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Je me suis finalement résolu à lire cette BD...
Car, si elle a été retirée de la vente par l’éditeur (encore une gaffe de Dupuis ?) et malgré la spéculation sur cette œuvre (jusqu’à en vendre des scans illégalement en format pdf, si si...), on peut la trouver gratuitement et facilement en bibliothèque.
Ma première impression : c’était très pénible à lire.
La gestation de cette BD a d’ailleurs été très longue, à cause de désaccords entre les auteurs, mais aussi avec l’éditeur. Elle a quand même été éditée. Il faut s’accrocher...
Alors oui, cette BD a au moins le mérite d’aborder quelques notions liées au développement durable : le tourisme de masse ou de privilégiés sur les littoraux (sea, sex and sun...), la biodiversité (espèces éteintes, prolifération de méduses), les pollutions (« continent » de plastique, pesticides...), les OGM (Poulpitos), les conflits environnementaux (clichés attendus sur les « éco-terroristes » et leurs peintures « malveillantes »), la mal-nutrition dite « mal-bouffe » (mais en se moquant du végétarisme et en oubliant ceux qui crèvent de faim), les responsables (G7, Monsanto, Trump, groupes pétroliers etc.)... Mais c’est souvent très succinct, pas didactique et très peu pédagogique (à titre d'exemple, il y a une seule grosse explication, sur le 7ème continent... pourtant, cette pollution plastique ne ressemble pas à un continent en réalité, mais à une grosse soupe de plastique, s'étendant à perte de vue)... Autrement, le changement climatique ou changement environnemental global ne semble pas faire partie du vocabulaire des deux auteurs.
Le propos n’est donc pas très intelligent, je dirais même extrême-droite compatible... Cela me fait toujours un peu bizarre quand on représente les défenseurs de l’environnement comme des « méchants » ou, plus précisément ici, des « méchantes ». Je pense à Paul Watson, je pense aux militant(e)s pour l’environnement et autres autochtones qui sont régulièrement assassiné(e)s, en particulier dans les pays de l’Amérique latine. Et puis, cette morale déroutante... « J’ai envie d’un énorme cornet de frites avec triple portion de mayonnaise »... A relier avec la planche 15 « Mon cœur est écolo, mais mon estomac est réac... ». Qu’est-ce qu’on se marre... En réalité, Dany et Yann ont fini par mélanger eux-mêmes tout et n’importe quoi. Cela en devient risible, pour ne pas dire triste et écœurant.
Effectivement, la BD n’est donc pas très drôle non plus. Les caricatures sont ratées, datées et ne m’ont pas fait décrocher un seul rictus (contrairement au Gaston de Delaf, qui avait pourtant de gros défauts sur le fond comme sur la forme).
Ainsi, malgré des réflexions prémonitoires sur les dérives d’internet, le scénario de Yann est bon pour les oubliettes à mon humble avis (pourtant, qu’est-ce que j’ai aimé sa série Spoon et White...). Les dessins de Dany ne sont pas non plus exempts de tout reproche (je ne reviendrai pas sur la polémique des personnages Noirs, Dany s’est déjà excusé). Il n’empêche, j’ai retrouvé le dessinateur d’Olivier Rameau sur beaucoup d’aspects graphiques et j’espère qu’il gardera un certain niveau d’exigence pour sa série phare. Le gros bémol, hormis les personnages polémiques, concerne surtout nos deux héros, Spirou et Fantasio, BCBG, qui remportent la palme d’or de la laideur...
Donc, je confirme, pour moi cette BD n’a aucun intérêt. Elle ne méritait ni d’être censurée, après un message TikTok de 30 secondes, ni d’être portée sur un piédestal, sur les réseaux libertaires, virilistes ou néo-fascistes, entre autres.
Car, contrairement à ce que pourrait laisser penser la polémique sur cette BD, le neuvième art peut aussi être un merveilleux vecteur d’échanges et de progrès.
Une des nombreuses gaffes de la maison d'édition Dupuis...
Sortie récemment, 25 ans après la mort de Franquin, cette BD est un triste exemple de reprise... Celle d’un des personnages les plus attachants du 9ème art, Gaston Lagaffe... Alors même que son créateur, André Franquin, avait clairement exprimé son refus à cet égard. Si je peux entendre qu’il y ait des biais contractuels, je trouve tout de même scandaleux de s’assoir ainsi sur les droits des auteurs.
Certes, la BD n’est pas si mauvaise et il y a quelques gags qui m’ont fait marrer... Delaf a un style assez proche de celui de Franquin (jusqu'à faire du copier-coller...) et ses planches sont d’un grand dynamisme, avec de bonnes idées...
Mais, je trouve que Gaston Lagaffe est bien trop désincarné, que Delaf prend le prétexte des gags de son nouveau pantin de papier, pour justifier le « pillage » de l’œuvre originale et que, finalement, c’est la maison Dupuis le sujet central de cette histoire, martyrisée par ce damné « beatnik ».
Alors si, j’aime beaucoup Gaston, mais celui de Franquin - ça vous l’aurez compris - qui y avait mis toutes ses tripes, sa personne et dans un certain contexte, celui d’une forte dépression. En dépit des corps élastiques de Delaf et de la maîtrise de l’univers, quitte à le renouveler intelligemment, je n’ai donc pas adhéré à sa proposition, qui m’apparaît malheureusement trop édulcorée, une sorte de prostitution artistique en somme... Bien inutile pour le créateur des célèbres Nombrils. Mais c’est dans l’air du temps...
D’ailleurs, l’éditeur n’aurait-il pas oublié de renseigner la fille de Franquin sur cette sortie ?
Oups...
Un manga en deux tomes, sorti en France aux Éditions Akata.
Dans ce thriller, l’autrice Asumiko Nakamura raconte une étrange affaire de suicide, concernant deux jumelles à l’identité insaisissable (jugez-en les couvertures), une histoire volée...
Les corps graciles des personnages, ainsi que les fantasmes sexuels qui les tourmentent, renforcent l’atmosphère malaisante du livre, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Ainsi, le style d’Asumiko Nakamura, particulièrement expressif, se distingue des dessins génériques que l’on peut trouver ailleurs, tout en gardant les principaux codes du manga : nuances de gris, trames, patchwork graphique, subjectivité, focale sur les personnages, personnages-témoins, personnage mannequin, story-manga... Mais pas de lignes de tension, car l’action est assez figée. L’autrice a d’autres biais pour représenter graphiquement les émotions de ses personnages, notamment leurs yeux hypnotisant...
Néanmoins, je dois avouer que je n’en maîtrise pas tous les codes et que je préfère la BD européenne, de manière générale.
De ce fait, je n’ai pas été profondément touché par cette œuvre - certes troublante - que j’ai trouvé un peu trop pathétique. De plus, en matière de polar, je reste marqué par le manga Monster, que j’ai pourtant lu il y a très longtemps...
A lire, si l’on aime les mangas de ce type.
Encore une pépite scénaristique par...
JDM (prix Goscinny 2022), scénariste BD ultra-prolifique - pour ne pas dire tout simplement le meilleur actuellement.
Pour cette BD, qui relate la sanglante et sombre ascension du mafieux Toto Riina, il a su trouver le coup de crayon idéal en la personne de Facundo Percio (assisté de Teyo et Merino), un dessinateur argentin au trait vif et pénétrant. Néanmoins, le rendu des planches pose parfois problème je trouve. Il y a une sorte de flou sur certaines cases et il est vrai que les personnages ne sont pas toujours identifiables également.
Autrement, je trouve que c’est d’une grande maîtrise. J’ai été bluffé par la fluidité de la mise en scène, sans fioriture, avec une composition efficace et une iconographie sans ambages. La documentation semble solide et, tout au long de ma lecture, je me suis ainsi interrogé sur la justice (les peines de prison à vie restent préférables à la peine de mort pour plein de raisons), l’éradication du crime organisé, la délinquance juvénile, le virilisme, la résistance des petits contre les grands... Des thèmes cruellement d’actualité en France. On pourra également faire le lien avec l’œuvre de Roberto Saviano (récemment adaptée en BD), journaliste sous protection judiciaire pour avoir dénoncé publiquement la Camora à Naples. Voilà un homme courageux...
Surtout, les auteurs ont su faire une biographie digne de ce nom... Loin des hagiographies habituelles que l’on peut trouver dans la BD. Ainsi, le fauve de Corleone est représenté dans toute la profondeur de son histoire et de sa personnalité, avec des éléments à décharge (condition sociale difficile, accident insoutenable lors de son enfance...), en plus de ceux à charge (le nombre de crimes abominables qu’il a commis fait froid dans le dos...).
Et puis, si ce mafieux terrorise les autres par sa violence d’une cruauté inouïe, ne serait-ce pas pour masquer ses propres faiblesses, sa paranoïa maladive ? Car, ce dont le mafieux avait le plus peur, en plus des carabinieri et même de ses propres collaborateurs, qu’il assassine sans trêve, c’était finalement du juge Falcone... Qui finira par le faire tomber.
Ainsi, cette BD m’a plutôt touchée. Certes, moins que le documentaire filmé sur le méga procès, où l’on voit d’autant plus la réalité des protagonistes. Mais, elle m’a permis d’en apprendre un peu plus sur le système mafieux de la Cosa Nostra...
...Et j’ai été surpris par les dernières pages.
Une BD avec des caddies en couverture... Intriguant.
Si son apparence n’est pas très sexy, avec des couleurs assez moroses, elle est pourtant d’un très grand intérêt.
On y apprend tout ce qu’il y a à apprendre sur l’hyper-marché d’Hénin-Beaumont (Nord) et ses enjeux à la fois socio-économiques, politiques, historiques et géographiques voir même psychologiques : périurbanisation, fuite des centres-villes, concurrence avec les petits commerçants, échangeurs autoroutiers, société de consommation, culture, fabrique commerciale du rêve, grande distribution et technique de la triple moulinette, fêtes commerciales, publicité, chômage, esclavage moderne, racisme, cassure des liens sociaux, tyrannie des transports, mobilisations et solidarité, faillite de la gauche, montée de l’extrême-droite... Un livre finalement d’une grande richesse.
A lire malgré l’austérité de son esthétisme.
Encore une BD historique, sur la période des guerres de religion... Chic !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas Catherine de Médicis (1519-1589, reine de France puis régente à trois reprises) que l’on voit sur la couverture, à la lumière d'une fenêtre ; mais bien un personnage fictif, Gabrielle, membre de « l’escadron » des demoiselles d’honneur de la reine mère. D’un trait élégant, Manon Textoris insiste sur la beauté de cette jeune femme, à la mode de l’époque, mais aussi sur sa passion pour la lecture (et je ne parle pas de la Bible...). Ses grands yeux écarquillés et son front assombri trahissent un sentiment mêlé, entre appréhension et fascination pour sa nouvelle fonction. Gabrielle semble marcher à contre-courant, par rapport aux courtisanes de la tenture en arrière-plan, flanquées de squelettes à l’image d’une danse macabre.
Ainsi, la BD nous plonge immédiatement dans la vie politique de l’État monarchique au XVIème siècle : voyages, fêtes, diplomatie par les femmes, liens matrimoniaux, religion mais aussi espionnage, combats, « mauvaises lectures », galipettes et trahisons sont au rendez-vous. Ainsi, Manon Textoris déconstruit la légende noire autour de Catherine de Médicis, pour nous proposer une vision historique plus moderne de la reine mère. Car, cette dernière a eu un rôle important - mais équivoque - dans l'appareil monarchique, en particulier dans l’équilibre des forces du royaume, tiraillé entre le parti huguenot (protestants) et celui des ultras-catholiques.
Mais, quand on parle de pouvoir à l'époque moderne, les hommes ne sont jamais très loin, avec des personnages de première importance comme Ruggieri, Montmorency, Villeroy, Condé, Coligny, De Guise etc. Or, La fille sage a pour mérite de mettre un peu de lumière sur les grandes oubliées de l’Histoire : les femmes. On y retrouve ainsi les discriminations - fondées sur des stéréotypes - qu’elles subissaient à l’époque (d'autant plus dans la noblesse), le rôle que leur attribuait cette société très religieuse (grosso-modo faire des enfants ou aller au couvent), mais aussi les façons dont elles pouvaient s'affirmer, s'émanciper, jusqu’à gouverner le royaume, comme le fait la reine-mère, non sans oppositions. Néanmoins, les réflexions de Gabrielle me semblent parfois un peu biaisées, alimentées par une vision très contemporaine des femmes.
Lecture faite en parallèle à celle de la BD Charly (IX).
Alors que la polémique sur le Spirou de Dany fait rage et que Trump vient d'être réélu de l'autre côté de l'Atlantique...
Je me suis évadé dans une lecture plus intéressante, qui évoque le petit monde des Comics à New York, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
L’auteur italien Allessandro Tota y met en scène une jeune femme, à la personnalité touchante, qui a tout quitté pour tenter l’aventure de la Grosse Pomme...
La narration est très riche, complexe, à l’image de la composition générale du bouquin. Les dessins ne sont pas particulièrement beaux, mais dépeignent les différents personnages avec beaucoup de tendresse... Malgré leurs parts d’ombre.
C’est profond, c’est fouillé et ça parlera à tout amateur de BD. On sent une grande culture de l’auteur à ce sujet et sur d’autres encore... Il fait ainsi la part des choses et nous offre une œuvre tout en nuances, pleine de profondeur.
Au final, malgré quelques lenteurs, qui m’ont parfois fait piquer du nez (cette histoire de super-héros chien est bien trop grotesque)... J’ai été agréablement surpris par cette BD, parfois drôle, parfois triste, quelques fois intense, mais surtout très intelligente.
...Je suis bien content de me détourner de la BD de papa.
Lou Lubie fait coup double cet automne, en remportant les prix Télégramme (Brest en bulles) et Ouest France (Quai des Bulles)...
Deux journaux à la fois concurrents et similaires, dans leur parisianisme bourgeois (qu'est-ce qu'ils ont de breton ?). Il n'empêche que la BD, qui a été primée sous leurs noms, est très positive.
La bibliothécaire me l’a gentiment fait passer sur ma carte, après m’avoir mis l’eau à la bouche et alors qu’il était multiplement réservé... Merci à elle.
Pourtant, je ne partais pas conquis sur ce genre de BD, que ce soit à cause de son trait ou du statut d’influenceuse de Lou Lubie, son autrice.
Mais, d’emblée, je dois avouer que la couverture de la BD m'a attirée... Pas pour sa nudité - ça n'émoustille que les ayatollahs - mais parce que c’est un bel objet, tout en relief... On a envie de la toucher et de la prendre dans nos mains.
Ensuite, si les dessins me rebutaient un peu au départ, j'ai vite changé d'avis à la lecture... Lou Lubie a son style, créole et féminin. Ses dessins sont clairs et accessibles. Cela sert bien son propos didactique, vulgarisateur.
Surtout, la mise en scène est parfaite, avec un grand sens de la narration. Ce qui n’efface pas non plus un plan (il n’y a pas de chapitre) digne d’un blog (c’est un peu fourre-tout). Mais ça reste très fluide.
Enfin, le propos de Lou Lubie est d’une formidable densité. C’est parfois émouvant et elle est parvenue à me passionner avec son histoire de tifs, qu’elle relie aussi à ses origines, à l’Histoire de la Réunion. Le titre est donc particulièrement bien trouvé et j'ai apprécié les passages dans sa langue maternelle, le créole.
Son ton est assez neutre, plutôt juste dans l’ensemble, quoiqu’elle peut parfois s’enflammer un peu je trouve, obnubilée qu’elle est par le cheveu crépu (exemple : pour moi Sibeth N’Diaye est plus une parvenue de la Macronie, qu’une figure importante du féminisme...).
Mais, dans l’ensemble, j’ai lu cette BD avec beaucoup d’intérêt, alors qu’elle était relativement loin de mes centres d’intérêt justement.
Un petit miracle... J'espère que le tome 2 fera repousser les cheveux des hommes, parfois pauvres en la matière...
Le premier cycle de la Quête de l'Oiseau du Temps a été scénarisé par Le Tendre et dessiné par Loisel dans les années 1980, inspirés par la littérature et les films de science-fiction, la montée en puissance des JDR d'heroic-fantasy ainsi que des revues BD comme Métal Hurlant.
Dans ce troisième tome, nos quatre aventuriers (Bragon, Pélisse et « l'inconnu » sont rejoints par Bulrog) doivent traverser le territoire d'un dangereux maître d'armes pour accéder au doigt du ciel, le monstrueux et bien nommé Rige, qui entreprend une véritable chasse à l'homme...
Et c'est une excellente BD, avec un scénario parfaitement mené, aux personnages fouillés et à l'intrigue complexe. La composition, les couleurs et les dessins sont tout aussi bons. J'apprécie tout particulièrement le foisonnement du trait de Loisel, ses volutes et autres formes ovoïdes, qui contribuent à susciter l'effroi... mais aussi son pointillisme et ses petits tirets, qui soulignent la magie de cet univers.
Le Rige est un personnage particulièrement troublant : grand, sec, austère... Son allure rigide fait apparaître tout ce qui est désagréable dans la figure du « maître » : autoritarisme, violence, quête maniaque de la suprématie et de la gloire... Malgré tous ses talents de bretteur.
A lire.
Les prémices d'un futur chef-d’œuvre de la BD historique ?
Après le Ciel pour conquête, surprenante évocation de la « première mondialisation », Yudori revient avec une nouvelle BD, sur la Corée cette fois-ci. Autrice complète encore une fois, elle se lance ainsi dans un projet particulièrement ambitieux : mettre en BD la romance d'une lycéenne et d'un lycéen à Gyeongseong, le Séoul de l'entre-deux-guerres.
D'emblée, Yudori parvient à nous immerger dans l'histoire de son pays d'origine. Celle qui aurait pu parfaitement faire le métier de professeur, décrit avec justesse et simplicité de ton la vie quotidienne des personnages, mais aussi leurs aspirations, tiraillés par le respect des traditions, le désir d'émancipation, l'apprentissage de la vie et l'irrépressible évolution du monde... Page après page, elle dresse ainsi le décor d'une ville bouleversée par l'occupation japonaise et l'ouverture au monde occidental (notamment les USA).
Car, Yudori ne s'intéresse pas qu'à l'Histoire du genre et de l'intime (la rigueur de la documentation sur les habits est particulièrement saisissante), elle met aussi en lumière l'histoire de la mondialisation (c'est donc une constante), des échanges culturels, des relations sociales, des langues, des métissages...
Or, dans ce qui est aussi une créolisation de la BD, à la croisée de l'Asie (où elle est née), de l'Amérique (où elle a étudié) et de l'Europe (où elle vit)... Le texte s'efface au profit des images, qui apparaissent en transparence derrière les bulles... Comme pour nous dire en filigrane que, le plus important, c'est finalement de savoir lire les images, seul véritable langage universel.
En effet, le trait élégant de Yudori, si épuré, si léger, si clair, si charmant, flatte nos yeux et nous transporte dans un océan d'émotions, de sensualité... Où les corps sont autant une source d'attirance pour les hommes que pour les femmes. Certes, c'est un peu puéril parfois, puisqu'il s'agit de jeunes gens, d'une autre époque, d'un ailleurs... Néanmoins, je dois avouer que je me suis parfois identifié à ce jeune homme, si studieux, mais qui se laisse aussi un peu avoir par sa naïveté et ses fantasmes...
Comme pour le précédent album de Yudori, j'ai donc été délicatement emporté par le récit, aux allures de Shojo mais sans chichis... Or, Yudori a su garder de nombreux secrets, ne pas tout nous divulguer dès le premier tome, bien heureusement. La suite sera probablement plus intense...
Ma seule critique viserait la matérialité du livre et son faux dos toilé. Car, contrairement à d'autres, je l'ai payé en monnaie sonnante et trébuchante. J'ai aussi du mal avec certains visages de profil, sans nez. Néanmoins, je suis très satisfait de mon achat et de cette lecture positive, autant divertissante qu'érudite. J'ai d'ailleurs eu la chance de rencontrer cette jeune autrice ce week-end, qui n'a rien à envier à des auteurs masculins. Elle a du talent et son style se rapproche de celui de Jiro Taniguchi je trouve, tant dans la délicatesse de son trait que dans la langueur de certains passages, mais différemment pimenté... Je vous conseille donc vivement de lire ce tome et pour le ou les prochains...
J'ai déjà hâte !
Mettre en BD un sujet historique n’est pas chose facile...
Dans La Grippe Coloniale, il s’agit de mettre en lumière l’épidémie qui sévit dans la colonie réunionnaise, en 1919.
Cette BD, en deux tomes, a été réalisée par le scénariste Appollo et le dessinateur Huo-Chao-Si, familiers de l’île indo-océanique, au début des années 2000.
Le style d’Huo-Chao-Si, que j’aime beaucoup (les gesticulations des personnages et leurs grands sourires sont désopilants), me rappelle la patte sympathique des autres membres de son groupe - je pense aux auteurs de la revue réunionnaise Le Cri du Margouillat, dont fait partie Appollo mais aussi Li-An ou encore Téhem (Malika Secouss), ce dernier ayant d’ailleurs été chargé des couleurs du premier tome de La Grippe Coloniale – et me fait aussi penser à la fameuse nouvelle vague BD. Les personnages, au style particulièrement expressif, m’évoquent ceux de Blain (Isaac le pirate) – avec leurs nez étrangement longs - ou la désinvolture de ceux de Jouvray (Lincoln).
Ce qui saute aux yeux quand on observe les planches, ce sont ses contrastes de style, entre photo-réalisme des décors (cargos, maisons coloniales...) - non sans lien avec l’hygiénisme de ces villes nouvelles - et expressivité bédéesque des personnages – beaucoup plus vivants. Avec ces changements de style, Huo-Chao-Si accentue la force émotive des événements ou pointe les analepses. On retrouve ainsi une forme d’impressionnisme, qui tourne presque au fauvisme au climax du récit, ou des ambiances plus pâles, évoquant à rebours l’horreur des tranchées.
Enfin, La Grippe Coloniale est un livre particulièrement bien inspiré, avec une forte ambition historique. C’est une porte d’entrée idéale pour découvrir l’empire colonial français, au sortir de la Grande Guerre (1914-1918).
En effet, Appollo et Huo-Chao-Si racontent l’histoire de quatre frères d’armes, qui reviennent chez eux, à la Réunion, 5 mois après la fin de la guerre. Or, la vie n’est pas si heureuse à leur retour et ils sont loin d’être accueillis en héros :
- Le narrateur, Evariste Hoarau, cherche du travail, afin de subvenir à ses besoins et se réintégrer à la société. Il est finalement recommandé par son oncle auprès de l’un des rares médecins de la colonie. Ce qui l’entraîne à conduire les victimes de la « grippe coloniale » vers l’hôpital... ou plus généralement la fosse commune, en tant qu’auxiliaire médical.
- Camille de Villiers dit « Frankenstein » doit quant à lui accepter son nouveau visage. Avec cette gueule cassée, qui doit le faire souffrir affreusement, il fait peur à sa femme et se retrouve stigmatisé socialement par les autres colons.
- Monsieur Voltaire, vrai-faux tirailleur sénégalais (il est cafre), est confronté au racisme de ses contemporains, alors qu’il a risqué sa vie pour eux. Cruelle désillusion... Mais il n’est pas le seul citoyen de seconde ordre... A l’image de son amante finalement.
- Enfin Grondin, force de la nature, aura bien du mal à faire le deuil de ses proches, sombrant peu à peu dans l’alcool... Car, l’épidémie peut toucher tout le monde et le virus ne se soucie ni du sexe, ni de la couleur de peau, ni du niveau de richesse de ses victimes... On pourra en tirer des leçons...
Ainsi, l’ambiance coloniale de l’après-guerre, qui sied admirablement bien à cette BD pince sans rire – car, malgré la liesse de la victoire, la paix retrouvée et les fraternisations entre soldats blancs et noirs... la grippe espagnole fait entre 30 et 50 millions de morts dans le monde, les discriminations sont criantes dans l’empire colonial français et les femmes sont majoritairement cantonnées à un rôle de potiche, sans droit de vote - est intelligemment brossée.
Par cette BD, les auteurs ont su faire sentir diverses formes de domination coloniale - symbolisée notamment par le salacot des policiers et autres administrateurs peu scrupuleux – sans toutefois omettre les résistances potentielles, la complexité des situations, la diversité culturelle de l’île (origines géographiques, religions, nourriture, fêtes...) ainsi que ses particularités, comme la langue créole, qui finalement les rassemble.
C’est donc finalement une réussite sur le plan didactique et un diptyque fort sympathique à lire.
La série Nausicaä s’achève de manière assez abrupte je trouve...
Tant j’aurais adoré que Miyazaki développe encore plus cet univers. Mais, il était déjà très occupé avec ses films, au succès grandissant.
Dans ce septième tome, la guerre entre Tolmèques et Dorks, mais aussi entre les Hommes et leur propre environnement, qu’ils peinent à domestiquer, arrive donc à son terme. Nausicaä va devoir faire preuve de maturité, d'esprit de contraste, pour neutraliser la source du problème.
Miyazaki aura su jouer tout de même avec le rythme de la série, entre des moments de pause, parenthèses paradisiaques et sereines, et des épisodes extrêmement intenses, monstrueux et violents, pour ne pas dire cataclysmique.
Son extraordinaire sens de la narration, de la fable écologique, m’aura fait passer par toutes les émotions, ou presque.
Il y a aussi, c’est vrai, une forme de philosophie par l’image... Après avoir déroulé ses arguments, qui sautent au yeux... Miyazaki fait donc la part belle au pacifisme, à l’amour de la vie et de la nature, mais aussi à la sagesse, à certaines formes de technologie et à une science éthique.
Il aura aussi su montrer l’ambivalence de la civilisation, entre construction et destruction, culture et technique, naturel et artificiel, merveilleux et cauchemar, réel et magie, dévotion et liberté.
Enfin, sa série Nausicaä aura aussi servi de laboratoire pour un autre de ses chefs-d’œuvre graphiques, Princesse Monoké.
Néanmoins, la fin n'est pas la même...
(Spoiler : puisque dans Nausicaä, il s'agit finalement de faire front commun contre un dieu occulte ; alors que dans Mononoké, il s'agit au contraire de sauver le dieu cerf, envers et contre tous)
Un auteur que mon frère m'a fait découvrir, en me prêtant le délirant Georges Clooney ou la fameuse BD sur la disquette molle...
L'esthétisme est surprenant, comme souvent avec Philippe Valette. Sa technique pour cet album carré, mélangeant des personnages dessinés et des textures 3D, à l'allure de vieux jeux vidéos, est d'ailleurs détaillée en fin d'album.
Ainsi, la narration graphique est efficace, avec un découpage et une composition aboutis. Les personnages ont une psychologie fouillée et la réflexion générale est assez profonde, quasi philosophique. Tout cela en prenant du plaisir et en gardant une certaine aisance de lecture, les 288 pages se dévorant avec envie. Du très bon boulot en somme.
Par contre, je sature un peu des scénarios de ce genre, mêlant science-fiction et survie de l'Humanité. Certes, c'est très bien mené, il y a des dialogues percutants et plusieurs niveaux de lecture, Philippe Valette sachant très bien jouer des ficelles de l'absurde.
Mais j'ai eu une sensation de déjà vu. D'aucuns penseront à Interstellar ou à des BD récentes comme Frontier, La route ou encore Deep it (le plus authentique je trouve) en lisant ce livre. Et puis je ne suis pas sûr que cette BD amène grand chose de plus au débat sur notre avenir.
Plus que le côté « maintenant qu’on a épuisé les ressources de la Terre on me suit et on se tire » du personnage principal, dont l'entêtement dans la mission est le moteur principal de la narration, ce sont bien les ressemblances avec d’autres œuvres qui m’ont coupé dans mon immersion. Je n'ai pas eu ce sentiment d'évasion que je cherche tant... Néanmoins, cela reste une excellente BD.
...Je l'offrirai donc à mon frangin.
Alors que Nausicaä de la vallée du vent est déjà sorti dans les salles obscures en 1984, Hayao Miyazaki continue à développer son univers dans la série papier du même nom – toujours inachevée en 1990 - qu’il publie au compte goutte dans la revue japonaise Animage. En parallèle, il sort des films comme Le Château dans le ciel (1986), Mon voisin Totoro (1988), ou encore Kiki La petite sorcière (1989), influencés par son manga.
Dans ce tome 5, un fongus artificiel – sorte de blob gigantesque – créé par des « scientifiques » dorks dans l’intention d’en faire une arme de guerre, s’avère plus dangereux que prévu et bouleverse la guerre entre Tolmèques et Dorks, où s’immisce également les insectes.
Plus que de la pollution, cette matière transformée par l’Homme symbolise une véritable souillure morale, celle d’un pan de la civilisation humaine. Hayao Miyazaki convoque alors un esthétisme déroutant, composé de nuées grouillantes, de liquides nauséabonds, de spores et de miasmes. Dégoutant ! Ce bestiaire aussi fantasque qu’horrifique est complété par les « hidolas », sortes de golems, au service du théocrate dork.
Cet album insiste sur le poids des responsabilités. Le mal renaissant a pour origine l’inconscience des dirigeants politiques et le manque d’éthique des scientifiques, aveuglés par la quête de pouvoir, de quelque nature qu’il soit. Finalement, c’est Nausicaä qui endosse le poids du fardeau, celui de toute l’Humanité, à l’image d’un néo-Jésus. Effectivement, elle fait figure de messie dans le manga, elle est celle qui intercède entre les dieux et les Hommes, qui doit laver les péchés de l’Humanité.
Cet album, en plus de cette prise de responsabilité énorme, représente aussi le passage de Nausicaä à l’âge adulte, à une forme renouvellée d'elle même, symbolisé par l’œuf de sérum. De ce fait, l’œuvre de Miyazaki s’adresse tout particulièrement aux adolescents, mais aussi aux enfants et aux adultes. Intergénérationnel.
Heureusement, Nausicaä n’est pas seule pour se défaire de cette souillure. Selon comment le vent tourne, elle est est accompagnée de Teto, un renard-écureuil protecteur, ou encore d’un garçon plein d'énergie, Asbel, ou même Yupa, son mentor, et elle fait d’autres rencontres encore, lors de ses aventures épiques. Elle a également un équipement adapté, dont fait partie le masque visible sur la couverture du tome 5. Et puis, les ômus (on peut voir l'un de leurs multiples yeux, bleu du fait de leur absence de haine, sur la couverture) sont là pour l'aider, en réparant la nature. Ils symbolisent la formidable capacité de la nature à se régénérer, que ce soit la faune ou les plantes.
Enfin, ce tome 5 témoigne d’un syncrétisme déroutant, entre Orient et d'Occident. On y évoque la puissance du mythe face au poids de l'Église, l’animisme et le polythéisme ouvert face au dogme unique et sans partage, l'assemblée des bonzes contre le culte de l'empereur. Ainsi, les hommes de l’empereur dork ont bien du mal à faire taire cette rumeur, cette superstition hérétique d’un messager aux ailes blanches, qui semble s’incarner en la personne de Nausicaä - qui refuse d’ailleurs qu’on la traite comme une déesse.
Puis, il y a ce dieu guerrier, qui fait figure d’ultime recours pour une société rétrofuturiste, post-industrielle. Dès lors, on ne peut s’empêcher de penser aux bombardements américains lors des guerres mondiales (que ce soit le choc des bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945 - avec ces peaux qui fondent sous la puissance de feu d'un dieu guerrier dysfonctionnel - qui avait déclenché un changement de paradigme chez les Japonais - l’empereur cessant de devenir un dieu pour eux - mais aussi les bombes incendiaires, qui avaient fait encore plus de ravages et de morts, historiquement parlant).
Or, une autre voie est aussi possible, celle de Nausicaä, si engagée dans sa quête qu’elle en finit par être enveloppée par cette nature souillée, puis mangée par un ômu. Avec ces multiples épreuves, elle revête alors un caractère sacré, celui d’un demi-dieu. Après tout, n’est-ce pas le propre des héros ?
Mais, Nausicaä est aussi une fiction ancrée dans les problématiques du réel, celles de notre environnement. Or, contrairement à la réalité, la nature semble ici prendre sa revanche (titre de l’émission de France culture sur Nausicaä), face à la pollution de son domaine sacré et à la corruption des gouvernants humains.
Au gré du vent...
Nausicaä se retrouve prise dans un effroyable engrenage. Alors qu’elle a été embarquée contre son grée dans une guerre totale entre Tolmèques et Dorks (empire théocratique absent du film d’animation), elle se retrouve coincée avec la commandante tolmèque Kushana, dans la forteresse de Sapata.
De cette façon, on découvre peu à peu les archétypes – que ce soit les vieillards, les enfants ou les héros idéalisés ; mais aussi les monstres gélatineux, les méchants ambigus et masqués... - ainsi que le vocabulaire graphique – ces combats équestres sont géniaux et ces moues si caractéristiques - de Miyazaki, qui sera réemployé lors de ses films d’animation.
Bien sûr, le vent a une importance toute particulière ici, les personnages se déplaçant à bord de planeurs (Nausicaa) ou de vaisseaux volants à moteur. Miyazaki sait représenter, avec une énergie rare, les mouvements de l’air, le vent, les nuages, la fumée, les formes gazeuses aussi. Les batailles aériennes sont saisissantes, y compris pour un manga !
Miyazaki joue même des sens que l’on ne peut percevoir directement : le bruit du vent ou des armes (idéogrammes) ; la puanteur (celle de la guerre ou de le forêt toxique) ; mais aussi les teintes, évoquées par les personnages (« l’être en bleu » c’est-à-dire Nausicaä), les ombres hachurées, ainsi que le lavis sépia ; voir même le toucher.
Comme l’explique Raphaël Colson, dans l’émission Philosopher avec Miyazaki (France culture), l’auteur de Nausicaä a aussi une relation particulière avec la nature, liée au shintoïsme - toute chose a une âme. Miyazaki cherche à travers sa narration un équilibre entre la civilisation des machines et l’environnement - lié au taoïsme cette fois-ci. Il explore les rapports entre l’Homme et la nature, ce qui engendre forcément des rencontres, mais aussi l’idée de s’ouvrir à l’autre, ainsi que des gardiens (les ômus d’un côté et Nausicaä de l’autre, qui fait figure d’élue). Pour autant, Miyazaki ne condamne pas la technologie et admet également que la nature peut être domestiquée, dans la mesure où il y a une forme de respect. Il en découle une forme d’utopie communautaire agropastorale - c’est la vallée du vent.
Car, dès les premiers tomes de Nausicaä, Miyazaki amène aussi une réflexion sur la vie en communauté, le leadership, l’organisation de la société. Une vision plus ambiguë, plus complexe à vrai dire. Est-ce que Miyazaki critique la civilisation ? En tout cas, son manga post-apocalyptique n’est guère optimiste. Est-ce qu’il condamne les dérives religieuses ou politiques ? Assurément. D’ailleurs, Nausicaä est truffée de références à notre histoire contemporaine (Seconde Guerre mondiale, Guerre de 7 Jours au Proche-Orient...) ou plus ancienne (guerre sainte, Krach des chevaliers, politique de la terre-brûlée...). Par contre, aucune mention de la démocratie...
Enfin, ce tome met tout particulièrement en relief l’antagonisme entre Nausicaä et Kushana, qui fait figure de négatif de l’héroïne, tant elles se ressemblent. Leurs noms japonais forment d’ailleurs un anagramme. Sur le plan physique, comme Nausicaä, Kushana a les cheveux courts (elle s’est coupée la tresse précédemment), un visage en V, un petit nez pointu, des bijoux émeraudes, un corps fin et athlétique... Jugez-en la couverture ! Bon, il est vrai que Kushana est une blonde aux yeux bleu (ce que l’on ne distingue pas dans le manga) et qu’elle porte une armure, alors que Nausicaä est rousse avec des yeux bruns et porte une tunique Dork maculée de sang ômu... De plus, Kushana a un regard plus sombre (elle fronce les sourcils) et, malgré sa loyauté vis-à-vis de ses hommes, est capable de sacrifier des vies, humaines ou non. D’ailleurs, elles ont une perception antagoniste de leur environnement... Si l’on apprend que Nausicaä a sauvé un petit ômu lorsqu’elle était gamine, l’histoire de Kushana se situe à l’opposé...
...Mais ça, on l’apprendra dans les prochains tomes.
Une thématique qui pourrait faire peur au premier abord...
Pourtant, l’album de Clara Vialletelle (dessins) et de Titiane Vorano (scénario) fait partie de ces BD récentes, comme TED, drôle de Coco (2018) ou Des maux à dire (2023), qui permettent de sortir des stéréotypes sur les troubles mentaux et l’internement... En s’appuyant sur des expériences vécues.
Clara Vialletelle met ainsi en images le séjour de Titiane dans une clinique de « santé mentale »... Deux mois finalement très positifs pour elle, ce qui m'a un peu surpris, je dois bien l'avouer.
C’est d’ailleurs écrit en gras dans le titre : Titiane n’est pas folle et elle fait d'ailleurs confiance au corps médical pour guérir, pour reprendre une vie normale. Il n’en demeure pas moins qu’elle a de vraies difficultés psychologiques et qu’elle doit donc passer par des étapes difficiles - effets secondaires des médicaments par exemple - avant de sortir de l’hôpital. Le soutien de ses proches s’avère également crucial dans sa rémission.
Dans ce cadre, les dessins de Clara Vialletelle sont en parfaite harmonie avec le sujet : le trait noir – quels yeux magnifiques - rehaussé de violet - symbole d’une profonde mélancolie – est ponctué de dessins pastels – en particulier un animal récurent, le tigre, qui représente en fait son TAG, sa maladie invisible.
En résumé, un magnifique album, plein d’humour, de légèreté, qui démystifie la clinique psychiatrique... Même si je ne peux m’empêcher de penser que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne - la qualité des cliniques est inégale, il manque souvent de la place et il est très dur de se sevrer de certains médicaments etc. - et qu’il vaut mieux ne pas en arriver là... D’où l’importance d’apprendre à lâcher prise.
Il n’en demeure pas moins que cette BD biographique, plus qu’instructive...
...Est finalement très rassurante.
Une série manga plutôt méconnue par le grand public...
...En comparaison avec les films d’animation de l’auteur, Hayao Miyazaki, qu’on ne présente plus.
L’héroïne de l’histoire – dont le nom est issu de la culture éclectique de l’auteur – est une jeune femme charismatique, mue par une grande empathie pour les êtres vivants, quels qu’ils soient. Son père vieillissant, elle se retrouve à la tête de la vallée du vent, une petite bourgade au sud-ouest de l’empire tolmèque, dans les « territoires frontaliers ». Mais, la tentative de sauvetage d’un vaisseau aérien en détresse, va bouleverser son quotidien...
Car, si Nausicaä est toujours animée par une énergie positive, le monde dans lequel elle vit (mélange entre la société féodale et l’ère industrielle) est en proie à de graves problématiques : la « mer de la décomposition » (qui désigne en réalité une forêt immense, inhabitable car toxique et plein d’insectes géants) menace de recouvrir l’intégralité du continent, ce qui entraîne le départ de milliers de réfugiés, alors que l’empire tolmèque, en proie à des querelles intestines, cherche égoïstement à étendre son influence sur les fiefs de Dork...
De fil en aiguille, Nausicaä va ainsi porter un fardeau de plus en plus lourd sur ses épaules, cherchant à protéger sa vallée, à raisonner les uns et les autres, mais sans oublier non plus la nécessité de recréer un environnement favorable à la vie humaine, quitte à aller à l’encontre de l’opinion majoritaire, entomophobe, en intégrant les insectes à cette vision d'avenir. En effet, dès le tome 1 Nausicaa semble faire figure de femme providentielle, ayant un lien privilégié avec les autres êtres humains, mais aussi avec les ômus, aux sentiments presque humains finalement.
On retrouve ainsi dans ce manga une forme de dénonciation de l’hubris de l’Homme face à la nature, un discours écologiste cher à Hayao Miyazaki. En effet, l’auteur met en scène le combat des Humains contre d’autres Humains, mais aussi la lutte – qui s’apparente parfois à une guerre totale - de l’Humanité toute entière contre une « nature » impitoyable - représentée ici par les ômus et les spores toxiques de la mer de la décomposition – que l'Homme ne parvient plus à dominer. Une vision on ne peut moins idéalisée, qui sonne comme un avertissement, un cri d’alarme, alors que l’Humain a dorénavant un impact décisif sur son environnement...
D’ailleurs, cette thématique n’est pas sans faire référence à celui que l’on surnomme au Japon le « dieu du manga », Tezuka, qui avait fait de l’entomologie sa passion. De plus, Osamu Tezuka était un grand fan des films Disney, de ses animaux, et en particulier de Bamby. On retrouve cette passion assez enfantine pour les animaux - qui verse souvent vers l’anthropomorphisme - ainsi que pour le cinéma – la composition haletante de Nausicaä n’est-elle pas, après tout, un magnifique storyboard du film ? - dans l’œuvre de Miyazaki.
Par contre, le trait d’Hayao Miyazaki diffère nettement. Il est beaucoup plus fourni que celui de Tezuka, avec beaucoup de hachures. Je préfère d’ailleurs ce style – qui se rapproche du style de Giraud – à celui plus économique des animés. Autre avantage du manga (1982) par rapport au film (1984) : l’histoire, réalisée avant et continuée bien après le dessin animé, est beaucoup plus complète. On a également une plus grande « vista », autrement dit une possibilité plus fine d’observer le geste du dessinateur, qui ressort d’autant mieux en noir et blanc et avec l’avantage d’avoir un format relativement grand pour un manga...
...C’est donc une véritable pépite de la BD japonaise.
Intéressant sur le plan technique...
Si la postface semble émettre un doute quant à la nature du travail de John Vasquez Mejias, il s’agit bien d’art séquentiel, qui plus est en gravure sur bois. De cette manière, le support donne un aspect primitif et assez épais au trait, que ce soit les personnages, les décors, ou même le lettrage (esthétique, mais pas facile à lire...), puisque chaque planche a été entièrement gravée puis photographiée pour ce bouquin. Il y a également de nombreux motifs abstraits, qui contribuent à l’étrangeté de cette BD, très dense graphiquement. La démarche artistique de l’auteur est donc assez intéressante, sachant qu’il s’intéresse aussi à d’autres medium, comme les marionnettes ou le cinéma.
De cette façon, il cherche à faire connaître l’histoire de son peuple, celui des Portoricains, dont l’indépendance a été confisquée par les USA. Sa volonté d'éclairer une période méconnue de l'Histoire est louable et juste. Mais, si comme moi l’on n’est pas subjugué par son découpage et sa composition, il est difficile d’apprécier la narration de ce livre, assez abrupte et plutôt succincte.
Alors, si le livre n’est pas très accessible et qu’en plus la postface contient plus d’informations que son corps d’ouvrage... A quoi bon se donner la peine ? En outre, les planches sont probablement bien plus belles en vrai, plus saisissantes, comme l’indique l’auteur lui même... Enfin, j’ai aussi eu beaucoup de mal avec cette postface, qui semble traiter la BD comme un art mineur, lui préférant le terme de « roman en gravures ». Et puis ces références pesantes à l’art avec « un grand A », ces malentendus sur la BD... Déroutant.
Dans un genre similaire quoique le support d’origine était différent, j’avais été bien plus émerveillé par la BD « Pancho Villa : la bataille de Zacatecas », composée de plusieurs centaines de gravures particulièrement claires et dynamiques. Certes, le livre de Paico Ignacio Taibo II et Eko comportait peu de vignettes, se rapprochant plus d’un livre d’illustrations par moments. Mais au moins j’avais passé un bon moment de lecture.
Si je n’ai donc pas été convaincu par l’aspect de papier de « Et l’île s’embrasa », je serais cependant très curieux de voir en vrai ces planches gravées, lors d’une exposition dans un bar libertaire par exemple.
Excellente BD historique...
Une sorte de soldat Ryan, mais sur fond de ségrégation des noirs en Amérique et avec pour objectif de retrouver le premier drapeau des USA.
Je ne connaissais pas bien le nom d'Yves Sente, avant que Libération ne se trompe et ne mette son portrait en lieu et place du regretté André Juillard... Je constate cependant que j'avais déjà lu plusieurs Black et Mortimer de ce scénariste (en particulier La machination Voronov) et qu'il a un talent fou pour mettre en BD des sujets historiques.
Steve Cuzor, le dessinateur, est tout aussi bon. On peut apprécier l'expressivité de son art d'autant plus avec le tirage en noir et blanc, un trait de style réaliste, fourni mais limpide.
A lire pour les amateurs de cette période.
L’une des plus belles séries historiques de la BD francophone, dont le premier cycle se termine avec ce 7ème album...
J’avoue que je ne connais pas très bien l’œuvre d’André Juillard (si ce n’est La machination Voronov, excellente reprise de Black et Mortimer ; par contre je ne crois pas avoir lu son Cahier Bleu, je m'en repentirai...) ni celle de Patrick Cothias (hormis sa non moins bouleversante série Orn). Il n’y avait dans la bibliothèque de mes parents qu’un seul album des 7 vies de l’épervier, celui-ci, que j’ai lu et relu à maintes reprises.
Et aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fasciné par la ligne claire d’André Juillard, celle de cet album en particulier, sûrement l’un des plus beau trait que la BD ait connue. J’aime ces duels au fleuret, sortis tout droit de vieux films de capes et d’épées, où les bretteurs s’expriment toujours poliment d’ailleurs... Ainsi que ces mascarades et autres carnavals, où les rôles sociaux sont ponctuellement inversés. Et que dire de ces corps nus... Marquant !
Patrick Cothias a su également trouver un bel équilibre dans son scénario, plein de tension et de surprises : entre les fantasmes du XVIIème siècle, mâtinés de rumeurs et d’ésotérisme, et un ancrage historique fort. Outre la grande théâtralité de la mise en scène (emprunté à la littérature de Shakespeare, d’Alfred Dumas ou du cinéma d’Orson Wells ou d’Ingmar Bergman) - qui a probablement dû inspiré un certain Alain Ayroles - on sent la profondeur de la documentation historique tout au long de la série, que ce soit au niveau de l'architecture ou des vêtements – pour ne pas dire des déguisements – par exemple. Les auteurs sont d’ailleurs connus pour leurs BD historiques.
Du tome 1 au tome 7 des Sept vies de l'épervier, on aura ainsi découvert la vie quotidienne des hommes et des femmes (au sort fort peu enviable à cette époque), la fin relative des guerres de religion (protestants vs catholiques ; on avait d’ailleurs pu sentir l’élan missionnaire du XVIIème siècle, avec ce combattant jésuite muni d’un katana, dans les actes précédents), la réaffirmation du pouvoir monarchique sous Henri IV (tolérance religieuse depuis l’édit de Nantes de 1598 ; popularité renouvelée du roi ; réaffirmation de ses prérogatives, comme la justice ou la guerre ; réactualisation du thème de l’âge d’or...), mais aussi les limites de son pouvoir (problèmes de succession récurrents ; tensions religieuses larvées ; propagandes et intrigues des uns et des autres...), les faiblesses de son régime (assassinats politiques, y compris visant le roi Henri IV ; minorité du roi Louis XIII ; période de régence avec Marie de Médicis ; recherche d’un bouc-émissaire à jeter en pâture au peuple lorsque tout va mal ; intrigues du frère du roi, Gaston d’Orléans, ainsi que d’autres nobles « malcontents » ; problèmes d’ingérence au sein de l’État ; enfin la pression fiscale ne cesse de pressuriser le petit peuple, le tiers-état...), ou encore la construction progressive d’un véritable État royal (continuité dynastique retrouvée ; invention du « crime de lèse-majesté » et de la punition terrible qui en découle, avec l’écartèlement de Ravaillac notamment ; professionnalisation d’hommes d’État comme le protestant Sully, puis le favori italien de la reine Concini ou son protégé le cardinal de Richelieu encore plus tard, dans le tome 7, qui savent établir de puissants réseaux de fidélité, notamment pour rembourser les dettes de l’État ; centralisation et fixation progressive de la cour à Paris, avant sa délocalisation à Versailles sous Louis XIV ; montée en puissance des robins, c’est-à-dire des bourgeois anoblis contre monnaie sonnante et trébuchante, ainsi que pour leur service rendu à l’État monarchique ; invention de la raison d’État sous Richelieu, qui confisque le pouvoir ; mais sacralisation aussi du roi et de l’État monarchique, que Louis XIII incarne en chair et en os ; contrôle et surveillance des nouvelles par Richelieu et ses créatures ; augmentation des dépenses du royaume...).
Néanmoins, l’Histoire sert avant tout ici de fil rouge, de cadre immersif pour les aventures d’Ariane de Troïl, du fameux Masquerouge et de leur oiseau fétiche.
...C’est alors que la dernière vie de l’épervier arrive à son terme, si soudain, si tragique.
Quand l'environnement - c'est-à-dire la combinaison d'éléments naturels et socio-économiques qui constituent le cadre et les conditions de vie d'un individu, d'une population ou d'une communauté à différentes échelles - est au cœur de la BD...
Trait fin, lâché, sans fard... Cases horizontales, comme pour mieux contempler le paysage ou voir défiler le temps qui passe... On reconnaît ainsi la patte graphique d’Étienne Davodeau. On retrouve aussi dans son style des formes de poésie, de spiritualité, de grandeur d’âme...
La Loire - plus grand fleuve coulant entièrement sur le sol français et dont le bassin versant couvre 1/5ème du territoire - ne sert pas uniquement de fil rouge à cette BD, puisque c'est la relation des personnages avec leur environnement immédiat, la Loire, qui FAIT l’histoire. Certes, les personnages passent leur temps à ergoter sur la propriétaire des lieux, une certaine Agathe qui semble absente. Cependant il faut aussi savoir lire les images...
Etienne Davodeau nous fait ainsi ressentir, par les délires de ses personnages, le passé païen de la Loire. C'était en effet un milieu naturel craint et respecté, qui donnait lieu à des rites et qui fut aménagé dès l’Antiquité, au moins... Dès lors, les rives du fleuve furent transformées petit à petit pour la pêche, la navigation... pour le traverser aussi, ou encore pour prévenir ses terribles crues. Si le récit de cette BD prend la forme d’une fiction, on y apprend cependant beaucoup de choses sur cet environnement... Encore faut il prendre le temps de lire cette BD correctement, d'observer ses vignettes.
Sujet central de la BD, la Loire semble aussi se confondre avec le personnage d’Agathe, insaisissable : succession de mouilles et de seuils, de courants et de tourbillons, de plages de galets et de sables mouvants, la Loire forme comme un escalier d'eau et son lit dessine des tresses, à l'image de celle d'une femme, changeant chaque année. Allégorique.
Et c’est agréable, de lire un livre qui recentre notre attention sur l’essentiel, c'est-à-dire notre environnement. Parce qu’à l’heure de l’Anthropocène, l’empreinte de l'Homme est partout et bouleverse les milieux naturels. C’est le cas aussi pour la Loire, considérée à tort comme un espace « sauvage »... On pourrait se dire, Étienne Davodeau magnifie la « nature ». Oui, mais en réalité on trouve aussi dans cette BD un certain nombre de ponts, de barrages, de routes, de rails, d’usines, de voitures, de champs, de bateaux, une centrale nucléaire même... Qui bordent le cours du fleuve. La Loire demeure un milieu dit « naturel » - sous entendu avec des plantes, des rochers, des animaux parfois endémiques - seulement parce que des acteurs géographiques l'ont décidé ainsi, l'ont planifié...
En effet, l’Homme a maintenant un impact décisif sur la « nature » qui l’environne. Il peut décider d’aménager cet espace comme il l’entend, y compris pour protéger ces espaces de vie, de biodiversité (à l'image des sternes naines de la couverture et de la LPO).
Or, si Davodeau fait de la Loire un beau fleuve, c'est aussi un cours d’eau particulièrement pollué, en particulier vers l’aval (d’où notamment « un plan Loire grandeur nature » annoncé en 1994, visant à « concilier la sécurité des personnes, la protection de l’environnement et le développement économique », par Michel Barnier alors ministre de l’environnement, un personnage équivoque qui est toujours là où personne ne l’attend...).
Ainsi, sans verser dans le déterminisme, l’Homme dépend aussi de son milieu, de son environnement. Il en tire des ressources (ne serait-ce « que » de l'eau...) et doit s’adapter aux aléas de la Loire, comme la noyade par exemple, ses crues ou son absence périodique... Pourquoi pas à cause du réchauffement climatique d'ailleurs....
La BD de Davodeau a donc une réelle dimension environnementale et les discussions des personnages vont régulièrement dans ce sens : sur les avions par exemple – je suis toujours écœuré de voir des « écologistes » enchaîner les déplacements en avion - ou même Notre-Dame-Des-Landes - un conflit environnemental, soldé en 2018, à l'origine notamment de la hantise de la Macronie pour l’écologie et les Zones-A-Défendre...
Enfin, on sent une volonté de l’auteur de renouer avec la nature profonde de l’Homme, de sortir des carcans sociaux, notamment au début lorsqu’il met littéralement à nu son personnage. Ainsi, l’on n’est pas surpris lorsque qu’Étienne Davodeau lance ses personnages sur des sujets sociaux, résolument engagés - c'est encore l'une de ses marques de fabrique - comme l’euthanasie. On les voit aussi faire bonne chère, boire du vin, profiter des produits locaux et sans tuer les abeilles si possible... Tout ça dans la gaieté et la bonne humeur... sans la nécessité de grands discours ou autres narratifs sans fin sur l'environnement. Les images parlent d'elles mêmes, la proximité de la Loire suffit à nous rafraichir les idées...
Finalement, cette BD parle aussi de la vie, de la mort, de l’éternité...
Du tourbillon de la vie.
Très bon Western...
Si le cinéma tend de plus en plus aux séries, avec des plateformes de streaming comme Netflix, il me semble que c’est le contraire qui se produit avec les BD francophones, tendant de plus en plus à circonscrire leur histoire à quelques albums maximum (sauf succès d'envergure). On pourrait parler de la fin de « l’âge d’or », celui de la presse BD, mais force est de constater qu’il y a encore plus d’excellentes BD francophones qui sortent tous les mois... A débattre.
Ainsi, Carcajou est une BD en un seul tome, accessible, mais également parfaitement composée et très expressive. Son esthétisme s’inscrit d’ailleurs dans la lignée de la nouvelle vague des années 2000, avec des BD comme Lincoln ou Gus.
Le scénario est convaincant de bout en bout (tout le contraire du dernier « Blueberry »...) et parvient à renouveler le genre, avec un fil rouge autour de cet animal glouton du nord du Canada, le carcajou.
On y raconte l’histoire d’un chercheur d’or renfrogné, justement nommé Gus Carcajou, dont la concession attise les appétits d’un entrepreneur peu scrupuleux - c'est un pléonasme - Jay Foxton. Et j’apprécie toujours ces réflexions sur la justice et le capitalisme, ces récits aux teintes progressistes. D’autant plus que l’histoire est plutôt crédible, avec des personnages à la psychologie fouillée.
Néanmoins, je dois avouer qu'ayant lu pas mal de Western dans ma jeunesse (en particulier Blueberry ou Lucky Luke dans un tout autre style), j’ai parfois eu un goût de déjà-vu (il y a d’ailleurs une référence appuyée à John Steinbeck), ce qui a un peu freiné mon immersion.
Il n’en demeure pas moins que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire cette BD.
Un travail remarquable de Djilian Deroche pour une première BD (et n’oublions pas non plus d’El Diablo).
En ce moment je m’intéresse aux BD environnementales...
Et il y en a un paquet ! Que ce soit des fictions (comme Neige de Convard et Gine) ou des BD du réel (comme Australes des frères Lepage), des enquêtes (comme celle d’Inès Leraud sur les Algues Vertes) ou des allégories (Loire d’Etienne Davodeau), des œuvres poétiques (Brousaille de Franck Pé) ou cartésiennes (Le Monde sans fin de Blain), des mangas (Nausicaä de la vallée du vent de Miyazaki) ou des comics (Environnement Toxique de Kate Beaton), des adaptations (L’eau des collines selon Jacques Ferrandez) ou des œuvres originales (Aquablue de Cailleteau et Vatine) etc.
C’est ainsi que j’ai lu Sermilik de Simon Hureau, auteur que j’apprécie pour ses dessins aquarellés, les rondeurs de son trait et surtout pour son regard anthropologique sur des peuples lointains, minorisés...
Il raconte dans cette BD l’histoire d’un homme du continent devenu chasseur au Groënland, sur un coup de tête, après avoir simplement ouvert un livre... Le personnage s’intéresse ainsi aux Inuits, apprenant leur langue, leurs coutumes... Puis il devient instituteur, cherchant à associer l’enseignement scolaire obligatoire (mathématiques, danois...) avec l’enseignement des connaissances ancestrales.
J’ai passé un très bon moment, même si j’avais été plus profondément marqué par son album sur les femmes Himbas.
En tout cas, cette BD m’a permis de me rendre compte de plusieurs choses concernant l'environnement, notamment l'usage controversé de la chasse traditionnelle dans cette région, coincée entre les rituels, l'économie touristique et la pression médiatique. Or, les coutumes des Inuits, qui vivaient auparavant en harmonie avec leur environnement proche, sont peu à peu remplacées par l’usage de machines, de téléphones portables ou d’objets en plastique, avec les avantages et les inconvénients que l’on connaît.
Instructif.
J’en ai pleuré...
Pas d’angoisse, parce que Madeleine Riffaud arrive toujours à retomber sur ses pattes. Sinon comment peut-elle encore raconter son histoire ? Pas non plus de tristesse, parce que je ne suis malheureusement plus surpris par les atrocités de cette guerre. Cependant, je ne suis pas resté de marbre face à la torture que le personnage principal subit, face à la souffrance des gens qu’elle côtoie dans la prison de Fresnes... Déjà je frémissais.
Ce qui m'a submergé d'émotions, ce n’est pas non plus son héroïsme face à la menace de la mort, ni même sa résistance face à la torture... Et pourtant, j’ai toujours eu une grande admiration pour Jean Moulin qui, à l’image de Madeleine Riffaud, a su garder sa langue en toute circonstance !
Non, ce qui a fini de me mouiller les yeux, c'est la lumière dans l'ombre, c’est l'empathie, l'humain, les valeurs positives... qui rayonnent encore chez les opprimés dans la torpeur du fascisme, le coup de main salvateur aussi... C'est-à-dire la résistance au sens littéral.
L'engagement de ces résistants, que l’on pourrait accompagner d’un V comme Vendetta - tellement il y aurait des parallèles à faire avec la BD de Moore et Lloyd - est d’ailleurs souligné par cette couleur bleu, qui les accompagne sans cesse depuis le premier tome et qui prend tout son sens dans cet opus... Amer, parce que ces gens ont tous perdu quelqu'un qui leur est cher et finissent par enfreindre leur code de conduite, qu'ils soient communistes ou chrétiens.
Sans faire de politique, cet album m’a réellement bouleversé. Connaître les enjeux de la résistance est une chose, la vivre en est une autre. Le témoignage, la mémoire des moments vécus prend alors tout son sens. Je ne sais pas à quel point ce qui est raconté dans cette BD est vrai, mais cela me semble plausible sur le plan historique.
Si j’ai pu éprouver autant d’émotions, c’est aussi que le trait et les compositions de Dominique Bertail sonnent justes. Certaines planches démontrent d’ailleurs tout son talent et il ne serait pas idiot de les exposer, un jour, au Panthéon.
Enfin, il ne fait maintenant aucun doute que Jean-David Morvan est devenu un spécialiste de cette période de l’Histoire. Son scénario, qui reprend le témoignage particulièrement émouvant de Madeleine Riffaud, est simplement parfait. Je ne sais pas si je lirai toutes les BD que JDM a pu faire sur la guerre 39-45, parce qu’il y en a vraiment beaucoup... mais celle-ci restera à jamais dans mon cœur.
J’ai chialé comme un bébé en lisant cette BD et pourtant ce n’est pas dans mes habitudes.
Bravo !
L’année 1958...
Elle constitue une rupture historique en France, dont on ne parle pas si souvent en dehors des établissements scolaires : Charles de Gaulle, s’appuyant sur son capital sympathie et profitant des déboires d’Alger, est appelé au pouvoir. Il met ainsi en place une nouvelle république, dans un contexte particulièrement tendu (manifestations gigantesques contre sa prise de pouvoir, vrai-faux coup d’État à Alger puis en Corse...).
Ce sera la Vème République, rompant avec le parlementarisme de la précédente et instaurant un pouvoir exécutif fort, présidentialiste, afin de renouer avec la stabilité du gouvernement. Il s’agit maintenant de la république dans laquelle nous vivons...
Nicolas Juncker (scénario) et François Boucq (dessins) détaillent ainsi avec talent les événements qui ont conduit à la prise du pouvoir par De Gaulle : que ce soit dans la ville d’Alger, où les colons européens sont préoccupés par le sort de l’Algérie française et finissent par prendre d’assaut le bâtiment du Gouvernement Général... en appelant au général (pour la petite histoire, les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller entreprendront un autre putsch en 1961, ayant percuté que De Gaulle ne les avait pas si bien « compris » que ça...) ; mais aussi en métropole, où l’empire colonial français n’est plus à l’ordre du jour et où le nouveau président du conseil, Pierre Pflimlin, enchaîne les déconvenues...
Plutôt que de s’emmêler les pinceaux dans un roman graphique sans fin, les deux auteurs ont su faire simple, riant de ces situations cocasses, de ces hommes politiques hors-sol aux décisions ridicules (mais lourdes de conséquences) et de ces généraux droits dans leurs bottes, mais qui frôlent la sédition, la folie furieuse.
Si les scénarios de Juncker sont toujours très bons, les géniales caricatures de François Boucq ne sont pas en reste non plus (que j’ai ri avec sa série Moucherot d'ailleurs). On peut profiter pleinement de l’expressivité de son trait avec le tirage en grand format noir et blanc.
Si les auteurs utilisent ainsi l'humour avec brio, jouant du comique de répétition de ces généraux et autres ministres guignolesques, les tournant en ridicule, ils démontrent également qu'il peut être utilisé politiquement... Ainsi De Gaulle s'appuie sur un trait d'humour pour désamorcer sa prise de pouvoir : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? ». Une belle formule, mais qui ne peut faire oublier que le maréchal Pétain en avait 84 lorsqu’il mit fin à la République française... Comme le souligne l'un des personnages.
D’ailleurs, même le plus « débile » des généraux sait avoir de l’humour (je pense évidemment à Massu, responsable des tortures françaises en Algérie, lors d’un dialogue avec De Gaulle) :
« - Alors Massu, toujours aussi con ?
- Ah oui, toujours gaulliste, mon général ! »
Assez drôle également que cette BD, où les généraux prennent parfois un rôle de bouffon, ait été primé par le ministère des armées... Récompense refusée par Nicolas Juncker à l’époque.
Tragi-comique !
Une BD sur la fondation de l’agence Magnum photos...
Jean-David Morvan et ses quatre compères, y relatent les débuts de la célèbre agence de presse photographique, historique pour plusieurs raisons : elle a fait progresser le métier de photo-reporter et ses fondateurs sont à l’origine de nombreux clichés, parmi les plus célèbres du XXème siècle.
Qui n’a pas vu l’une des photographies de Robert Capa, celles du débarquement à Omaha Beach (6 juin 1944) ou de la guerre civile espagnole (1936-1939) par exemple, ou celles d’Henri Cartier-Bresson, sur la libération de Paris (mois d’août 1944) ou mai 68 ?
L’art séquentiel permet de remettre ces photos dans leur contexte, de raconter la vie de ceux qui les ont prises, parfois de manière spectaculaire. J’ai été touché de voir les dernières photographies de ceux de l’agence qui ont été tués, dans le cadre de leur métier (Robert Capa, Werner Bischoff, Gerda Caro...). Quel courage !
Aussi, cette BD mélange deux arts, celui de la BD et de la photographie, sur le modèle de la BD d'Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier, dans le saisissant Le Photographe, en 2003. Plus largement, Magnum Génération(s) s’inscrit dans un courant de la BD qui a fait du photo-journalisme, des photographes ou même de l’appareil photographique son sujet central, pour ne pas dire son fétiche.
Mais, si je trouve le thème éminemment intéressant, je dois avouer que la narration de cette BD m’a ennuyé (probablement à cause de ses tons gris, de son aspect multi-biographique un chouia chaotique, des narratifs saccadés et de certains dialogues qui manquent d'intérêt). De plus, je trouve que ce livre au titre plein d'ambition, bien documenté et agrémenté d'une postface critique, reste paradoxalement en surface des photographies.
A titre d'exemple : j'ai appris plus de choses en visitant certaines expositions photographiques, notamment grâce à leur muséographie et autres légendes détaillées... Expositions qui ont aussi l’avantage de donner à voir les images en grand.
...Ce livre me laisse donc un peu sur ma faim.
Quand la BD met en lumière un scandale environnemental et sanitaire...
Avec plus de 200 000 exemplaires vendus en 2023, la BD de la journaliste Inès Léraud et du dessinateur Pierre Van Hove, publiée en partie dans la Revue dessinée en 2017 puis dans son intégralité par Delcourt en 2019, a contribué à mieux faire connaître la problématique des algues vertes en Bretagne.
En effet, Inès Léraud, privée d’antenne sur Radio France (qui lui donnait pourtant un rayonnement national), a utilisé ce médium pour faire le point sur le sujet : le potentiel mortel des algues vertes (en plus des nuisances environnementales, olfactives et visuelles), l’antagonisme entre les lanceurs d’alerte puis les activistes (riverains, scientifiques, écologistes, journalistes indépendants, associations comme Eaux et Rivières...) et ceux qui cherchent à occulter le problème, notamment pour ne pas « gâcher » la saison touristique (un certain nombre de nos « représentants » politiques, les préfectures, des syndicats agricoles comme la FNSEA, l’Agence Régionale de Santé...), les défaillances de l’État sous influence du lobby breton (club de grandes entreprises, qui n’a de breton que son assise territoriale, et qui peut notamment s’appuyer sur le président de la région Bretagne ainsi que des médias comme Ouest-France ou Le Télégramme...), l’histoire de la transformation de l’agriculture bretonne dans une dynamique « top-bottom » (mécanisation, remembrement, élevage intensif, pesticides...), la difficulté de changer les mentalités maintenant (alors que les agriculteurs ont déjà suffisamment de problèmes et que les pouvoirs publics n’encouragent pas la transition vers une agriculture durable)...
D’ailleurs, on sent aussi dans cette BD une diversité des approches sur les algues vertes, cognitives ou affectives... Les membres de la FNSEA par exemple n’hésitent pas à intimider férocement ceux qui font le lien entre l’eutrophisation des eaux bretonnes et l’agriculture intensive, lien causal pourtant scientifiquement avéré... Et on parle après « d'écoterroristes » ! Dur de débattre, de communiquer dans ce contexte... alors que les algues vertes (ainsi que le mal-être paysan) continuent de tuer, même si ce n'est que ponctuellement. Cessons la censure !
Certes, il y a quelques caricatures, qui concernent surtout les gros bonnets. Mais que ça fait du bien de se moquer de gens sans moralité, dont le leitmotiv principal est le profit, le capital. L’ouvrage a d’ailleurs l’avantage d’être parfaitement clair (les dessins vont dans ce sens), avec des organigrammes éloquents et une narration suffisamment élégante et approfondie pour que l’on comprenne les enjeux de ce conflit environnemental. En terme de couleurs, on ne s’étonnera pas de la dominance du jaune (celle des polars) et du vert... Les auteurs citent également leurs sources, ce qui est peu courant, même pour une BD documentaire. Le dossier en annexe rend l'enquête d'autant plus tangible...
Pour moi, cette BD est donc un indispensable, notamment quand on habite en Bretagne. Elle est d’utilité publique, elle est indépendante, elle est aussi un chef-d’œuvre de la BD du réel, une source d'inspiration pour d'autres BD. Il est d’ailleurs malheureux que les pires ennemis des Bretons soient parfois... d’autres Bretons.
Le film, tourné sur le personnage d’Inès Léraud et donc « l’héroïsant » (il y a d’ailleurs d’autres journalistes qui ont contribué activement à cette enquête), me paraît plus dispensable, même s’il a touché une population encore plus nombreuse (400 000 entrées en 2023). En ce sens et pour aller plus loin, je vous conseille plutôt le documentaire « Bretagne, une terre sacrifiée ».
Le sentiment d’évasion...
C’est ce que je cherche depuis toujours en BD et que je retrouve ici une fois de plus.
Emmanuel Lepage est l’un des auteurs de BD les plus en vogue en Bretagne. Moi même, je dévore ses récits depuis l'adolescence : Névé, La Terre sans mal, Muchacho, Oh les filles, Un printemps à Tchernobyl, Cache-cache bâton...
Au fil de l’eau, Emmanuel Lepage s’est rapproché de la BD du réel... mais sans oublier d’y mêler une touche de mélancolie, un soupçon d’enchantement, des élans fantasmagoriques, propre à son style et à celle de son « école ».
Parmi son œuvre déjà pléthorique, Voyage aux îles de la Désolation est l’album qui m’a le plus marqué. Il a été suivi d’un deuxième opus, intégrant aussi les photographies de son frère François, qui l’a lancé dans ces deux voyages (La lune est blanche).
Jamais je n’ai vu d’aussi belles aquarelles ! Et j’ai aussi été frappé par les talents de compositeur de Lepage, dans le sens où il a su concilier des éléments assez disparates, provenant notamment de son carnet de voyage, pour en tirer un véritable chef-d’œuvre BD. C’est indubitablement un travail d’une grande exigence, dont le sujet central est les TAAF !
Qui est déjà allé en mer l’hiver, se remémorera le souffle glacé des vagues ! Mais, pour les plus heureux, toujours suivi d’un retour au chaud et à la douce convivialité du foyer.
Et puis, cette BD comme sa suite ont une dimension environnementale. Outre le cadre géographique, saisi dans son jus, parfois étrange, parfois familier, parfois désert, parfois habité... Emmanuel et François Lepage ont su montrer les interactions de l’Homme avec leur milieu, qui est ici hostile et dur. Plus encore, les deux frères ont su mettre en image les capacités de l’Homme, qui peut survivre maintenant dans n’importe quel milieu, à transformer son environnement, dans un sens ou dans un autre (exploitation des ressources dans une perspective capitaliste ou protection de la nature quasi biblique).
Ainsi, il y a toute une réflexion sur la biodiversité, avec la question de l’éradication d’espèces introduites (les lapins des Kerguelen par exemple, qui résistent même à la myxomatose !). Idem pour le tourisme antarctique, qui pose un sacré dilemme à notre auteur... Enfin, on comprend mieux le risque qui pèse sur les habitants des îles et des littoraux face aux cyclones, avec les naufragés de Tromelin (nom d'explorateur qui se réfère à la toponymie bretonne, "vallée du moulin", comme Kerguelen, "lieu du houx").
Au final, c’est donc une BD pour les amoureux d’exploration, de marins bretons, de cartes, de virtuosité, d’intermondes, d’océanographie et surtout... de notre environnement, aussi précieux que fragile.
Une BD intéressante, de Richard Guérineau et adaptée du roman éponyme de Jean Teulé, sur la rapide décrépitude du roi Charles IX de Valois-Angoulême (1560-1574).
Si vous ne connaissez pas ce roi, c’est celui des guerres de religion en France (1562-1598) et du massacre de la Saint-Barthélémy (24 août 1572) au triste bilan (30 000 morts). Il y a d’ailleurs toujours des débats entre les historiens pour savoir qui a eu la responsabilité politique de ce massacre, responsabilité probablement partagée à plusieurs...
Si je n’avais aucune envie de lire le roman (j'ai beaucoup de mal avec les déformations de l'Histoire), je me suis tout de même lancé dans cette BD, qui fut plaisante à lire. J’ai apprécié les variations de styles bédéesques, comme un écho à l’aliénation du roi, ainsi que les références au monde de la BD (notamment Johan et Pirlouit, Voyage au Bout du Monde... et même Lucky Luke).
Heureusement, il y a beaucoup de second degré, de l’humour même parfois, ce qui permet de passer outre les dialogues anachroniques et le côté Games of Thrones du début (dans ce genre, les deux premiers cycles des 5 Terres resteront une référence). Certes, la BD se transforme peu à peu en une caricature du règne de Charles IX (Charly !?), mais le portrait physique et psychologique du roi reste brossé avec profondeur (quoique au fond, comment savoir ce qu’il pensait ?).
On retrouve ainsi les principaux traits du roi et de son règne : complots (si le corps du roi fut autopsié, c’est que l’on crût qu’il eut été empoisonné), prépondérance de sa mère Catherine de Médicis (une femme à mettre dans les manuels scolaires, pas que pour de bonnes raisons...), mauvaise opinion du peuple après le massacre, fragilité de l’État (en particulier lors de sa jeunesse et à cause de problèmes de succession récurrents...), rapports avec sa reine (dont le rôle se limite à donner naissance à un héritier mâle, sans succès) et à sa maîtresse (dont le rôle se limite à donner du plaisir au roi, avec succès), la chasse, la poésie, la mode, le premier janvier, les poissons d’avril, le muguet, la tuberculose...
L’ouvrage a même quelques qualités didactiques, quand il s’agit d’expliquer les différences du protestantisme avec le catholicisme (culte des saints, sacrements, reliques...) par exemple.
A lire, si l’on est amateur d’Histoire et surtout de BD.
J’aime beaucoup cette BD...
Gradimir Smudja est un artiste issu de l’ex-Yougoslavie, qui connaît donc les régimes totalitaires. Auteur complet sur cet album, ses couleurs sont influencées par Vincent Van Gogh. L’impressionnisme de cette œuvre souligne le mouvement, la fuite... Vu son histoire personnelle, le sujet de la BD et son époque, on peut comprendre...
Car, la vie de l’américain James Cleveland Owens dit Jesse (1913-1980) est haute en couleur. Ici, la narration prend la forme d’une fable, avec des animaux et une part de fantastique, exprimant une vérité générale teintée d’humanisme, tout en indiquant les principaux éléments biographiques du sportif. Cela change de ce que l’on peut voir habituellement dans la BD du réel... Un apport poétique qui fait du bien.
Le mythe rencontre alors l’Histoire : Jesse Owens est devenu le meilleur sportif de son temps, malgré les obstacles qu’il a du franchir, en particulier ceux de la ségrégation raciale (il est petit-fils d’esclave) et de la pauvreté (il est le dernier d’une fratrie de 11 enfants, le père a été paysan et la mère lingère). Heureusement, il a fait aussi quelques belles rencontres (son entraîneur Charles Riley ou le sportif allemand Luz Long), ou pas... Il a ainsi piqué la vedette à Adolphe Hitler (pour rappel, ce dernier avait été désigné chancelier allemand par le président Hindenburg en 1933, les nazis profitant du rapprochement des conservateurs et de l’aide du grand patronat, notamment le banquier Von Schroeder, avant de s’emparer totalement du pouvoir en deux ans), remportant quatre médailles d’or aux JO de 1936 (et pourtant il sera snobé par le président Roosvelt à son retour). En effet, les Jeux Olympiques avaient été attribués à l’Allemagne en 1931, alors que l’extrême-droite n’était pas encore au pouvoir...
Et, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec notre époque... Avec les inégalités de traitement, mais aussi avec l’atmosphère nauséabonde de la France contemporaine et la montée en puissance des idées fascistes, de l’esthétisme totalitaire à l’approche des JO (cérémonie de la flamme...). Pourtant, les performances de Jesse Owens et surtout les événements de la Seconde Guerre mondiale (la France Libre était composée en majorité de soldats des colonies, en particulier des tirailleurs sénégalais), avaient déjà prouvé l’invalidité des thèses racistes... Or, comme aux JO de Berlin en 1936, ceux de Paris 2024 risquent à nouveau d’être récupérés par un chef de l’exécutif fasciste et raciste (je pense évidemment à Jordan Bardella).
On marche sur la tête, on court au drame...
Pour public averti...
Dans cette histoire, un jeune homme a du mal à s'affirmer et souffre de troubles de l’érection, pour ne pas dire que sa copine ne le fait pas trop bander... Et, dans une société vénitienne toujours assez machiste, ça fait tache. Alors, il navique sur les sites pornographiques, fasciné par le sein maternel et la lactation érotique. Dès lors, son cœur balance, entre Stella et Ludovica, entre la fidélité et la passion aveugle.
Si l'histoire est d'une grande profondeur, abordant avec plus ou moins de finesse le thème de la sexualité, l'ambiance débridée de cet album en fera blêmir plus d'un, bigot ou pas...
Les graphismes sont fouillés, mais là aussi un peu bizarres, notamment lorsqu'il s'agit de faire voir la chair, les poils, les veines, la viscosité...
Or, le découpage et la composition sont particulièrement intelligents et n'ont rien à envier à un Chris Ware ou à un Martin Panchaud. C'est géométrique, maîtrisé et tout simplement moderne. Le fond comme la forme de la BD m'ont convaincu et je lirai dès que possible les autres BD de Miguel Vila.
Alors, si vous avez le cœur bien accroché et que vous êtes prêt à sortir des canons de la beauté classique, ceux de la publicité par exemple ou encore de Manara...
Lancez-vous.
Un petit coffret...
Qui contient 7 carnets dessinés, de 48 pages chacun... Ainsi qu’un plan et une carte, auxquels on peut ajouter une bande-son d'ambiance, en cherchant sur le net.
Le storytelling est surréaliste et l’expérience quasi unique en son genre. L’atmosphère se fait irréelle, interrogeant les lois de l’art 9, ses limites.
Et quel plaisir de tenir cette œuvre intimiste entre les mains, au format si particulier, qui rappelle de lointains souvenirs, et plus encore...
J’avoue, je n’ai pas compris grand chose lors de ma première lecture (beaucoup moins que Number Five par exemple), mais j’aime beaucoup le trait de Doublebob, émouvant...
J’ai savouré ces " doses " une par une, en prenant le temps. Une parenthèse mystérieuse et poétique, dans ce monde de brutes.
...Pour rêver gaiement.
Je trouve cette BD jeunesse très bien.
Les dessins, certes assez simples, sont d'une grande expressivité, qui n'est pas sans rappeler le trait de Lisa Mandel. La composition est maîtrisée...
Tout comme l'histoire, qui raconte par la voix d'un dragon, la vie d'une jeune femme, se comportant comme un homme. Ce conte traditionnel coréen, auquel on donne ici une dimension assez universelle, n'est pas complètement naïf. Il est même d'un progressisme rare, qui déplaira probablement aux ayatollah de la famille classique (un couple marié homme/femme avec enfants).
Une lecture drôle et positive, qui conviendra donc aux grands comme aux petits...
Dès 8 ans.
Qu’est-ce qu’il se passe en cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite ?
C’est ce que raconte Alan Moore, associé au trait rétro de David Lloyd, dans une puissante diatribe. Comme l’avaient fait auparavant Orson Wells avec 1984 ou Ray Bradbury avec Fahrenheit 451...
Sans surprise, il faut s’attendre au pire... L’idéologie du régime en place dans V pour Vendetta est nationaliste et raciste, les libertés collectives et individuelles sont supprimées, les livres brûlés, les minorités opprimées, la science perd toute éthique... Tout ça pour une vision galvaudée de la « sécurité » et pour une « morale » de façade. Au final, personne ne sort vraiment vainqueur d’un régime politique anti-démocratique, tant la corruption est partout.
On pourrait se dire, ce n’est qu’une fiction, une dystopie, une vue de l’esprit... Or, le fascisme est une réalité historique. Déjà, Mussolini avait concrétisé ce projet fou en 1922, avec l’aide du grand patronat : en s’appuyant sur la peur du « rouge » et les milices, tout en faisant miroiter des réformes sociales ; il avait finalement imposé une dictature, dans la semi-légalité ; un ordre autoritariste et violent, centré autour de la personnalité d’un seul homme, le Duce. Ce même fascisme avait ensuite servi de modèle pour Adolphe Hitler (chancelier allemand en 1933 et instigateur de la « Solution finale » pendant la Seconde Guerre mondiale) et son partenaire français Philippe Pétain (1940-1944, condamné à mort par la Haute Cour de justice pour ses méfaits, avant d’être gracié par De Gaulle pour son vieil âge).
A l’heure où les héritiers de Pétain (c’est-à-dire le RN) risquent de prendre les rênes du pouvoir exécutif en France, l’histoire de V pour Vendetta n’a plus rien de futile. Elle est tragique et doit nous pousser à réfléchir sur notre vote, sur notre engagement démocratique. Si le vote est une façon d'exprimer son mécontentement (ce n'est d’ailleurs pas la seule manière), plutôt que de passer par la violence (c'est ce que disait déjà Victor Hugo en 1850), il ne faut pas non plus en oublier les conséquences... On pourrait d’ailleurs comparer avec les expériences de Trump, Bolsonaro, Milei, Poutine, Netanyahou, Erdogan, Orban, Meloni... Tous se sont alliés à l’extrême droite pour gouverner, quand ils n’en font pas eux mêmes partie. Qui pourrait qualifier leur bilan de positif ? Sont-ils prêts à renoncer au pouvoir ?
A lire absolument.
Inutile de lire le nouveau Gaston...
Si la couverture ne me branchait pas trop au départ, j’ai finalement pris mon pied ! Et pourtant, je l’ai lu dans des conditions affreuses... mais pas autant que la situation dans laquelle se trouve l’héroïne : après avoir été invitée chez une patiente, elle se retrouve nez-à-nez avec un cadavre... Les problèmes lui collent ainsi à la peau pendant tout l’album, sans que cela n’entrave sa curiosité, parfois un peu malsaine pour une psychiatre...
Car, ce personnage féminin est particulièrement attendrissant, sortant des carcans de la BD classique : que ce soit au niveau de sa physionomie, souple et élancée, de son look, libéré et élégant (d’ailleurs elle n’est pas sans me faire penser à l’autrice Cy), ou de sa personnalité émancipée et extravertie.
Le rythme est effréné et j’ai gloussé comme un dindon du début à la fin : face à la grande indépendance de l’héroïne et ses prises de décisions désabusées, qui fait avancer l’histoire à elle seule, avec son humeur changeante, ses petits mensonges ou au contraire son honnêteté déconcertante, ses prises de bec, son hygiène de vie décomplexée, ses manies rigolotes, ses névroses utiles...
Mais, en plus de ce personnage particulièrement bien pensé, que j’aurais plaisir à revoir... Jordi Lafebre maîtrise son art. Il sait jouer avec notre frustration et éclairer les dessous de l’image... Il se sert également de toute une palette de gags pour nous faire rire, allant de l’humour badin jusqu’au comique macabre. Et pourtant, il partait de loin, tant la mort et les questions d’héritage sont des sujets délicats...
Au final, un chef-d’œuvre drôlesque du neuvième art, au scénario complexe (quelque part entre les thèmes des jeux de société La course à l’héritage et le Cluédo) et progressiste (féministe...), mais surtout qui nous faire rire à chaque page, à chaque vignette...
Ce n’est peut-être pas un très bon polar, mais je m’en contrefous... parce que c’est une BD excellente, à l’humour génial et dans l’ère du temps !
...La relève est là.
Dans cette deuxième et dernière partie, le rythme de l’histoire s’intensifie.
SPOILER : on apprend que « l’armée de la paix », que Number One cherche à préserver coûte que coûte, contre le putsch de l’armée régulière, est peuplée d’êtres humains génétiquement (?) modifiés, aux liens de solidarité forts. Imaginés et programmés par « Papa » (le lapin au visage de Moebius) dans une perspective utopiste, certains sont doués de pouvoirs inattendus, surnaturels, incontrôlables... qui bouleversent littéralement le cours de l’histoire.
L’esthétisme de la série prend une nouvelle tournure, transcendant totalement la narration. En effet, Taiyou Matsumoto s’amuse toujours plus avec les images, jouant avec elles, les déformant, donnant à voir des sensations radicales, des contrastes saisissants : joie/tristesse, calme plat/violence extrême, enfance/âge adulte, naturel/aliénation, réel/onirisme, gentillesse/sadisme, le noir et le blanc...
Matsumoto maîtrise « l’art neuf », comme jamais avant lui, faisant la synthèse de tout ce qui a pu le toucher en ce sens, depuis son enfance. Ce génie graphique autant que narratif s’affirme de page en page, de vignette en vignette. Je suis resté scotché face aux pages 342-343 par exemple (scène du bateau), où le storytelling se joue sur plusieurs degrés. Il y a notamment un effet de parallélisme, entre les bandes horizontales représentants Mike à gauche et ses poursuivants à droite, qui subissent l’intrusion violente du camp adverse, souffrance et vice n’étant le monopole de personne... Un huit-clos oppressant, où la cruauté des combats est amplifiée par un coup de pinceau éloquent (coup de crosse), par les taches de sang et autres impacts de balle. Les scènes sont riches en détails, Matsumoto jouant sur les regards, les reflets des lunettes, les expressions du visage, assombries de hachures au crayon ou à la plume. La légère distorsion des décors, ainsi que les diagonales des cases, donnent une impression de vitesse. Tout ça sur fond noir...
Au final, Number Five vient finir son œuvre, si insensée, si inexplicable... Est-ce qu’il cherche à (re)trouver son Humanité, en détruisant le dernier symbole des expériences scientifiques de « Papa » ? Est-ce qu’il va à l’encontre d’une forme de déterminisme, se libérant d’un système qui l’avait fait « Number Five » ? S’agit-il pour lui de fonder un foyer ou plus trivialement d’une compétition sanglante pour conquérir une femme, pourtant peu séduisante ? D’ailleurs, quelles sont les capacités réelles de Matriochka : manipuler, apaiser, guérir ou rendre fou ? Est-ce que Number One fait figure de néo-Jésus, sacrifié au profit des autres ? Finalement, ne serait-ce pas un plaidoyer, quoique désabusé, pour une paix réelle dans le monde, où tout le monde aurait sa place ? Mais aussi un message de prévention, à la jeunesse, contre les manipulations médiatiques de l’opinion, les dérives de l'armée et autres avancées technologiques incontrôlées ?
Tant de questions... Sur le plan moral, je pense que les idées de Tayou Matsumoto pourraient être rapprochées de celles d’Hayao Miyazaki : engagé pour le pacifisme, mais aussi très sensible aux enjeux de l’Anthropocène. Pourtant, son œuvre est beaucoup plus dense que ça, si complexe...
De mon point de vue, Number Five est surtout l’œuvre la plus personnelle de Taiyou Matsumoto. Paradoxalement, ce manga est autant une œuvre hommage, à ses « maîtres », qu’une BD émancipatrice, l’artiste volant de ses propres ailes, atteignant des sommets...
Je trouve ce livre assez moyen : j'aurais préféré qu'ils se concentrent sur la première partie de la saga (comme ils l'ont fait pour XIII récemment). Parce que les tomes 6 à 9 m'ont ennuyé, le trait de Bourgeon ayant pris un sacré coup de vieux... Contrairement aux tomes 1 à 5, qui me fascinent depuis toujours, et pour lesquelles j'aurais aimé avoir d'autres clés de compréhension.
Un hors-série intéressant sur le génie de Lagaffe, découpé en trois parties : métro, boulot, dodo...
Les auteurs insistent sur l’aventure collective de l’anti-héros, avec des extraits d’interviews de Franquin, mais aussi d’Yvan Delporte, de Jidéhem ou encore de Frédéric Jannin... Cependant, la controverse sur le nouveau Gaston et le droit moral de Franquin sur son œuvre est éludée...
Or, Gaston est bien le double de Franquin, lui ayant permis dans le temps de se libérer de la contrainte éditoriale de Spirou, de s’amuser, de sortir de sa dépression et d’y insuffler des valeurs anti-systèmes et écologiques... Tout ça dans la joie, la bonne humeur et une grande dose d’absurde et de dérision...
D’où ma réticence à ce que Gaston soit repris par quelqu’un d’autre... quel qu’il soit.
Cette BD porte bien son nom...
Parce que Julia Wertz cherche un moyen de guérir son alcoolisme (spoiler, c’est vraiment pas facile, mais on peut y arriver avec des médicaments, des séances de psychothérapie et quelques bons amis), mais aussi, dans une autre mesure, parce que les hommes qu’elle rencontre sont imbuvables (ses frères, son logeur, ses petits copains, certains hommes dans la rue...).
Quelque part aussi parce que cette BD, sur le plan formel, est particulièrement insipide. Si l'objectif était de faire une BD imbuvable, c'est réussi : trait simple, « qui va à l’essentiel » (France Inter), décor généralement épuré voir absent, découpage redondant... Idem pour la composition, saturée de narratifs et autres bulles en cascade. Les rares variations de style n'y changent rien.
Certes, les personnages, aux grands yeux caractéristiques et aux corps polissés, sont dessinés avec une grande régularité... Mais, marre de ces romans graphiques à portée autobiographique où l'esthétisme passe complètement à la trappe !
Les angoisses de Julia Wertz et son storytelling, qui prend trop souvent la forme d'anecdotes, dans une organisation assez chaotique, m'ont rebuté. Je ne suis apparemment pas le public cible.
C’est dommage, parce que le fond du propos est éminemment intéressant : que ce soit son combat intérieur contre l'alcool et les discriminations, ou encore sa vision aiguë de New York, ainsi que du monde du Comics indépendant.
Et puis, il est vrai, il y a beaucoup d’humour (pour Le Monde c’est « hilarant », pour L’Obs la BD est « drôle et attachante », « humour cru » selon Washington Post...), bien que je n’ai franchement ri qu’une fois sur les 318 pages de ce roman graphique. Probablement la faute d’une traduction problématique, imbuvable encore une fois...
Je me répète, le titre français est bien trouvé.
Quelle BD vous a fasciné le plus dans votre jeunesse ?
Pour ma part, c’est sans conteste Number Five, manga de Taiyou Matsumoto (Amer Béton, Ping Pong... là encore un auteur qui mériterait un grand prix). Quoique j’ai du mal à m’y replonger maintenant, tant sa proposition esthétique et son storytelling sont délirants.
Mais de quoi ça parle ?
Dans la première partie de cette « intégrale » (en réalité je vous conseille de lire plutôt la première édition française des albums de N°5, avec quelques pages en couleur et des couvertures magnifiques, si vous avez l’occasion...), l’un des membres du « Conseil Rainbow » (sortes de super-héros institutionnels, garants d’un monde futuriste sois-disant unifié et pacifié), Number Five, se met à liquider ses congénères. S’agit-il d’une vengeance ? D’un acte de rébellion ? D’un délire mystique ? Ou tout simplement d’un pétage de plombs ? D'ailleurs, est-ce que Number Five peut-être considéré comme un anti-héros ? Un vilain ? Un méchant ?
La première partie ne permet pas de répondre à toutes ces questions. D’ailleurs, même après avoir lu l’ensemble de la série plusieurs fois, j’ai toujours un doute quant au sens de cette œuvre... Un article du site Le jardin de Shuwa a intelligemment mis au jour quelques clés de compréhension (évoquant en particulier l’hypothèse d’une domination magique de Matriochka, la femme enlevée par N°5, mais aussi l’idée d’une IA qui transcende les personnages, des machines de chair, des dieux esclaves...), salutaire tant le sujet est occulte.
Et, la lecture de Number Five a été si intense, que je me rappelle encore de la bibliothèque qui me l'a fait découvrir, du lit dans lequel j’ai achevé sa lecture, des copains avec qui j’en ai parlé, de la table où j’ai recopié ses dessins... Une véritable madeleine de Proust...
Je me souviens surtout du choc, celui de l'initiation à l'univers et au trait fulgurant de Taiyou Matsumoto : parfois très détaillé, ou alors complètement caricatural, voir enfantin. Jamais je n’aurais pu imaginer un tel mélange des genres, un tel éclectisme (ses sources d’inspiration, comme Tezuka ou Moebius, sont aussi variées que ne l’est la BD moderne). Il capte avec justesse l’essence des images, donne vie à ses dessins, abreuvés de sensations, de symboles et de rêves. Un aspect surréaliste qui transparait aussi dans son découpage, passant souvent du coq-à-l’âne, du moins en apparence... Riche en émotions donc, mais très exigeant à lire (les apparences sont trompeuses).
Car, on sent dans cette œuvre une dimension métaphysique et politique, à portée universelle, mondiale, mélangeant les cultures, les religions voir les langues humaines et même les espèces animales, dans un très large pot-pourri. Matsumoto s’inspire aussi de son époque : c’est-à-dire le monde à la fin de la guerre froide, point tournant de l'hégémonie américaine... Il rassemble ainsi, pour faire simple, un faisceau d’idées contemporaines : sur l’écologie, le réchauffement climatique, la surpopulation, le malthusianisme, le développement des IA, les OGM, la médiatisation de l'opinion publique... et pose encore d'autres questions, éthiques et morales, sur les gardiens de la paix... Dans le manga, le rapt de Matriochka par N° 5 apparaît ainsi comme l’élément perturbateur, un grain de sable dans un engrenage beaucoup plus vaste, « utopie » qui dévoile peu à peu son vrai visage. Le cocktail est particulièrement chargé et épicé...
C’est peut-être ça qui me refroidit un peu dans ma lecture actuelle de Number Five. Car, si Number Five a quelque chose de prémonitoire (publié au Japon à partir de décembre 2000, il évoque déjà la guerre asymétrique USA vs terroristes et les remises en cause de l’Occident, notamment par les pays émergents, les BRICS...), je trouve que les valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme, l’être humain lui même finalement, pourraient être mieux mis en avant... Ou en tout cas plus clairement.
Une BD qui suscite cependant toujours mon intérêt, sur les plans artistique et narratif. Elle est d’ailleurs très loin des propos polémiques et de l’immoralité d’un Frank Miller (Sin City, 300...) par exemple.
Malgré toutes ces questions sans réponse...
Une BD intéressante, qui renoue avec la notion (anglo-saxonne) de front-pionnier et questionne notamment l’appropriation des ressources par de grandes entreprises... Si ce n’est qu’il s’agit ici de science-fiction, avec des vaisseaux densément peuplés, de grandes étendues spatiales et des planètes gigantesques. Contemplative !
D’ailleurs, Guillaume Singelin a un style reconnaissable entre mille et ses dessins fourmillent de détails. Ses personnages caractéristiques (sortes de figurines Pop en plus vivant) sont attrayants. La colorisation numérique est également réussie. Quel travail ! On touche au génie !
Si le scénario est plutôt bon (toujours Singelin), avec une dimension polyphonique (j’aime beaucoup ce mot...), je dois aussi avouer que j’ai parfois décroché... Il y a quelques longueurs et même un goût de déjà vu. Ceci étant dit et nonobstant son rapport qualité/prix attractif (quelle magnifique édition !), Frontier n’en demeure pas moins un digne représentant du neuvième art.
Par contre, je n’adhère pas à la démarche du festival d’Angoulême et à son sponsor en carton, qui se servent de BD étiquetées « écologistes » pour faire du greenwashing. « How disgusting ! » dirait-on en bon anglais...
Si cela n’enlève rien à la qualité de cette BD, on doit bien admettre que, un peu comme pour les personnages embarqués dans cette aventure, ils n'ont pas dit non...
Au-delà d’une couverture minimaliste...
Deep it (« au fond ») est une réflexion bédéesque sur l’Intelligence Artificielle et la fin du monde, faisant « suite » à Deep Me. Plus profond que Carbone et Silicium (Bablet), avec un vocabulaire assez technique, le dessin va pourtant à l’essentiel, épuré. Mais, au fil des pages, Marc-Antoine Mathieu fait évoluer l’esthétisme de son œuvre, jouant sur des nuances de gris (non sans écho avec Larcenet), un graphisme pointilliste, mais aussi sur de longs zooms (vertige métaphysique) et une composition lénifiante. Jubilatoire !
Car, on connaît le talent de Marc-Antoine Mathieu pour l’illustration de concepts abstraits, de figures de style, comme en témoigne l’utilisation de ses BD en cours de français... C’est un explorateur de la BD, de ses formes narratives et plastiques (ce qui ne l’empêche pas de s’inspirer de ce qui existe déjà).
Je n’ai pas peur de dire que c’est un indispensable. Marc-Antoine Mathieu est l’un des rares à faire véritablement de la poésie et à donner aussi un sens philosophique à ses BD (sans faire une vulgaire biographie tirée d’une fiche Wikipédia par exemple). Son œuvre positive et sensible en a inspiré plus d’un...
...Quand est-ce qu’on lui accordera un grand prix à Angoulême ?
De page en page, un halo de lumière guide notre regard...
Par le prolifique Ed Brudbaker et les artistes espagnols Marcos Martin et Muntsa Vicente, BD découverte par le biais de la sélection jeunesse d’Angoulême 2024.
Malgré leurs têtes de premiers de la classe, les personnages sont très attachants. J’ai apprécié l’ambiance fantastique de la BD, à la Cthulhu, mais dans un mode mineur, puisqu’il s’agit plutôt d’une œuvre à destination des jeunes (focus, personnages, fantasmes et objets juvéniles...). Pas sans faire rappeler les bouquins de la collection Chair de Poule, à faire frémir...
Et ils ont de la chance les ados qui choisiront de lire cette BD, plutôt que de rester prostrés sur leurs écrans, parce qu’elle est excellente ! Le scénario fouillé et les dessins épurés, dans la veine du neuvième art européen, sont d’une grande maîtrise. La colorisation et le lettrage sont tout aussi magnifiques, comme savent bien le faire les auteurs de Comics, intensifiant la narration. Un beau travail d’équipe !
La série fourmille de bonnes idées, avec des mises en abyme récurrentes, un jeu sur les temporalités et une multitude de procédés pour nous plonger dans ce récit hallucinant. Il y a aussi une dimension morale (au sens philosophique du terme). C’est donc un indispensable pour les rayons Jeunesse de nos bibliothèques. Mais c’est aussi très bien pour des adultes, qui souhaiteraient refaire un passage en enfance, le temps d’une BD.
...J’attends donc avec impatience l’éclairage du tome 3 sur cette enquête, la révélation finale.
Très bonne BD mêlant enfer et parc d’attractions...
L’un des chefs-d’œuvre d’Arthur de Pins, avec La marche des crabes, que j’avais beaucoup aimé aussi. On y retrouve son humour, sa sympathie, mais aussi ses fameux dessins vectoriels (voir la vidéo de Funenbulles à ce sujet), ainsi qu’une critique sous-jacente du monde de l’entreprise.
Même si cette BD est plutôt à destination des adolescents (dans la droite ligne de Spirou), et que la série s’essouffle un peu vers la fin (je trouve que le tome 5 est en dessous des autres), elle reste très agréable et intéressante, même pour un adulte.
A lire !
Un bon album, que j’ai lu après le boulot.
J’aurais voulu qu’il me permette de me changer les idées, m’immerge dans un ailleurs. Au final, la lecture de cet album m’a plus angoissé qu’autre chose... Ce n’était peut-être pas une très bonne idée non plus quand on connaît l'auteur...
Charles Burns raconte dans ce tome 3 la fin du tournage et les amours des personnages, en particulier Brian et Laurie, puisque la narration est polyphonique.
La proposition graphique est intéressante, la qualité du style doit être soulignée. Mais je trouve qu’il y a un contraste déstabilisant, entre certaines planches magnifiques et d’autres plus banales, avec des erreurs de proportion (exemple : le personnage de Laurie). On est loin de la régularité d’Hergé...
La BD est complexe, jouant sur plusieurs degrés de lecture. Elle est aussi bizarre, comme un « melting pot » de rêves, mais dont le récit s’inscrit tout de même dans une forme de « réalité »... La fin est magistrale et m'a touché. On sent le talent de l’auteur, quoique je n'ai pas compris toutes ses références (je suis un inculte du cinéma d’horreur).
Pourtant, les thèmes abordés me touchent généralement : rousse, homosexualité, cinéma, anxiété, ballade en montagne, médicaments, relations entre jeunes et moins jeunes, alcoolisme, onirisme, extra-terrestre... Mais peut-être aussi que, à force de lire des romans graphiques, cette BD de 88 pages me paraît trop... condensée.
A lire, si vous aimez les atmosphères malsaines.
Lire Nick Drnaso est une épreuve en soi...
Dans Acting class, des personnages fragilisés psychologiquement et socialement participent à un atelier de théâtre « gratuit ». Leur vie va en être bouleversée...
A dire vrai, j’ai un peu piqué du nez... J’ai pris une centaine de pages pour m’immerger dans ce récit exigeant, à la manière des personnages, peu à peu séduits par les mises en situation auxquelles ils participent. Au départ, j’ai trouvé la proposition graphique de l’auteur particulièrement terne et redondante (gaufrier en format 5x3 cases ; répétition sans fin de plans resserrés, soulignant les expressions des visages, assez semblables d’ailleurs ; austérité de cette ligne claire...), quoiqu’elle participe à sa vision de l’Amérique, celle d’une société moribonde.
Graduellement, je me suis pris d’intérêt pour ce récit profond et complexe. Le jeu sur la « réalité » des personnages et les rôles qu’ils interprètent (différence indiquée par la fonction contextualisante du décor) est saisissant. Les erreurs d’« acting » et autres interventions intempestives sont jubilatoires, dans cette mise en abyme fascinante, cette mise en scène d’un jeu de rôles, où les repères du « réel » s’effacent peu à peu... Le metteur en scène, John Smith, semble d’ailleurs prendre un caractère omniscient, accompagnant les autres personnages dans leur engagement croissant, qui semblent improviser, se réinventer, au moins intérieurement... Mais, tout ce beau monde est-il aidé ou bien manipulé ? Certains ne finissent-ils pas par se mentir à eux-mêmes ?
Car, on sent que Nick Drnaso est allé chercher son inspiration dans certaines formes de développement personnel, de thérapie, comme les constellations familiales (critiquées par certains professionnels de la santé pour leur caractère médiumnique). Si l’auteur fait ressentir l’intensité et la puissance des émotions que traversent ses personnages, pour qui l’atelier peut avoir du sens, on se rend compte rapidement que des formes d’altérations de la réalité (non sans écho avec les dérives sectaire de la BD Monica) en touchent certains, rentrant dans un monde imaginaire, affectant leur santé mentale.
Au final, cet ouvrage m’a surtout donné une perspective nouvelle sur le « médium » BD, d’une grande diversité quand on prend la sélection d’Angoulême 2024. Quand je vois le personnage de Denis, qui s’invente peu à peu un rôle de surhomme adulé par tout le monde, je me demande si ce n’est pas ce qui se passe parfois aussi en BD. En d’autres termes et au risque de paraître un peu provocateur, les « super héros » ne seraient-ils pas le produit d’une société névrosée ? C’est en tout cas une réflexion propre au Comics « indépendant », c’est-à-dire sans « super héros »...
Mais, donner son avis n’est pas toujours si facile et il faut savoir s’arrêter quand on commence à sortir de son domaine de compétence.
Chichement vêtu et équipé d’une simple pelle, un petit personnage noir et blanc trace sa route, à la force des bras : un chemin lent et sinueux, le long d’une crête... Énigmatique.
Ce petit bonhomme, c’est le père de l’autrice, qui a fini par lui raconter l’histoire de son enfance, avec force de détails et richesse du vocabulaire, parfois très technique. Lika Nüssli délaisse ainsi le design, pour se projeter dans un autre univers, celui des campagnes suisses après la Seconde Guerre mondiale, le temps d’un roman graphique.
Et quel récit saisissant ! Loin de sa famille, le petit Ernst est placé dans une autre ferme, pour aider aux champs, en échange d’une monnaie... de singe. La vie y est dure et ses gérants ne sont pas tendres avec lui, loin de là, même si Ernst semble faire du bon boulot.
Le trait sombre et épais de Lika Nüssli, vient souligner les émotions, bigarrées, qu’a traversées son père à cette époque : trait parfois fourni et délicat, souvent plus lâché et simple, voir hors de contrôle, avec des gribouillis et autres gloubi-boulga d’images, soulignant toujours avec justesse la détresse du jeune garçon, confronté à un équilibre précaire entre son labeur agricole, l’école du village et quelques rares loisirs. Un certain apprentissage de la vie...
Si la structure du storytelling peut surprendre, tenant parfois plus du livre d’illustration que de la BD, l’absence de cases clairement définies, l’omniprésence de ce fond blanc et le dépouillement de la composition prennent rapidement sens. En effet, on y ressent la routine et l’âpreté des conditions de vie et de travail d’un enfant.
J’aime les libertés prises par Lika Nüssli, dans son dessin, pour caricaturer ce maître trop cruel, qui exploite plus faible que lui, comme beaucoup à cette époque. De même, le corps d’Ernst, devenu serviteur docile, se transforme selon les émotions, les aléas du travail et les sévices qu’il subit.
Certes, c’est une éducation à la dure et on pourrait penser qu’il s’aguerrit... Mais, dans cette société d’après-guerre encore peu mécanisée, le travail fragilise aussi les corps et use les esprits. Au final, le père de Lika Nüssli n’est-il pas devenu, à ce moment-là, un colosse aux pieds d’argile, un homme d’apparence forte mais aux blessures profondes ?
Dans tous les cas, après avoir fini l’album, on ne verra plus de la même manière le paysage de la couverture, d'apparence pourtant si tranquille...
« Quand Phèdre rencontre Mobutu »
Plongé au cœur de la forêt équatoriale, on découvre dans cet album un surprenant complexe, où se déroule l'action de ce huit-clos. C’est le palais d’un dictateur déchu, T'zée, où réside encore une partie de ses proches (son fils Hippolyte, dont le nom est tiré de la pièce de théâtre antique, et sa deuxième femme Bobbi, protagonistes principaux de l’histoire, que l'on retrouve sur la couverture). Comme l’antique Mycènes, le palace est voué aux gémonies.
Appollo, au nom à consonance mythologique, est aussi un scénariste qui connait l'Afrique et en particulier le Congo, pour y avoir lui même vécu. Ses personnages, inspirés notamment de Mobutu (dictateur à la tête de la RDC entre 1965 et 1997, ayant fomenté un coup d’État avec l'aide de la CIA contre Lumumba... ce dernier étant érigé plus tard en héros national par le même Mobutu, qui l’avait pourtant fait assassiner...) et de sa famille, sont crédibles.
Brüno, dessinateur chevronné (on connait bien son Tyler Cross, mais je vous conseille également son Nemo ainsi que sa BD sur l’american sniper, qui a une saveur toute particulière...), adulé pour sa ligne claire, aussi saisissante que moderne, illustre avec élégance et poésie l’entre-soi de cette élite. On y ressent le simulacre d'opulence, la décontraction feinte, mais aussi une tension accrue, entraînée par la chute du patriarche. Car, peu à peu, la population se révolte contre le dictateur affaibli, se souvenant de ses crimes...
Outre ses ressorts dramatiques, le récit, pensé à la façon d’une tragédie grecque, contient une forme d'allégresse, une musicalité toute africaine. En effet, les auteurs ont su jouer de différents dualismes, sise entre deux cultures, mais aussi entre mythe et réalité, traditions et modernité, passion et amour-vide, animalité et valeurs humaines, violence déchirante et calme plat... et enfin ils opposent un certain processus de décolonisation (T'Zée cherchant à faire de son pays une puissance indépendante) aux soubresauts coloniaux (la France de Versailles restant un modèle pour un T'Zée kleptocrate et mégalomane, malgré l’arrivé de nouvelles influences comme la Chine...).
Parfois un peu décontenancé, notamment lorsque j'ai compris que Mobutu était comparé au héros Thésée (roi unificateur et bâtisseur), en particulier pour sa face obscure (il tue son fils à cause d’un amour interdit avec sa femme)... C’est plutôt le réalisme historique de cette œuvre, inspirée de documentaires sur le Zaïre/RDC, qui m’a bluffé. Appollo maîtrise cependant le genre de la tragédie grecque, qu'il étudie avec ses élèves de lycée à Saint-Denis de la Réunion. Finalement, le trait épais et aéré de Brüno, vivifié par les couleurs de Laurence Croix, donne toute son énergie à cette BD, participant pleinement à la fameuse suspension d'incrédulité.
A lire !
Un chef-d’œuvre sous-estimé de la BD d'humour.
Dans une saine et joyeuse émulation, Yann, Jean et Simon Léthurgie nous ont concocté un scénario bourré de gags et d'énergie. On y suit les aventures d'un duo policier désopilant et particulièrement incompétent : Spoon, avorton fan de Disney et de Clint Eastwood, qui prend tout au premier degré, et White, la grande asperge facétieuse, tout de blanc et de noir vêtu, qui prend un malin plaisir à se moquer de son acolyte. Ils n'ont qu'un seul but dans la vie : conquérir le cœur de la sensuelle mais sévère Courtney Balconi. Alors, quand la journaliste se fait prendre en otage par un terroriste aigri, dans un hôtel empli de membres de la secte Azum... L'ambiance devient explosive.
Jamais je n'ai autant ri avec une seule BD. Adolescent, je me rappelle avoir lu cet album 4 fois le même week-end et avoir ri à gorge déployée, à ne plus savoir m'arrêter. Que ça fait du bien... Encore aujourd'hui, les multiples gags qui s'enchaînent de page en page me font sourire. Souvent grotesque, les auteurs jouent aussi sur le comique de répétition, la parodie (ici piège de crystal notamment), l'absurde, le mauvais caractère des personnages ou les situations dans lesquelles ils s'embarquent... Le trait de Simon, caricatural, va dans ce sens. Cela serait beaucoup moins drôle si les armes ou les scènes de combat étaient dessinées avec réalisme... Mais Spoon et White est aussi un récit complexe, polyphonique, où la tension est tangible. Les autres albums garderont le même format.
A lire absolument (et jeune de préférence).
Piano
En petit format (j’ai lu l’édition à 10 euros), paradoxalement, l’œuvre de Zeina Abirached n’est pas d’une accessibilité immédiate. Le trait de l’autrice, qui déjà n’est pas particulièrement élaboré, assez enfantin même, paraît comme compressé dans un livre trop petit pour lui.
Crescendo
Pourtant, c’est une œuvre d’une grande poésie. Dès le début de la BD, j’ai apprécié la qualité de son écriture, d’une grande rareté. A cela s’ajoute la beauté de la composition en noir et blanc. C’est alors le dé-clic. Les figures de Zeina Abirached, d’apparences simples, sont en fait associées pour créer des ensembles riches et complexes. Ainsi, si le découpage peut parfois paraître redondant, d’où une certaine pesanteur, il est finalement contrebalancé par la maestria de la composition, qui monte en puissance : répétition des motifs, des mots, des onomatopées, des notes de musique... qui tapissent parfois le fond des décors ; géométrie des formes, dans un style persan ou années 60 ; jeu sur les marges et disparition progressive des contours des cases, des frontières ; pleines pages, gros plans parfois radicaux ; schémas et cheminements pointillés, qui contrastent avec la musicalité de l’œuvre...
Allegro
J’avoue, Zeina Abirached a su me toucher au cœur plusieurs fois, dans ce récit polyphonique, évoquant son aïeul musicien, l’invention du piano oriental, mais aussi son propre bilinguisme (français et arabe libanais) : « je tricote depuis l’enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux » (citation extraite d'une double page du centre de l’album, mêlant auto-représentation, calligraphie arabe, police Times sur fond uni de « clic » noir et blanc). Et ce chiasme, ce déhanchement permanent pourrait-on dire, est repris allègrement dans cet art si élégant et personnel qui est celui de Zeina Abirached, dénué de pathos mais avec une profondeur aiguë.
Forte
Un hors-série de la revue les Cahiers de la BD qui analyse avec justesse les 8 premiers albums de XIII. Au menu : interviews des auteurs, décryptage du scénario y compris dans ses premières versions, des ficelles narratives de Van Hamme, des personnages dont le charismatique major Jones, du trait brumeux de Vance, de sa composition graphique dynamique, des easters-eggs, des références au cinéma et à la pop-culture, de la colorisation gouachée de Petra... Sans éluder quelques archaïsmes, comme la place des femmes et le vocabulaire assez sexiste de l’œuvre.
Au final, j'ai trouvé ces Cahiers de la BD - Hors Série très réussis. C'est clair, c'est lisible, c'est assez complet, bienveillant même et profond. Pour moi, c'est une synthèse indispensable, qui contient les clés de compréhension de la série XIII.
Je dois dire que je n’ai pas trouvé cette BD géniale...
Alors oui, son sujet est touchant, racontant l’histoire de l’adoption de l’autrice, Sophie Darcq, partie de la Corée pour la France à 4 ans... Où plutôt, je rembobine, celle-ci narre le voyage mémoriel qu’elle a entrepris, vers sa famille biologique, à la fois spatial et temporel, pour retrouver ses origines, et des bribes de souvenirs.
Mais, contrairement à ce que laisse entendre Fabrice Neaud en préface, je ne trouve pas que le sujet de l’adoption soit un thème sous-exploité en BD. Il y a pléthore de fictions où le héros est adopté (Superman et d’autres super-héros, les héros de Van Hamme comme XIII et surtout Largo Winch, Pinoko dans Blackjack, Monster d’Urasawa...) et plusieurs BD en ont déjà fait leur « sujet » par le passé : la série L’adoption par exemple, ou Yuan : journal d’une adoption de Marie Jaffredo, et surtout Couleur de peau : miel (publié à partir de 2007) de Jung (lui aussi originaire de Corée) ainsi que d’autres de ses livres...
Néanmoins, il est vrai que cette néo-autrice amène un regard différent sur l’adoption, en l’associant notamment avec la notion de sororité. Car, elles sont en effet 5 sœurs : c’est-à-dire elle, Sophie, ses trois sœurs d’origine coréenne et l’aînée d’origine française, adoptées également (on les voit sur la couverture, toutes avec leurs hanboks, vêtements traditionnels coréens). J’aurais d’ailleurs aimé que Sophie Darcq développe encore plus cet aspect, qui m'intéressait tout particulièrement et mériterait d’être approfondi en BD, d’être exploité autrement que ne l’ont fait Cazenove ou Vivès par exemple... Une idée pour un autre album.
D’ailleurs, j’aime beaucoup ces personnages sans visages, que l’on retrouve sur la couverture et dont l’identité se précise, au fur et à mesure du récit.
Pourtant, je n’ai pas été emporté immédiatement par les dessins noirs et blancs de Sophie Darcq.
L’esthétisme de cette œuvre évolue dans un doux et mélancolique chaos : entre le style rapide et lâché des carnets de voyage, le manga caricatural (intermèdes qui, je dois l’avouer, m’ont parfois gâché le plaisir de lecture), ou encore la précision de certains croquis, inspirés de photographies retrouvées au compte-goutte
Ce style, composite, allie des éléments que j’avais déjà vus chez d’autres auteurs, dont ceux qui l’ont aidés dans son travail : je pense immédiatement à Fabrice Neaud (dont la précision du dessin est connue) et aux auteurs d’Ego comme X (le nom est suffisamment éloquent...), à l’éditeur Jean-Christophe Menu de l’Association (autodidacte et anticonformiste), ou même au compagnon de l’autrice, Matthias Lehmann (au style parfois très cartoon), qui a lui même sorti un ouvrage à teneur autobiographique en 2023... tous deux sélectionnés au Festival de BD d’Angoulême. Il y a comme un écho...
Malgré la sensibilité narrative et artistique de cette œuvre, je dois donc admettre qu'elle ne me marquera probablement pas durablement.
Mais, je suis tout de même tombé des nues, parce que pour un premier roman graphique, il y a quelque chose d'extraordinairement attachant.
La couverture sombre et glaçante de cet opus, représentant Satô à demi encagoulé vissant le silencieux de son pistolet semi-automatique, contraste avec le dos de la jaquette, où figurent de naïfs dessins de noël. Tout un programme....
Car ce tome est assez marquant, non pas pour ses scènes de violence froide et calculée, mais plutôt pour son évocation de la fête... En effet, après les moments difficiles que l’auteur a fait vivre à ses personnages, Katsuhisa Minami les met en scène déguisés, mangeant des sushi et se soulant entre amis... Une représentation plutôt fidèle du noël japonais en réalité.
Et c’est hilarant. Parce que l’auteur sait jouer une fois de plus de la tension entre la dangerosité d’un tueur de sang-froid, potentiel que Fable cherche à cacher à tout prix, et son incapacité à se comporter normalement en public, que ce soit dans ses gestes, ses expressions ou ses prises de parole. Fable cherche d’ailleurs à s’intégrer à la société en s’investissant dans un boulot normal mais mal payé, comme a pu l’expérimenter l’auteur lui même, ce qui rend son personnage principal d’autant plus touchant. S’ensuivent des dialogues lunaires, des situations burlesques à base de jeux d’alcool (sans modération) et autre concours de bras de fer plein de dérision.
Mytho-logique !
Ce diptyque n’était vraisemblablement pas fait pour moi...
Car, si la proposition graphique de l’autrice est tout aussi lisible qu’accessible, je dois bien avouer que je ne suis pas très sensible à son trait : les visages de ses personnages ressemblent trop à des patates, avec des visages sans nez prenant parfois la forme de becs (en particulier la maman)... D’ailleurs, malgré une composition des planches élégante et des couleurs chatoyantes, les décors ne sont pas très élaborés non plus. Dur de m’y immerger...
Le propos du livre, qui évoque les affres de la gémellité vue de l’intérieur, est intéressant. Le storytelling graphique de cette œuvre est d’ailleurs beaucoup plus complexe que ne l’est le dessin en lui même. Indubitablement, c'est dans ce sens que Florence Dupré La Tour a su saisir mon attention, éclairer ma lanterne, faute de me séduire. Mais je dois aussi avouer que je me lasse de ces BD auto-centrées...
J’aurais lu finalement les deux tomes, plutôt destinés à des gens proches de sa situation à mon avis, qui y seront ainsi plus sensibles.
Un titre lourd de sens...
...adouci par les nuages de la typographie et une couverture colorée, où figurent trois enfants, s’amusant à taquiner un poivrot, dans un champ de pâquerettes. Dès lors, on sent bien que l’autrice Aroha Travé n’ira pas par quatre chemins pour narrer les péripéties de ces gosses, dans leur village fictif...
Cette BD, empreinte de culture fanzine et underground, est moins accessible qu’il n’y paraît au premier abord. Pour ma part, je dois avouer que j’ai été dérouté par la (trop) grande finesse du trait d’Aroha Travé, pas très lisible dans ce petit format, ainsi que par une composition très simple (gaufrier en 3x2 cases), qui contraste avec la richesse du découpage et le fourmillement des détails. J’ai également été marqué par les propos outranciers des personnages, par la dureté de leurs vies, ainsi que par les décors décadents qui les entourent. Par empathie, même s'ils peuvent parfois être grotesques voir dangereux, je n'ai eu aucune envie de me moquer de ces personnages, trop emblématiques du petit peuple et comme broyés dans un système.
D'ailleurs, ils ont tous beaucoup de relief, ne se laissent pas complètement démonter, et on finit par s’attacher, mais plus aux enfants qu'aux parents, plus aux doux qu'aux violents... Après tout, il n’y a pas que la Syrie qui est touchée par la pauvreté, c’est aussi le cas dans nos pays développés, où les inégalités ne cessent de se creuser, notamment à l'école.
Ainsi, j’ai fini par m’immerger dans cet univers précaire, mais aussi par adhérer au propos de cette BD, au ton tragi-comique. Parce qu’il y a des problématiques de société, révoltantes et parfois criantes de vérité... Parce qu’il y a de l’humour, assez absurde et avec des situations abracadabrantesques, tout en conservant un lien avec le réel... Mais aussi parce que l’autrice sait prendre le contre-pied de ce misérabilisme, à l’image des enfants qui trouvent toujours un moyen de jouer, pour nous faire esquisser un sourire...
Pour moi, c’est une sorte de Tom et Nana, mais en beaucoup plus cru, punk et trash.
Parfois j'ai grincé des dents, d'autres fois je me suis retenu de verser une larme.
Désorientant,
Suicide Total est une BD « border line », en marge, à la fois dans son propos et dans son style graphique, Julie Doucet (Grand Prix d’Angoulême 2022) s’étant affranchi de la contrainte des cases. Tout est en noir et blanc et on ne sera pas étonné de voir des scènes de sexe ou des menstruations.
Le début du bouquin est un peu raide, écriture/dessin automatique oblige et Julie Doucet étant en plein redémarrage, après avoir délaissé ses fanzines à consonance autobiographique pendant très longtemps. La deuxième partie a été plus à mon goût, quoique je lui préfère quand même ses œuvres de jeunesse, à l'énergie inégalable.
Ce n’est pas non plus un authentique album, puisque « Suicide Total » prend originalement la forme d’une longue fresque dessinée, d’un leporello de 20 mètres, compressé en une centaine de pages dans cette édition de L’Association. Alors on observe, on lit, de bas en haut (les dessins ayant été croqués dans ce sens), mais aussi de droite à gauche, en diagonale, en roulant les yeux comme un fou ou un drogué...
Puis, je suis les bulles, rares fils directeurs dans ce flux anarchique, ce déchaînement de traits noirs. Je m’en tiens au rythme, cadencé par la quantité des objets et autres personnages, unité de mesure de ces entrelacs, dont les têtes apparaissent parfois par séries, par vagues... Poétiques et musicales, certaines images sortent du lot, contrastent la composition, invitent à prendre le temps. Tandis que la profusion des monologues de Doucet donne parfois envie d’accélérer... Anxiogène.
Alors, on découvre quelques moments de sa vie, des rêves, des thématiques qui lui sont chers... Cela peut choquer, car ce n’est pas pour rien que la BD s’appelle « Suicide Total »... ou au contraire être encourageant, tant Julie Doucet est une artiste engagée, dans son art, dans les sujets qu’elle aborde...
Pour vivre pleinement l’expérience, je ne suis pas allé jusqu’à prendre du LSD (plutôt crever...), par contre je me suis écouté les références musicales de Doucet, indiqués en conscience dès la page de titre : Christian Death, Joy Division...
A la manière dont on apprend une nouvelle langue, il est finalement difficile de comprendre la BD de Julie Doucet à la première lecture, en tout cas de s’en faire une idée précise, arrêtée. Par contre, on n’en ressort pas sans émotion, ni sans un sujet de débat pour faire grandir nos communautés, celles de France, du Québec, de la BD...
...Une expérience différente.
La série s’achève avec le début de la guerre civile syrienne en 2011...
Sur cette nouvelle couverture, on observe Riad et son père, qui regardent le ciel, que le patriarche pointe du doigt, alors qu’ils s’avancent dangereusement vers le gouffre d’une falaise (référence aux premiers albums, où ils se baladaient au cap Fréhel). Derrière eux, au second plan, Clémentine semble perdue, tandis que Yahya la suit l’air de rien. Tout au fond, un mur délabré, où la figure de Bachar Al-Assad est criblée de trous de balles et autres impacts d’obus... Des nuages bleus entourent la scène. On retrouve cette ambiance de délabrement sur la quatrième de couverture, où les câbles ressortent des murs complètement explosés. Des sacs poubelles éventrés jonchent le sol, clin d’œil aux lubies d’un des ses grands-pères, qui sombre peu à peu dans la sénilité à cette époque. Binational, les couleurs des deux drapeaux de Riad Sattouf sont réunis, bleu-blanc-rouge et rouge-blanc-noir-vert (qu’on retrouve dans la plupart des pays arabes, le rouge étant la couleur du sang versé par les martyrs, le blanc celle des califes Omeyyades de Damas, le noir celle des califes Abbassides qui leur ont succédé, le vert symbole des quatre califes successeurs de Mahomet dits les « bien guidés »). Dans ce décor surréaliste, empreint de symbolisme et d’art-thérapie, ressort Riad Sattouf, toujours colorié en blanc, ainsi que son farde vert, le dessin étant devenu sa nouvelle patrie, sa religion, ce en quoi il croit.
Cette série m’aura tenu en haleine pendant plusieurs longues années. Néanmoins, elle n’a pas répondue à toutes mes questions et j’avoue que je ne serais pas contre quelques précisions, tant la période couverte par cet album est longue (1994-2011)... J’ai apprécié tout de même de (re)découvrir la formation et l’éclosion du jeune bédéiste, animé par une curiosité équivoque, avant son ascension fulgurante dans les années 2010. La fin répond également à certaines des attentes que j’avais depuis le tome 4... Une manière assez naturelle de conclure ce récit autobiographique, même si je reste sur ma faim. Mais, après tout, cela reste sa vie privée, dont il nous dévoile que ce qu’il veut bien. D’ailleurs, si j’avais dévoré le livre à sa sortie, j’ai encore plus apprécié ce tome lors de ma récente relecture, notamment parce qu’il est nécessaire d’avoir une certaine connaissance de la carrière et de l’œuvre de Riad Sattouf pour tout comprendre. J’ai aussi été moins heurté par la tristesse de certains passages, moins surpris par les événements, moins ennuyé par les narratifs et autres dialogues ou mails à rallonge. Cependant, j’ai apprécié encore plus la tension de ce récit, autour des retrouvailles avec Fadi, mais aussi de la carrière de Riad Sattouf, qui aurait très bien pu ne jamais décoller, s'il avait continué à procrastiner... Pourtant, il y a toujours cru, et c’est probablement sa principale force : « Ayant eu, dès l’adolescence, un égo géant, j’avoue avoir rêvé de publier des livres avec mon nom dessus, avoir rêvé d’avoir du succès, avoir rêvé que des journalistes du Monde me posent des questions sur mon travail... ». Il sait cependant aussi faire preuve (d’un peu) de modestie : « Mais, en ce qui concerne le Grand Prix d’Angoulême (il l’a obtenu quelques mois après la sortie de cet opus), vraiment je n’y ai jamais pensé. Passer après Druillet, Moebius et Bilal était trop abstrait, inconcevable ».
Riad Sattouf, après avoir fait des albums sur un ton un peu trash, qui a plu à l’adolescent que j’étais (Pascal Brutal, Retour au Collège...), a su s’adresser à un public plus large, plus adulte, essayant de « faire des BD pour des gens qui n’en lisent pas »...
...Et, c’est l’apothéose.
Est-ce que Riad Sattouf est un génie ?
Malgré un succès retentissant en BD, peu de médias lui donnent ce qualificatif.
Certes, il a le "génie du titre" (qui n'est pas sans faire penser à un chef d’œuvre d'Emile Bravo, L'imparfait du futur), comme le dit poliment Anne Douhaire-Kerdoncuff sur France Inter, "L’Arabe du futur ça claque, ça surprend" (2014). Il sait aussi attirer l’œil par ses couvertures.
Celle du tome 5 se démarque des précédentes par ses couleurs, même si j’avoue que ce n’est pas celle que je préfère. Clémentine avance vers la droite, dans un survêtement de sport qui entre en dissonance avec son geste de prière. Elle est marquée par les cernes, signe d’une dépression, assez compréhensible vu ce qu’elle traverse... mais sourit tout de même, béatement. Les deux fils qui lui restent la suivent, esquissant un léger sourire, leur cartable derrière le dos. Au loin, la plage et la mer, qui s’étendent à perte de vue (on se croirait à la fin des 400 coups de Jean-Luc Godard, réalisateur modèle pour Riad Sattoud). Sur la falaise, un phare, qui fait immédiatement penser au cap Fréhel, en Bretagne. Mais la série, qui a pris un tournant particulièrement dramatique, ne passe pas au "Gwenn ha Du", mais bien au bleu, blanc, rouge. Les couleurs du drapeau syrien sont ainsi remplacées par celles de la France, où se déroule désormais l’action. Si Fadi a disparu, le visage du "père Sattouf", pourtant condamné par la mère de Riad à la "damnatio memoriae", faute de justice, reste présent sur la première de couverture. Ces bouts de photographie s’enfoncent peu à peu dans l’oubli. En quatrième de couverture, les trois frères demeurent symboliquement unis dans le cadre qui surmonte la télé. On veut garder le souvenir de Fadi. Le taureau a lui disparu, envolé pour la Syrie, peut-être définitivement ?
Comme d’autres, je trouve que ce tome est moins abouti que les précédents (mes préférés étant les tomes 3 et 4). D’ailleurs, je ne me suis pas délecté du trait de Riad Sattouf, mais plutôt de la complexité de son récit, qui me transporte toujours. Je reste sans cesse bouche-bée devant cette série à cœur-ouvert. Rares sont ceux qui se sont autant livrés sur leur histoire personnelle en BD, à part peut-être Fabrice Néaud et d’autres de ses compères d'ego comme X...
Mais, même contre vents-et-marée, pour sa mère et sa grand-mère il demeurera toujours un "génie du dessin", tout comme pour sa professeure d’arts-plastiques (personnages que l’on retrouve dans cet opus). Je ne peux qu’applaudir ces femmes, qui ont su encourager le jeune Riad, à persévérer sur sa voie, celle de l’art. D’une certaine façon, on leur doit aussi cette série admirable, elles qui ont su gonfler l'égo de ce cher Riad.
Pourtant, il a rarement été LE meilleur dessinateur (au collège, il est déjà concurrencé par d’autres élèves, comme son copain Grégory). Son père n’approuve d'ailleurs pas sa démarche (en même temps, ce dernier fait de plus en plus figure de contre-modèle pour son fils aîné). Riad Sattouf lui même semble osciller entre une forme d’assurance, voir d’arrogance, et des doutes, un mal-être profond.
Mais, comme il a pu le dire en interview, Riad Sattouf n’a jamais baissé les bras, contrairement à d’autres de ses collègues, dégoûtés par ce métier trop ingrat. Dès sa jeunesse, il s’obstine et s’inspire de certains des plus grands maîtres de la BD (Bilal, Druillet et Moebius), sous l’influence d’une copine qu’il aime en secret, alors qu'il avait déjà découvert Tintin beaucoup plus tôt, par le truchement de sa grand-mère. La vie précaire d’auteur ne semble pas lui faire peur (mais il faut avouer que, d'une certaine façon, c’est plus facile de le raconter lorsque l’on a explosé le Box-Office BD...) et il est fasciné par l’œuvre d'H. P. Lovecraft depuis le collège, auteur à la destinée tragique... Au final, il suit un parcours assez simple pour mener à bien son projet artistique (littéraire, avec une option art dans un lycée rennais) pour finir par intégrer la prestigieuse école d’animation des Gobelins (raconté dans le tome 6), soutenu par sa famille bretonne (notamment son grand-père, qui a payé ses études à Nantes).
D’une certaine façon, on pourrait se dire que Riad Sattouf n’a pas un talent immense, qu’il n’a réussi que par la chance, un certain entêtement, le soutien de ses proches, ou une série de circonstances favorables à sa réussite. Je constate cependant que Riad Sattouf a su révéler une forme de génie, un talent lié à son labeur, à son expérience de la BD, du cinéma d’animation, de la presse, et plus largement de l’art et de la vie, entre Orient et Occident. La quantité phénoménale de commentaires et de critiques positives qui encensent l’Arabe du futur vont dans ce sens, surtout qu’on y trouve toutes les catégories d’âge, tous les sexes... Qui mieux que Rémi George avait auparavant touché un public aussi large en France ?
Si l’on compare avec des auteurs de sa génération, c’est-à-dire de la "nouvelle vague", il me semble plus prolifique que Satrapi, plus précis dans son dessin que Trondheim, moins déprimant que Larcenet, plus rigoureux que Sfar, plus constant et moins de droite que Blain, plus charismatique que Sapin, plus commercial et moins de gauche que Milhiet... avec en plus cette casquette de cinéaste (Les Beaux Gosses, Esther...). S’il attire des jalousies, c’est d’ailleurs qu’il a un certain brio... Néanmoins, il s’est aussi inspiré des autres (dont ceux que j'ai cités plus haut).
Pour moi, si son trait est assez particulier, il n’en demeure pas moins l’auteur de BD le plus complet du XXIème siècle, avec plusieurs bottes secrètes : l’accessibilité de ses histoires et la clarté de son trait pourtant flageolant, un regard presque de journaliste sur les jeunes et leurs problèmes, des caricatures de canailles et autres gredins, la mémoire d’une vie syrienne et une mise en scène plus que convaincante, jouant parfois aussi sur les symboles...
Même si je comprends certaines critiques à l’encontre de son travail, ses multiples récompenses, au FIBD ou à l'international, dans la BD comme au cinéma, me semblent amplement justifiées.
Il est l’un des bédéistes qui m’aura le plus marqué et des BD... j'en ai lus par milliers.
Belle adaptation du roman de Gaël Faye, en format BD et dans la veine franco-belge...
Par les auteurs de la série Mirza (une chronique BD à caractère autobiographique, sur la Pologne communiste, paru initialement dans le magazine Spirou), c'est-à-dire Marzena Sowa (au scénario) et Sylvain Savoia (au dessin).
Petit pays raconte de manière simple et accessible l'histoire d'un jeune garçon vivant au Burundi, pourtant empêtré dans un contexte géopolitique complexe, celui du génocide rwandais (1994) et de la guerre civile au Burundi (à partir de 1993)... Deux petits pays voisins d'Afrique orientale, marqués par des tensions entre les ethnies Hutu et Tutsis.
Le point de vue narratif, un peu décalé par rapport aux événements tragiques qui secouent la région, apporte une forme de réalisme au récit, se concentrant sur des scènes de la vie quotidienne de l'enfant, sur son regard et ses sensations.
Néanmoins, on ressent dans les relations entre les personnages, leurs discours, leurs jeux, le passage à l'adolescence... les fortes inégalités de la société burundaise. La violence du colonialisme et de la discrimination des peuples africains s'immisce dans toutes les strates de la société, peut se retourner contre tout le monde, y compris les dominants. Dès lors, le cours de cette roue tragique du destin paraît insurmontable... Il n'y a quasiment plus d'espoir, on voit arriver l'horreur de ce vaste mouroir...
Les auteurs de la BD on su retranscrire la part autobiographique du roman. L'expérience de Gaël Faye, né au Burundi d'un père français et d'une mère rwandaise (réfugiée à Bujumbura après le début des persécutions contre les Tustis, dans les années 1960), est tangible. On retrouve dans cette BD les thèmes, les champs sémantiques du slam de Gaël Faye. Une poésie engagée qui lui permet aussi "d'extérioriser sa douleur de l'exil et de se reconstruire".
Ainsi, cette BD est aussi d'une grande profondeur émotionnelle.
« ...Et de pays en pays, il pédale, il pédale.
Et de guerre en maladie, il pédale, il pédale... » (extrait de Pili pili sur un croissant au beurre, Gaël Faye)
Maître du franco-belge "beurre-salé" et lui même élève de Franquin...
Jean-Claude Fournier met en image sa "vie de rêves", dans une succession d’histoires plus ou moins courtes.
Féérique, on apprend ainsi comment plusieurs moments de sa vie, imprégnée de culture celte et de BD, sont à la source de son parcours d’auteur, de sa narration.
Bienheureux aussi les moments passés avec Franquin, qu’on ne présente plus et qui le prit sous son aile. Instructif.
Néanmoins, il y a quelques mauvais rêves, lorsque Fournier doit affronter une cabale éditoriale pour la suite de Spirou par exemple. Un crève-cœur pour tout amoureux du travail du Breton sur la série phare de Dupuis...
Le reste du bouquin prend la forme d’un dossier, avec des commentaires de Fournier, des fac-similés de son travail (crayonnés, scénarimages et autres surprises).
Alors qu’il s’était cantonné à des récits de fiction (que j’aime énormément), que ce soit dans le style de l’école de Marcinelle (Spirou, Bizu) ou même semi-réaliste (Les chevaux du vent, Plus près de toi), après Dans l’atelier de Fournier de Nicoby et Joub (que j’aime beaucoup aussi)...
...il se résout à faire lui même un saut bédéesque dans l’égo-histoire (que j’aime toujours).
Une belle BD à offrir....
...qui raconte le destin mêlé de trois poètes français : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Germain Nouveau. Cela m’a rappelé mes cours de français... et donné envie de me relancer dans des recueils de poésie.
Et quel bonheur de découvrir une BD, admirablement scénarisée et illustrée sur ce thème. Dès la couverture, on est plongé dans un monde de soiffards et de marginaux, qui nous saisit, nous remue... puis nous berce par la riche sonorité de ses poèmes.
Les dialogues sont très convaincants et j’ai apprécié ces « scènes polyphoniques », qui m’ont rappelé la narration en miroir de François Ayroles. J'ai cependant été un peu heurté par les traits de certains personnages : le visage de Germain Nouveau manque de relief et d’expressivité à mon sens, contrairement aux deux autres. Mais l’ensemble reste extraordinairement lisible et j’ai pu m’égarer dans certaines cases, comme cette scène qui sort de l’ordinaire à la fin de la page 110, où Rimbaud semble se noyer dans sa cabine. Surtout, pour un récit qui se déroule dans les années 1870, le style impressionniste de l’œuvre fait sens. Il y a d’ailleurs un certain nombre de références à Cézanne.
A lire et à partager.
Le climax de la série...
...qui permet aussi à Riad Sattouf de se libérer d'un tabou familial.
En apparence, la couverture est semblable aux trois autres. Mais l’arrière-plan s’est considérablement assombri, rehaussé par un dessin vert, représentant Sadam Hussein en chef de guerre. A gauche de l’image, juste en dessous de la figure du dictateur, on voit Abdel-Razak Sattouf, le père de Riad. Il semble s’éloigner, car sa silhouette s’amenuise et il esquisse un geste d’adieu. De l’autre côté, on distingue le reste de la famille, la mère Clémentine et ses trois fils. Au premier plan, ils semblent beaucoup plus grands et s’avancent vers la droite, vers leur futur. Comme toujours sur les couvertures de cette série, Riad Sattouf est colorié en blanc, ce qui le fait ressortir par rapport aux autres. Il est maintenant adolescent et répond au salut de son père, avec un beau sourire et un geste de la main. En quatrième de couverture, le taureau paternel est toujours là, placé au-dessus de la télévision, au milieu des jouets des trois garçons.
Par-delà l’œuvre et le renom de son auteur, Allary Éditions a encore fait du très bon travail, que ce soit pour l’objet BD ou son marketing (nombreuses interviews, publicités etc.). En 2016 à titre d’exemple, le tome 3 de L’Arabe du futur avait été tiré à 220 000 exemplaires (Gilles Ratier – ACBD). Au jour d’aujourd’hui, la série a atteint le cap des 3 millions d’exemplaires vendus en France (Allary Editions) et dans le monde, dans plus d’une vingtaine de langues (dont le coréen, le catalan, le grec ou le japonais, mais toujours pas en arabe).
Quoique plus volumineux que les autres (288 pages), le tome 4 de l’Arabe du futur garde une forme similaire. En mains, cette BD à la couverture souple et au papier épais reste très agréable à lire. La constance de la forme et de son contenu rassurent, tout comme sa charte graphique, qui demeure toujours la même. Rien n’a changé : que ce soit le trait du stylet tactile, la composition des pages, le lettrage biscornu parfois souligné à la main... Pourquoi changer, après avoir trouvé l’alchimie parfaite, les clés de la réussite ?
En effet, la série reste toujours aussi accrocheuse, presque addictive, avec un sujet de société fort, qui arrive à son point culminant. La technique du cliffhanger, propre aux séries à succès, est maîtrisée, quasiment de manière naturelle, puisqu’il s’agit de l’histoire personnelle de l’auteur...
De plus en plus intense, le drame n’est pas loin... D’aucuns se retrouveront dans ce déchirement familial ou cette vie éclectique. La majorité pourra toujours s’identifier au jeune Sattouf, ou à l’un de ses camarades de classe, face aux difficultés du collège et de l’adolescence. Je ne peux que me réjouir du regard nouveau porté par Riad Sattouf sur ce thème (cela depuis Retour au collège).
L’AduF c’est aussi une série qui évolue, puisque Riad grandit. On le voit dès les premières pages, notamment à la page 7 où l’auteur décrit sa propre évolution physique, avec des informations fléchées emplies d’auto-dérision... En accompagnant le jeune Sattouf dans son histoire, on redécouvre aussi des émotions, celles de l’adolescence et en premier lieu de l’apprentissage de la sexualité.
On constate également que la série est plus longue que prévue, puisqu’elle avait été annoncée initialement en 3 tomes. Est-ce parce que Riad Sattouf a eu un afflux de souvenirs, comme il l'évoque en interview ? La bonne fortune de son projet lui a donné les moyens de le prolonger.
Pourtant, la "loi des séries" veut aussi que certains problèmes reviennent constamment. Ici, la famille fait inéluctablement des allers-retours entre la Bretagne et la Syrie (bien malgré eux), le père de Riad accumule les mensonges...
Est-ce que l’on reverra sa figure taurine dans les prochains tomes ?
Inquiétant...
BD que je viens de relire...
...car elle se trouvait dans la bibliothèque de ma compagne.
J'ai dû me forcer un peu, car la composition plutôt monotone de Joann Sfar (gaufrier en 3x2 cases), le dessin lâché, le rendu aléatoire des personnages, les narratifs... me rebutent au premier abord. C'était pareil plus jeune.
Cependant, après quelques planches, je me suis pris au jeu : celui d'entrer dans le monde des Juifs séfarades (Juifs d'Espagne ayant été expulsés de la péninsule vers le Maghreb après la prise de Grenade par les croisés en 1492), à travers les yeux d'un chat, amoureux de sa maîtresse. Celui-ci réclame à son maître le droit de faire sa Bar-Mitsva (statut de majorité religieuse acquis par les jeunes garçons juifs, à l'âge de 13 ans), après avoir miraculeusement obtenu le don de parole.
Je trouve que le point de vue animal permet de donner du sens aux approximations, aux déformations du trait et de l'histoire. Une forme de poésie émane aussi de ces planches, aux motifs chamarrés et au symbolisme appuyé.
L'autonomie du chat permet également de se balader dans la ville, de découvrir la société partagée entre Islam et Judaïsme et de développer un panache d'intrigues sur le thème de la tolérance et de la religion.
Ce sphynx a aussi beaucoup d'humour et aime poser des questions délicates. On retrouve ici l'un des traits de l'archétype félin, d'une grande malice... Il n'en est pas moins séducteur et gourmand.
Je dois pourtant avouer que la BD manque parfois de repères, pour se faire une idée précise de la voix du chat par exemple (lettrage). De ce fait, j'ai trouvé le film d'animation de Sfar beaucoup plus abouti et accessible.
Néanmoins, cette BD jouant sur les impressions, est plus sensible et admirablement bien découpée et j'ai pris plaisir à redécouvrir cette histoire positive...
...tout en prenant le temps d'observer ses détails.
BD du réel, L’Arabe du futur réveille aussi chez moi des émotions bigarrées.
La couverture, saturée de rouge, évoque de chaudes expériences, celles de la famille Sattouf à Ter Maaleh : que ce soit l’angoisse de l’école syrienne, à laquelle Riad doit faire face de nouveau, mais aussi la toxicité d’Anas et Moktar, ou encore la découverte des films de Conan Le Barbare... Personnage central, comme l’indique son coloris blanc, Riad est porté par son père dans un geste attendrissant. Leurs visages se reflètent dans un miroir vert, symbole d’une triste évolution : malgré le lynchage d’une cousine éloignée, le patriarche, dont les cheveux commencent à blanchir, renoue peu à peu avec ses racines et malheureusement aussi avec la religion... Comme pour les couvertures des tomes précédents, celle-ci relève de plusieurs chiasmes, des oppositions entre le réel et l’irréel (paroi amovible avec un robinet qui coule, quasi surréaliste), la scène et ses coulisses, l’insouciance de l’enfance (mines enjouées) et la gravité de la guerre (hélicoptère), la mobilité et ce qui ne bouge pas, immuable... Impression qu’accompagne la figure désormais familière du taureau.
Les personnages, parce que caricaturaux, appellent la sympathie dans toute la série. Leurs traits d’un réalisme minimal, nous cèdent une part d’interprétation, d’imaginaire. Mû par une forme d’empathie, je peux ainsi sourire de la facétie de certains personnages, comme celle du père, même si ce dernier avive en moi des sentiments mêlés : crainte, dégoût, mépris... Toujours aidé par le déroulement des textes et des images, je déplore également l’expérience syrienne de la mère, qui sombre peu à peu dans la dépression, ou même de Yaya, qui est maltraité par son aîné à l'image de ce que font ses parents... Plein de relief, on apprend à connaître les personnages, qui grandissent d’album en album.
Indubitablement, Riad Sattouf sait transcrire une palette développée de sensations et d’émotions en BD, notamment celles qu’il traverse lui même, esquissées en quelques traits : la curiosité ou l’étonnement avec la bouche bée, l’amusement et les plaisirs de sa jeunesse avec un sourire plus ou moins léger, un certain sadisme avec un trait long et épais au dessus de ses yeux écarquillés, le dédain ou l’ennui avec ses joues gonflées, la peur, la souffrance ou la fascination absolue avec des yeux qui s’allongent en dehors de leurs orbites, la faim et la soif par les gerçures des lèvres, l’arrogance avec sa bouche ondulante, la timidité par des hachures sur ses joues rouges... Mais la plupart du temps, le jeune Riad adopte un visage neutre, regardant vers le milieu de la case. Omniscient, il est autant spectateur de ses souvenirs, qui rejaillissent de plus en plus distinctement, que nous...
Je trouve que la profondeur des personnages, de leurs personnalités, de leurs interactions, de leurs sensibilités... est esquissées avec talent. J’irais même plus loin, pour moi l’humanité des personnages, au sens philosophique du terme, atteint un niveau inédit en BD. Cela a participé pleinement à me plonger dans cette jeunesse syrienne. J'ai pris plaisir à partager avec le narrateur des moments de sa vie, particulièrement singulière et instructive, tout en gardant le confort de mon divan...
Après ce tome, je n’ai plus jamais décroché et je me suis empressé d’acheter chacun des albums à leur sortie !
A l’époque, je lisais moins de BD et je n'en avais que quelques unes dans ma bibliothèque...
Une lecture utile à tout fan de Star Wars, pour comprendre le contexte de sa création.
En effet, Les guerres de Lucas raconte avec brio les déboires du cinéaste éponyme, pour sortir son premier grand film de science-fiction. Il était alors un jeune réalisateur dans le Vieil Hollywood. C’est la fameuse Guerre des étoiles, film qui aura marqué l’enfance de beaucoup...
Et quel plaisir de voir l’envers du décor, de se rendre compte des défis du projet et de la chance qu'on a eu qu’il voit le jour. Les dialogues, imaginés par Laurent Hopman, sont accrocheurs. Je n’ai pu m’arrêter de tourner les pages avant d’avoir terminé la BD.
Or, elle n’est pas seulement divertissante, elle est aussi didactique et particulièrement instructive... Pas besoin de flèches, de schémas explicatifs ou de monologues sans fin... un bon story-board, une narration graphique passionnée et sourcée suffisent. La démonstration par l'image..
Ainsi, les dessins de Renaud Roche sont particulièrement bien venus : un trait jeté et d’une grande vitalité, avec des aplats de gris et quelques rehauts de couleurs... judicieux équilibre entre réalisme et épure (d’où une petite pensée pour Vivès, à la technique similaire).
En bref, c'est un ouvrage de référence sur Star Wars, rigoureux sans être austère, quoique son sujet n’intéressera pas l'ensemble des rats de bibliothèque que nous sommes et qu’il verse parfois dans le style panégyriste... C’est souvent le problème avec les biographies.
Les guerres de Lucas n’en demeure pas moins un chef-d’œuvre.
Je lirai avec envie la suite, quand elle verra le jour...
BD pré-commandée à 17 euros...
C’est un produit dérivé du premier cycle des 5 Terres, Angleon, avec l’un de ses félins emblématiques, Demeus Lor.
On comprend rapidement que le spin-off se situe chronologiquement à la fin du cycle 2, après l’attaque des Ours, puisqu’ils envahissent l’île où réside Demeus. Ce dernier devra alors choisir entre collaborer avec l’ennemi ou entrer en résistance...
Le scénario, tourné sur une occupation allogène, aurait pu être particulièrement profond, soulevant certains problèmes : rencontres ou tiraillements entre la morale et les défis de subsistance, individualismes ou logiques de groupe, violence ou tolérance, tyrannie ou justice, politique du moindre mal, collabos, résistants ou ceux qui s’en soucient comme d’une guigne...
Or, si on sent une volonté d’amener de la nuance, l’histoire est traitée de manière trop superficielle, sans grande énergie, les dialogues en soulignant même la faiblesse... Quelques exemples : dans le contexte des guerres en Ukraine et en Palestine, ou de la sortie d’albums brillants sur la Résistance, qui pourrait croire à un gouverneur ours surnommé « Fharok le naïf » ou à une cachette « qu’un enfant de quatre ans aurait pu deviner ». Est-ce un gag ?
Dans tous les cas, je n’ai pas eu ce sentiment d’immersion propre au travail de l’équipe de Lewelyn, avec ses intrigues et ses histoires filées. C’est comme s’ils s’étaient débarrassés, avaient expédié le sujet Demeus Lor, album trop court et isolé... J’espère pouvoir tourner la page avec le prochain cycle.
Car, cet album avait des atouts : le character design de Poli, tout comme les couleurs de Martinos ou les dessins, le découpage, la composition de Guinebaud, rendant une copie presque conforme du style de la série mère, même si on lui préférera Lereculey.
J’avais craqué pour le tirage limité, avec le cahier graphique. Pur marketing...
...J’ai compris mon erreur.
Une belle histoire...
Lucie Quéméner, jeune autrice de BD sortie du Bachelor de Delcourt, adapte le roman de Marie Desplechin avec succès. En effet, elle parvient à nous faire sentir la solitude de la jeune fille, qui pâtit de l'absence de ses parents, ainsi que celle de sa nounou improvisée, qui vient finalement lui apporter une présence réconfortante, un peu d’amour et de poésie dans cet environnement froid et rigide.
Le découpage est dynamique et la composition des planches fait briller les yeux, avec de nombreuses cases, des zooms, sur les mains, les visages, les objets... ou ces étoiles qui crépitent sous nos paupières.
Pourtant, je ne suis pas complètement convaincu par l’esthétisme de cette œuvre. Si j’apprécie le trait fin et épuré de Lucie Quéméner, comme une synthèse enfantine de celui de Bablet, je suis moins convaincu par ses couleurs, malgré leur douce mélancolie, à cause d’une sorte de flou dû à l’outil numérique.
Sélectionnée au FIBD 2024...
...à mettre entre toutes les mains.
Après avoir lu A prix d’or, dans un tout autre registre, je me relance dans le monde de la mine, de l’écocide et de l'avilissement des hommes avec « Environnement toxique »...
...Un roman graphique qui a eu beaucoup de succès de l’autre côté de l’Atlantique, moins sur le vieux continent, l’esthétique du livre ainsi que son titre n’ayant pas attiré les foules.
Car, si Kate Beaton s’est fortement employée pour ce pavé, son trait simple et ses têtes carré-rond ne cassent pas trois pattes à un canard. Des irrégularités dans le dessin m’ont fait sortir plusieurs fois du livre, comme à la page 75 où je venais pourtant de m’habituer au style de l’autrice. Heureusement, la BD a d’autres atouts et ses dessins renforcent tout de même l’empathie et l’identification aux personnages, le beau et le moche se diluant, se rapprochant.
L’ambiance grisâtre et fatigante des villes champignons, ou autres camps de travail, m’a régulièrement fait penser à un jeu sérieux sur Arte, Fort McMoney (2013), avec des témoignages vidéos... Un reportage particulièrement innovant.
Mais cessons les digressions et revenons à nos canards : la jeune Kate Beaton doit maintenant travailler pour payer son prêt étudiant (le futur de la France néolibérale...). Elle se retrouve employée dans une mine de pétrole de l’Alberta, à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle, bon gré mal gré...
Et, en plus des difficultés du travail, pas facile de s’intégrer... « J’aimerais bien avoir des potes. Mais ils ne veulent pas être mes potes. » (p. 137). Certains travailleurs, car il y a une très grande majorité de mecs, la voient surtout comme une source de réconfort, une poulette, de la chair fraiche...
C’est aussi ce qui explique la réplique suivante : « Là où je vais, dans le meilleur des cas, je serai une gonzesse ! Et le reste, vous ne voulez pas savoir ! » (p. 268). En effet, comme d’autres femmes partout dans le monde, elle est victime de lourdeurs récurrentes, pour ne pas dire de harcèlement, de viols...
Si l’un de ses « amis » lâche dans une de ses conversations « Les féministes, c’est juste un tas de salopes tarés qui savent pas de quoi elles parlent ! », il est rapidement blacklisté, sans qu’il ne comprenne vraiment pourquoi d’ailleurs (pages 289 et 373)... Ce ne sera pas une grosse perte.
Cependant, l’histoire de Kate Beacon est plein de relief. Sa formation d’anthropologue lui permet de décrire avec justesse cette société de mineurs, avec qui elle partage les peines et les joies. Le titre original, « Ducks », évoque la mort de centaines de canards dans des mares de pétrole... Symbole de la surmortalité des peuples autochtones et par ricochet des hommes et des femmes piégés par la violence du système capitaliste... Déshumanisant.
Une certaine expérience du Far West, bien loin de Blueberry...
Élégante et froide...
Cette BD a bénéficié d'une bonne communication à sa sortie. Les auteurs José-Louis Bocquet, scénariste d'ouvrages exigeants, et Christian Cailleaux, dessinateur accompli qui a publié la même année une suite du Rayon U, adaptent avec brio l’œuvre du romancier belge Simenon.
Dans ce thriller psychologique, une enquête est menée sur la bateau du Polarlys, où l'un des rares passagers est suspecté d'avoir assassiné une femme lors d'une soirée parisienne. Mais celui-ci demeure introuvable... L'histoire est plutôt réussie, quoique la tension narrative résulte souvent de projections masculines sur les femmes (crime sexuel, désir et frustration, drogue...).
Il y a également beaucoup de narratifs, ce qui peut décourager. Car cette BD se rapproche du style d'E.-P. Jacobs, avec un lettrage et des bulles identiques.
L'esthétisme est dans la même veine, s’inspirant notamment de Black et Mortimer pour la forme des visages, leurs expressions, le réalisme des décors... By jove !
Malgré un trait affirmé et des silhouettes bien définies, l'art du passager du Polarlys se distingue de la ligne claire par ses ombres, ses aplats d'un noir charbonneux et des couleurs pastel.
J'ai apprécié le soin apporté à la composition des planches, ainsi que la justesse de la mise en couleur. Les teintes, parfois plus vives, hiérarchisent les éléments des cases, apportant du sens au récit, y compris lorsqu'elles sont réduites à un point (sémaphore p. 57).
Enfin, j'ai aimé les scènes dans le noir, parfaitement réalisées, avec des traits rouges ou blancs pour faire ressortir le dessin, comme une gravure.
Cependant, je dois aussi avouer que j'ai eu une sensation d'ennui en lisant cette BD...
...Le polar était effectivement trop lisse.
BD mémorielle...
La couverture, quoique plus claire, reprend les principes du tome précédent, lui même inspiré de Persépolis.
La famille s’agrandit, avec un nouveau venu qui fait ses premiers pas. Quant au petit Riad, il se situe en pointe, vêtu de son uniforme d'écolier, avec dans les mains son cartable en carton bouilli et un drapeau syrien. Car, comme le dit son père, « l'Arabe du futur va à l'école ». Attendrissant...
A cela s'ajoute des portraits d'Hafez el-Assad se multipliant sans fin. L'image du bonheur familial, au premier plan, est donc contrastée par le contexte géopolitique, par le culte de la personnalité de l'autocrate syrien, en arrière-plan.
Les articles de presse ont pu insister sur le caractère "véridique" de l'histoire. Mais est-ce le cas ? Peut-on mélanger mémoire et Histoire ?
Certes, la plupart des anecdotes ont un caractère authentique et sont d'ailleurs racontées avec force de détails (la maîtresse en talons/jupe/voile, la rudesse de l'école, l'apprentissage du dessin, de l'arabe, le garde du corps désopilant à Palmyre...). Ayant une connaissance assez fine de la région, Riad Sattouf sait inscrire sa BD dans le réel. Renforçant un peu plus le sentiment d'immersion et l'intérêt pour sa BD, il intègre avec justesse des événements, des personnages, des notions propres à l'Histoire du Proche-Orient : colonisation, dictateurs, guerres, panarabisme, tiers-mondisme, islamisme, révoltes et coups d’État... Le personnage du père, professeur d'Histoire, semble d'ailleurs particulièrement attentif à l'évolution géopolitique du Moyen-Orient, qu'il commente régulièrement dans le livre, de manière instructive... ou pas. La BD compare finalement la société, la vie quotidienne difficile en Syrie, avec ce que l'on connaît en France ou en Bretagne.
Mais plusieurs fois en interview, Riad Sattouf a lui même admis la part fictionnelle de ses histoires (surtout pour le tome 6), à ne pas prendre pour argent comptant. Sans surprise, son témoignage comporte des zones d'ombre (en particulier les deux premiers tomes), la chronologie des événements de sa vie est parfois confuse et l'auteur prend naturellement quelques arrangements avec le réel, pour combler les trous de sa mémoire, magnifier sa narration ou en adoucir/censurer certains aspects. Malgré ses efforts pour collecter un maximum de souvenirs, tout en gardant du recul, il n'est donc ni exhaustif sur sa vie, ni totalement neutre. On peut même penser que son égo-histoire, qu'il relie à celle du Proche-Orient, est vue par un prisme déformant : les yeux et l'esprit de celui qu'il est devenu, c'est-à-dire un auteur de films et de BD parisien (plutôt que médecin arabe comme le prédestinait son père).
L'ouvrage comporte ainsi quelques clichés. Or, s'il y a couramment des stéréotypes en BD (on pense à Tintin au Congo...), il s'agit ici essentiellement de caricatures. En déformant, en exagérant des détails, l'identification des personnages, archétypaux, en devient plus facile. Indubitablement, l'auteur cherche aussi à faire rire, à dédramatiser. D'ailleurs, Riad Sattouf est un habitué de l'humour. Son dessin tremblotant est tout particulièrement dérisoire lorsqu'il représente Pascal Brutal dans une autre de ses BD, sur-homme qu'il n'est pas... Salutaire.
Par contre, si Riad Sattouf représente des Syriens souvent sales, ignorants, antisémites... tout comme il dessine d'ailleurs des Bretons en bottes, marinière, ciré, voir en coiffe bigoudène (alors que fréhélois...), cette vision est liée à son vécu. On pourrait d'ailleurs la critiquer, la mettre en perspective avec d'autres expériences.
Heureusement, Riad Sattouf parvient aussi à nuancer son propos, avec des figures rassurantes, comme certains de ses cousins syriens, ou d'autres éléments positifs, des "madeleines de Proust" arabes pourrait-on dire... Ainsi, on en apprend surtout sur lui, son regard, ses sensations, les moments clés de sa vie ou les petits riens qui lui ont semblé important à raconter. Il y a également des faits marquants que je vous laisse découvrir... Probablement a-t-il voulu dénoncer les dérives du fanatisme religieux, du nationalisme ou des problèmes d'éducation en Syrie.
J'aimerais cependant avoir aussi l'avis des Syriens eux-même : est-ce qu'ils seraient déçus de l'image que l'on donne d'eux ? Est-ce qu'ils en valideraient toutes les représentations ? Difficile à savoir, puisque le livre n'a pas été traduit en arabe.
Dans tous les cas cette œuvre, sortie après les printemps arabes, où les Syriens ont eu le courage de se révolter contre le dictateur Bachar al-Assad, m'a offert le témoignage le plus frappant que je connaisse de cette région.
...Unique !
Un peu déçu par cette BD...
Goiter est une anthologie d'histoires auto-publiées par Josh Pettinger. Un Comics indépendant en somme.
Cependant, je n'ai pas adhéré aux graphismes, froids et figés, ni au découpage, parfois redondant, ou à la composition générale du bouquin.
Les narratifs m'ont tout autant ennuyé... Et on commence à bien connaître les contradictions de la société américaine.
Heureusement, si on s'accroche un peu, les scénarios mêlant les genres, nous réservent tout de même des surprises.
Malgré un aspect un peu ratatiné, il y a donc de bonnes idées dans cette BD.
J'admire la maison d'édition Ici même, qui a eu tout de même du mérite à éditer ce livre, peu commercial...
...Audacieux.
Pris par la main avant même d'ouvrir le livre...
j’ai été marqué par le rouge de cette couverture. Cette teinte, propre à énerver les taureaux... est relevée cependant par des drapeaux verts, couleur de l’Islam. Proche du centre, de sa maman, le petit Riad se tient sur les épaules de son père. Il ressort par sa couleur, un blanc immaculé, angélique. Ils rient, se gaussent de l’air grave et pompeux de Kadhafi, insouciants. Mais on sent déjà le poids de la crise, d'épaisses couches de noir atténuant la clarté de la scène. Si la famille est unie dans l'ombre, c’est bien l’enfant qui fait le pont entre la mère et le père, entre deux cultures diamétralement opposées... Une couverture d’une grande puissance, émouvante tout en s’imprimant dans le réel, avec une touche d'humour et une typographie digne d’un livre d’Histoire sur le Proche-Orient.
Dans cette BD tragi-comique, Riad Sattouf recolle les morceaux de sa mémoire, de sa famille, pour nous y transporter. Il évoque évidemment son enfance, assez atypique, puisqu'il est né d’une mère française et d’un père syrien.
Il y aurait tant à dire sur cette BD : une édition réussie et salvatrice (je parle à titre personnel), clé de lecture pour la guerre civile syrienne, commencée quelques années plus tôt, mais aussi pour ceux qui ont connu une séparation, un exil ; un récit accessible, extraordinairement lisible, mais sans verser complètement dans la vulgarisation ou les stéréotypes ; des souvenirs reconstitués, liés aux vécus des protagonistes, à leurs traumatismes, d'où une profondeur psychologique intense ; des aplats de couleurs monochromes, nous transportant d’un bout à l’autre de la Méditerranée, évoquant les émotions que traversent les personnages ; le character design simple, mais non dénué d’expressivité ou d’humour, avec des détails marquants et une vision aigüe des particularités, des tics des individus ; le trait unique de Riad Sattouf et sa formidable capacité à nous transporter dans son égo-histoire.
Un chef d’œuvre dument récompensé, je l'ai lu au moins 8-9 fois...
Beaucoup de maîtrise...
Je lis très régulièrement des BD, pour lesquelles je n'ai pas toujours l'envie ni le temps d'écrire un avis. Mais je crois que cette série mérite que l'on s'y attarde.
Pourtant, elle ne m'a pas happé instantanément. Elle n'est pas particulièrement innovante. La moralité de certains personnages choque, même si leur psychologie est très fouillée...
Au début de la série, j'ai même un peu peiné à entrer dans cette représentation stéréotypée des années 70, esquissée par Uli Oesterle.
Pourtant, l'esthétisme du livre est attrayant. Les yeux familiers reconnaitront le trait expressif du papa d'Hector Umbra, quoique devenu plus discret, ombragé, géométrique, à l'image des graphismes d'Alexandre Clérisse.
Les couleurs sont tout aussi réussies, établissant une codification selon les temporalités, les émotions, les points de vue... comme Riad Sattouf le faisait déjà, pour distinguer les différents lieux de son récit dans l'AduF ou les personnages dans Jeune acteur.
De plus, le scénario se révèle être palpitant, avec un récit double, jonglant entre un père décadent et son fils devenu adulte. Il y a des thèmes forts : relations humaines, inégalités de genre, addiction à l'alcool, au sexe... D'une grande intensité.
L'histoire est traitée avec élégance, Uli Oesterle ayant assimilé tous les codes de la BD, moderne ou ancienne.
On y retrouve la profonde noirceur d'un Larcenet, avec ses clochards et autres pousseurs de caddies...
Comme savait le faire Charlier auparavant, le rythme est frénétique, haletant... à la différence qu'il y a aussi une part de réel, très "nouvelle vague", et un investissement particulier de l'auteur pour son œuvre...
Surtout, le tome 2 surpasse le 1... Je n'aurai pas vu le temps passer en lisant les deux albums, tellement je fus absorbé. Hâte de voir la suite...
Ainsi Le lait paternel, titre qui pourrait faire ricaner, est en réalité « une biographie fictive de Peter Oesterle », père d'Uli. Tel que l'indique la postface du tome 1, elle s'appuie sur des « anecdotes librement inventées – mais dont chaque mot est empreint de vérité ».
...Pour raconter la vie débridée et délictueuse, pour ne pas dire criminelle, d'un père absent.
Une BD de toute beauté...
Où Thorgal fait un passage en Amérique.
Si je n'ai pas accroché aux dialogues, j'ai aimé le trait de Corentin Rouge, la composition, le découpage... D'une grande maîtrise graphique.
Les scènes dans l'Arbre de Vie laissent rêveur, évoquant pour moi l'univers de Star Wars, en particulier l'habitat des ewok ou le jeu Jedi : Fallen Order.
C'est donc une BD moderne, qui innove aussi, réinventant par exemple l'iconographie amérindienne et viking, ou encore celle de la chute...
Enfin, on apprécie les pleines pages et autres ingéniosités, permises par le grand format franco-belge.
Un plaisir pour les yeux.
Une bonne BD...
...Que ce soit au niveau du scénario ou des dessins et des couleurs.
Le trait de Gaultier est gras, à la Peeters, mais avec des couleurs plus froides, Antarctique oblige...
En effet, le principal protagoniste décide de se payer un voyage dans les TAAF (Terres Antarctiques et Australes Françaises)...
Ce récit fait immédiatement penser à celui de la BD reportage de Lepage, mais avec un ton désabusé et un humour quasi acerbe, cynique. Or le scénario d'Appollo prend une toute autre direction, allant de surprise en surprise dès la partie 4.
Suffisamment documenté pour être crédible, ce mélange des genres, entre thriller et reportage, fiction et réel, vise aussi à brouiller les pistes...
Par contre, le discours anti-écolo, déjà présent dans la BD Biotope du même scénariste, me branche beaucoup moins...
Sans mauvais jeu de mot.
En observant la couverture, je m'attendais à un sujet intéressant, avec des dessins éloquents et colorés...
Puis, j'ouvre le livre, et tous les dessins sont en noir et blanc, dans un style devenu assez commun pour un roman graphique, proche du trait de Pénélope Bagieu.
Malgré un look peu accrocheur, les graphismes de Tiphaine Rivière restent expressifs, servant le propos vulgarisateur du livre.
On y obtient ainsi quelques précieuses clés de lecture pour comprendre l’œuvre complexe du sociologue Pierre Bourdieu, tout en suivant le récit fictionnel d'un jeune professeur de Sciences Économiques et Sociales.
Une très bonne introduction à Pierre Bourdieu en résumé, mais avec un plaisir bédéesque limité et qui ne saurait remplacer la lecture des livres, ni l'écoute des conférences de Bourdieu.
Malgré de très beaux dessins et de très beaux noms sur la couverture (Umberto Eco, décédé il y a huit ans, et Milo Manara)... je n'ai pas accroché à cette adaptation, sans grand intérêt et trop commerciale à mon sens.
Le prologue, qui instaure le cadre, le contexte de l’œuvre, n'est pas assez didactique à mon goût. Les dialogues sont d'un ennui...
Certes, le trait de Manara est sans égal et on sent un certain travail de documentation (notamment dans les reliefs, du Jugement Dernier...). Mais, à l'image de sa BD sur les Borgia, la mise en scène demeure trop grandiloquente pour l’œuvre d'Eco, assez éloignée de l'idéal de pauvreté et de la vie des moines bénédictins.
Surtout, on ne peut s'empêcher de penser au film en observant les planches de Manara, tant l'iconographie, les personnages, leurs postures, les décors... lui sont semblables.
Sans surprise, le principal intérêt de cette adaptation se situe dans sa représentation de la femme, canonique et fantasmée, qui donne une saveur toute particulière à cette BD, se déroulant dans une abbaye.
Autrement, je vous conseille plutôt de vous diriger vers le roman d'Umberto Eco, un classique pour tout amateur d'Histoire, ou alors son adaptation cinématographique, véritable chef d’œuvre également.
Quel scénario !
Probablement le meilleur que j'ai lu pour l'année 2023. Après quelques pages, on est embarqué dans un récit d'une noirceur profonde, au rythme effréné. Un thriller fantastique, qui sort des classiques du genre.
En résumé, on y suit les péripéties d'une bande de montes-en-l'air, dont l'héroïne Alva, qui finissent par faire une mauvaise rencontre. Jugez-en la couverture...
La mise en scène est complètement à la hauteur, avec des plans aussi variés que dynamiques. J'aimerais tellement que cette histoire soit adaptée en film d'animation...
Néanmoins, les dessins sont beaucoup trop jetés, faisant plutôt figure de storyboard amélioré. J'en attends plus d'une BD, y compris dans un format « roman graphique ». En même temps, je viens tout juste de sortir de la lecture d'un chef-d’œuvre, celui de La route de Larcenet... D'où un certain niveau d'exigence.
Dans tous les cas, j'ai aimé ces personnages terrifiants, que ce soit leur design ou leur personnalité, en particulier cette sorcière mais aussi les autres méchants, assez ambigus, ou encore cette héroïne particulièrement agile... Enfin, on ne s'ennuie pas, il y a des retournements de situation à tire-larigot, des méchants qui ne sont pas forcément ceux que l'on croit...
De quoi se poser des questions sur ce qui définit le « bien » et le « mal ».
Une belle BD, quoique un peu tarabiscotée...
Le personnage central, une jeune femme à l'esprit d'aventure, doit cependant contenir son énergie face aux superstitions et autres a-priori des habitants de son village. Campé quelque part en Scandinavie, la vie y est rythmée par les saisons, le travail et les rituels animistes... Cyclique.
Emkla, Emkla... Ils n'ont que ce nom à la bouche. Jusqu'au jour où tout s'empire, se dérègle... Alors vient le moment du départ... Parfois, il n'y a pas trop le choix.
Je dois avouer que je n'ai pas tout compris. Une seconde lecture serait nécessaire pour mieux comprendre le message, assez poétique, de cette œuvre. Néanmoins, le scénario est rythmé et plein de surprises.
J'ai aimé certaines ambiances un peu magiques du livre, notamment les scènes avec les animaux, ou lorsque le personnage central escalade les grandes roches... D'une expressivité rare.
Le progressisme de cette œuvre est tout aussi évident, sans être stéréotypé : personnage féminin fort, végétarisme, société patriarcale, traditions qui semblent avoir perdu de leur sens, retour à la nature...
La mise en scène est réussie, avec de belles couleurs aquarellées, d'une tiédeur nordique. Par contre, j'ai été moins convaincu par les dessins. Le trait de Peggy Adam est fin, avec de belles rondeurs, assez féminin je dirais, mais il est aussi assez cassant, presque trop cinglant.
La divinité Emkla, qui s'incarne dans cette nuée d'oiseaux sur la couverture, m'a tout de suite fait penser à cet album de Valérian : Les oiseaux du maître, où les volatiles rendent fous ceux qui cherchent à s'opposer à leur dieu-maître.
Ici, comme dans Valérian, la divinité semble punir l'hubris des hommes et des femmes.
Peut-être est-ce une clé de lecture ? Ou peut-être que non...
Puisque la nature n'a pas de morale...
Et qu'Emkla n'a pas la même fortune.
J'attendais cette BD avec impatience...
Pas parce que c'est l’adaptation d'un livre à succès, le récit d'errance intimiste de MacCarthy, mais plutôt pour l'auteur qui l'a adapté... Gage de réussite. La couverture a aussi fait pencher la balance...
Sombre et déchéante, l'adaptation de Larcenet est d'une grande réussite. Il transcrit admirablement bien en BD, cette dure et interminable route, parcourue par un père et son fils, alors que l'Humanité part en fumée.
Le texte est concis mais efficace. Les quelques bulles, disséminées ça-et-là, ne gâchent en rien le plaisir de lecture.
Le style graphique de Larcenet a nettement évolué, vers un style plus réaliste qu'à l'accoutumé. Que de chemin parcouru depuis ses aventures avec Fluide Glacial !
Je me délecte de ses nuages de matières, presque informels, qui convoquent mon imaginaire. Je me régale aussi des détails du trait, quand il s'agit de représenter une nourriture irrévocablement perdue. Une précision du dessin qui peut aussi donner la nausée, parfois à rebours, lorsque Larcenet donne à voir la misère post-apocalyptique...
Car, le but est simple : survivre. Le propos de Larcenet n'en demeure pas moins profond, dans la veine de ses précédents albums : l'amour de la vie (Retour à la terre), à laquelle les héros s'accrochent du mieux qu'ils peuvent, mais aussi les tréfonds de la moralité humaine (Blast) et une dimension psychologique aiguë (Thérapie de groupe). Le vertige de l'abîme !
Bien sûr, il y a aussi une part de Larcenet dans ce livre, dans ses représentations... L'auteur a participé à réinventer la BD, au tournant du siècle, vers l'auto-fiction. Il semble ainsi s'incarner dans la figure du père : calvitie, barbe, casquette... ne manque que les tatouages et l'embonpoint.
La route met aussi en scène les relations d'un père et de son fils, coupés du monde. Une certaine vision de la famille face à la crise, la mère n'étant plus que dans leurs esprits...
Par ailleurs, la transmédialité est un chouia étonnante pour Larcenet. Mais, si le roman La route a été placé sur un piédestal, récompensé par le prix Pulitzer fiction en 2007, la BD fait aussi écho à elle même, avec le fameux Walking dead (2003)...
En tout cas, La route de Manu Larcenet est une adaptation très intéressante. C'est aussi un pied-de-nez au Monde sans fin de Jancovici, montrant très clairement certains dangers du nucléaire...
Le tirage limité offre un vrai plus, avec un cahier graphique sur beau papier, dont un passage inédit et plus personnel du dessinateur, rendant cette édition indispensable à mon sens.
S'il n'est pas le plus éloquent à la télé... Larcenet demeure l'un des auteurs les plus talentueux de notre temps. Que l'on aime, ou que l'on aime pas, chacun de ses livres est une leçon de narration graphique.
Et pourtant, il reste d'une grande humilité.
Un album qui conclut le diptyque, avec toujours les mêmes atouts, mais aussi quelques maladresses, que ce soit dans le dessin ou dans la mise en œuvre du scénario, avec un flashback peu convaincant, trop long.
C'est dommage, parce que le tome 1, plus rigoureux, avait montré les talents du dessinateur et de sa scénariste, cette dernière maîtrisant différents types de narrations et capable de mener une histoire assez complexe, notamment en mélangeant les genres et en cadençant puissamment l'action.
Dans l'ensemble, cela reste cependant un réel plaisir de lire cette BD et de découvrir sa fin.
Une belle découverte...
Une jeune femme, poursuivie par ses abrutis de beaux frères et de père, se retrouve comme prise au piège, dans une ancienne mine d'or, en Australie. Il va y avoir de la bagarre...
Contrairement à la majorité, j'aime beaucoup cette couverture, en légère contre-plongée, et pas seulement parce qu'elle est sensuelle... Mais surtout parce qu'elle est claire, chatoyante et d'une grande énergie.
J'apprécie également le format en album, plus adapté pour ce type de BD.
A l'intérieur, le trait réaliste de Bernard Khattou, quoique classique, donne efficacement vie aux personnages.
Le découpage est un modèle du genre : cadrages savamment dosés, éléments narratifs correctement mis en évidence... on peut aussi se perdre dans les détails, pour approfondir notre expérience du livre.
L'ensemble est particulièrement harmonieux, avec une belle synergie entre le scénario de Nathalie Sergeef et les dessins de Khattou, admirablement mis en valeur par les couleurs numériques de Céline Labriet.
Les thématiques sont dans l'ère du temps (féminisme, écologie...), mais avec un certain recul, presque journalistique.
Les personnages sont fouillés, en particulier cette héroïne haute en couleur, aux allures de Lara Croft mais sans le pedigree, pourrait-on dire aux premiers abords...
Les personnages secondaires sont parfois toxiques, voir dangereux, en particulier les hommes. Mais il y a aussi des figures positives parmi eux.
On retrouve cet aspect progressiste dans la présence du peuple premier, des aborigènes.
En ce sens, cette BD n'est pas sans faire penser à la série Blueberry, de Charlier et Giraud/Mobeius... par la radicalité de l'action, son rythme frénétique, son humour désabusé, la crasse (dans tous les sens du terme) ambiante... mais aussi une part de mythe, de spiritualité autochtone et enfin des décors presque désertiques...
Mais, A prix d'or est également une BD moderne, innovante, de par son cadre géographique, ou encore ses grosses, très grosses voitures, ses manifs écologistes et autres syndicats.
Enfin, c'est l'un des scénarios les mieux ficelés de 2022, complètement éclectique : mélangeant brillamment le style western avec les problématiques du réel, l'investigation, et d'autres emprunts au thriller social, à l'iconographie zombiesque, à l'aventure, au policier... et surtout de l'action pure, brutale et complètement fictive.
Quel cocktail détonnant !
Une BD que je viens de relire...
Riad Sattouf y raconte les débuts de Vincent Lacoste, qu’il a détecté pour jouer le rôle principal, de ce qui est aussi son premier film en tant que réalisateur, Les Beaux gosses.
Dans cette biographie, réalisée en tant qu’auteur complet, il alterne entre son propre point de vue et celui du jeune acteur.
En résulte un récit en miroir, où l’on a parfois la chance de découvrir la même scène, sous deux angles différents. On se rend alors compte des malentendus qu’il peut y avoir, notamment entre Sattouf et le petit Lacoste... Hilarant.
J’ai apprécié de retrouver les couleurs de l’Arabe du Futur (aplats de bleu et parfois du rouge pour les cases marquantes), dont cette œuvre, en partie autobiographique, est une sorte de continuation.
On appréciera d’ailleurs certaines similitudes entre les deux BD, notamment quand Riad fait la morale à Vincent, prenant une posture similaire à celle de sa grand mère dans l’AduF.
Cependant, je suis plus dubitatif quant aux couleurs utilisées pour illustrer la vie du jeune Lacoste, en particulier ce jaune, associé à d’autres couleurs parfois très vives, éclatantes. Cela m'évoque évidemment l’or, la réussite de l’acteur, sous le feu des projecteurs, mais ça pète aussi un peu les yeux...
Le scénario, très drôle, est plein de dérision. Formidable conteur du réel, Sattouf est aussi passé maître dans l’art de la caricature, fouillant les traits physiques et moraux des gens, leurs attitudes, leurs contradictions, leurs revirements, voir même leurs accidents... Ce qui est autant susceptible de nous faire rire que de nous interpeller.
Le découpage, rondement mené, est caractéristique de l’auteur : décors simples et épurés, narratifs à la première personne, informations fléchées, bulles rigolotes, pleines pages lors des moments clés...
Les nombreux détails, semés par-ci par-là, ainsi que la proximité du jeune réalisateur avec son principal acteur, accentuent le réalisme, la crédibilité de l’œuvre.
Il y a du rythme et on apprécie de suivre la vie d’un jeune acteur. Une première en BD.
A contrario, on trouve les thèmes habituels de Riad Sattouf, qui ont fait son succès : en particulier l’adolescence, souvent ingrate.
Les dessins restent dans la même veine que les précédentes BD de Sattouf, de Retour au collège à Pascal Brutal. Je n’ai pas vu de grand changement, si ce n’est que Sattouf est passé à la palette graphique et à des formats plus longs depuis L’Arabe du futur.
Son trait reste toujours un chouia biscornu, accentuant toujours les nez et d'autres parties du corps... en gros tout ce qui provoque des complexes chez les adolescents.
Dans tous les cas, c’était une expérience privilégiée, presque VIP, même si l’art de Sattouf, grand prix d’Angoulême en 2023, est éprouvé.
...J’attends la suite avec impatience.
Élégante...
Max Baintiger, un auteur que j’aime beaucoup, a entrepris une biographie bédéesque de la poétesse suédoise Sibylla Schwartz (1621-1638), morte de dysenterie en pleine guerre de Trente Ans.
La principale qualité de ce livre est son honnêteté. En effet, la BD est ponctuée de récitatifs, où l’auteur explique rapidement qu’elle est en réalité une commande, émanant d’une association. En plus, on a peu d’informations fiables sur cette poétesse... Une gageure.
Mais, que ça fait du bien, d’avoir un auteur de BD qui explique sa méthode d’interprétation historique, ses difficultés, mais aussi son intention, la nature de son financement, sans fard.
Heureusement, on a conservé l’œuvre de Sibylla, très dense. Car, malgré une vie trop courte, elle a écrit plus d’une centaine de poèmes.
Ainsi, Max Baitinger s’appuie sur ce corpus lyrique pour imaginer la vie de Sibylla. Pour cela, il déploie une esthétique puissante, variant les styles avec flegme et poésie.
La colorisation, quoique numérique, est précieuse pour le récit. Parfois discrètes voir quasi éteintes, les couleurs sont aussi, par moments, flamboyantes !
Au final, je trouve que l’esthétisme de cette BD surclasse même la versification de Sibylla, dont les mots sont moyennement mis en valeur. Comme si le support, l’écrin, avait pris le dessus sur son contenu, démontrant le potentiel poétique de la BD, que l’auteur maîtrise complètement.
Dit autrement, les auteurs de BD sont souvent plus doués en dessins que pour écrire.
D’où la difficulté de composer une biographie à partir, mais aussi sur, des sources poétiques.
La BD reste cependant d’une incroyable fluidité...
Et bien inspirée.
A l'image d'Amertumes-Apaches plus récemment, je trouve que Les Apaches est une BD assez inutile, qui n'apporte rien de plus à la série...
Car, les souvenirs de jeunesse de Blueberry dans le dernier cycle, ont été tout simplement remontés. Quelques planches de Giraud et des modifications ont été rajoutées... faible compensation.
Surtout, je n'avais pas eu de difficulté à comprendre les motivations du lieutenant, à remplir moi même les ellipses.
Je trouve donc que, dans ce contexte, la narration géniale et complexe de Giraud perd de sa saveur.
Enfin, la boucle avait déjà été bouclée dans Dust, le jeune Blueberry ayant été chargé de rejoindre Fort Navajo... Là où l'aventure avait pris place, dans le tome 1.
En ce sens et à titre de comparaison, même s'y j'extrapole un peu, parce que ça m'a choqué... la BD sortie par Sfar et Blain en 2019, est un véritable hold-up, semant le chaos dans l'univers de Giraud et Charlier, avec des erreurs à gogo...
...Pour quelques dollars de plus.
En pleine lecture de la série-mère de Blueberry, j'ai éprouvé un sentiment de rejet en ouvrant cet opus de Sfar et Blain, placé en continuation (4ème de couverture) et pourtant bien trop éloigné du chef-d’œuvre initial.
Pour être honnête, je n'aime pas beaucoup les BD de Sfar, trop confuses (j'adore ses films par contre), et j'exècre les dernières BD de Blain, faussement neutres.
J'ai aussi beaucoup de mal avec les reprises de BD de manière générale, parfois très litigieuses. Pensons à Gaston... Souvent c'est une histoire d'argent et ce ne sera pas la première fois que Dargaud floute Charlier et Giraud...
Néanmoins, j'ai essayé de faire abstraction de tout pré-supposé et je me suis relancé dans la lecture.
En effet, la série est accessible, reprenant certains codes propres au western. Le dessin de Blain, quoique plus proche d'un Lucky Luke sauce Tarantino, est loin d'être mauvais, de même pour les idées de Sfar. Il y a des rochers troués, l'ambiance de Fort Navajo, quelques fantaisies aussi...
Mais, on demeure très loin de l'esthétisme méticuleux, de la rigueur et aussi du génie de Giraud, ainsi que de la tension et du mélange des genres qu'affectionnait Charlier.
Surtout, j'ai eu l'impression d'un retour en arrière par rapport à DUST.
Certes, il y a énormément de femmes et elles sont mises en valeur, autrement que comme des prostituées ou des bonnes mères de famille. Un atout pour cet album.
Mais pour moi, c'est insatisfaisant. Car d'un autre côté, on en revient à une vision barbare et sauvage des Amérindiens, de l'étranger. Cela plaira beaucoup à Cnews...
De plus, j'ai en horreur cette violence gratuite, à la fois verbale et physique, comme si c'était ça l'essence du western...
Sa sélection au festival d'Angoulême est d'ailleurs une vaste supercherie.
Pour moi cette BD est sans intérêt.
C'est le dernier album de Blueberry et jamais la série n'aura été aussi progressiste, que ce soit par l'omniprésence des femmes ou le regard nouveau porté sur les Apaches...
Mais, on a été prévenu par le « Démon rouge », personnage anachronique qui reflète plus notre contemporanéité que le mythe de l'Ouest, il y aura du sang.
Toutefois, rien n'est gratuit dans le scénario. Chaque personnage a un background suffisamment fouillé pour donner un sens à la violence qu'il emploie, quoique souvent illégitime.
Il est d'ailleurs amusant de voir comment Campbell réagit lorsqu'il tue un homme... Comme pour mieux nous rappeler l'horreur et l'immoralité de ces crimes.
Si le rythme n'est pas aussi effréné qu'à l'époque de Jean-Michel Charlier, avec des moments de désillusion, de sidération. Il y a aussi des sursauts, des rebondissements.
On sent que Giraud a travaillé son scénario, pour que tous les bouts se rejoignent, mais aussi pour nous attendrir et nous surprendre. Personnellement, je ne me suis pas du tout ennuyé.
D'ailleurs, j'ai été stupéfait par les derniers souvenirs que Blueberry, dit Tsi-Na-Pah (« nez cassé »), nous donne de son récit avec Geronimo.
Bien sûr, c'est une fiction. Mais j'apprécie la réflexion portée par Giraud, sur l'éducation des Amérindiens, punis pour garder leur culture, pour parler la langue de leurs ancêtres. J'admire aussi le rôle pondérateur, nuancé, de la maîtresse d'école, mue par des valeurs universelles et bienfaitrices...
Et je ne peux qu'applaudir qu'en Giraud fait le parallèle entre l'ethnocide des Amérindiens et la « mission civilisatrice », celle portée par Jules Ferry en France et dans ses colonies, idéologie teintée de nationalisme, de racisme et de xénophobie. Pas si lointain...
Quelle BD aura fait un chemin aussi approfondi, engagé, autant dans sa recherche d'esthétisme, que dans une volonté de dire des choses sur le mythe de l'Ouest, d'en tirer des leçons sur notre lecture du passé, parfois biaisée, et pour notre présent ?
A l'heure où les idées fascistes et rétrogrades gagnent du terrain en Occident et que les bourreaux se font parfois passer pour des victimes...
...La justesse du propos de cette BD est malheureusement d'une grande rareté.
Que de chutes...
Dans ce nouvel album de Blueberry, les 4 shérifs s'apprêtent à affronter la bande des Clanton. Évidemment, il y aura de la casse.
On reste dans le scénario feuilletonnant, classique de Blueberry, mais avec plusieurs ramifications et quelques libertés de Giraud, qui adoucissent l'ensemble.
Le personnage de Ringo, complètement givré, se révèle être une sorte de sérial-killer, qui perturbe le déroulé des événements et donne un aspect assez lugubre à l'album.
Si Blueberry a gagné en maturité, il est affaibli physiquement, le rendant plus humain, crédible. D'ailleurs, je me demande toujours si c'est vraiment lui le véritable héros de ce cycle.
Dorée Malone, avec qui il forme un beau couple, lui a été d'une aide précieuse. Belle et protectrice, elle filtrait l'accès à Blueberry (comme certaines gèrent les files de dédicaces en salon). Cependant, elle est maintenant dans une situation délicate, qui a obligé Blueberry à sortir de son lit...
Ces deux-là servent de modèle à Gertrud et Billy, tout aussi attendrissants. D'ailleurs, Giraud semble avoir pensé ce personnage masculin, qui jouit d'une certaine proximité avec notre nouvelle légende de l'Ouest, pour que le lecteur, ou plutôt le spectateur, s'y identifie.
Car du spectacle il y en a... Avec un titre comme celui-ci et le talent de Giraud, il ne pouvait y avoir que des scènes d'actions mémorables.
L'auteur a cependant l'intelligence de faire participer inopportunément certains personnages, comme ce Billy par exemple, qui amène quelques imprévus...
Ainsi, après avoir été caressé dans le sens du poil, comme un chat ronronnant...
...Giraud, qui joue en fait avec nous comme avec une souris, arrivera à nous surprendre,
Nous prenant à la gorge.
Qui incarne véritablement l'idéal de l'Ouest ?
Car, dès la couverture, Geronimo pique la vedette à Blueberry.
Indubitablement, il s'agit de personnages hauts en couleur, qui commencent aussi à avoir quelques belles rides.
Cette dualité prend corps dans un récit complexe, propre à Mister Blueberry, jouant sur deux temporalités : celle d’un Blueberry vieillissant, qui narre ses mémoires, dont cet épisode lointain où il a affronté Geronimo...
En terme de graphisme, c’est l’apothéose de Gir/Moebius. D’autres auteurs se sont d’ailleurs inspirés de ce style par la suite : je pense à Boucq et à Ralph Meyer, plus qu'à Swolfs ou à Hermann, ces derniers s'en tenant au pointillisme.
Mais, Giraud lui même est venu probablement s'alimenter chez eux, comme chez d'autres, pour créer son style. Les références contenues dans ses derniers albums, témoignent d'ailleurs de sa connaissance du média.
Quant au scénario, il est toujours aussi intéressant, avec une critique du mérite des « grands auteurs », qui ne sont pas toujours seuls à la plume…
Une manière de rappeler que Giraud n’est pas un auteur complet sur Blueberry, et que, en plus de s'appuyer sur l'héritage de Charlier, il est aidé par une talentueuse coloriste (Florence Breton), un éditeur, parfois des encreurs (notamment Michel Rouge auparavant)… en somme, une équipe.
Mais, tout est relatif. Quand on voit les effectifs de certains ateliers de mangakas, Giraud paraît bien seul...
Et pourtant, son œuvre est particulièrement aboutie. Giraud scénariste sait jouer avec nos nerfs, il sait aussi mettre de l'intensité, comme pour cette scène de combat aquatique avec Geronimo.
Quelques moments sont un peu tirés par les cheveux, avec le revirement de Clum par exemple… Mais la suspension d'incrédulité reste effective autrement.
Enfin, il y a ce livre, Moby Dick, qui revient plusieurs fois dans cet album. Pourquoi ?
Certainement une comparaison avec le chef discret mais charismatique des Apaches, dont le peuple est menacé de disparaître.
Alors que Blueberry incarne la fougue de la jeunesse, avant de goûter à une retraite au saloon, Geronimo lui, malgré ses capacités et ses valeurs, n'en finit plus de perdre du terrain face aux Blancs.
Pourtant, il est ce que Blueberry n'est pas, il est la droiture même, il est aussi celui que Blueberry admire, jusqu'à dans ses souvenirs.
Au final, par le biais de son lieutenant, Giraud nous offre une certaine leçon d'humilité, de respect.
Blueberry était mort, Blueberry est vivant…
Dans cet album, le clan des Clanton prépare un mauvais coup...
Leur matrone les dirige d’une main de fer, un clin d’œil aux frères Dalton et à leur maman…
Giraud profite de cet album pour démonter les stéréotypes sur les autochtones, qui provoquent chez certains personnages, de fiction ou non, une haine féroce.
Un terreau très fertile pour les manipulateurs...
Dans un mélange des genres propre à la série, l’album renoue avec le format d’enquête, les protagonistes cherchant la réponse aux meurtres soi-disant commis par des Apaches, tout en nous mettant rapidement la puce à l'oreille...
Ce volume, où le nom du bourg évoque une « pierre tombale », contient aussi des fusillades d’anthologie.
Je pense en particulier à la planche 19, où un crane renforce la dimension macabre, la dramaturgie de la scène.
Ce symbolisme se retrouve un peu partout dans le cycle, notamment par des plans rapprochés sur des objets, en particulier des cartes (une influence de son beau-père ou de Jodorowsky…).
On le voit sur la planche 30 : les flacons entamés représentent la fièvre et la souffrance du blessé, les cartes Blueberry (l’as de coeur) et sa compagne Dorée Malone (la dame de pique), la montre à gousset le temps qui passe...
Comme pour le tome précédent, Giraud fait de nombreuses références à la littérature classique, mais aussi sur la déformation des témoignages, qui ont conduit au mythe de l'Ouest.
Car, Campbell et Billy cherchent à publier un livre sur l'histoire de Blueberry, quitte à l'édulcorer un peu...
Giraud semble ainsi faire un pied-de-nez à certaines critiques sur le « réalisme » de ses BD, approfondissant la psychologie de ses personnages et donnant à voir la vie quotidienne de l’époque.
Il amène une réflexion critique sur le mythe de l'Ouest, plutôt que de broder sur des faits divers.
Car, depuis longtemps, Giraud sait faire ressentir l’odeur de crasse et le brouhaha des saloons de l’Ouest.
Il montre aussi les formes insidieuses des guerres contre les Apaches, notamment le nettoyage ethnique entrepris par le révérend Younger dans son orphelinat, ou plutôt sa prison pour enfants (thématique reprise ensuite dans Hoka Hey).
Comme Billy, qui se dévergonde peu à peu, on est pris aux tripes par la conquête de l’Ouest, que l’on voit par le petit trou de la serrure. Comme si le mythe de l’Ouest, raconté par Giraud, contenait une part de réalité, celle de l'Histoire américaine.
Néanmoins, Giraud cherche parfois à transcender ses dessins. Ils sont toujours aussi bien maîtrisés, mais avec quelques teintes de surréalisme, comme cette scène d’escalade à la fin de l'album, inspirée de l’Incal.
Au final pas trop surpris de voir Blueberry vivant, quoique la faucheuse n'était jamais passée aussi près.
Wahou…
Giraud revient seul avec un nouveau cycle du lieutenant… ou plutôt de Mister Blueberry. Et quelle claque !
Graphiquement, c’est toujours aussi bon. On retrouve le style d’Arizona Love, où l’auteur révèle toute la richesse de son art : rigueur du trait et profusion des détails, propres à la série, mais avec plus d’épure et une fougue esthétique, expérimentée sous son pseudonyme Moebius.
Giraud fait donc du neuf avec du vieux : après tout, c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures….
Et c’est bien le propos du livre : un ensemble de récits secondaires tourbillonnent autour d'un Blueberry âgé (il commence à avoir des cheveux blancs, comme son auteur…), posé le cul sur une chaise à faire des jeux de hasard.
Les thématiques sont toujours un peu les mêmes (en particulier le poker, les tireurs d’élite, l’ambiance de saloon, les Apaches, les outlaws…), tout comme les planches restent découpées en deux parties (A et B) dans leur largeur.
Comme ce fut le cas dans les précédents albums, certains personnages m'ont fait penser à des personnages réels ou fictifs : c’est Campbell, aussi boursouflé que Balzac, ou son secrétaire, au petit air de Little Némo mais adulte…
Dans les albums suivants ce seront aussi Bluch, Lucky Luke, Neige, Mac Donald's, Billy the Kid, Mickey, Harry Potter, le déjeuner de Monet et j'en passe... Des clins d’œil un peu lourdingues en réalité.
De fait, quoique Giraud a essayé de rester dans le cadre, le scénario contraste un peu avec ceux de Charlier auparavant. D'une dimension moebiusienne, il n'en demeure pas moins réussi.
J’ai été happé dès l’accroche, avec une mise en abîme où Campbell et son secrétaire venus de Boston, en bons pieds tendres, découvrent l’Ouest avec stupeur.
Le plus jeune, commençant à se faire des « films », son patron lui répond : « Billy, tu as trop lu d’histoires de cow boy »...
Et puis quelle tension, que ce soit autour des mises du poker, du bluff, des relations parfois tumultueuses entre les personnages… mais surtout de la ville toute entière, qui semble comme prise dans la folie d’un jeu dangereux.
Giraud profite aussi de ce cycle pour développer, en creux, certaines réflexions contemporaines sur les Western voir la littérature.
D’un côté, il recycle les mythes de l’Ouest (Earp, Géronimo…), de l’autre il cherche à démontrer certaines de ses incohérences (garçons de vaches).
De la même manière, il semble faire un parallèle, pas si vaniteux, entre Homère et le mythe de l’Ouest, entre le théâtre et Blueberry…
Une manière de dire toute sa fierté, celle d'avoir contribué à une série marquante pour plusieurs générations.
Car oui, cette BD est exceptionnelle. Encore aujourd'hui, elle me fait passer par toutes les émotions : la peur, le rire, la joie, la surprise…
Ce seul volume justifie à lui seul le grand prix d'Angoulême, obtenu par Giraud 14 ans auparavant déjà.
Que de manipulations dans cet album…
L’ex-lieutenant, dont on connaît les talents d’évasion, finit par prendre le large. Mais il est mystérieusement rattrapé par une bande de brigands...
Charlier nous sert un récit assez psychologique, agrémenté de moments plus potaches.
Dans ce mélange de genres, les personnages sont particulièrement bien fouillés... mais aussi assez malsains. Je pense notamment au personnage androgyne d’Angel Face, de Kelly, de Blake, voir même au retour de Guffie Palmer.
Depuis le tome 12, souffle un vent nouveau dans les scénarios de Charlier, mais aussi et surtout dans les dessins de Giraud.
Il y a beaucoup de matière, une ambiance angoissante, propre à la revue Métal hurlant, où Gir officie sous le nom de Moebius.
Certains décors sont empreints de surréalisme, de fantastique. C’est le cas avec la maison de Guffie Palmer, plantée seule en haut d'une colline... Inquiétant, à l’image du film Psychose.
Le découpage est tout aussi novateur, malgré la présence de la sacro-sainte ligne médiane.
La mise en couleur est éloquente, un atout depuis les débuts de la série.
En bref, un début de cycle convaincant, qui part sur un rythme effréné, tempo donné par le scénario de Jean-Michel Charlier.
De fil en aiguille, Blueberry semble ainsi se jeter dans la gueule du loup…
...Bien malgré lui.
Un énième roman graphique...
Lora Lorente, autrice espagnole, y raconte une histoire empreint de réel : une femme de 34 ans revient dans sa maison d'enfance, où plane l'absence des figures maternelle et paternelle...
J'ai été pris d'intérêt par l'esthétisme de cette BD, au trait fourni et granuleux.
L'absence de polychromie, contrairement à ce que pourrait laisser penser la couverture, souligne cependant l'indigence du personnage principal et donne un ton plutôt terne à l'intérieur.
Pendant la première partie de cette BD, je dois avouer que je me suis un peu ennuyé... Le rythme y est figé, comme pour mieux montrer l'immobilisme de Mary Pain.
Probablement aussi que je manque de tolérance vis-à-vis des égo-fictions, courantes dans le marché du livre. L'abondance des planches nuit parfois à leur raffinement.
Pourtant, le travail de Lola Lorente est colossal et elle a le mérite d'aborder des sujets intéressants, dans une perspective singulière, allégorique : le regard culpabilisant des bigots, les drames familiaux, l'aide aux soins qui n'est pas rémunérée, la sexualité, l'expropriation...
De plus, avec une figure féminine à la personnalité profonde, ronde sans être complètement empâtée, mais aussi très sensible, l'autrice casse les codes. Ses faux airs de Lolita, son déhanché insouciant, son look éclectique, mi-punk mi-princesse... Mary Pain électrise son monde. Elle doit faire face à une flopée de problèmes... et pourtant, elle procrastine.
Toutefois, à partir du milieu de la BD, la narration s'accélère, prenant un rythme endiablé, qui évoque le sursaut de Mary Pain. Il y a des surprises, autant dans le scénario que dans le cadrage des plans, osés, et dans l'esthétique un peu grasse, spongieuse, hypnotique... en un mot, underground.
Le corps charnu de Mary Pain prend alors une dimension érotique, expérience nouvelle pour moi... comme du Crumb, mais en mieux. La touche féminine sûrement...
Finalement, je dois admettre que je suis touché par ce jeu irréel avec les fantasmes, mais aussi et de manière différente, les angoisses de Mary Pain.
Une expérience bigarrée.
Au départ, la BD porte le nom de son personnage principal, John Difool. Il s'agit d'un anti-héros, détective de « classe R » fainéant, pleutre et incompétent, à qui les « rob-fliks » reconnaissent tout de même la qualité d'être « un bon informateur ».
Évoluant dans un univers « cyber-punk », il est accablé par les ennuis et ce n'est que le début... Car, en récupérant une petite pyramide lumineuse, l'Incal, il devient la cible de la pègre de « Suicide-Allée », puis d'une quantité infinie d'adversaires.
Or, cet éclopé de John Difool n'est pas tout à fait seul. Deepo, sa « mouette à béton », lui tient compagnie voir lui sert de psychanalyste... Et il rencontre d'autres personnages : le Méta-baron, Tête-de-Chien, Animah... qui feront pour certains l'objet de séries dérivées...
Force est de constater que l'Incal est une BD d'exception, que ce soit par son esthétisme ou son scénario. Elle est apparue à une époque où la BD se métamorphosait, sous l'influence de la contre-culture, des auteurs de la revue Métal Hurlant (1975-1987), dont Moebius fait partie, mais aussi des volutes de fumée et autres champignons hallucinogènes...
Conçue par Jean Giraud et Alejandro Jodorowsky, après l'échec de leur adaptation du film Dune, elle démontre leur résilience, dont le travail a finalement eu une influence considérable (notamment sur les films de SF). Pour ne donner qu'un seul exemple, un peu dérisoire, le nom de Difool a été repris par un célèbre présentateur de radio français...
Pour ce nouvel ouvrage, Gir, l'ardent dessinateur de Blueberry, troque le pinceau pour la plume et se transforme en Moebius. Il est chaperonné par Jodo, cinéaste surréaliste, adepte du tarot et inventeur de la « psychomagie »... L'un a été marqué par l'absence de père, l'autre par la violence de son géniteur. Tous les deux vont se défoncer pour cet ouvrage.
Enfant, j'avais été frappé par la modernité et la puissance de ce livre : univers en renouvellement permanent, images psychédéliques, humour caustique... Moins barbant qu'une cathédrale et plus savoureux que les jardins de l'Alhambra.
Adolescent, j'ai apprécié son ton irrévérencieux, sa satyre : contre la société du spectacle, le libéralisme économique, le matérialisme, l'entre-soi des élites... Voilà aussi un livre que l'on ne me forçait pas à lire.
Puis, j'ai essayé de comprendre ses métaphores, ses symboles (notamment les chiffres, les allusions à l'alchimie, les couleurs, les formes...), le message que voulait faire passer Jodorowsky.
Je dois avouer, qu'au détour de mes lectures répétées de l'Incal, j'ai aussi pu lui trouver un aspect un peu ridicule, avec quelques facilités dans le dessin ou les dialogues.
D'ailleurs, rien à voir, mais il y a cette vidéo des Inconnus sur la peinture qui ne cesse de parasiter mon esprit... « il n'était pas peintre, il était juste une sorte de fou, un peu mystique qui, qui se foutait de la gueule du monde, comme moi, mais avec oune sorte de crédibilité ».
Certes, dans l'Incal il y a quelques bémols et des petits couacs. Pourtant, je ne pense pas que les auteurs se moquent de nous.
Au contraire, j'admire la dimension métaphysique de cette BD, si rare maintenant, à l'heure de la BD du réelle. Jodo et Moebius ont pu laisser libre cours à leurs envies, la maîtrise graphique de l'un permettant à l'autre de faire parler son inconscient.
Et que dire de l'énergie spirituelle de cette œuvre : elle n'est pas chrétienne, ni juive ou même musulmane, bouddhiste ou chamaniste... elle est tout à la fois, syncrétique.
J'aime aussi ses couleurs vives, à la gouache, caractéristiques d'une époque où l'image primait sur le texte. Les lignes, les figures géométriques, mais aussi la fulgurance et la pureté du trait de Moebius, sont d'une beauté quasi divine. Il y a une mise en scène radicale, des scènes d'envol et de chute, des décors impossibles, des surprises de taille, de l'éclectisme...
Je ne suis pas sûr que je revivrai la même chose en relisant cette BD dans 20 ou 30 ans...
Mais, ce qui est certain, c'est que je garderai de l'affection pour ces planches.
Une référence irréfragable du Western...
Et pourtant, je ne peux m'empêcher de repenser à d'autres classiques, cinématographiques cette fois-ci : en particulier le troublant L'homme aux colts d'or de Dmytryk.
L'amorce est quasiment identique : une famille de cow boys crapuleux, accablants un village de l'Ouest, assassinent lâchement le shérif. Désœuvrés, les villageois décident alors de faire appel à un tireur d'élite et lui laissent le champ libre pour gérer la situation...
Ce parallèle montre l'influence du genre cinématographique sur l’œuvre de Charlier et de Giraud, que ce soit dans les scénarios, les cadrages, les décors voir même les gueules et les attitudes. Pas besoin d'être un spécialiste pour le remarquer. Cependant, la BD Blueberry remâche le mythe, pour donner naissance à une autre forme de pot-pourri...
Plutôt qu'Henri Fonda, l'homme de la situation est ici le lieutenant Blueberry, accompagné de Mc Clure, ce fieffé alcoolique... Il y a beaucoup d'humour et de dérision dans cette BD, plus que dans les westerns hollywoodiens des années 1950/60. Toutefois, Charlier sait jouer avec la gravité de l'enjeu (la dignité humaine et des vies à sauver) pour faire monter la tension.
Le style du dessinateur, Giraud, va dans ce sens : donnant des expressions variées à ses personnages, parfois burlesques (jugez la tête de « Marlowe » sur les planches 13 à 14), souvent malicieuses (notamment le lieutenant, qui n'est pas du genre à se démonter), leurs identités graphiques sont profondes et immédiates. Le trait de Gir n'est pas seulement clair et lisible, il est aussi précis et élaboré (voyez la fusillade pl. 23, où Blueberry se tient au comptoir pour stabiliser son tir dans sa chute).
Néanmoins, les dessins de Giraud n'ont pas encore atteint leur pleine maturité : difficile de faire la différence entre Blueberry et ses adversaires planches 42 et 45, avec les mêmes physionomies et les mêmes vêtements... Comme si le nouveau marshall se battait contre son reflet, contre lui même... Drôle d'impression. Il y a aussi quelques redondances avec les albums précédents...
Mais j'aime cet album. Déjà parce qu'il a fait partie intégrante de ma jeunesse, mais aussi parce que c'est une expérience différente de celle du cinéma : les cases ne sont qu'un support à notre imagination et le récit contient en creux les arguments d'un ANTI-western. Après tout, rebelle et un peu en marge, Blueberry n'est-il pas lui même un ANTI-héros ?
Certes, Miss Marsh subit quelques vexations, Blueberry étant taxé d'« ANTIféministe vieux jeu et prétentieux ». Mais les personnages de cet album, particulièrement bien réussis, sont plus complexes qu'on ne pourrait le penser aux premiers abords, un modèle du genre. Faites-vous une idée.
Enfin, si Blueberry a puisé dans la manne américaine, elle est devenue LA référence du Western dans le 9ème art : combien d'auteurs s'en sont-ils inspirés ? Me viennent en tête pêle-mèle : Lincoln, Calfboy, Bouncer, Chinaman, Undertaker, Ladies with guns et plusieurs piles d'autres...
Alors pourquoi est-il pratiquement impossible de trouver la série complète du lieutenant en bibliothèque ? Parce qu'elle est assimilée à de la contre-culture voir à de la sous-culture (dixit Zemmour) ? Parce que trop commerciale ? Vieille et poussiéreuse ? Sans intérêt ? Trop masculine ? Trop juvénile ? Trop populaire ? Cancel culture ? Trop longue ? Complexe ? Pas la place ? Non...
...Politique du je m'en foutisme.
Finalement, j'aurais tout de même réussi à me procurer l'intégrale des Blueberry dans une bibliothèque, hors des métropoles...
Je préfère les chats, mais bon...
Le chien en question vient bouleverser la vie d’un artiste un peu raté, « Morose », qui trouve l’inspiration grâce à cette présence bienveillante. Inquiet de cette ascension nouvelle, son voisin, « Dubonheur », artiste ultra connu et devenu richissime grâce aux portraits de son propre animal de compagnie, un félin, en devient particulièrement envieux et aigri...
La BD part sur un bon rythme, avec de belles idées scénaristiques, des pirouettes bien senties... La mise en scène est remarquable, avec quelques surprises selon les pages... L’auteur sait guider notre regard.
Néanmoins, j'ai eu du mal avec l'aspect graphique, paradoxalement moderne et kitsch à la fois. Certes, c'est un ressort comique du livre, avec un effet pastiche. Mais le travail à l’ordinateur a tendance à me rebuter. Ne vous attendez pas à quelque chose de beau, selon les critères habituels en tout cas...
L'esthétique du chien en particulier, mis en valeur sur la couverture, est très vilaine... Cela me fait penser à ces mémères et ces pépères, vous savez, celles et ceux qui aiment leur canidé, avec un amour immodéré, plus qu'ielles n’en ont pour les êtres humains.
Les personnages ont aussi une allure marquante, avec de gros yeux noirs, qui évoquent plus le manga que le franco-belge.
Ce ton, autant dérisoire que mièvre, se retrouve dans les jeux de mots (« dog-matisme », « malgré toutou », « Jack Kerouaf »...) ou autres phrases de leitmotiv...
Si ce livre est accessible, il a aussi plusieurs niveaux de lecture. Il s'interroge, avec un certain humour, sur l'art et son jugement, les rivalités malsaines dans l'art, la mode ou encore les préférences, chien ou chat... Il pose ainsi de multiples questions :
Comment faire un chef d’œuvre ? Est-ce qu’il faut de la maîtrise, un temps de labeur, un atelier digne de ce nom, de l’inspiration, un certain état de forme ? Est-ce qu’il s’agit simplement d’une affaire de goût, de rencontres ? Quelle est la place du public dans la réception de cet art ? Est-ce qu’il faut produire beaucoup, avoir une réflexion intellectuelle sur son travail ? Quelle est la place de l’argent, des récompenses et des médias, mainstream ou non ? Est-ce que l'art doit véhiculer un message, des émotions, respecter des canons académiques ou au contraire les faire évoluer ? Et puis après tout, est-ce qu’on s’en fout pas un peu, tant qu’on aime faire de l’art, que quelqu’un l’apprécie...
Néanmoins, n’espérez pas trouver de réponses sérieuses à ces questions, pourtant intéressantes et non orientées sur le 9ème art. De plus, la relation des maîtres à leurs animaux m’a profondément ennuyé.
D’autres BD m’ont apporté des expériences bien plus épiques, mystiques, enrichissantes intellectuellement ou parfois à se pisser dessus tellement elles étaient drôles ou effrayantes. Il est vrai que ce n’est pas tous les jours..
Ici, j’avoue que je suis resté un peu sur ma faim. J’admire cependant cet auteur, qui a su faire ce que moi je n’ai jamais fait. Mais ce n’est pas ce dont je rêve en tant que lecteur.
Le Nécromanchien n’en demeure pas moins une œuvre singulière, cérébrale...
...et pleine de second degré.
Un nouvel épisode de la Jeunesse de Blueberry...
...qui prolonge l'expérience des Démons du Missouri, avec Charlier et Wilson aux commandes.
Le scénario est intéressant, basé a priori sur des faits historiques. Mais les dessins sont plus inconstants et le résultat est très en dessous du précédent volume.
L'encrage et la colorisation sont moins bien léchés, avec des traits plus grossiers, comme si Wilson avait changé de technique entre les deux albums.
Les visages des personnages féminins sont particulièrement repoussants. Le personnage de Nugget notamment, dont l'ambivalence amenait un peu de piment dans l'opus antérieur, perd tout son intérêt. De ce fait, je suis resté incrédule tout au long de l'album.
...On pourrait s'en passer.
Probablement le meilleur album de la Jeunesse de Blueberry...
Pour la première fois après Jijé, un autre dessinateur prend le relais de Giraud. Wilson relève le défi, celui de remplacer un maître, un virtuose du trait.
Dans cet épisode, Blueberry est chargé de découvrir où se terre Quantrill, un outlaw qui mène ses troupes irrégulières à l'assaut des Unionistes.
Ses recherches conduisent Blueberry dans les montagnes du Missouri. Il y fait la rencontre d'une femme et d'un vieillard dans un trading-post, qui évoquent l'existence d'une ville fantôme...
La mise en scène et les graphismes, très appliqués, sont fidèles à l’œuvre originale. Quoique les dessins de Wilson n'ont pas la fulgurance de Giraud.
Le scénario de Charlier, d'un seul tenant cette fois-ci, est efficace. On retrouve de l'audace, des coups fourrés, du mystère, de la camaraderie et de la sensualité aussi. Les références aux albums antérieurs, comme Tonnerre à l'ouest et La piste des Navajos, sont évidentes.
Certaines scènes, d'une force expressive autant que réaliste, ont marqué ma jeunesse.
Indispensable.
Au delà de l'amour...
Depuis longtemps, les femmes de la série nous faisaient fantasmer. Amoureux frustré, jamais Blueberry n'avait réussi à conclure avec l'une d'elles.
Débarrassé de la plupart de ses soucis, il a maintenant l'occasion de retrouver la femme de ses rêves : Chihuahua Pearl, plus ravissante que jamais.
Mais, il reste un problème de taille... Chihuahua Pearl est en passe de se marier dans le Nouveau Mexique...
Cet album est un nouveau tournant pour la saga Blueberry. Déjà parce que Giraud doit finir seul l'album, Charlier étant décédé en 1989.
Le trait de Giraud évolue, à l'économie. Il gagne cependant en clarté, en efficacité, faisant un effort particulier sur les silhouettes et les ombres, plus que sur les formes et les reliefs des personnages. Fini le festival des hachures et des aplats noirs anguleux, qui faisait le charme du Spectre aux balles d'or.
La mise en couleur, de Florence Breton, plus discrète et moins fauviste, se détache également de la colorisation originale.
De plus, Pearl confisque à Blueberry le rôle principal (entre autres), introduisant et clôturant l'album. Presque un changement de paradigme, quoique le style de Blueberry, emprunté au western spaghetti, autorisait déjà les intrigues annexes, autour de personnages secondaires.
Son mariage gâché (peut-être un parallèle avec la vie de Giraud...), une nouvelle fois, Chihuahua Pearl doit faire ses propres choix... Est-ce que ce sera Blueberry, coup de foudre d'un soir et maintenant plein aux as, qui l'invite pesamment dans son « aiguille creuse » à lui ? Prendra-t-elle son indépendance, traçant son propre chemin, comme elle avait déjà pu le faire auparavant ? Ou bien choisira-t-elle Stanton, qui lui offre depuis longtemps confort et douceur de vivre, mais dans une colère terrible depuis qu'elle s'est fait kidnapper ?
Tout ce que l'on peut dire, c'est que ce sera, à l'image de la relation de Charlier et de Giraud...
...une ode à la volonté libre et à l'amitié.
Il est temps de liquider quelques figurants...
Le scénario de cet album me laisse pantois. La BD m'est même un peu tombé des mains.
Peut-être que c'est dû à une forme de train train quotidien, l'opus faisant écho à d'autres volumes antérieurs, comme le tome 5 notamment... Peut-être que la série s’essouffle aussi un peu, les albums paraissant de plus en plus rarement.
En outre, les personnages sont très bavards, alors qu'on a eu le temps d'en oublier certains... Car l’œuvre de Charlier et de Giraud est désormais très riche, complexe. Cela en devient un peu fastidieux de tout suivre.
Mais ne jetons pas le whisky dans l'eau de la rivière... Certains éléments de l'album valent qu'on le lise.
Le retour d'Angel Face par exemple, ce tueur professionnel dont les stigmates du visage, rongé par le feu, décuplent sa haine de Blueberry. Terrible, il nous réserve une fusillade digne de ce nom.
La peur et l'humiliation de Kelly nous procure également un plaisir coupable, après ce qu'il a fait subir à notre tête brune préférée.
De cette manière, les protagonistes du complot contre Grant tombent peu à peu...
...On ne les plaindra pas.