existentielle dans un univers déjà bouclé, le manque tragique de dynamisme des quelques scènes d'action, tout cela fait de la lecture de "La Meilleure des Mères" un moment parfaitement anodin. Aussitôt lu, aussitôt oublié.
Le discours de Dominique de Villepin devant l'O.N.U. destiné a bloquer (?) l'entrée en Irak des Américains fut l'un des sommets de la diplomatie française, l'un des rares moments où l'on se sentit fiers de notre pays. Le second tome du brillantissime "Quai d'Orsay" réussit à la fois à démystifier l'évènement (quel chaos, combien d'incohérences... pour en arriver là, presque par miracle...!!) et à en retranscrire l'émouvante portée symbolique : la justesse de la chronique, écrite par quelqu'un qui a vécu au premier plan les événements, et l'élégance de la narration et des dessins de Blain font de "Quai d'Orsay" un chef d'oeuvre, discret et humble, mais un chef d'oeuvre quand même de la BD française. On le referme le coeur gonflé, sans que l'on sache si les larmes qu'on a au coin des yeux sont d'avoir autant ri, ou bien d'avoir pu revivre ce moment essentiel de la politique étrangère française. Remarquable !
Superbe tome que ce 6ème de "Monster", en particulier dans sa première partie qui offre de longues pages à l'un des personnages "secondaires" les plus intéressants créés par Urasawa : Eva, qui avait au départ le rôle un peu caricatural de la fiancée bourgeoise avant tout intéressée par le statut social de son "homme" et que l'on perçoit désormais comme un personnage auto-destructeur et superbement ambigu. La seconde partie de ce volume déploie une nouvelle intrigue autour d'une recherche de paternité, qui s'avère passionnante, avec, comme toujours chez Urasawa, une remarquable profondeur de chacun des personnages.
S'il y a désormais un bémol à ajouter à l'admiration que nous éprouvons pour "Monster", c'est peut-être que la multiplication des fils narratifs fait que notre rapport à Tenma - un héros un peu pâle de toute manière - est de plus en plus distendue, et qu'on ne sait plus très bien où il en est dans sa poursuite du monstre ou sa fuite devant la police (voir les épisodes de la villa...).
Le concept "Happy" commence-t-il à craquer aux jointures dans ce 7ème volume, à force de répéter les mêmes situations tout en gardant le récit dans les limites de l'acceptable pour un lectorat adolescent ? Ce risque est particulièrement aigu lors de deux moments-clé du récit : d'abord lorsque Thunder passe très près de la mort alors qu'un avenir de réhabilitation se dessine pour lui. En l'épargnant, Urasawa garde "Happy" en deçà de la tragédie, et perd une occasion magnifique d'élever son récit vers une certaine "noblesse" qui aurait superbement tranché avec la trivialité qui règne en maître dans les rebondissements de l'histoire. Un autre exemple de déception est lorsque l'on découvre que les capotes de Keishiro ont été remplies de savon liquide, prouvant qu'Urasawa recule toujours devant la consommation de l'acte sexuel entre ses personnages : c'est certes, on l'imagine, la règle du jeu pour ce genre de mangas au Japon, mais c'est une autre occasion perdue de conférer une épaisseur nouvelle à ses intrigues. Dernière déception à la lecture de ce tome, la manière dont Urasawa n'arrive pas à rendre crédibles les décisions du "Crocodile" et la menace de son désir implacable (ouaf ! Ouaf !) pour l'héroïne : la prolongation du jeu du chat et de la souris entre eux sonne bien artificielle. Espérons donc que le "reboot" de l'intrigue aux USA permette de corriger certaines de ces faiblesses !
Dans son cinquième volume, "Soil" - la ville comme l'histoire - s'enfonce dans des cauchemars hallucinants : violence, sadisme, auto-mutilation, excréments, on ne peut pas dire que Kaneko garde la moindre mesure ici, et on est désormais loin des ambiances malsaines ou drôlatiques des débuts. Au crédit de "Soil 5", n'hésitons pas à mettre la géniale idée de "l'homme aux yeux bandés" dans sa cellule d'asile, ainsi que le recyclage original du thème furieusement japonais qu'est la violence destructrice d'une troupe d'enfants qui se laissent entraîner vers un nihilisme absolu. Finalement, on se retrouve à la fin de ce 5ème volume avec de vrais éléments de réponse aux énigmes semées depuis le début - pas des réponses rationnelles, hein, mais de jolies réponses quand même -, ce qui permet à "Soil" d'échapper au "n'importe quoi pourvu que l'angoisse soit là" finalement si courant dans ce genre de thriller horrifique. La seule réserve - notable quand même - à émettre est la lisibilité excessivement difficile de nombreuses pages (particulièrement lorsque Kaneko décrit des scènes de chaos avec de nombreux personnages), des pages qui bénéficieraient d'être traitées en couleurs, ou au moins avec des gris et des noirs.
Sixième volume de l'édition "de luxe" se "Happy !", sets 083 à 099 : Maître Urasawa fait encore monter la sauce, et même si on connaît désormais les ingrédients, on se régale comme jamais ! Cette fois, un peu plus d'eau de rose avec le premier baiser de Miyuki, de "sexe" avec les tentatives de la jolie Hina à la poitrine géante de regagner le coeur de Senpaï, et de manipulations diaboliques : c'est donc du "Happy" à la puissance dix auquel nous avons droit, pour notre plus grand plaisir (pervers, toujours, le plaisir...) ! Soulignons cette fois la manière dont Urasawa réussit à renouveler sa narration pour ne pas se répéter au fil de matches de tennis qui pourraient tous être les mêmes : un petit coup d'ellipse quasi Lubitschienne pour le premier, et un remarquable point de vue "unilatéral" (le visage et les pensées de l'adversaire de Miyaki) pour le second match. Oui, du grand, grand art !
Composé de quatre mini-récits de longueur diverses, le chapitre 5 de "Monster" est une sorte de démonstration parfaite de la virtuosité narrative de Urasawa : à partir de son canevas original, il peut nous broder aussi bien un thriller paradoxal (comment le diabolique inspecteur Runge manipule un criminel pour arriver à ses fins "personnelles"...) qu'une "feel good story" de réconciliation (deux anciens adversaires de l'université dissipent un lointain malentendu), un polar énigmatique et sentimental (un flic devenu truand découvre les charmes de la vie familiale et s'aperçoit qu'il a été manipulé) qu'un "road movie" existentialiste (la route de Tenma croise une nouvelle fois celle d'êtres accablés par le destin). Bien sûr, chacun de ces "segments" fonctionne parfaitement et de manière autonome, tout en participant à la construction de l'intrigue principale, et le lecteur passera sans sourciller de l'émotion à l'angoisse, ravi de se laisser entraîner par l'immense talent de Naoki Urasawa.
Un tome "standard" que ce 14ème du cru ! La recherche du 4ème apôtre se traduit par un double voyage sentimental dans le passé des deux frères ennemis, pour retrouver les sensations oubliées d'un premier amour : un peu cucul quand même, même si le registre décliné dans les deux cas est celui de la désillusion et de la dégradation des souvenirs et des sensations. D'un autre côté, les scénaristes nous refont le coup de l'antagonisme / la fusion des cultures japonaise et française, rien de nouveau donc, même si le travail proposé sur les plats de cette "fusion" est ma foi intéressant : on voit comment chacun peut interpréter à sa manière, en fonction de sa culture une même expérience gustative. Enfin, on soulignera le parallèle établi dans ce tome entre la discipline musicale et celle de l'oenologie, qui culmine dans la très belle scène de "libération" de l'orchestre de jazz de rues. A suivre...
Jusqu'à présent, hormis l'excellent travail d'Emile Bravo pour Spirou, la reprise de personnages iconiques de la BD Franco-belge par d'autres artistes n'a engendré que des déceptions : célébrons donc le mini-coup de maître de Larcenet, qui confronte sans complexes son univers (le café de chez Francisque, la médiocrité moderne, diluée dans une tendresse désespérée qui rachète toutes les bassesses humaines) avec celui de Valerian (foisonnement de races dans un melting pot délirant). Le résultat est un vrai album de "Valerian", pas si loin que cela des meilleurs de l'époque de l'âge d'or, et en même temps, une histoire 100% politico-sociale à la Larcenet (illusions et désillusions, mais sans aucun cynisme, découverte du potentiel de ceux qui n'ont plus rien, etc.). Si "L'armure du Jakolass" est un simple divertissement sympathique - esthétiquement remarquable, il faut le souligner -, c'est aussi un exemple étonnant de synthèse de deux styles a priori incompatibles.
L'après-guerre et le processus d'épuration / retour à la "normale" offre l'occasion à Nury et Vallée de nourrir la saga de Joanovici de nouveaux éléments historiques passionnants et de dilemmes éthiques différents (qui doit on absoudre quand tout le monde a collaboré plus ou moins ?). En adoptant le point de vue du "chasseur" - ce "Petit Juge de Melun" - plutôt que celui de Joanovici, ils offrent une mise en perspective salutaire des agissements de Monsieur Jo, qu'on a naturellement moins tendance à dédouaner. De plus, le véritable coup de maître de ce 5ème tome, c'est de nous faire assister à la déchéance morale progressive de ce juge a priori intègre, une déchéance qui, même si elle est annoncée par une phrase de Nietsche placée en introduction, ne laisse pas de nous plonger dans un désespoir encore plus noir que les précédents tomes de la saga. Avec une narration plus classique qu'à l'habitude - ce qui n'est pas plus mal - et l'efficacité reconnue du dessin (loin d'être génial, il est vrai) de Sylvain Vallée, "le Petit Juge de Melun" est le meilleur volume à date de "Il était une fois en France", chronique d'une France gangrenée par la lâcheté et l'argent, dont on a toujours tenté de nous dissimuler l'histoire, et dans laquelle il n'est pas interdit de reconnaître les ferments de la politique actuelle.
"L'amie d'Ayse" voit la saga "Monster" s'aventurer plus franchement encore sur le terrain politique, s'attaquant aux mauvaises tendances néo-nazies à l'oeuvre au sein de la société allemande, et au racisme anti-turcs. Bien sûr, il y a une certaine naïveté dans la vision que Urasawa a de la société allemande - même s'il connaît bien ce pays - et que tout n'est pas crédible, loin de là, dans le scénario-catastrophe de l'incendie des quartiers turcs qui constitue le centre de ce tome. Néanmoins, cette ouverture de l'intrigue anxiogène de Monster sur des réalités socio-politiques apporte une perspective intéressante à ce thriller fantastique... Même si au final, Urasawa "botte en touche" d'une double manière : 1) en faisant refuser à Johann l'association avec les nostalgiques de la puissance hitlérienne 2) en le dédouanant partiellement du "mal" qui est en lui par une référence - un peu facile - à la schizophrénie, au dédoublement de personnalité. Tout cela est un tantinet décevant, et ce d'autant que ce volume souffre d'une indéniable confusion dans les déplacements géographiques des multiples personnages. Non, le meilleur ici, ce sont les premières pages, et le portrait à la fois cruel et douloureux de l'ex-fiancée de Tenma, que l'on voit sombrer dans la haine et l'auto-destruction. Cette justesse des sentiments et des comportements "humains" est sans doute ce qu'il y a de meilleur dans Monster.
Inspiré d'une ancienne pièce de grand-guignol, "Litchi Hikari Club" en déploie toutes les caractéristiques les plus habituelles : violence ultra-gore, sadisme extrême, perversions en tous genres, mise en scène gothique... Usamaru Fusuya appuie sur tous les boutons pour que nos pulsions les plus animales soient satisfaites. Mais par dessus cette fange, il jette le trouble : en complexifiant à l'extrême les jeux de pouvoirs paranoïaques au sein du fameux club, jusqu'à en faire une illustration intemporelle des vices de la dictature absolue, mais aussi en introduisant dans son récit une sourde nostalgie de paradis perdus (celui de l'enfance, celui de l'amour absolu), il élève son récit vers quelque chose d'autre. Tout à tour réellement touchant et vertigineusement malsain, "Litchi Hikari Club" frôle la grandeur : s'il ne l'atteint néanmoins jamais, c'est peut-être que le dessin, trop mécanique, trop appliqué, trop contrôlé, bride le délire émotionnel que l'histoire devrait déverser sur nous. C'est dommage, mais "Litchi Hikari Club" reste quand même une lecture intense pour tous, voire dangereuse pour les plus influençables d'entre nous, hihihi !
Le 4ème volume de la saga fantastico-policière de "Soil" voit la fiction littéralement exploser dans un délire quasi surréaliste d'évènements hallucinants (et donc singulièrement réjouissants...), mais également - ce qui est d'autant plus ahurissant - l'ébauche d'une "explication" aux déluges de bizarreries dont Atsushi Kaneko nous a abreuvé. Mais ce qui est jouissif, c'est que cette "explication", pour n'être évidemment ni rationnelle ni même le moins du monde cohérente, génère une indéniable fascination, qui élève le récit bien au dessus du niveau d'étrangeté "lynchien" qui nous avait initialement tant séduit. Il y a quelque chose de littéralement "cosmique" dans cette manière originale de faire revivre la vieille vision lovecraftienne des mondes parallèles recélant des horreurs sans nom : c'est que pour Kaneko, c'est bien le mal qui réside au coeur des sociétés humaines qui génère finalement les "objets étranges" responsables de ces trous redoutables dans la réalité. Ces jeux d'enfants désespérés par la normalité haineuse de leurs parents défont la structure même du monde, et créent un écho encore incompréhensible avec les tourments du Japon de l'après-guerre. Ajoutons que l'humour légèrement tordu dont fait preuve Kaneko, et la belle symbolique d'une plante inconnue entraînant les enquêteurs vers un ailleurs fascinant peuvent également évoquer les livres les plus ésotériques de Murakami. Oui, "Soil" est un chef d'oeuvre...
Trois cent pages de plus qui s'ajoutent à la brillante saga adolescente / "à l'eau de rose" qu'est "Happy"... Et ça continue : aucune trace d'une quelconque baisse de régime ! Au contraire, Urasawa semble faire preuve d'une virtuosité croissante, autant lorsqu'il fait monter le suspense tout au long d'un match de tennis à multiples rebondissements (Ah ! Ces scènes où Miyuki joue "contre la montre" en chaussettes, puis pieds nus !) que lorsqu'il en remet une couche en termes de mélodrame (mémorable scène d'expulsion des enfants sous la pluie, qui se termine brillamment en chantant les larmes aux yeux...) et d'humiliations redoublées pour "notre héroïne", éternellement crédule et bien trop gentille. Trois cent pages que j'ai envie de qualifier de parfaites, qui culminent dans un chapitre remarquablement construit autour d'une ellipse et d'une "révélation", prouvant une fois de plus - mais nous n'avons plus besoin de ce genre de preuves, non, après "Monster", "20th Century Boys" et "Pluto" ?) - qu'Urasawa optimise littéralement dans le cadre de la bande dessinée toutes les inventions narratives du cinéma.
"Le perroquet des Batignolles" a donc été un feuilleton radiophonique de Tardi et Boujut, avant de devenir une BD... Et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça se voit : ce n'est plus du bavardage, c'est de la logorrhée, et franchement, ça transforme un livre qui se veut un hommage au meilleur de Tintin (disons "les 7 boules de cristal") en même temps qu'un clin d'oeil souriant au petit monde de la radio parisienne, en un pensum qui nous tombe régulièrement des mains, et qu'on met plusieurs jours à lire (toujours un mauvais signe, ça !). Des cases qui ont plus de texte que d'image, il n'y a guère eu que E. P. Jacobs pour nous faire avaler ça ! Le comble est atteint lorsque l'unique scène "d'action" est remplacée par des plans fixes de la Maison de la Radio : on sent bien le "concept" - pas de possibilité de matérialiser l'action dans un feuilleton radiophonique, au lecteur / auditeur de se "faire son propre cinéma" -, mais dans le "Perroquet des Batignolles", cela se traduit presque en un aveu d'impuissance narrative. Sans doute Stanislas aurait-il dû faire confiance aux spécificités de son média plutôt que de jouer à la transposition directe d'une forme de récit tant étrangère à la BD. Un plantage grave...
Encore une remarquable "accélération" de l'intrigue diabolique dans ce foisonnant quatrième volume de "Happy!" qui voit Urasawa multiplier avec un sadisme savoureux les ennemis de la gentille - trop gentille - Umino, et dresser sur son chemin de plus en plus de menaces (contre son tennis, contre sa virginité - présumée -, contre sa vie amoureuse). On est en plein mélodrame sur-saturé de clichés façon romans à l'eau de rose, et la jouissance qu'on en tire est de plus en plus perverse, à l'image de ces images de jeunes fesses rebondies et de petites culottes dont Urasawa parsème son manga. Pourtant, on aurait tort de croire qu'Urasawa ne se vautre ici que dans la fange de la pire des littératures (encore que...), car chacun des rebondissements infâmes dont il parsème son récit sonne juste : "Happy !" pourrait à la limite être lu comme une radiographie sans pitié de la société japonaise gangrénée à tous les niveaux par l'argent et les abus de pouvoirs : depuis les hautes sphères du tennis où se livrent de sombres luttes d'influence jusqu'à l'univers pouilleux du petit commerce des quartiers pauvres, depuis le monde sans pitié des yakuzas trafiquant de la chair fraîche jusqu'au cloaque des paris clandestins, il n'y a dans "Happy !" aucune alternative à la turpitude humaine. C'est sans doute ce manque absolu de sentimentalisme qui fait de "Happy !" une exception brûlante au sein de l'oeuvre généralement humaniste d'Urasawa.
Le manga adulte réaliste n'a jamais atteint le seuil de popularité qu'il mérite et reste un courant marginal au Japon. En Europe, nous avons la chance de pouvoir bénéficier de rééditions / compilations de la qualité de ce "L'Enfer", assemblage de récits disparates mais finalement cohérents de par leur vision d'une noirceur inégalée d'une humanité qui hait et envie plus qu'elle n'aime et compatit. 200 pages littéralement infernales, qui permettent à Yoshihiro Tatsumi d'offrir une vision sans concession, mais souvent bouleversante d'un Japon détruit par la guerre, et dans lequel les valeurs morales les plus basiques sont battues en brèche. Mais ce qui fait avaler une pilule aussi amère, c'est l'habileté avec laquelle à chaque fois, en quelques pages, Tatsumi construit une intrigue complexe, des personnages profonds, et arrive toujours à nous surprendre avec un "twist" imprévu qui montre que nul n'est exactement ce que l'on pensait. Ce triomphe de l'ambiguité est certainement l'aspect le plus original, le plus fort de l'oeuvre de Tatsumi, et au final, efface même partiellement la noirceur des histoires. "L'enfer" se révèle donc une lecture extrêmement plaisante, à condition d'être prêt à s'aventurer dans les zones les plus glauques de la psyché humaine (je ne dis pas japonaise car les contes de Tatsumi, même clairement situés géographiquement et temporellement, sont de toute évidence parfaitement universels...).
Le 3ème volume de "Monster" voit - ô joie - Naoki Urasawa déployer tous ses sortilèges pendant 200 pages littéralement enchantées : tout en avançant dans la découverte du passé de Johann et en construisant un beau thème (classique, mais bon...) de thriller politico-SF, il multiplie les moments de tension ou d'émotion intenses, en particulier à travers de ces personnages secondaires si riches qu'il jette dans les pattes de son héros. Difficile de ne pas être bouleversé par le superbe personnage du médecin de campagne rongé par la culpabilité, et par son histoire d'amour secrète. Impossible de ne pas être tétanisé par l'affrontement entre Tenma et Hartman, sur fond de maltraitance d'enfants, un moment-clé de "Monster" puisqu'il humanise enfin Tenma, lui confère une épaisseur humaine nouvelle. Le tout comme toujours remarquablement "mis en scène" en quelques cases qui témoignent de l'extraordinaire talent de montage / découpage d'Urasawa. Avec ce troisième volume, on est en plein chef d'oeuvre, déjà.
C'est avec ce second tome de "Monster" que se met véritablement en place le mécanisme narratif qui va constituer l'essence de la série, après un premier tome d'introduction et de présentation du thème : le Docteur Tenma devient ici le "détective errant" - abandonnant sa vocation de sauver des vies pour adopter un comportement d'aventurier, voire potentiellement de tueur, si l'on se réfère à son entraînement - à la fois chasseur et proie (pour la police allemande, pour Johann et ses troupes), et le long "road-manga" qui va suivre va faire foisonner la fiction, en multipliant les rencontres avec des personnages secondaires passionnants, voire bouleversants (ce sont eux qui sont le ressort émotionnel de l'histoire, avec des histoires personnelles autonomes, souvent réalistes), tout en nous faisant découvrir peu à peu les secrets du passé des jumeaux et donc construire une intrigue de thriller politique complexe. Dès ce second tome, on peut d'ailleurs préférer s'intéresser au sort des personnages secondaires (le journaliste dépressif que sa femme a quitté et qui sera privé d'une seconde chance de manière cruelle ; le mercenaire qui tente en vain de construire une relation père-fille avec la petite victime de l'un de ses crimes passés...) plutôt qu'à celui de Tenma, qui reste pour le moment un concept théorique assez froid, dont la fonction semble plus de faire avancer l'intrigue que de nous servir de vecteur d'identification. De toute manière, c'est la science du récit de Urasawa, sa capacité à nous faire vibrer en quelques cases qui est le plus impressionnant ici.
Et si, au 4ème tome de "Il était une fois en France", on commençait à être tout simplement écoeurés par le sempiternel jeu de dupes auxquels se livrent ses abjects personnages pour s'enrichir ou simplement survivre dans le cloaque des années 40 ? Nury et Vallée, à trop coller à l'histoire - répugnante, insoutenable - qu'ils nous content ont couru le risque de la saturation, donc de l'indifférence chez le lecteur : si la leçon d'histoire est efficace, "Il était une fois en France" manque sérieusement de mise en perspective, de profondeur ou de transcendance, bref d'un point de vue, historique (la libération de Paris, finalement pas montrée ici), humain (quelles sont vraiment les ressorts de la personnalité trouble de Joanovici ?) ou artistique (qu'est-ce que tout cela dit de l'humanité et de nous, finalement ?), qui serait à même de l'élever au dessus de la fange qu'il dépeint... Ces réserves - de taille - émises, il reste un superbe travail aussi bien au niveau du graphisme que de la narration, qui enchantera - c'est indiscutable - tous les adeptes d'un certain classicisme.
On attaque ce deuxième tome de "Blast" avec pas mal de réticences, tant les premières pages sont dans la continuation du premier tome, et tant Larcenet semble tourner en rond dans la noirceur absolue de son récit. Pour tout dire, malgré le travail graphique toujours remarquable, on s'ennuie un peu... Et puis, à partir de la rencontre avec Jacky, la narration s'intensifie de nouveau, les sensations se font plus brutales, et nous voilà happés de nouveau par la "magie noire" de "Blast", jusqu'à la conclusion quasi-haletante de ce deuxième volume (bon, c'est un thriller métaphysique, mais c'est quand même une sorte de thriller, non ?). Ah oui, signalons aussi les pages sur le concert de rock sont tout simplement exceptionnelles, dans leur expression parfaite de ce qu'est la force de la musique.
Après avoir découvert la célébrissime oeuvre qui avait révélé Urasawa avant l'explosion nucléaire de "20th Century Boys" dans sa version anime, forcément simplifiée et alourdie par une animation grossière, cela me titillait de LIRE enfin "Monster". Évidemment, connaître à l'avance chaque rebondissement d'un tel thriller nous prive d'une grande partie du plaisir ressenti lors d'une vraie découverte (il faut dire que l'histoire est diabolique, et de plus qu'elle se ramifie en une multitude de saynètes psychologiquement très justes et souvent touchantes...), mais nous permet aussi de nous concentrer sur l'aspect "technique" de l'oeuvre d'Urasawa. Si le dessin du maître - plutôt proche de la ligne claire franco-belge, comme on en fait souvent la remarque - n'a pas encore atteint la perfection qu'on connaîtra dans les oeuvres postérieures, on ne peut qu'être soufflés par l'intelligence narrative d'Urasawa qui construit des micro-suspenses et de véritables explosions émotionnelles quasi à chaque page, et par le dynamisme impressionnant de ses images : chez lui, le moindre dialogue "vit" littéralement, et on dévore ce premier tome de "Monster" - en grande partie consacré aux tourments éthiques du pauvre Dr. Tenma - sans pouvoir le reposer avant la fin.
Néron a toujours été l'un des empereurs les plus "fascinants" avec ce mélange explosif de folie, de stupre et de conspiration qui caractérisa son règne, et "Murena" travaille non sans une certaine évidence sur ces prémisses bien connues et circonscrites. Alors le résultat, s'appuyant sur un bon dessin classique (pas assez de différenciation entre les personnages toutefois) et sur une certaine crédibilité historique (les notes en fin de volume qui relativisent la fiction), est finalement sans surprise : de la bonne BD un peu standard, comme un version plus actuelle de "Alix", mais qui ne peut atteindre à la folle démesure qu'appelle son sujet, bridés que sont les auteurs par les codes du genre. Pas assez de pornographie, pas assez de violence graphique, pas assez de tourments, bref Dufaux et Delaby ne traitent que scolairement leur sujet.
Après le petit sommet de la série qu'avait constitué le Tome 12, ce treizième volume des "Gouttes de Dieu" marque - logiquement - le pas. Si l'on est - techniquement - heureux d'apprendre comment accompagner les plats les plus épicés (et je vais tester les propositions de Tadashi Agi, c'est certain !), l'épisode "coréen" manque singulièrement d'enjeux, alors qu'il y avait là le potentiel de faire monter la pression dramatique (la première rencontre - troublante - entre Shizuku et Loulan, l'attraction ressentie par Mi-Hee), au point qu'on se demande un peu pourquoi Agi n'ouvre pas plus la porte au mélodrame... Quant à la seconde partie de ce volume, il s'agit de la transition habituelle qui lance la recherche d'un nouvel apôtre, recherche qui sera cette fois consacrée au souvenir du "premier amour", associé par ailleurs à la musique, soit un thème passionnant qui laisse bien présager du tome 14.
Dans le genre désormais un peu suranné de la BD franco-belge "pour adultes" (entendez "sérieuse"), il est difficile de faire beaucoup mieux que "Il était une fois en France" : graphisme à la fois parfaitement lisible et élégant, narration parfaite - juste ce qu'il faut de "cinématographie" dans l'enchaînement des séquences, d'ellipses qui enrichissent le "suspense", et surtout un thème solide - on sent le sérieux de la recherche historique, c'est bien simple, on s'y croirait dans cette France putride, veule et brutale de l'occupation - qui travaille la culpabilité "française" et toutes ses ambiguïtés (... même si le fait que le fascinant et répugnant personnage central de la saga soit juif pourrait prêter à débat...). "Honneur et Police" est le tome le plus impressionnant à date de la saga, parce que Nury et Vallée nous montrent de manière crédible comment les pires profiteurs de l'occupation ont pu retourner leur veste à l'approche de la déroute allemande pour s'insérer "sans problèmes" (ou presque) dans la nouvelle France qui se découvrait résistante. Une vraie leçon d'histoire.
Un tome entier - ou presque - consacré à un match de tennis ? Et ceci sans une seule baisse de tension, comme si l'on était en plein thriller ? Le troisième volume de la saga pour adolescentes "Happy !" est encore une preuve de plus de la maîtrise - du génie plutôt - graphique et narratif de Urasawa, qui nous laisse au bout de 300 pages haletants, presque aussi épuisés que son héroine après 3 sets infernaux, et devant la perspective d'un tie break décisif. Notons en particulier l'habileté avec laquelle Urasawa offre un contrepoint régulier à la tension sur le court avec ces saynettes humoristiques, voire farcesques dans les tribunes du stade ou dans le café où la fratrie Umino suit le match à la télévision. Reste que, pour respecter le principe établi par Hitchcock, le vrai bonheur de "Happy !", c'est la franche réussite du réjouissant personnage de la méchante, Choko, dont on se remémorera longtemps les jeux psychologiques cruels !
S'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le manga de Atsushi Kaneko, ce sont les scènes de violence, ou de simple action : son graphisme détailliste, allié à l'absence de grisé, rend en effet la lecture de nombre de pages difficiles, ou au moins pas très attrayante, et le récit - complexe, c'est son charme - de "Soil" en ressort confus. Voilà, c'était LA critique que je souhaitais faire sur ce troisième tome de "Soil", et en particulier de ses premiers chapitres. Je dis LA critique, parce que, sinon, tout est simplement majestueux ici : la fertilité de l'imaginaire de Atsushi Kaneko, qui fait se rencontrer fantômes japonais et extra-terrestres, la manière dont il conduit un récit qui se complexifie au fil des fausses pistes, et auquel il ajoute à chaque cycle un nouveau niveau de profondeur, la vitalité des personnages, auxquels on adhère sans réserve, grâce à leur fantaisie, leur humanité, leurs bizarreries aussi, la subtilité de la conduite du récit entre passé et présent,… bref, on semble pour le moment s'acheminer vers un nouveau chef d'oeuvre du manga.
Après le désenchantement des deux précédents volumes, ce 10ème tome du manga oenologique "les Gouttes de Dieu" nous rassérène un peu : comme quoi, la fratrie Agi devrait bel et bien se concentrer sur son intrigue principale, la recherche des 12 apôtres... On apprécie particulièrement le concept très ambitieux qui sera au coeur de la recherche du troisième apôtre, disons pour simplifier le lien entre un vin et un souvenir "chaleureux" dont il s'agit de matérialiser l'essence à travers les éléments qui constituent le "terroir" d'un vin (qu'est-ce qui fait qu'un vin peut donner une impression humaine et rassurante ?). Ceci dit, s'il est intellectuellement assez vertigineux de rechercher des indices dans le vieillissement des plans de vigne et leur impact sur le vin produit (un chapitre techniquement passionnant comme on en manquait depuis un certain temps), ou dans les odeurs rassurantes de pâtisseries au chocolat, j'ai quand même l'impression que la recherche de tels concepts risque de nous éloigner de plus en plus d'une construction crédible de l'enquête de nos oenologues japonais préférés. Agi frère et soeur, il faudrait quand même voir à ne pas trop tirer sur la corde de notre crédulité !
La recherche du 3eme apôtre est l'occasion de l'épisode le plus "extrême" sans doute à date des "Gouttes de Dieu", l'oenologie faisant ici plus que frôler le fantastique : le vin comme déclencheur de souvenirs perdus ou comme libération de traumas enfouis, Agi et Okimoto nous ont déjà "fait le coup"... mais cette fois, ils "poussent le bouchon" un peu plus loin (un peu trop loin peut-être ?)... Le résultat, c'est bien sûr que le mélodrame gagne en intensité - au delà de la rivalité entre deux génies de l'oenologie, le lien entre les deux frères se matérialise lors d'une conclusion assez superbe de l'épisode -, mais aussi qu'Agi confère finalement au vin des capacités quasiment magiques qui font quand même sourire. Je me demande si les innombrables fans japonais du manga ne sont pas au final déçus lorsqu'ils confrontent leur propre expérience, inévitablement triviale, de la dégustation avec l'univers fantasmagorique que décrit "les Gouttes de Dieu".
Le douzième tome des "Gouttes de Dieu" commence superbement par une histoire presque parfaite : un beau mélodrame, avec un suspense tendu, avec de vrais méchants (et si ce qui manquait aux "Gouttes de Dieu", c'était tout simplement des "méchants" ?), ou plutôt de vraies méchantes, et même une conclusion sensuelle et ambigüe étonnamment adulte, voire cynique, qui tranche avec l'atmosphère mi pédagogique, mi onirique du manga. Dommage qu'après ces premières 100 pages excellentes, on retrouve le train-train habituel, devenu vraiment routinier, des défis œnologiques à résoudre, défis qui manquent singulièrement d'enjeux.
Est-il désormais possible de lire "le robot le plus fort du monde", qui est quand même l'un des mangas les plus célèbres de l'histoire, et qui voyait Tezuka "moderniser" les aventures d'Astro Boy en le faisant affronter d'autres robots dans des combats titanesques qui marquèrent l'imaginaire de centaines (de milliers ?) d'enfants, sans automatiquement faire la comparaison avec la re-lecture postmoderne qu'Urasawa nous en a livré il y a peu ? Cette comparaison relégue-t-elle pour autant l'oeuvre de Tezuka dans le placard des oeuvres qu'on ne lit que par pure nostalgie ? L'humanisme touchant d'Astro, si bien recréé par Urasawa, la complexité "politique" des rapports entre les forces diverses ici à l'oeuvre, les menaces contre l'équilibre géo-écologique (qui sont également au centre du second récit de cette anthologie, "Astro Boy contre Garon"), l'ambiguité des relations amour-haine entre les personnages, etc. Tout est pourtant déjà ici, dans une version forcément "enfantine", mais pas moins impressionnante. Si quelque chose vieillit un jour chez Astro, ce sera plutôt la foi invicible de Tezuka en la bonté de l'humanité, fut-elle l'humanité des robots...
Le huitième et dernier volume de "Pluto" voit - sans que ce soit une vraie surprise, si ? - le retour d'Astro Boy, et du coup, un recentrage des thèmes et de la narration elle-même vers un style beaucoup plus "Tezukaïen" : menace de fin du monde apocalyptique, héroïsme du petit robot, combats cataclysmiques entre le Bien et le Mal, créateurs dépassés par leurs créatures, et final un tantinet lacrymogène et moraliste. Urasawa y rajoute son grain de sel nettement reconnaissable, cette paranoïa larvée et obscure qui élevait "20th Century Boys" vers le firmament de l'histoire de la BD, par exemple dans les 8 dernières pages, cet épilogue "post-Tezuka" qui démontre peut-être mieux que tout ce qui a précédé le génie d'Urasawa. "Pluto", du fait de ce mélange de styles, logiques de par son concept d'hommage / actualisation, ne fera pas pour moi partie des meilleures oeuvres d'Urasawa, mais reste bien au-dessus du commun des oeuvres du 8ème Art.
La lecture - enchanteresse, excitante, hilarante - du deuxième volume de "Happy !", le mélo ultra-chargé, ultra-stéreotypé de Urasawa fait naître un vrai doute en nous : et si le vrai, le "pur" talent de Urasawa n'était pas tant dans sa capacité à construire des récits conceptuels complexes, à jouer avec tant de niveaux de narration que son lecteur en est étourdi, etc. ? Car ici, dans cette histoire bête comme choux, fleur bleue au possible - mais indéniablement perverse, on ne peut pas l'ignorer - qui réserve à une héroïne "parfaite" les pires humiliations (en attendant d'improbables sévices, mmmmh), Urasawa est tout simplement impérial, intouchable : chaque page est un bonheur de lisibilité, chaque rebondissement (hihi) de l'histoire est un trésor de suspense et de surprise, chaque dessin est une merveille d'expression et de tension interne. Premier et second degrés confondus dans un plaisir aussi fin que fondamentalement régressif, avec son scénario en forme de mélange incroyable d'humour crétin, de sensualité coupable et de méchanceté réjouissante, "Happy !" nous ramène, telle une madeleine de Proust à la saveur de bubble-gum, aux sensations tellement élémentaires de nos quinze ans. Fiction parfaite qui lamine notre sens critique, "Happy !" touche simplement à la perfection. Urasawa, le Maître, encore, et toujours !
Alors qu'on se rapproche de la conclusion de cet étrange projet qu'est "Pluto", avec sa combinaison impossible de complexité thématique (politique, émotionnelle, voire spirituelle) et de fantaisie guerrière (un mariage clairement contre-nature, et n'en est que plus passionnant), on voit logiquement le scénario d'Arasawa se mettre a converger peu à peu vers la science-fiction enfantine de Tezuka : ce tome 7, à la narration parfois épineuse dans son traitement des flashbacks et des souvenirs, nous offre l'habituel mélange de sentimentalisme exacerbé (les enfants, comme toujours, bien sûr...), de thriller horrifique et de scènes de destruction massive, un mélange toujours magnifié par la beauté des idées graphiques d'Arasawa qui viennent se substituer au trait rond et parfait de Tezuka pour conter, au final, peu ou prou la même histoire. Une histoire d'innocence perdue du fait de la brutalité du monde (ambition individuelle, corruption du pouvoir politique, folie exterminatrice... On connaît la chanson), une histoire éternelle d'affrontement entre l'intelligence abstraite et la pureté du coeur. Des clichés - new age, pacifistes, écolos -, certes, mais revisités avec quelle imagination et quelle puissance !
A quoi reconnaît-on un livre "immense" ? A la complexité et à la richesse des émotions qu'il fait naître en nous ? A la manière dont il dialogue avec notre propre expérience (après tout, Asterios a à peut-près mon âge...!) ? A la façon dont il ouvre des horizons formels nouveaux, tant en ce qui concerne la structure narrative - intégrant mythologie (sublime passage sur Orphée...), philosophie, architecture, politique (on est ravi de découvrir qu'il existe une extrême gauche, même anecdotique, dans l'Amérique profonde) à la chronique douce-amère d'une vie en pleine désintégration - que la mise en image de l'odyssée individuelle d'Asterios (je pense en particulier au sublime chapitre sur "l'ampoule") ? A tout cela sans doute, car Mazzucchelli semble marquer le maximum de points sur tous ces plans. Alors, quand on referme "Asterios Polyp" sur une dernière image, incandescente, à la fois hilarante et horrifiante, après les heures de voyage enchanté, on SAIT. Oui, "Asterios Polyp" aura été l'une des grandes expériences littéraires de ces dernières années, et figure désormais au panthéon des livres qui nous sont indispensables.
A quoi reconnaît-on un livre "immense" ? A la complexité et à la richesse des émotions qu'il fait naître en nous ? A la manière dont il dialogue avec notre propre expérience (après tout, Asterios a à peut-près mon âge...!) ? A la façon dont il ouvre des horizons formels nouveaux, tant en ce qui concerne la structure narrative - intégrant mythologie (sublime passage sur Orphée...), philosophie, architecture, politique (on est ravi de découvrir qu'il existe une extrême gauche, même anecdotique, dans l'Amérique profonde) à la chronique douce-amère d'une vie en pleine désintégration - que la mise en image de l'odyssée individuelle d'Asterios (je pense en particulier au sublime chapitre sur "l'ampoule") ? A tout cela sans doute, car Mazzucchelli semble marquer le maximum de points sur tous ces plans. Alors, quand on referme "Asterios Polyp" sur une dernière image, incandescente, à la fois hilarante et horrifiante, après les heures de voyage enchanté, on SAIT. Oui, "Asterios Polyp" aura été l'une des grandes expériences littéraires de ces dernières années, et figure désormais au panthéon des livres qui nous sont indispensables.
Après l'impressionnante, la fascinante introduction aux mystères et aux ambiguités de "Soil" que nous a offert le premier volume de ce manga pas comme les autres, "Soil 2" nous déçoit forcément un peu, trivialisant salement la situation vécue par les habitants de la ville malade, comme par les policiers que nous accompagnons dans leur enquête : pédophilie, viols, harcèlements en tous genres, auto-mutilation, escroqueries financières, le scénario regorge de moments glauques, éprouvants, qui finissent par tirer "Soil" vers le bas. L'étrangeté lynchienne si séduisante des débuts est mise à mal par la fascination malsaine de Atsushi Kaneko pour les faits divers pervers les plus variés, et du coup, même si les policiers tempètent à propos du fait que ces "révélations" sordides ne font pas avancer l'enquête, on est moins enthousiastes. Reste que la conclusion du tome laisse - heureusement - présager une nouvelle plongée dans le mystère...
Quand on ouvre cet étrange album qu'est "Légendes de la Garde - automne 1152", on est immédiatement séduit par l'élégance des dessins et la beauté des couleurs, qui évoquent un peu les gravures classiques qui illustraient jadis les livres de contes pour enfants. Malheureusement, on se rend rapidement compte que la qualité de ce travail graphique joue contre la lisibilité de l'action, et qu'il manque à David Petersen le minimum de sens de la narration (voir par exemple la nécessité d'ajouter des explications en tête de chaque chapitre - un comble !). Si l'on ajoute que l'univers inventé ici est aussi puéril (au mauvais sens du terme) qu'invraisemblable, que le scénario est une accumulation de poncifs de cape et d'épée ou d'heroic fantasy, et que les personnages - des souris - sont à peu près indifférentiables et donc manquent complètement de personnalité, la lecture de "Légendes de la garde" nous devient au bout de quelques dizaines de pages horriblement fastidieuse. Cette saga (brrrr....!) continuera sans moi, c'est certain !
Bien sûr, ce cinquième tome des délicieux "Petits Riens" de Lewis Trondheim ravira avant tout ceux qui voyagent beaucoup, et en particulier ceux qui ont affronté les mêmes difficultés et vécu les mêmes surprises que lui dans certains pays où la différence culturelle est la plus forte. Reste que tout le monde sera à même d'apprécier l'humour décalé et modeste dont Trondheim fait preuve, sans jamais se placer dans une position arrogante ni même "surplombante" par rapport à ses sujets... Une tolérance drôlissime qui frôle d'ailleurs l'exploit dans certaines situations ! Et puis, comme toujours, il y a une vraie beauté esthétique dans ces petites planches joliment mises en couleurs, qui rend régulièrement la lecture de ce 5ème tome des inépuisables "Petits Riens" enchanteresse
Une bonne et une mauvaise nouvelle derrière la publication de ce 1er tome de "Ralph Azham" (!!!), entame de ce qui semble se profiler comme une nouvelle série d'heroïc fantasy décalée : la bonne, c'est que cela ressemble bien à un rétablissement complet de notre (très) cher Lewis Trondheim, enfin de retour avec un nouveau travail "grand public", et visiblement en forme quant il s'agit d'inventer un univers original avec de nouvelles règles (le syndrome "jeu de rôle"), comme d'y injecter cet humour tordu et aussi drôle que douloureux qui a toujours été sa force et sa différence. La mauvaise, c'est que cette naissance semble bien signifier la mort du "Donjon", oeuvre maitresse dont on n'avait plus de nouvelles depuis longtemps. En effet, il y a sans doute trop de points communs entre les deux concepts pour qu'ils puissent vivre et s'épanouir en parallèle. En attendant, vibrons et rions aux aventures aussi décalées que violentes (et psychanalitiquement chargées) de ce grand bénêt visionnaire de Ralph Azham, et croisons les doigts pour que la série soit longue...
Bon, j'avoue que je me suis senti un peu honteux à plusieurs reprises pendant la lecture de ce premier volume de "Happy !", un mélodrame largement "cheesy" où une adolescente décide de devenir championne de tennis pour éviter d'avoir à se prostituer (si, si !). Mais on est fan éperdu d'Urasawa ou on ne l'est pas, non ? Alors, j'ai serré les dents, je me suis accroché, j'ai rigolé grassement devant les blagues scatologiques des sales gosses qui escortent l'héroïne ou des deux yakuzas qui la harcèlent, j'ai tremblé devant la méchanceté de la sorcière capitaliste de qui dépend l'avenir du tennis japonais, je me suis ému devant la naïveté des premières émotions amoureuses des adolescents dont l'intrigue de "Happy !" entremêle les destins envers et contre toute logique... Au final, j'ai refermé ce premier volume de "Happy !" relativement séduit, parce que, au final, quel que soit le niveau du matériel scénaristique de base (et Urasawa est 100% responsable de cette histoire à dormir debout, je le sais...), le génie du meilleur mangakan vivant est éblouissant : une narration cinématographique à l'efficacité impeccable, une inventivité jamais mise en défaut dans l'illustration de la moindre scène, intimiste ou spectaculaire, un rythme irrésistible, etc. Parcourez seulement les quelques pages géniales qui décrivent le premier match de tennis de notre héroïne : c'est fort, c'est vivant, c'est stupéfiant d'énergie... C'est Urasawa !
On sait que l'auto-fiction prolifère avec une belle ardeur aux USA, permettant à la BD anglo-saxone de s'affranchir enfin de l'obsession des comics pour les super-héros. On sait moins que le Canada, et le Québec en particulier, a rejoint le peloton des pays à la pointe de la BD moderne, et la lecture de cette "Comédie Sentimentale Pornographique" en devient du coup un plaisir, ne serait-ce que par la découverte d'autres décors, d'une autre langue, qui colorent d'une subtile singularité (de notre lointain point de vue) les affres habituelles de la vie amoureuse de nos sempiternels artistes un peu paumés. La bonne idée de Jimmy Beaulieu, c'est d'animer ses chroniques dépressives (la vie des trentenaires largués a la même allure de part et d'autre de l'Atlantique, dirait-on !) d'une jolie touche d'érotisme (parler de "pornographie" me paraît pour le moins excessif...), et de nous montrer la sensualité féminine, joyeuse et légère, comme contre-point (et contre-poids) aux doutes existentiels de ses "mâles". Sinon, on est quand même là en plein milieu de ce qui, depuis une dizaine d'années, est devenu une sorte de nouveau cliché de la BD auteuriste (la quête du sens), et pour lequel on a désormais un peu de mal à se passionner.
"Soil" est une nouvelle preuve que le Japon, paradis du manga et culture "supérieure" en matière de bandes dessinnées, n'est pas complètement une île, et que ses artistes peuvent être aussi influencés par l'Occident : car "Soil" a tout d'une synthèse - inspirée, loin de la copie servile - entre "Twin peaks" (des enquêteurs pour le moins fantaisistes aux prises avec un fantastique qui les dépasse) et "Blue Velvet" (l'horreur sous la surface ripolinée de la vie banlieusarde), avec un soupçon de "Black Hole" (le graphisme, qui déroge - enfin - aux codes du manga, mais aussi cette vision de l'adolescence comme une maladie). Alors que ces références (quand même trois chefs d'oeuvre absolus de la culture contemporaine...) pourraient étouffer "Soil", elles le nourrissent au contraire, et sont la base sur laquelle Atsushi Kaneko construit une fable horrifique au final très nippone (les fantômes récurrents des légendes traditionnelles, avec le personnage de Sayuri, par exemple...), qui nous transporte immédiatement dans un univers aussi dérangeant que fascinant. Même s'il faut un temps d'adaptation pour s'habituer à la mise en page et à la narration, et trouver le bon rythme de lecture, "Soil" a déjà tout du futur "classique". On attend la suite en trépignant d'impatience.
Des pirates qui ont des problèmes de famille et des doutes existentiels ? Un monde médiéval de tortures au sein du quel éclate quelques gerbes d'humour au second degré ? Ça vous dit quelque chose ? Seuls sont qui ont la mémoire très courte ou ont vécu dans une grotte au cours des 10 dernières années ne feront pas le parallèle entre cette "Ile aux cent mille morts" et des séries géniales comme "Isaac le Pirate" et "Donjon". On ne reprochera pas à Vehlmann et Jason leur admiration - que l'on partage - pour ces deux monuments, on aurait seulement souhaité que l'inspiration (parlera-t-on de plagiat ?) les aient emmenés vers des terres nouvelles plutôt que vers une simple resucée - en moins bien, en nettement moins bien, tant graphiquement que thématiquement... - de leurs modèles.
Si les tomes précédents de "Pluto" m'avaient laissé un tantinet froid, voire sceptique quant à ce concept qui me semblait empêcher le "style Urasawa" de s'épanouir pleinement, peut-être par respect devant l'oeuvre écrasante de Tezuka, ce 6ème volume efface tous ces doutes : voici 200 pages que l'on peut qualifier de "urasawissimes", depuis la magnifique énigme - étourdissante - des tulipes de Sahad, jusqu'au mystère (à demi révélé, mais c'est suffisant) du péché originel de Gesicht, en passant par le suspense de l'attentat contre Hofman... Oui, tout est parfait ici, jusqu'à la conclusion, bouleversante, du voyage au Japon de Mme Gesicht et de sa rencontre avec Tenma. Extrême beauté et lisibilité du graphisme, science dans la construction narrative, complexité émotionnelle extrême, dignité dans la manière dont la violence est reléguée "hors champs", ou même désamorcée (on est loin des 60's de Tezuka, où érotisme et violence graphique étaient politiquement pertinents, et je comprends quant à moi les choix moraux de Urasawa de concentrer ses récits sur les dilemmes moraux et les choix éthiques de ses personnages), Urasawa prouve ici encore qu'il est bien un auteur majeur de notre siècle.
Manchette étant grand (certains l'ont sans doute oublié, vu la vitesse à laquelle le temps passe !), Tardi est grand, donc pas de surprise, l'adaptation - racée, concise, efficace, sans concessions - de l'un des meilleurs Manchette par un Tardi en pleine maîtrise de son art est grand... Il s'agira sans doute même de l'un des plus grands livres de BD française de l'année, tant l'adéquation du désespoir cauchemardesque de Manchette avec l'univers charbonneux de Tardi relève une nouvelle fois de la pure évidence. Pour pinailler, on relèvera que Tardi est moins à l'aise sur la fin avec l'illustration de longs passages dialogués qui voient la paranoïa politique de Manchette s'épanouir aux dépends de l'efficacité du thriller... Mais c'est un petit bémol par rapport à la forte impression que nous ont faites la centaine de pages qui ont précédé, descente aux enfers particulièrement sanglante d'un impressionnant personnage autiste et obsessionnel. Oui, un grand livre !
Bon, il y en a marre ! Marre de relire une fois de plus la même intrigue, avec les mêmes mécanismes, et le même déroulement : Largo Winch, qu'on a adoré, ronronne et radote, au point qu'il est incompréhensible que Van Damme n'ait pas la moindre véléité de renouveler sa série, qui ne manque pourtant pas de potentiel du fait de la pertinence de son sujet (le capitalisme peut-il être moral ? La seule aventure moderne est-elle celle de l'Argent ?) ! Dans ce registre, on notera quand même avec plaisir les tentatives - appliquées et scolaires, mais bon ! - de nourrir Largo Winch de la crise actuelle, tout en posant les bases (naïves, certes) de ce que pourrait être un capitalisme à visage social.
Pas si habitué que ça aux "histoires de filles", le mâle lecteur de BDs tombera néanmoins rapidement sous le charme des histoires, beaucoup plus subtiles qu'elles n'en ont l'air, de "Girls Don't Cry": au fil des pages, à travers des correspondances légères entre les gags, et alors que l'absence de transitions entre les micro-récits tourne au jeu lubitschien de "devinez ce qui a pu se passer quand on ne regardait pas", "Girls Don't Cry" dépasse peu à peu le genre un peu nombriliste et "limité" dont il est issu, celui des "histoires de filles", pour filles, donc. Les critiques utilisent pour décrire ce livre des mots comme : "émois adolescents", "tendrese" et "cruauté" , etc. etc... et, même si l'on ne veut pas donner tort à tous les gens un peu "branchés" qui se mettent à vénérer Nine Antico, on préfère parler ici d'une certaine perfection formelle, conjuguant satire légère et abstraction élégante. Oui, le dessin, très "contemporain", est aussi original et superbe, tandis que la couverture, joli hommage décalé à la célèbre compilation de The Cure, est la cerise sur ce très beau gâteau...
Charles Burns nous avait littéralement envoûtés avec son incroyable "Black Hole", mais à lire "Toxic", qui semble débuter une nouvelle série encore plus... euh toxique, justement, il semble que son inspiration ne soit pas tarie, au contraire : les 54 pages de ce (trop) court album - en couleurs, cette fois - offrent une nouvelle expérience extrême, et évidemment profondément déroutante, voire dérangeante, sans jamais tomber dans la facilité onirique qui plombe souvent ce genre de "trip" halluciné. Ici, entre les références pertinentes - et superbes - (Hergé et William Burroughs fournissent les univers de référence) et la manière parfaite dont Burns capture le mal être adolescent comme le vertige de la création artistique comme exutoire à la souffrance intime, Burns frappe terriblement fort, chaque image, chaque page étant un prodige de construction esthétique et intellectuelle. Attention, pur chef d'oeuvre !
Ayant abandonné la lecture de la série "Trolls de Troy" depuis quelques années, c'est avec une certaine curiosité que j'ai attaqué "l'histoire de Waha"... Pour rapidement me retrouver déçu par la paresse générale de l'album : même si l'idée d'expliquer enfin pourquoi et comment une jeune et jolie humaine est devenue Troll est excitante, elle ne sert ici qu'à justifier un simple catalogue de gags tournant systématiquement autour d'effets gores ou scatologiques, exploitant systématiquement l'idée bien usée désormais de la force et la bestialité quasi surnaturelles des trolls, et qui nous feront (un peu) rire mais épuiseront rapidement notre intérêt. L'intrigue principale, si l'on peut la qualifier de telle, tient sur un mouchoir de papier, et est expédiée sans aucune imagination, sans qu'aucune tension ne naisse jamais qui pourrait stimuler le lecteur. Bref, on s'ennuie ferme si on a dépassé l'âge du pipi-caca, et on referme ce 14e tome d'une saga à bout de souffle légèrement écoeuré même par la violence sanglante de nombres de scènes, qui n'ont finalement plus rien d'amusant.
Le choc initial de la découverte de "Blacksad" - avec son principe séduisant d'appliquer un graphisme très Disney à l'univers du polar noir, très noir - passé, la fièvre est largement tombée autour de la série de Canales et Guarnido, aussi c'est sans grands enjeux que paraît ce quatrième tome d'une série qui semble avoir fait long feu. Et "L'Enfer, le silence" ne changera pas la donne : quelques idées séduisantes - le cadre de la Nouvelle Orléans en plein Mardi Gras, la rencontre de l'univers musical avec celui de la corruption politique, l'apparition d'un personnage mystérieux dont on imagine qu'il reviendra dans les prochains tomes - qui ne débouchent finalement sur pas grand chose : "Black Sad" souffre d'un clair déficit de poésie, d'âme, ce qui est rédhibitoire quand on s'essaye à une relecture de l'univers du polar sans pour autant en proposer une vision suffisamment post-moderne. La lecture de "l'Enfer..." reste plaisante, en particulier au niveau graphique (regardez les pages 34 et 35, superbes), mais sans plus...
Le tome 5 de "Pluto" voit Urasawa se concentrer sur les aspects les plus psychologiques de son récit, lançant ses personnages à la recherche de sentiments extrêmes en eux - la haine pour l'inpecteur Gesicht, la tristesse pour la petite soeur d'Astro -, sentiments fondateurs de leur "humanité" (car bien entendu, ce sont des robots !). On peut trouver des accents "shakespeariens" aux différentes tragédies, souvent ultra-violentes, qui composent la trame de "Pluto", mais le talent suprême de Urasawa s'exprime avant tout dans sa maîtrise de la narration et sa science du "découpage", toujours très cinématographique. Le seul bémol que je mettrais, c'est que l'aspect franchement SF du monde de "Pluto" (l'héritage de l'histoire originelle de Tezuka) rend "Pluto" moins proche de nous, moins émotionnellement dévastateur que "20th Century Boys"... A moins qu'il ne s'agisse avant tout de la "distance" imposée par le rythme de parution des différents volumes : il faudra sans doute relire tout "Pluto" à la suite, une fois sa parution terminée, pour mieux le mettre en pespective au sein de l'oeuvre globale de Urasawa.
Puisqu'on n'est pas encore entré dans le vif du sujet de la recherche du ·"troisième apôtre" (et il y en a 12, est-ce que cela veut dire qu'on va friser la cinquantaine de tomes avec les "Gouttes de Dieu" ?), on voit dans ce neuvième volume nos héros venir une fois de plus à la rescousse de pauvres âmes dont les problèmes familiaux ou émotionnels ne sauraient être résolus que grâce au vin : sans être particulièrement cynique, il y a un moment où l'on n'y croit plus trop, surtout quand le syndrome vaguement nazi de l'obsession de la pureté raciale d'un personnage (français...) se trouve comme par miracle effacé par la dégustation d'un bon Bourgogne...! A force de baguenauder autour de son sujet et de chercher des scénarios de plus en plus alambiqués (hihihi...) pour expliquer et matérialiser les notions essentiellement abstraites liées à la "science" du vin, Agi nous fatigue. On aime nettement plus la première partie de ce livre, qui voit notre héros retourner vers son enfance pour y chercher les sources de sa névrose. Bref, au final, un neuvième volume irrégulier, ce qui fait qu'on attend avec impatience le dixième, qui devrait voir la tension remonter.
Et si, à force de vouloir augmenter la complexité de ses énigmes oenologiques, Agi commençait à dépasser les bornes dans ce tome 8 pour le moins outrancier ? Quand l'un des adversaires cherche la purification par la souffrance dans un désert chinois (et y trouve l'amour), l'autre joue les Hercule Poirot face à une seconde énigme redondante dont on saisit mal le lien avec le sujet principal du livre, l'identification du 2e apôtre à partir du mystère éternel de Mona Lisa. Au final, trop, c'est trop : on n'y croit plus, et du coup, on se désintéresse de l'artificialité trop grande du récit, devenu aussi spectaculaire que vain. Espérons un retour à plus de subtilité au Tome 9 !
Tome 4 : rebondissements, surprises, nouveaux personnages… Urasawa déploie ses habituels mécanismes narratifs, complexifiant à loisir son intrigue, reprenant fidèlement certains personnages-clé de la saga "Astro-Boy" (le professeur Ochanomizu, le professeur Tenma), tout en développant les axes nouveaux - plus "politique fiction", autour d'une sorte de conflit Irakien qui verrait le Saddam Hussein local fomenter sa vengeance posthume -, axes qu'il a visiblement imaginés pour installer "le Robot le Plus Fort du Monde" dans une réalité plus proche de la nôtre que le monde "utopique" de Tezuka. Si l'on ressent cependant une légère déception dans ce tome 4, c'est de par l'absence de ces moments véritablement magiques d'émotion qui distinguent les mangas d'Urasawa de ceux de ces concurrents, comme si le travail conceptuel à effectuer pour s'approprier sans la déflorer l'oeuvre de Tezuka le forçait à une sorte d'auto-censure. On peut donc craindre que, au final, "Pluto" ne soit pas au niveau de "Monster", ni bien sûr de "20th Century Boys"...
Alors que Soul Eater continue à dérouler son programme ultra-typique de manga pour ado (intrigue devenue incompréhensible, introduction permanente de nouveaux personnages sensés renouveler la dynamique des combats et apporter de nouveaux concepts ébouriffants), le lecteur fatigué continuera à se raccrocher au graphisme inspiré - pas forcément très lisible, mais c'est si beau, tout cela ! - ainsi qu'aux quelques rares moments de pause ou de comédie, rafraichissants au milieu de toute cette débauche d'énergie finalement assez gratuite. Et au milieu de ce 8e tome, miracle : une dizaine de pages sublimes, à la fois parfaitement simples et radicalement terrifiantes (la possession d'une petite fille), qui montre qu'Ohkubo pourrait être un sacré conteur, et même un vrai artiste, s'il sortait des poncifs...
Peut-être pas le meilleur livre de Clowes, "le Rayon de la Mort" restera néanmoins comme l'un de ses plus sombres. Les hasards de l'actualité nous le feront comparer à "Kick Ass", pour à la fois en rapprocher le thème (être un super héros au milieu de l'Amérique banale, quotidienne) et en opposer le traitement (au final, rien ne sert à rien, si ce n'est à empirer les choses, soit le pessimisme un tantinet cynique typiquement ClowesienClowesien). L'absurdité de la vie quotidienne est ici à hurler, accentuée par l'impuissance (créative et finalement physique) du "héros" à y changer quoi que ce soit, à s'inventer un futur décent, ou ne serait-ce qu'à trouver en soi la moindre volonté d'avancer. Dans ce monde à la précision aussi tranquille qu'absolument mortifère, le fantastique le plus outrancier ne peut être que lamentablement inopérant : mettre à la pâté à un sombre imbécile ou faire disparaître de la surface de la planète un gêneur peut difficilement être assimilé à un valeureux combat contre le mal, et Clowes, des tréfonds de son désespoir silencieux, nous murmure qu'il vaut sans doute mieux continuer à nous mentir à nous-mêmes pour pouvoir seulement survivre.
Si ce "Quai d'Orsay" n'était qu'une caricature bien sentie et parfaitement documentée du fonctionnement du Ministère des Affaires Etrangères à l'époque "glorieuse" (Villepin et sa résistance inspirée aux néo-cons en train de déclarer la guerre à la planète...), ce serait déjà un bouquin indispensable, puisque a priori basé sur les expériences vécues par le scénariste au sein de cette impressionnante organisation du gouvernement français. Mais, comme c'est souvent le cas chez Blain, l'un des tous meilleurs créateurs de BD au monde, à mon avis (relisez "Isaac le Pirate" et "Gus" si vous avez le moindre doute là-dessus...), quelque chose se passe ici, qui transcende la dérision facile (les jeux politiques, il est finalement si facile, si évident de s'en moquer...) qui contamine 90% de la BD d'humour "à la française", et c¡est une vraie admiration pour un homme, inspiré et confus, visionnaire et littéralement insupportable, qui se dessine peu à peu. Oui, "Quai d'Orsay" fait rire et fait peur, avec une efficacité imparable, mais ce qui est le plus beau, c'est qu'il nous remplit aussi d'admiration,... qu'il nous rendrait presque fier de la France... Enfin, tout cela, c'était avant la France mesquine de Sarko & Cie... Je me demande ce que Blain ferait de la politique française actuelle...
Quelle superbe manière de répondre aux doutes qui m'avaient envahis à la lecture du 6ème volume des "Gouttes de Dieu" que ce septième tome qui se révèle un pur enchantement, et dans lequel Agi laisse libre cours à ses instincts romantiques les plus irrésistibles… Suis-je donc une pure midinette pour verser tant de larmes devant ces récits d'histoires d'amour contrariées, ou de frustrations profondes que la vie a infligées, et que le vin, miraculeusement, va soigner, résoudre ? Ou bien, plus certainement, Agi ne touche-t-il pas, au delà du didactisme efficace de ses "Gouttes de Dieu", la raison fondamentale de l'existence de tout art (et le vin est un art, au delà de la technique et de l'industrie, aucun doute dans l'esprit de Agi ni dans le mien…) : ouvrir notre coeur et notre âme à la beauté de la vie ?
On aime Maggie et Hopey (enfin, pour moi, surtout Hopey, jamais tout-à-fait sortie de l'explosion "post punk" qui balaya L.A. au début des années 80 - N'oubliez jamais X, les petits !) et on ne résistera pas au plaisir de les suivre dans une quarantaine de nouveaux récits, minutieux, complexes, déjantés, absurdes, romantiques, hilarants, érotiques, incompréhensibles, simplistes, contradictoires. Une nouvelle pierre apportée à l'impressionnant édifice "Love And Rockets", soit une manière révolutionnaire de faire de la BD, aussi puissamment formaliste et conceptuel que fondamentalement au ras du bitume, dans cette manière sublime d'accompagner ses personnages - pour la plupart féminins, magnifiquement féminins - tout au long du chaos labyrinthique de la vie : Maggie prend du poids, hésite entre hommes et femmes et ne vivra jamais sa passion pour Hopey, et autour d'elles gravitent dix, vingt, trente personnages complexes, dont on ne saisit que quelques fragments d'une existence qui est aussi ordinaire et incompréhensible que celle de nos voisins de palier. Magistral, une fois de plus !
A équidistance des potacheries de Titeuf et des embarras salaces de Happy Sex (une petite réussite, rappelons-le), Zep déçoit terriblement avec ce livre anodin, qui ressasse jusqu'à l'usure les clichés de la timidité et des obsessions adolescentes face au "beau sexe" : du coup, on n'apprécie même plus le graphisme toujours assez fin de Zep, tant on s'ennuie devant ces gags prévisibles et fatigués. C'est qu'au final, faute sans doute d'offrir le moindre recul à ces éternelles gaffes de complexés, faute aussi de leur insuffler la moindre goutte de folie, ou même d'énergie, il ne reste ici que la fadeur de fantasmes bien insignifiants : rien ici ne sonne "vrai", rien dans ces portraits qui sont pourtant les nôtres ne nous parle de nous, ce qui est bien le plus grave des paradoxes. Alors, le Zep de trop ?
Avec "Créatures", Dumontheuil clôt sa saga "Big Foot" de superbe manière, abandonnant clairement toute velléités humoristiques (on comprendra que certains en seront chagrinés…) pour construire une allégorie délirante, passionnée, sauvage, une condamnation terrible de la violence du monde "des blancs", une célébration hallucinée et parfois hallucinante d'un retour au primitivisme le plus brutal. Plus de second degré protecteur ici, on est littéralement secoué par la force de ces visions apocalyptiques qui lient les horreurs du passé (le racisme inhérent à la société américaine, et la sauvagerie de l'Ouest et du génocide indien) à celles de notre XXIè siècle (11 Septembre, tsunami, apocalypse écologique finale…). Le plus accablent reste néanmoins la défaite systématique, inévitable, de la transmission père - fils, voire père - fille : proprement exécutés par la société, pendus, piétinés, lynchés, égorgés, les pères n'ont transmis à leurs enfants que le malheur et le goût âcre de la vengeance. Ainsi se referme ce chef d'oeuvre terrible de la BD contemporaine...
La lecture des aventures de Kitaro Le Repoussant, grand héros des enfants japonais, nous permet de nous confronter à ce qu'est vraiment la "différence culturelle". A la différence de bien des mangas, finalement assez universels, le travail de Mizuki, qui mêle ici de manière quasi surréaliste des fantasmes délirants de destruction massive ("Le Monstre des Mers", littéralement stupéfiant !), le plaisir pervers de terrifier le lecteur avec des histoires de spectres assez carabinées, et un sens très "asiatique" du grotesque, voire de la bouffonnerie, demande un vrai effort au lecteur occidental, qui sera forcement désarçonné par le mélange (très impur) des genres : à la lecture de ce deuxième tome de l'anthologie des aventures de "Kitaro le Repoussant", on passera de l'hilarité au dégoût, de l'admiration (certains dessins sont magnifiques…) à l'ennui (... mais on a du mal à adhérer aux aventures de tels héros !) sans savoir à quel saint (ou à quel yokaï) se vouer. En tout cas, tout cela est suffisamment étonnant pour qu'on ait envie de s'accrocher !
Le troisième volume de Pluto voit Urasawa quitter les sphères ambitieuses de la politique fiction, et commencer à faire "essaimer" son scénario dans une multitude de directions "instables", à la fois selon les règles désormais classiques du thriller, et selon les mécanismes de prolifération de la fiction qu'il a développé dans "Monster" ou mieux encore dans "20th Century Boys". Bien sûr, le lecteur sait désormais que la fascination de ce type de récit réside dans la beauté absurde de ces chemins généralement sans issue : Urasawa nous offre surtout l'opportunité de "baguenauder" avec ses personnages le long de leurs vies ou de leurs états mentaux, pour le pur plaisir de dégager des émotions intenses ou ténues, mais toujours précieuses - je pense ici par exemple au chapitre sur le robot sans cerveau qui donne la vie sans comprendre la "beauté" de son geste... On sait qu'on ne doit pas attendre de Urasawa une vision tautologique, bouclée et à la logique écrasante à la manière anglo-saxonne, mais bien au contraire une sorte de conte dont l'abstraction est dissimulée derrière le parfait réalisme du dessin : Pluto 3 remplit parfaitement ce contrat.
Pas sûr que cette nouvelle collection "paralléle" de Spirou soit vraiment justifiée si on s'en tient à ce premier tome, aux dessins désagréables, au manque d'humour flagrant, qui ne présente que l'avantage de rendre nos héros plus mûrs et plus réalistes.
On peut souscrire ou pas au choix stylistique de Fabrice Parme (retrouver la ligne claire et les à-plats "UPA" des années 50 qui y voyaient l'apothéose du modernisme), mais on ne pas nier sa concordance avec ce retour aux origines du Spirou de Franquin. Par contre, je ne vois pas comment on peut accorder le moindre crédit au scénario littéralement castrophique de Trondheim (oui, "notre Trondheim", qu'on aime tant…) qui semble confondre burlesque et agitation vaine, et qui réduit ses péripéties à une seule idée : "tous pourris, les riches égoïstes comme les pauvres assoiffés de sous.."). Car ce scénario se révéle rapidement non seulement pathétiquement ennuyeux en accumulant des situations répétitives et absurdes - mais sans l'énergie du désespoir ou l'humour destructeur du cinéma burlesque ou des "screwball comedies" de Hawks qui sont sans doute aussi une référence ici -, mais foncièrement déplaisant. On referme "Panique en Atlantique" avec le sentiment horrible d'avoir lu un livre maladroitement malsain, ce qu'on ne pensait jamais écrire sur un "Spirou", et ce qui traduit sans doute plus que tout que Trondheim n'est pas fondamentalement sorti de sa période dépressive...
Est-ce une certaine lassitude qui s'empare de nous après le premier millier de pages ? Est-ce plutôt réellement "un coup de barre" de Tadashi Agi qui peine - et on le comprend - à renouveler son concept de départ ? Toujours est-il que ce sixième tome de la saga oenologue des "Gouttes de Dieu" nous enthousiasme et nous charme moins que les précédents : entre la répétition systématique de l'illustration visuelle (éblouissante certes) des sensations apportées par les vins dégustés (personnellement, je tique un peu sur l'assimilation du Château Margaux à la Reine Cléopâtre, mais je suppose que, vu du Japon…) et le relatif manque d'intérêt du nouveau défi relevé par Shizuku (prouver à un snob qu'il n'y a pas que la "marque" du vin qui compte, une question pertinente il est vrai dans les pays où la culture du vin n'est pas encore établie…), on patauge un peu dans la banalité ici. Et ce n'est pas la résolution de la première énigme - il en reste 12, ouuufffouuufff ! - qui nous rassure sur notre capacité à poursuivre un tel marathon...
Si le premier tome de Big Foot m'avais charmé et passionné par son humour décalé, très "brautiganien", de fait, on passe vraiment aux choses sérieuses avec ce second, qui se révèle complexe, fascinant, voire bouleversant dans ses toutes dernières pages. Sans trahir les codes éternels du western (duels au pistolet et tout le tintouin), mais en les distordant et les enrichissant de multiples déviations "post-modernes", Dumontheuil nous propose au final une lecture "psychanalytique" terrible des rapports filiaux comme des passions amoureuses (… et sexuelles bien sûr). Tour à tour parodie subtile, thriller efficace et parabole cruelle, "Holly Dolly" nous emporte en riant dans un galop effréné au fond de notre inconscient le plus noir, sans pour autant négliger de pointer ce qui a fait l'essence d'une nation "composite" comme les Etats-Unis, le mélange et l'affrontement violent des races et des cultures. Avouons-le, on n'en attendait pas tant de "Big Foot" !
Si le premier tome de Pluto m'avait intéressé, mais paru sensiblement moins audacieux et émotionnellement intense que le travail "habituel" d'Urasawa, le second volume rattrape largement le coup : entre la recréation vraiment charmante du personnage d'Astro, dont Urasawa rend magnifiquement l'innocence, l'idéalisme et les sensations à fleur de peau, et la politisation assez culottée du récit, travaillant agressivement le thème de la guerre en Irak et les mensonges de la Maison Blanche, voilà une histoire qui s'emballe superbement. On referme donc ce second volume avec un "Ouaouh" admiratif : pas de doute, même dans ce qui constitue une sorte d'exercice de style et de défi à la fois (se mesurer au génie de Tezuka en s'appropriant son matériau le plus emblématique), Urasawa fait la preuve de sa maîtrise parfaite du récit comme des émotions du lecteur. Je vais me précipiter sur la suite !
Il y a dans ce "Grandville" de nombreuses raisons de se réjouir, la première étant certainement de voir la Grande-Bretagne, pays rétif à la BD, devenir un nouveau vivier de créateurs et d'artistes. Bryan Talbot frappe très fort, avec un scénario ambitieux mêlant uchronie (ex-fan de SF, j'ai toujours personnellement un faible pour ce genre d'histoires...), tradition antropomorphique (Talbot fait donc référence au dessinateur français Grandville du début du XIXe siècle), univers steampunk assez "à la mode", références politiques directes au 11 septembre et à la politique de terreur des néo-conservateurs (on n'aime pas forcément ces théories conspirationnistes, mais bon...), etc. Deux faiblesses néanmoins empêchent cette première aventure de l'Inspecteur Le Brock de nous séduire complètement : un recours systématique à la violence, qui finit par lasser, malgré l'habileté des dessins, et un happy end tellement invraisemblable qu'il en devient grotesque. On appréciera par contre le dessin élégant, mais moins la mise en couleurs, assez laide avec des effets "Photoshop" malins mais artificiels. On concluera donc que, dans un registre un peu similaire, "Grandville" n'atteint pas la classe folle d'un "Blacksad"... A suivre quand même.
On ne peut être que ravis que Trondheim, qui nous a enchanté pendant des années avec son merveilleux Lapinot, avant de l'éliminer sauvagement (un jour de déprime certainement) revienne à la BD "grand public" après une large parenthèse quasiment purement "indie". Le défi est néanmoins majeur : ni plus ni moins que ressusciter le "style Lapinot" sans Lapinot, autour de sa vieille bande de copains, désormais "conduits" par Richard ! On retrouve donc dans "Top Ouf" (mauvais titre…) l'essence de ce qu'on aimait chez Lapinot, cette vision douce amère des rapports humains et d'une vie quotidienne passablement déprimante, illuminée par un humour un peu absurde, et surtout une ou deux trouvailles "magiques", voir "fantastiques"… Sauf que "Top Ouf" fonctionne nettement moins bien, et se révèle moins drôle, moins poétique, moins touchant, moins délirant… mis à part dans sa toute dernière partie, parfaitement réjouissante (la scène de la boîte de nuit constitue un véritable "triomphe" de la manière Trondheim), et qui nous donne quand même l'espoir que la suite de ces "Formidables Aventures SANS Lapinot" retrouvent complètement la folle classe du passé. Reste que, et on le sait… "un être vous manque, et tout est dépeuplé"…
Grave régression pour "Soul Eater" que ce 7ème volume qui voit Ohkubo patauger assez lamentablement pour relancer notre intérêt après le climax des deux précédents tomes. Car comment repartir après le duel multiple / au sommet qui a opposé nos héros aux forces du mal ? Lorgner vers la comédie teenage façon Hollywood ? Introduire de nouveaux personnages encore plus délirants ? Plonger certains des héros dans des situations inextricables ? Rien ne semble vraiment fonctionner ici, et même l'affrontement avec le golem et l'homme-tronçonneuse, seul moment d'action, est curieusement pâle et sans saveur. Bref, ce tome 7 nous tombe littéralement des mains, et si cela ne s'améliore pas au prochain, il sera temps de déclarer forfait !
Il est assez passionnant de suivre la trajectoire de Larcenet, de l'humour décalé de ses premières œuvres à la noirceur absolue de ce "Blast", qui combine un travail formel remarquable (certaines pages frôlent le sublime) et un scénario au nihilisme beaucoup plus radical que ce à quoi Larcenet nous avait habitué dans ses précédentes œuvres "sérieuses". Ce serait d'ailleurs le seul léger reproche que je ferais à "Blast", que ce goût bien dans l'air du temps pour un récit de haine et de dégoût de soi ("Tu détesteras ton prochain comme toi-même,... ça a certes moins de panache, mais ça a le mérite d'être réalisable"), mais je fais confiance à Larcenet pour éviter la complaisance dans le sordide (le défaut rédhibitoire de son "Chez Francisque") et nous emmener loin, loin, portés par l'onde de choc de son "Blast".
Projet conceptuel bien dans la "logique Urasawa" qui semble vouloir que toute histoire puisse être contée par différents protagonistes qui lui apporteront forcément un sens nouveau, "Pluto" retravaille donc un récit classique de Tezuka ("le robot le plus fort du monde", une aventure d'Astroboy) en le creusant de manière politique et psychologique à la fois. On retrouve immédiatement le "geste artistique" d'Urasawa, les ellipses qui court-circuitent systématiquement la violence en la laissant hors champ, les digressions morales ou émotionnelles qui offrent à chaque personnage, même le plus secondaire, l'opportunité d'exister dans toute sa complexité humaine (même s'il s'agit ici de robots...!), et ce sens très cinématographique d'un découpage très "thriller" qui fait toujours merveille. Belle introduction à cette saga datant quand même de 2003 (l'année de naissance d'Astroboy d'après Tezuka).
Parfois divinement poétiques, régulièrement délirants, et toujours émotionnellement inspirés (l'enfant fleur seul survivant d'une planète détruite par un désastre écologique, la sœur-robot qui se sacrifie en devenant la voiture de rêve de son frère, etc.), les aventures d'Astro Boy ne manquent pas non plus d'humour (voir la mise en abîme régulière du récit par des clins d'œil au lecteur, qui reprennent certains des mécanismes inventés par Tex Avery), mais c'est sans doute au final le dynamisme enthousiasmant du dessin de Tezuka qui reste en mémoire à chaque fois que l'on referme un nouveau tome de cette superbe anthologie : tout ici est fête du mouvement, trajectoires élégantes et formes architecturales typiques d'un futur antérieur qui n'aura malheureusement jamais existé... Soit l'une des plus belles réussites de la bande dessinée, que l'on appelle ça manga ou non…
Le grand récit qui compose la majeure partie de cette anthologie, "Le corps des hot dogs", constitue une sorte de synthèse idéale des qualités d'Astro Boy : un postulat de base génialement délirant (des chiens transformés en cyborgs, dont les instincts canins remontent à la surface), des rebondissements dignes de la meilleure sci-fi naïve des origines (combat d'aéronefs entre la terre et la lune, cité perdue sous la surface de la lune avec son trésor de diamants), des personnages dont les rapports extrêmement émotionnels déterminent les actes - plutôt que la raison (Astro Boy se tient définitivement do côté du cœur), et des bouffées d'humour délirant qui confèrent aux sagas héroïques et souvent violentes de Tezuka une légèreté bien venue. On ne peut sortir de la lecture des meilleurs récits d'Astro Boy que régénérés par la fougue poétique qui irrigue en profondeur ce manga vraiment pas comme les autres.
Étonnant 5ème volume des "Gouttes de Dieu", qui pousse le principe essentiel de la série, soit faire "fictionner" la capacité des meilleurs œnologues de "matérialiser" visuellement les sensations olfactives et gustatives engendrées par un vin, un cran plus loin : avec cette histoire d'amnésique dont un vin constitue l'ancrage mémoriel, Agi et Okimoto franchissent allègrement la barrière du fantastique romantique - un peu "niais" sans doute, mais notre goût et pour le vin et pour le mélodrame nous aide à passer outre certains clichés. Et ce d'autant que la conclusion nous ramène vers une vision beaucoup plus austère, japonaise dirons-nous, de l'amour : cette épouse au chevet de son mari dans le coma dans une chambre d'hôpital dénudée, bien loin des sous-bois romantiques du monde "imaginaire" des grands vins français, nous suggère d'ailleurs que nos héros œnologues vivent largement dans un univers fantasmatique où leur passion leur dissimule la dure réalité (on peut d'ailleurs tiquer sur la figure fantaisiste du SDF qui possède des caisses de Chambolle Musigny enterrées dans un jardin public !). Une piste à creuser pour la suite ? Pas sûr...
Le moins que l'on puisse dire, c'est que lire cette compilation des "auto-portraits" de Crumb, travaillant ses éternelles obsessions sexuelles sadiques et perverses, le mettant en scène face aux nombreux accusateurs qui l'ont toujours vilipendé (journalistes, bigots, féministes, etc.) dans des dialogues aussi violents qu'inconfortables, n'est pas forcément une ballade de santé. L'auto-analyse est rude, sans un soupçon d'auto-complaisance, tant Crumb prend la mesure d'une certaine abjection à l'œuvre dans son travail autour de ses fantasmes délirants, mais la revendique comme "auto-médication" (que ferais-je comme horreurs si je ne laissais pas sortir ça dans mon Art?) autant que comme déclaration d'indépendance suprême de l'artiste vis à vis des conventions, des règles, voire des lois de la société. Tout cela est indiscutablement culotté, déstabilisant souvent, intimidant parfois. Comme le dessin est - évidemment - sublime, on est forcément saisi devant l'ambiguïté féroce qui se dégage de ces réflexions souvent cruelles. A ne pas mettre entre toutes mains, comme on dit !
Il est indéniable que ce second volume de la saga "Il Était Une Fois en France" est moins impressionnant que le premier, Nury et Vallée abandonnant la narration sophistiquée en flash backs qui faisait quand même une partie de l'attrait de celui-ci, pour se concentrer sur le récit beaucoup plus classique de la période la plus noire de notre Histoire, celle de l'Occupation et de la collaboration. Et il faut bien avouer que le scénario de Nury, que l'on sent a priori bien arrimé à un travail de recherche sérieux, ne ménage guère notre sensibilité et nos (possibles dernières) illusions : on est ici dans le royaume du Mal à l'état pur, et ·Le Vol Noir des Corbeaux" nous propose une mémorable galerie de personnages ignobles, qui, quelque part dédouanent au final Joanovici du jeu aussi dangereux que répugnant auquel il se livre (s'enrichir tout en survivant à l'Holocauste qui se met en branle). Il y a indiscutablement un risque - assumé par les auteurs - quand on travaille autant dans l'ambigüité de personnages auxquels, forcément, le lecteur s'attache, et ce flux permanent de paradoxes (Joanovici, autant sauveur que détrousseur de juifs, aussi mauvais père de famille qu'amant fidèle, plus profiteur que collaborateur ?) fait largement l'intérêt de ce livre. On ajoutera enfin que le dessin de Vallée a pris de l'assurance depuis le premier tome, même si on reste quand même dans une illustration traditionnelle du récit, un tantinet studieuse.
Voici un livre, largement célébré par la presse et dans les festivals, qui m'a laissé songeur. Pas dubitatif, non… songeur ! Alors, chef d'œuvre au quatrième degré, ou simple blague potache un peu en roue libre ? Pas facile de trancher, car si l'on comprend bien la mécanique originale, maligne, mise en branle par Joe Daly, s'inspirant finement des règles assez crétines (il faut bien le dire) des jeux vidéo, on peine un peu à savoir où il veut nous emmener. Vers une critique décalée du comportement des ados, n'utilisant leurs talents que pour se livrer à des jeux décérébrés et des commentaires méchants ? Ce ne serait alors pas grand-chose : ni original, ni vraiment drôle, ce genre de pamphlet tomberait bien à plat. Entraîner au contraire ses lecteurs dans un monde aussi inquiétant que fascinant, à la manière des grands artistes américains du moment (on pense à Charles Burns, évidemment..) ? Pour cela, "Dungeon Quest" manque encore un peu de consistance comme de profondeur. Tomber franchement dans le délire décalé genre Pierre La Police ? On n'y est pas encore, même si on frôle ce genre "d'extrêmes" par instants ("Et pourquoi la bite de Lash se met en tire-bouchon dans son calbut ?" : voilà une question qui mérite d'être posée, non ?). Pour le moment, Joe Daly reste un peu flottant entre tous ces "scénarios". Il va falloir poursuivre le jeu de rôle avec lui pour avoir des réponses… Ou pas.
Autant le reconnaître tout de suite, même s'il s'inspire clairement de la démarche de Marjane Satrapi, "Marzi" n'est pas "Persepolis" : plus que l'exotisme (la Pologne de Walesza est quand même moins "fascinante" que la révolution iranienne, c'est un peu injuste, mais c'est ainsi), c'est le souffle poétique inégalable de Satrapi qui fait ici défaut. On comprends que Savoia et Sowa s'attachent à mélanger le quotidien somme toute ordinaire d'une petite fille - si semblable à celui de n'importe quelle autre dans le monde : ses jeux, ses rêves, ses désirs, ses rapports avec ses parents - avec la "grande histoire" (Tchernobyl, les privations inhérentes au système communiste, la peur qui régit la société) -, afin de créer en nous l'empathie nécessaire à accompagner Marzi dans son ouverture d'enfant au monde. Pourtant, quelque chose dans l'équilibre entre les deux ne fonctionne pas tout-à-fait, et une certaine banalité dilue l'effet émotionnel - de la tendresse et de l'émotion, c'est bien, mais ça reste un peu court - de ce premier tome, pas aidé par un dessin efficace mais relativement passe-partout. On attend mieux de la suite, qui raconte l'affrontement de 1989.
On est forcément impressionné par le tour de force à la fois rhétorique et formaliste que constitue ce "Dieu en personne", car il pose des questions autrement plus vitales - à mon avis - que celle de l'existence de Dieu, donnée ici comme un fait, sans qu'il ne soit pour autant lié à une quelconque "croyance" : par exemple, celle de sa représentation dans l'art (un piège ici élégamment évité, au sein d'un livre souvent magnifique dans son travail graphique, chaque page respectant un code austère tout en le faisant exploser par de belles idées toujours renouvelées), ou celle de sa place dans une société qui est visiblement passé à "autre chose" (le marketing, les media, le commerce, la starification de l'anonymat, etc. etc.). Lire ces 120 pages foisonnantes de phrases définitives empruntées à des philosophes (Voltaire, Pascal, Sartre) ou autres penseurs (Einstein, Jung, etc.) et constamment surprenantes, est incontestablement une jolie stimulation intellectuelle, et l'on n'est pas déçu par la conclusion, habile, mais assez dans l'air du temps, de par son habileté à laisser différentes interprétations possibles tout en désacralisant définitivement le récit qui a précédé. Pourtant, force est d'admettre que si ce livre n'atteint pas complètement sa cible, c'est qu'il parle définitivement et de manière quasi obsessionnelle à notre cerveau, sans guère exciter notre cœur. Nombreux seront les lecteurs qui risquent donc de le trouver tout simplement ennuyeux !
On sait le monde de la BD française (éditeurs et grand public) particulièrement accro à ces séries "historiques" qui pullulent chez Glénat ou Dargaud, avec un dessin extrêmement professionnel mais anodin… J'ai été quant à moi longtemps rétif à cet académisme (relatif), qui me paraît fort éloigné de la magie des pionniers comme de l'énergie des formats modernes (auto-fiction, journal intime, recherche graphique, etc.). De temps en temps, il faut néanmoins se forcer, et le cycle "Murena", travaillant sur la vie de Neron - propre à tous les fantasmes, et il faut l'avouer à un déchainement de sang et de sexe - n'est pas une mauvaise manière de remettre au goût du jour notre imaginaire "romain" datant largement du Alix de Jacques Martin. Si ce premier tome souffre en effet de dessins compétents mais sans relief (un peu de difficultés d'abord à distinguer les personnages un peu semblablement dessinés…), il faut en effet avouer que la trame historique et la manière dont Dufaux la fait fictionner en restant a priori fidèle à ses sources (amplement citées et commentées d'ailleurs) passionne et intrigue… A suivre pour se faire une opinion plus précise.
Série qui commence à avoir une vraie réputation, "Il Était Une Fois en France" travaille sur une période fondamentale de l'histoire de France, mais aussi une période volontairement gommée des mémoires (et des livres d'histoire) : celle de la collaboration et de l'après guerre, quand s'est joué le destin et la structure future de la société française, dans un chaos d'alliances contre-nature et de trafics peu glorieux. A partir de personnages réels, finement croqués dans un récit fragmenté en plusieurs époques (la lecture en est un peu ardue, au début, le temps de se trouver des repères), Nury et Vallée dressent un tableau terrible - mais passionnant - d'un pays véritablement "maudit", conjuguant habilement la grande histoire avec les destins individuels. Bien sùr, on peut se demander la pertinence de faire d'un juif victime de pogroms en Russie le "grand méchant" de cette saga, mais pour le moment, l'ambigüité des personnages est totale, et fascinante. A noter que le dessin, pas tout-à-fait réaliste, mais toujours "juste", permet de rentrer doucement dans l'ambiance d'une époque qu'on a vraiment l'impression de découvrir. Évidemment, ce premier tome n'est qu'une introduction, et tout cela est à suivre... Mais ces 54 premières pages laissent bien présager de la suite...
"Valérian et Laureline", c'est fini… même si Christin a la jolie intuition de clore sa saga - jadis brillante voire indispensable, mais qui s'est délitée de manière terrible au fil des années - par un recommencement. L'ambition de cet "OuvreTemps" est de sortir nos deux héros de l'impasse temporelle dans laquelle les circonvolutions scénaristiques de la saga les a placés, et pour cela, Christin ne recule devant aucune facilité, comme ce fameux et inexplicable "ouvretemps", justement, sorte de deus ex-machina, même s'il s'agit d'un objet, qui remet tout miraculeusement en place… un peu facile, non ? Mais ce qui est finalement pénible, plus encore que dans les deux tomes qui ont précédé, c'est cette volonté de faire ressurgir tous, absolument tous les personnages croisés au cours de la saga : plutôt que de la nostalgie, cette accumulation - qui n'est vite plus drôle - provoque surtout chez le lecteur une intense lassitude. Si l'on ajoute qu'il n'y a, à proprement parler, aucune "histoire" racontée dans ses 50 et quelques longues pages, il ne nous reste plus qu'à nous intéresser au dessin de Mézières, qui oscille d'ailleurs entre l'excellent (les quelques pages "peintes") et le carrément bâclé (la représentation de la belle Laureline est de plus en plus aléatoire…). Bref, on n'est finalement assez content que tout cela soit fini, et on a plutôt envie de se replonger dans les premiers - et géniaux - épisodes, remontant quand même à 1967 !
Il est toujours un peu gênant de ne pas vraiment adorer un livre "classique", sur lequel les avis sont généralement dithyrambiques : vous vous demandez forcément si ce n'est pas vous qui avez quelque chose qui "cloche", comme ces deux adolescentes bien perdues que décrit Clowes dans son célébrissime "Ghost World" ! Bon, pour moi, même si le trait est d'une belle élégance, même s'il y a dans ce livre le déploiement d'une vraie sensibilité face aux états d'âme féminins (un genre de BD pas très courant aux USA jusqu'à la vague récente de journaux auto-biographiques en BD), et même si, surtout, le dernier chapitre est absolument magnifique de nostalgie, et de cruauté par rapport au temps qui passe et qui efface tout, je n'arrive pas à adhérer complètement au "monde fantôme" décrit par Clowes : faute de références sans doute (tous ces noms de célébrités de la télévision locale, c'est bien vu, mais ça nous laisse un peu froids de ce côté de l'Atlantique…), mais aussi faute de vraie empathie vis-à-vis de personnages finalement assez flous, traversant des situations qui lorgnent légèrement - mais sans la force de la vision de ce dernier - vers l'Amérique de Lynch. Au final, même si j'ai bien compris - je crois - la mélancolie sévère que dégage le livre, j'ai eu plus que du mal à le trouver passionnant, ou même véritablement intrigant.
On a entendu dire que Sfar avait pondu cet "Ancien Temps" (avec le temps, on verra s'il s'agit vraiment du début d'une nouvelle série… mais il est vrai que le récit reste suspendu à la fin) tout en dirigeant son premier film. Ceci explique sans doute la lâcheté de l'intrigue (même si Sfar n'est jamais le roi de la cohérence narrative, et que c'est aussi pour ça qu'on l'aime...), et, un peu plus gênant, le laisser aller des dessins, qui plus d'une fois, trahissent leur aspect improvisé. Les limites de cet ouvrage ainsi posées, il faut admettre qu'on y retrouve le meilleur de Sfar, une fois de plus : cet imaginaire amusant et richissime, cette sensualité légère des femmes libres et charmantes, cet humour décalé, absurde, qui n'est jamais loin de la cruauté, mais se retient juste à temps, et surtout ces préoccupations "théologiques" encore une fois passionnantes. En partant en guerre contre le "Dieu unique" - et paradoxalement, pas contre la Religion -. Sfar vise haut, et irritera plus d'un ayatollah ou fondamentaliste chrétien (sauf que ces abrutis ne lisent pas les livres de Sfar, malheureusement !). On attend avec impatience un second tome, peut-être traité moins comme un "passe-temps" ?
Dans le 4ème tome des "Gouttes de Dieu", nous apprenons à oublier nos préjugés quant à la "marque" d'un vin (ce qui offre à Agi et Okimoto l'occasion de nous offrir LE pic d'émotion du livre autour d'une réconciliation familiale), puis nous assistons - enfin - au fameux duel entre vins bon marché français et italiens, nous offrant une conclusion logique (pour les "connaisseurs") mais maligne et ludique. Et enfin, enfin après ces longs préliminaires de 3 tomes, le duel au sommet autour de l'identification des "12 apôtres et des gouttes de Dieu" commence... Et très fort, avec un superbe "cliffhanger" qui prouve que Agi maitrise aussi - outre la connaissance du vin - l'art du manga. Nul doute que nous le suivrons dans ce périple brillant qu'on espère le plus interminable possible - voici une énigme dont on n'attend pas la résolution ! - en compagnie de toutes ces belles femmes et ces images enchanteresses que Okimoto invente pour matérialiser l'enchantement du vin.
Le sixième volume de la saga "Soul Eater" poursuit sur l'excellente lancé du précédent : tandis que l'affrontement dantesque entre élèves et professeurs de l'école d'un côté, et sorciers et forces du mal d'un autre, se poursuit dans les sous-sols de la ville, Ohkubo continue à tester comme un malade des formes narratives et graphiques les plus audacieuses possibles : on n'oubliera pas de sitôt la représentation ultra-simple mais puissante de la schizophrénie de Crona enfant, sans doute le plus beau moment du livre. On appréciera aussi l'inventivité formelle éblouissante lors du combat final entre Shinigami et le Grand Dévoreur, d'un formidable dynamisme (sans oublier l'humour potache de Ohkubo, jamais en manque de blagues vaseuses pour désamorcer le sérieux de n'importe quelle situation…). A la fin de ce volume, comme dans Harry Potter encore une fois, Ohkubo nous agite la promesse d'un conflit ayant largement débordé les limites géographiques de l'école des "Death scythes", et on en salive d'avance...
Le cinquième tome de la série pour pré-adolescentes "Lou !" parmi mes coups de cœur de l'année ? Il y en a qui vont rigoler, j'imagine… Mais j'assume… Car y a-t-il beaucoup d'auteurs "grand public" comme Julien Neel aujourd'hui en France pour construire ce genre d'histoire, en prise directe avec les blessures émotionnelles de chacun d'entre nous, ado ou non, fille ou garçon : comment réaliser ses rêves d'enfants et ne pas oublier de rêver quand on est adulte ? Comment vivre avec ses parents, les aimer malgré le mal qu'ils vous font et se font à eux-mêmes ? Doit-on avoir peur du monde, sous prétexte que le pire arrive (presque) toujours ? Etc. etc. Oui, ce tome 5, même s'il a parfois le goût d'un bonbon acidulé de notre enfance, et si Neel atténue ci et là la force de son récit d'une goutte - bienvenue - d'eau de rose, travaille dans le même domaine que le Larcenet du "Combat Ordinaire". Je ne suis pas certain que ma fille de 10 ans soit toujours capable de comprendre, ou pire, d'affronter ce qui est dit ici, en filigrane parfois, mais finalement assez frontalement, sur l'amour des hommes et des enfants, mais j'imagine qu'elle comprendra déjà qu'il y a un âge où l'on cesse d'avoir son petit chat comme meilleur ami pour passer à quelque chose d'autre. Et que ça peut être terrible. Ou beau. "Lou ! 5" ou la naissance d'un auteur ?
Ouaouh ! Ce n'est pas tous les jours qu'on a le sentiment d'être confrontés à une nouvelle percée dans la littérature, même si la BD nous a habitués à être LE domaine littéraire dans lequel la "recherche" progresse le plus, et même si le travail de Posy Simmonds n'est pas aussi agressivement révolutionnaire que celui de la jeune école américaine… En apparence du moins, parce que fondamentalement, le travail effectué dans "Tamara Drewe" est époustouflant : à partir d'un roman anglais classique ("Loin de la foule déchaînée" de Thomas Hardy), voici une critique implacable (parce que calme…) de notre société actuelle - des ados sniffeurs de colle et obsédés par la célébrité, aux adultes ayant abandonné toute dignité dans la recherche de cette même célébrité - qui se développe autour de thèmes littéraires classiques - de l'ennui qui mène certains aux comportements pervers ou auto-destructeurs, à l'arrogance des autres qui leur font mépriser le mal qu'ils font, sans aucun remords. Formellement, le travail de Posy Simmonds se traduit par un mélange faussement sage mais incroyablement malin et… percutant de beaux dessins et de textes, jouant sur la mise en page et sur les typographies… le tout est étonnamment clair, lisible, à la fois ludique et fascinant. On ne pose ce long roman (oui, c'est un vrai roman) qu'une fois son intrigue complexe déroulée, et on n'a qu'une envie, le relire immédiatement. Un chef d'œuvre ? Oui, à coup sûr !
Au milieu du flot de rééditions d'intégrales des classiques de la BD de notre enfance, les responsables de cette nouvelle édition de "Yoko Tsuno", petite héroïne asiatique, électronicienne et féministe de la maison Spirou (que je ne fréquentais d'ailleurs pas à l'époque…) ont eu la fausse bonne idée de ne pas travailler "bêtement" de manière chronologique, mais de regrouper les albums par thème. Fausse bonne idée en effet, car ayant pour effet immédiat de pointer les répétitions et redites de scénarios qui ne nous paraissent, du coup, plus très originaux arrivés à la fin des 160 pages : au lieu du plaisir proustien que les lecteurs ressentaient à l'époque en retrouvant des lieux et personnages occasionnellement récurrents (Ingrid, les Bords du Rhin), on frôle ici le ressassement. Qui plus, la GRANDE faiblesse de la série - que je découvre donc avec des décennies de retard - ce sont ses scénarios emberlificotés, pleins d'incohérences aussi bien dans leur logique que dans le comportement parfaitement invraisemblable des personnages. Du coup, même si je sais bien qu'on est ici dans la fiction enfantine, on n'y croit rapidement plus, et on a le sentiment de glisser au fil des ces intrigues sans impact ni profondeur. Ah ! Par contre, il est indiscutable que la jeune et jolie Yoko, avec sa tendance à prendre tout au sérieux et à philosopher (la culture japonaise telle que se l'imaginait Roger Leloup ?), est une héroïne charismatique. Nous y reviendrons donc !
Comme s'ils avaient entendu ma (légère) critique à la lecture de "Bienvenue à Boboland", Dupuy et Berberian ont cette fois magnifiquement élargi leur perspective… du Canal St Martin à la Planète toute entière, "menant leur enquête" sur le principe que le Bobo parisien - semblable en cela à celui de Buenos Aires, Reykjavik et ailleurs, est le produit, mais aussi le vecteur privilégié, en même temps que la face la plus visible du capitalisme financier dont nous voyons les effets "globalement" destructeurs depuis deux décennies au moins. Et là, "Global Boboland" devient bien mieux et bien plus qu'un autre bouquin de vannes malignes sur la bêtise humaine, pour se transmuter en pamphlet politique des plus virulents : il y a en particulier dans l'enchaînement des trois ou quatre derniers récits qui composent ce recueil une montée en puissance remarquable, une force dont on ne pensait pas Dupuy & Berberian capables. Inutile de dire que ce livre, largement hilarant, est aussi le plus glaçant qu'ils aient produit à date, et se révèle un ouvrage important en ces temps sombres où même la catastrophe planétaire produite par la bêtise avide de nos dirigeants n'a pas réussi à renverser un système fou et absurde : Dupuy et Berberian sont visiblement furieux, et, même si on peut leurs être reconnaissants de clore leur brûlot par une case, ou plutôt une bulle ("Ça va, ça va. Je réfléchis.") qui pourrait laisser entendre qu'il reste un peu d'humanité dans le cœur des grands banquiers, on est tous aussi furieux qu'eux.
Peut-être plus passionnant encore que les deux premiers tomes des "Gouttes de Dieu", ce troisième volume voit Agi nous éduquer de manière particulièrement pointue sur les alliances - les "mariages" plutôt - entre vins et plats, et sur l'art et la manière de composer l'accompagnement en vins d'un repas complexe, d'une façon qui, je dois l'avouer, dépasse largement ce que j'ai pu lire sur le sujet dans maints ouvrages techniques français : et c'est tout bonnement bluffant… à condition qu'on s'intéresse à ce genre de choses, cela va sans dire, car sinon, on risque fort de s'endormir sur le livre ! Du côté plus classiquement ludique, Agi et Okimoto pimentent ce premier récit de scènes mélodramatiques classiques du plus bel effet, ce qui fait qu'on nage en plein bonheur. Ensuite, les trois derniers chapitres se dispersent un peu, et nous font attendre avec impatience le duel vins français contre vins italiens, tant il me semble que Agi soulève ici une question fondamentale : la capacité des vins français à offrir du plaisir dans des gammes de prix basses… A suivre, donc...
De par son principe même (Trondheim tient son carnet de bord, transformant des situations quotidiennes, souvent anodines, parfois excentriques, en sortes de "BD-haïkus" drôles, voire parfois poétiques), "Les Petits Riens" verra son intérêt varier, très logiquement, en fonction des (micro- ou macro-) événements de la vie de son créateur. Dans "Mon Ombre au Loin", on est gâtés : entre voyages au bout de monde - ou juste à quelques centaines de kilomètres - toujours propices aux gags de la découverte décalée d'us et coutumes étrangères (depuis Voltaire, on sait quelle mine de gags, mais aussi de commentaires pertinents sur soi-même cela peut constituer !), et découverte d'inquiétants polypes dans la fosse nasale de cet incorrigible hypocondriaque qu'est Lewis Trondheim, il y a ici matière à rire (jaune, parfois, mais on aime ça)… Mais, qu'il decouvre la nuit Madrilène (oui !), les looks des habitants de San Francisco, l'le déficit de voyelle dans la langue tchèque ou de gros trucs de sang glaireux qui lui sortent du nez, Trondheim reste un dessinateur inspiré et un chroniqueur indispensable de nos propres angoisses et lâchetés.
Mais qu'est-il arrivé à Gilbert Hernandez ? Comment a-t-il pu concevoir ces 120 pages d'horreurs, de désespoir, cette peinture nihiliste d'une sous-humanité à jamais perdue : pédophilie dans une décharge, sadomasochisme fatal, sables mouvants engloutissant une mère serrant son enfant dans ses bras, et surtout, surtout une dévorante haine de soi consumant Empress, la pauvre héroïne de cette triste descente aux enfers en 3 étapes. Loin, bien loin de l'humanité chaude et bouleversante de Palomar City, bien plus près oui des cauchemars vaguement obscènes d'une sorte de cinéma déjanté. Alors, oui "L'enfer est pavé de bonnes intentions" est un récit radical qui empoigne son lecteur... c'est un livre marquant, et ce d'autant qu'il a l'intelligence de se refermer sur le silence et le lent engourdissement d'une vie condamnée dès le départ. Mais c'est quand même à mon avis, de par sa démonstrativité un peu racoleuse, une œuvre mineure au sein de l'univers majestueux de "Love and Rockets"...
Il a donc fallu 4 volumes de préparation, de mise en forme, de tâtonnements, d'erreurs pour en arriver à ce 5ème tome qui synthétise parfaitement le projet d'Okhubo : un scénario assez classique (l'école, la tradition, l'apprentissage, le complot et la menace extérieure, les tensions entre les élèves,... Euh Harry Potter, quelqu'un ?), un dessin expérimental qui cherche à exprimer d'une manière plus libre et... nouvelle, aussi, mouvements du corps comme ceux de l'âme, des poussées triviales bien venues - le sexe, tendance ado boutonneux, mais aussi toutes les petites vilenies de la vie - qui ramènent le récit vers le concret, et un humour très premier degré, pas très fûté, se permettant parfois quelques belles envolées vers la dérision. On sentait le potentiel dans les 4 premiers tomes, mais la difficulté de lecture (des dessins brillants mais peu lisibles) et le manque de ligne directrice dans l'intrigue faisaient qu'ils nous tombaient des mains... Et là, miracle, tout se met en place pour 192 pages de fantaisie, de plaisir, et de stimulation aussi - la difficulté de compréhension reste là, mais on prend goût à décortiquer ces images pour en extraire le sens... Et si moi, le lecteur réticent, j'avais fini par faire la moitié du chemin vers "Soul Eater" ?
Difficile de ne pas crier "à l'escroquerie" en découvrant ce très mince recueil de 32 planches, réunissant deux épisodes récents de la géniale saga de Beto Hernandez, "Palomar City" : 9 Euros pour un aussi mince volume, quelle que soit l'admiration (éperdue) que l'on porte au monumental grand œuvre "Love and Rockets", c'est de l'exploitation pure et simple de notre passion de fans. Bon, une fois notre mauvaise humeur exprimée, on ne peut que s'incliner devant l'habituelle fantaisie du récit, sa profondeur symbolique et son énergie vitale. Toutes choses que l'on sait depuis que l'on a plongé le nez pour la première fois dans la saga des Frères Hernandez. Mais comme manque ici l'ampleur littéraire du roman fleuve, misérablement saucissonné, il est difficile de faire quoi que ce soit de ces émotions qui naissent en nous ! Coitus Interruptus !
On n'avait pas lu une telle BD depuis le mémorable "Amour Propre" de Martin Veyron (datant quand même de 1983 !) : des dessins à la fois vraiment "hard" et totalement fun, qui au final conjuguent charge érotique - l'amour dans tous ses états sort renforcé, voire même magnifié par l'humour, quand il est aussi juste, voire tendre - et ironie joyeuse quant à des pratiques qui nous concernent tous. A la fois satire sociale et glorification du désir - car même le désir le plus terre-à-terre a sa part de gloire, même les fantasmes les plus ridicules célèbrent la vie, non ? - "Happy Sex" est un régal de BD pornographique et hilarante. Oui, après le régal de "l'Enfer des Concerts", Zep confirme qu'il vaut infiniment mieux que son (trop) célébré Titeuf !