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« Carcajou » fut pour moi une de ces découvertes qu’on aimerait faire plus souvent.
Une histoire étonnamment bien construite, qui repose sur une galerie de personnages solides et attachants, sans manichéisme ni caricature.
Et même s’il y a un shérif, des Winchester et des trappeurs, le scénariste Eldiablo exploite surtout l’envers du décor : une bourgade de western bâtie autour d’une seule et même compagnie pétrolière, dont le patron, héritier ambitieux et cupide, asservit sans scrupules une population entièrement dépendante de ses dollars. Une zone de non-droit, isolée, en proie aux superstitions et aux légendes des peuples autochtones, menacée par une nature inquiétante.
Djilian Deroche l’illustre par un dessin généreux, expressif, détaillé. Un trait d’une grande vitalité qui dynamise le récit en lui ajoutant une vibrante énergie. Avec ses belles couleurs, il dépeint superbement le Canada sauvage de 1895, sans prétendre le restituer de façon réaliste. Il se dégage des plus de 200 planches une ambiance visuelle prégnante et singulière.
Parfaitement servi par ce style graphique – qui peut en effet rappeler celui de Blain sur "Gus" – le scenario, d’une efficacité redoutable, surprend sans cesse en empruntant des détours insoupçonnés. Et ce, jusqu’à la dernière page.
Suivant des variations de rythme bien maitrisées, les deux auteurs savent faire sourire dans les situations cocasses, créer d’implacables tensions aux bons moments, dompter l’angoisse quand l’atmosphère frôle le fantastique, ou faire poindre l’émotion quand certains protagonistes se confrontent à leurs passés. C’est absolument remarquable.
Littéralement scotché à ma BD, j’ai passé à Sinnergulch, Alberta, un moment de lecture mémorable ! Un album d’une grande richesse narrative, profond et prenant.
On ne doit pas s’ennuyer au Label 619 ! C’est étonnant de voir que d’un côté, ils sortent de gros albums d’une qualité exceptionnelle (« Carbone et Silicium », « Hoka Hey ! » ou « Frontier » pour ne citer qu’eux), mais que d’un autre côté, cette bande de geeks semble avoir carte blanche pour se faire aussi plaisir avec des titres complètement décalés, nourris de séries B, de sous-cultures et d’animes underground.
« Jaune » appartient clairement à la 2ème catégorie. Un manga-hommage aux films d’horreur et aux tueurs masqués de notre adolescence, façon Massacre à la tronçonneuse. RUN et Rours – qu’on imagine incollables sur le sujet – ont donc concocté leur propre « slasher », qui fleure bon les soirées vidéo-club. Evidemment, même truffé de références en tous genres, le scenario est plutôt bas du front. Il s’enkyste inévitablement dans tous les clichés qu’il exploite pour servir sa démarche.
Néanmoins, la mise en scène reste percutante et inventive. Ça va vite, il y a de l’envie, c’est maitrisé. J’ai trouvé ça franchement sympa à lire. En tout cas, ce 1er tome est prometteur pour la suite. Au final, la série pourrait s’avérer jouissive, à condition de garder un minimum d'ambition, de ne surtout pas s’auto-censurer et d’y aller à fond !
Si, comme moi, c’est cela que vous êtes venu chercher avec « Jaune », pas de souci, vous êtes au bon endroit et vous serez servis. En revanche, si vous cherchez un truc intelligent, romantique ou élégant, prenez vos jambes à votre cou et fuyez, pauvre fou ! le slasher en ciré jaune est déjà à vos trousses !
Les albums s’enchainent au rythme respectable d’une parution par an. Cependant Alexis Dormal reste constant dans un dessin de haute qualité. Il crée, par ses aquarelles colorées, un univers pictural chaleureux et réconfortant dans lequel je suis toujours heureux de replonger. A tel point qu’il ne me viendrait pas à l’esprit de ne pas acheter le dernier Pico Bogue ! Impossible d’être déçu par ce style souple et vif, croquant des bouilles expressives et les petits détails qui font la différence. Le traditionnel dessin ornant les pages de garde est d’ailleurs particulièrement beau sur ce tome.
Dominique Roques, elle, parvient dans le même temps à renouveler ses scenarios, même s’il leur arrive, parfois, d’être un ton en-dessous. Mais ce n’est pas le cas d’" Haïku ", qui, plein de bonne humeur, de finesse et de poésie, procure un doux plaisir de lecture.
Un album superbe qui flatte autant l’œil que l’esprit. Bravo !
La Horde parvient enfin à Alticcio, cité aristocratique nichée au fond d’un gigantesque défilé rocheux, dans d’immenses tours en tuyaux d’orgue. C’est là que se trouve les écluses de la porte d’Urle, seul passage possible vers l’Extrême-Amont. A condition que l’exarque, le tout puissant seigneur des lieux, daigne les ouvrir…
Changement de décor radical !
Il est d’abord déstabilisant de voir la horde, habituée à des conditions de survie dantesque, se vautrer ainsi sur des coussins de soie et boire dans des verres en cristal à la cour d’Alticcio. Mais la rupture de style proposée par ce nouveau chapitre est bienvenue après la traversée un peu trop « bizarre » de la Flaque de Lapsane. La parenthèse d’Alticcio, riche en complots, manigances en tous genres et inégalités sociales, dynamise l’ensemble de l’histoire par sa parfaite scénarisation. Il y a moins d’action, forcément, mais les hordiers principaux (Sov, Caracole, Oroshi, Golgoth, Erg) gagnent énormément en épaisseur à cette occasion. Le rythme général peut éventuellement souffrir d’à-coups, mais il tient en haleine d’un bout à l’autre de l’album, avec l'émergence de nombreux enjeux. Et les 4 dernières pages, qui accélèrent brutalement la narration, font office de véritable rampe de lancement pour la prochaine destination, Norska.
Éric Heninnot laisse éclater son talent à travers un dessin varié, alternant entre personnages à la caractérisation impeccable, décors somptueux, et ambiances immersives. A noter que les couleurs de Gaëtan Georges sont magnifiques et contribuent beaucoup à la lisibilité et l’atmosphère de l’ensemble. D’ailleurs moi qui suis féru d’éditions noir et blanc, j’ai toujours délaissé celles de La horde du contrevent car sans la couleur, les planches sont trop brouillonnes à mon goût, en raison de l’omniprésence du vent (travail difficile très bien rendu par l’auteur).
La seule chose qui m’a fait lever un sourcil est la joute verbale, clé de voûte attendue du récit. Elle est brillante certes, mais sonne un peu comme une battle de rap. Je suis notamment perplexe sur le vocabulaire utilisé. Je pense à des mots comme « caravelle, cargo, carmélite, Carrare » désignant des objets, des personnes ou des lieux qui ne sont pas censés exister dans le monde de la Horde… Mais bon, admettons.
En conclusion, ce 4ème tome est indéniablement réussi. Il justifie le délai de parution et conforte « La horde du contrevent » comme une série de grande ampleur.
« Revoir Comanche » est une sorte de sequel à la série « Comanche ». J’en avais lu il y a longtemps quelques titres qui, je l’avoue, ne m’ont laissé aucun souvenir. J’ai donc découvert Revoir Comanche comme un one-shot, indépendant de l’œuvre de Hermann et Greg, et ça marche sans aucun problème. C’est la première grande qualité de l’album.
La deuxième, qui saute littéralement aux yeux, est l’ambiance crépusculaire qui règne du début à la fin. Romain Renard use d’un graphisme troublant de réalisme pour dépeindre l'Amérique profonde de 1930. Son noir et blanc sensuel, délicat, comme cette lumière qui glisse sur la peau de ses personnages, sait aussi se faire puissant lorsqu’il s’agit de faire jaillir des planches une tempête de poussière, une de celles qu’a illustrée Aimé de Jongh dans son fameux « Jours de sable ». Ce dessin virtuose, qui avait déjà brillé dans le somptueux «Melvile», est en accord parfait avec une mise en scène spectaculaire et très cinématographique, de subtils jeux de regards, et des cadrages qui renforcent le côté épique et dramatique de certaines scènes.
Sur un plan technique, c’est absolument bluffant.
Le scenario n’est pas en reste.
Bien sûr, le thème du vieil ours mal léché, reclus dans sa cabane et hanté par les fantômes de son passé sanglant n’est pas nouveau. Vieux bourru embarqué sur la route, comme il se doit, par une mystérieuse jeune femme qui en sait trop sur lui pour être aussi innocente qu’elle prétend. Très beau rôle féminin, d'ailleurs.
Mais Romain Renard joue justement avec ces clichés pour mieux appuyer son propos. Car « Revoir Comanche » ne parle que de la fin d’un monde. C’est pour cela qu’il en émane une si profonde mélancolie. Son album est un hommage à une réalité révolue, celle du western, prête à s’effacer pour laisser la place aux mythes, aux légendes incertaines…
Ainsi, l’auteur salue les natifs américains, ou les damnés de La Grande Dépression, jetés sur les routes, fuyant la mort et la misère. Tous victimes et témoins de la fin d’un rêve, d’une utopie en passe de disparaitre : les prospecteurs de pétrole remplacent les chercheurs d’or, les survivants des peuples premiers croupissent dans des réserves, les pionniers ne sont plus que des personnages de film (belle séquence sur « La piste des géants » de Raoul Walsh) et les us et coutumes du Far West deviennent des attractions de musée. Romain Renard nous montre cette rupture à sa façon, tout au long d’un récit intimiste au rythme volontairement lent, qui permet aux acteurs de vivre leur histoire, leurs silences et leurs secrets, le temps d’un road trip majestueux et nostalgique.
Les bédéphiles trouveront à Red Dust des airs d’Hermann, le vrai, le sanglier des Ardennes, co-créateur de Comanche, géant lui aussi au soir de sa carrière, qui refuse de capituler et de poser les crayons, malgré une œuvre de plus en plus vacillante.
C’est dans ce passage de relais, cet héritage, cette transmission que Romain Renard met toute sa force. Et c’est magnifique.
Je suis cette série depuis le début et j’étais vraiment curieux de savoir comment elle allait se terminer.
Pour rappel, le 1er tome commençait comme un survival post apo assez classique, puis les auteurs ont viré de façon inattendue vers une intrigue occulte, en remettant au goût du jour les Grands Anciens, les Shoggoths et le Necronomicon. Bref, tous les fondamentaux du mythe de Cthulhu. Dans ce 5ème et dernier tome, on retrouve même l’emblématique université de Miskatonic. Autant de créations sorties tout droit de l’imagination de l’écrivain H.P. Lovecraft. L’affiliation avec son univers est donc totale, claire et assumée.
Cette réinterprétation étonnante du genre mérite à elle seule une lecture.
Ce qu’en ont fait les auteurs est, en revanche, un peu plus discutable.
La trame est relativement simple, mais elle parait souvent difficile à suivre. D’ailleurs, le résumé présent au début de chaque album n’est pas là par hasard. Sans ça, de nombreux lecteurs – moi le premier – seraient perdus.
C’est à la fois la force et la faiblesse du scenario :
- Une volonté d’aller vite, en introduisant régulièrement des éléments nouveaux.
- Une place de choix laissée aux scènes de combats, dans lesquelles le dessinateur David Tako excelle (les 3 planches d’ouverture de « Dernier sacrifice » sont géniales).
- Des cadrages et une mise en page ultra dynamiques électrisent le tout avec une efficacité redoutable.
Bref, on ne s’ennuie pas et on en prend plein les mirettes.
Malgré cela, c'est parfois l’impression de confusion qui l’emporte. La faute à un récit un peu abscons, comme à chaque fois qu'il est question de portails interdimensionnels et d'invocations d'entités d'outre-monde. Mais également à une profusion de créatures quasiment toutes identiques, de décors plus ou moins uniformes durant de longues séquences et d’action tous azimuts, jusqu’à l’overdose.
En réalité, derrière les monstres et la pyrotechnie, on a une histoire qui aurait pu ne faire que 3 ou 4 tomes, sans les dizaines de pages de baston pas toujours digestes. Ces 5 tomes auraient pu donner le temps aux auteurs de développer encore davantage les personnages. Personnellement je les trouve tous intéressants et j’aurais eu envie d’en savoir plus sur eux.
Là, on a un joyeux bordel sous stéroïdes, qui hésite entre manga et comics, sans apport significatif à la mythologie de Lovecraft, auquel il emprunte pourtant 95% de son ADN.
Cette conclusion propose tout de même une fin satisfaisante, logique et cohérente, mais sans éclat notable.
En définitive, c’est une bonne série, bien réalisée, très bien éditée par Le Lombard (les couvertures texturées sont incroyables !) mais qui s’adresse essentiellement aux grands ados qui pourront s’identifier sans peine aux jeunes héros.
Peut-être ai-je tout simplement passé l’âge pour l’apprécier pleinement ?
J’ai lu le roman d’Albert Camus il y a plus de 20 ans. J’avais oublié les détails de l’histoire, mais pas son écriture sèche et son atmosphère désenchantée.
De mon point de vue, l’album de Jacques Ferrandez en est une excellente adaptation dans la mesure où il retranscrit précisément le souvenir que j’avais de cette ambiance très particulière. On y suit le personnage de Meursault, en Algérie française, habité par une forme d’indifférence et de lassitude. Incapable d’avoir une prise sur son environnement, refusant de mentir par convenance, il va finir par rendre sa vie et son destin complètement absurdes.
Visuellement, le style de Jacques Ferrandez, très coloré, offre une lecture chaleureuse. De grands décors aquarellés ornent souvent les fonds de planches. C’est beau et fort dépaysant.
C’est un bel album, fidèle à l’œuvre originelle. Une bonne façon de la découvrir pour ceux qui ne la connaitraient pas.
"L'abomination de Dunwich" est la première nouvelle de cette collection adaptée en trois tomes. Les lieux et personnages y sont donc particulièrement bien développés. Cet ultime volume fait la part belle à l’horreur cosmique lovecraftienne, que Gou Tanabe prend le temps d’illustrer avec une intensité fascinante, en plusieurs doubles planches.
Une superbe conclusion qui donne au lecteur l’impression d’avoir touché du doigt, quelques heures durant, les plus obscures diableries.
Ce 2ème tome sur 3 fait considérablement progresser l’intrigue et plonge le lecteur au cœur de l’horreur. Avec toujours une large place laissée au graphisme, on se régale du trait de Gou Tanabe dont la qualité ne faiblit jamais. Son rendu des créatures, quasiment abstrait, sert efficacement le récit. En les montrant incompréhensibles, insaisissables pour l’esprit, il nous fait comprendre qu’elles n’appartiennent pas à notre monde et sont d’une autre essence, beaucoup plus redoutable, tel que Lovecraft les a pensées.
Une lecture passionnante et anxiogène.
S’il y a bien quelque chose que j’apprécie en BD, c’est quand le dernier tome d'une série est plus consistant que les autres. Pour « Furies », Mathieu Lauffray nous gratifie de 78 planches, soit 20 de plus que l'épisode précédent. Ce format généreux offre à l’auteur la galerie rêvée pour déployer et faire admirer son talent.
Qu’est-ce qu’il est fort, ce bougre ! Un génie du dessin qui nous en met littéralement plein la vue. Paysages, personnages, décors, costumes, cadrages, lumières, couleurs, découpage… N’en jetez plus, tout est parfait, son style est juste hallucinant.
Cette virtuosité graphique ne peut toutefois pas faire oublier un scenario riquiqui et copieusement caricatural. Mais peut-on demander à des pirates en quête de trésors d’être subtils ? Evidemment pas. On est là pour des combats, de l’aventure, l'odeur de la poudre et des morceaux de bravoure. Et croyez-moi, on en a pour notre argent ! Même si l’histoire tient sur un post-it, elle a tout de même du corps et se laisse lire avec un plaisir régressif qui incite à une indulgence coupable. D’autant que son héros présente une personnalité d’une belle ambivalence.
Mathieu Lauffray, avec ce gros et superbe boulot, valide donc avec éclat son niveau « auteur complet ».
D’ailleurs, avec une fin aussi ouverte et le succès que ce troisième tome ne manquera pas de recueillir, difficile d’imaginer qu'il tourne définitivement la page « Raven ».
A suivre..?
Ce quatrième tome se présente assez différemment des trois premiers et je comprends qu’il puisse déconcerter certains lecteurs.
En effet, les dimensions littéraire, philosophique ou sociale, qui ont donné jusqu’ici à la série une profondeur supplémentaire, sont beaucoup moins présentes dans ce nouvel opus. Contrairement aux premiers volets, on ne trouve pas, dans « Fannie », ces textes ou citations d’auteurs qui ajoutaient un capital de réflexion aux thèmes développées par le scenario. Stéphane Gess se recentre sur ses personnages. Il consacre cette fois tout un pan de l’album à la mythologie antique – en allant assez loin, il est vrai – avec un côté "comics à la française" encore plus marqué qu’à l’accoutumée. Cela a de quoi surprendre.
En revanche, ce nouvel épisode est tout aussi foisonnant et apporte de nombreux éclairages sur l’univers inquiétant de la Pieuvre. L’intrigue est découpée en une succession de petites saynètes, qui s’enchainent à un rythme soutenu, comme dans une sorte d'accélération. On y tombe pour ne plus en sortir avant la dernière page. J’ai trouvé l’ensemble absolument passionnant. L’auteur a ressorti ses ingrédients secrets pour baigner le tout dans une ambiance fantastico-poétique unique en son genre.
« Fannie la renoueuse », avec le talent du rôle-titre pour la bonté et l’empathie, enrichie énormément la série et conforte son ambition. Une œuvre majeure de la bande dessinée est bel et bien est en construction.
A chaque nouveau Récit des Contes de la Pieuvre, une même et lancinante question me taraude l’esprit : mais où Stéphane Gess peut-il bien aller chercher tout ça ? Brillant.
« Slava » est l’une des bandes dessinées les mieux écrites que j’ai pu lire.
Le vocabulaire, le verbe, la langue de Pierre-Henry Gomont sont d’une richesse peu commune. Drôles ou acerbes, ses mots, ses saillies, sonnent toujours justes et nous touchent immanquablement. Son style truculent, volontiers excessif, généreux d’éloquence, véhicule une quantité insoupçonnable d’émotions.
Le dessin, lui, est énergie pure.
Les personnages, beaucoup plus élaborés qu’ils n’y paraissent de prime abord, semblent plus vrais que nature avec leurs gueules pas possible. L’expressivité élastique de leurs visages, leurs postures, les font immédiatement exister et créent une complicité précieuse avec le lecteur.
Quant aux décors, on devine l’attention que l’auteur leur a portée pour ancrer son récit dans une réalité crédible. Avec en toile de fond des paysages noirâtres, comme croqués sur le vif, chaque action se déroule dans un de ces lieux typiquement soviétiques, que ce soit par leur faste rococo, ou au contraire, par la froide géométrie d’architectures brutalistes ou de sites industriels rafistolés aux squelettes de ferraille rouillée.
Tous paraissent parfaitement authentiques.
Cependant, il ne faudrait pas faire l’erreur de séparer la partie graphique de l’écriture.
« Slava » est un tout indissociable, on ne peut plus cohérent. Mais surtout – et c’est de loin le point le plus important – cette cohérence est au service d’une véritable histoire. Une de celles qu’on n’imaginait pas. Une histoire simple en apparence, dont la construction suit pourtant un schéma complexe aux imbrications multiples.
Abouti, maitrisé de bout en bout, le scenario sans faille de Pierre-Henry Gomont a une âme. Il reste constamment fluide, gagnant en épaisseur au rythme d’un crescendo dantesque, jusqu’à ce final absolument magnifique.
Viscéralement humain, burlesque, sombre, profond, fataliste, roboratif, « Slava » est une réussite totale qui m’aura laissé des étoiles dans les yeux.
Quel panache ! P’tain de chef d’œuvre…
:: CET AVIS CONTIENT DES (MINI) SPOILERS ::
Après le succès mérité de « Jours de sable », Aimée de Jongh était forcément très attendue pour son adaptation du best-seller « Sa majesté des mouches » de William Golding.
Sans démériter, l’exercice n’est pas tout à fait réussi.
La couverture est magnifique, certes, et les premières planches sont alléchantes ; le trait doux et rond de la dessinatrice fait mouche et crée d’emblée des ambiances envoûtantes. Pourtant, au fil de la lecture, l’impression de lire un roman illustré gagne peu à peu.
En effet, l’autrice a pris le parti d’une narration la plus proche possible de l’œuvre originale. L’idée est louable et aurait pu donner un résultat grandiose. Mais la voix off du narrateur devient vite envahissante et finit par mettre le lecteur à distance des évènements.
Il y a, dans de nombreux passages, plus de récitatifs que de dialogues. Comme si Aimée de Jongh ne parvenait pas à mettre en image l’action du roman sans l'appui du texte de Golding.
Et cela pèse fatalement sur le rythme global qui souffre d’un manque de tension, d'oppression, d’intensité. Plusieurs séquences m’ont paru trop diluées, même si les moments de silence ont bien sûr leur importance.
A contrario, une scène déterminante comme la danse tribale qui vire au drame, aurait dû être plus longue, ou découpée de façon à faire jaillir la folie qui s’empare des garçons à cet instant-là. Alors que sa tragique conclusion n’est décrite qu’en 4 cases. S’agissant du point de bascule de l’histoire, elle perd ainsi beaucoup de la puissance qu’elle est censée avoir.
Ce rythme irrégulier est aggravé par de multiples ellipses scénaristiques et quelques raccourcis faciles. Je ne vais pas m’étendre, mais citons par exemple la disparition du garçon à la tâche de naissance qui, bizarrement, n’a pas de réelle explication, ni l’air d’avoir la moindre conséquence sur le groupe. Ou encore, la fabrication des lances : mettez des adultes sur île déserte, je prends le pari qu’aucun d’entre eux ne serait capable de se fabriquer une lance à pointe de pierre ! Pourtant, ici, tous les enfants en sont armés sans que l’on ne sache ni comment, ni par qui elles ont été faites. On pourrait me rétorquer que je chipote mais cet élément a une importance cruciale dans l’histoire. De mon point de vue, il aurait été essentiel de s’y attarder, au moins le temps d’une case ou deux, sans trahir le livre originel.
Tout cela contribue à donner à « Sa majesté des mouches » des airs d’album jeunesse, ce qu’il n’est pourtant pas. Impression renforcée par le jeune âge des protagonistes et par le style presque enfantin, trop enfantin en tous cas, adopté par l’autrice. D’ailleurs, hormis Porcinet, tous les garçons ont des morphotypes et des faciès quasiment identiques, la caractérisation se faisant uniquement sur des détails (cheveux, taille…). Là encore, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y avait moyen de donner aux enfants des « tronches » mieux indentifiables, quitte à enlaidir certains d'entre eux ou à exagérer leurs particularités.
Je précise que j’ai cité tous ces exemples pour étayer et préciser mon avis, pas pour critiquer gratuitement le travail d’Aimée de Jongh, que d'autres lecteurs trouveraient peut-être parfait – et c’est tant mieux. Je garde du respect pour elle, cependant, force m’est d’admettre que je suis resté largement sur ma faim.
Cet album n’est donc pas décevant en soi, il est juste bien en deçà de ce qu’il aurait pu être à mes yeux. Il n’en reste pas moins édifiant et tout à fait recommandable.
Je commence par le dépit que m’inspire l’allure de ce livre : couverture fine et si fragile que j’ai eu du mal à en trouver un potable chez mon libraire ; papier recyclé, rugueux et beigeâtre… Tout ça fait vraiment bas de gamme. Il faut dire que la 1ère de couv n’est pas terrible non plus, ce qui n’aide pas à donner une meilleure image de l’objet. Quand on pense que « Blankets », publié dans l’irréprochable collection Écritures, avec 130 pages de plus, est exactement au même prix (27 €), ça mérite un léger coup de gueule.
Dommage, car le travail de Craig Thompson sur ce nouvel opus est tout à fait remarquable. Il use d’un trait affiné – voire raffiné – pour nous livrer des planches au style chargé, étonnamment détaillées, parfois très réalistes. Le soin apporté aux décors témoigne de sa documentation et de son implication totale à finaliser ce roman graphique d’un autre genre.
En revanche, le choix de la monochromie est discutable. Certes, l’omniprésence de ce rose-rouge peut éventuellement servir le récit, mais il provoque bien plus souvent une gêne visuelle. Une teinte plus profonde, saturée, aurait eu un effet différent. Mais cette palette terne donne une résonnance étrange à l’ouvrage, pas forcément agréable, particulièrement quand la typographie devient elle aussi rouge sur fond blanc. La forme est donc surprenante. On adhère ou pas.
S’agissant du fond, là encore, je serai plutôt mesuré. Si je parlais plus haut d’un roman graphique d’un autre genre, cela signifie qu’on ne sait pas vraiment ce qu’on est en train de lire.
Autobiographie ? Oui.
BD documentaire ? Oui aussi...
C’est pourquoi « Ginseng roots » donne l’impression bizarre de comporter plusieurs couches. D’abord, la couche autobiographique donc, dans la droite ligne de « Blankets » (titre évoqué à plusieurs reprises dans les pages).
Ensuite, la couche strictement documentaire sur la racine de ginseng en tant que végétal, ainsi que toute sa riche histoire.
Enfin, une couche politico-sociale qui éclaire sur la réalité de l’Amérique du nord à travers son modèle d’agriculture intensive et son idéologie capitaliste.
Tout cela est intéressant, souvent passionnant, parfois émouvant. Il en émane beaucoup de sincérité et une grande justesse.
Le souci est que ces différentes couches ne semblent pas toujours bien imbriquées pour former une narration fluide. Elles donnent parfois l’air d’être juste superposées l’une sur l’autre.
Craig Thompson a récolté du ginseng dans son enfance ; tout part de là. Et, à l'image de la plante, son récit se ramifie en tous sens. On devine sa volonté d’embrasser son sujet dans son entièreté et d’essayer de tout faire rentrer dans 450 pages en bouclant sa boucle. Mais l’exercice est bigrement compliqué. Ou bien l’on parle de soi, ou bien d’un sujet X de façon objective et didactique. Il est difficile d’entremêler les deux. Ici, le côté botanique, quoique étonnant, est très présent et peut sembler un poil long et moyennement raccord avec le reste.
Ce qui ne m’a pas empêché de m’y replonger avec impatience à chaque fois que je faisais une pause dans ma lecture, preuve que le scenario est véritablement prenant.
« Ginseng roots » reste donc un incroyable voyage au cœur de ce petit tubercule méconnu, presque insignifiant, à partir duquel Craig Thompson échafaude, avec une minutie peu commune, un récit-fleuve protéiforme et multidirectionnel à la portée universelle. On ne peut qu’être estomaqué par le travail que cela a représenté pour lui.
Attention toutefois, la lecture est relativement exigeante.
Par conséquent, je doute beaucoup que « Ginseng roots » puisse trouver un aussi large public que le désormais culte « Blankets ». Mais qui sait ?
Le premier album d’un nouveau cycle est forcément très attendu. Malheureusement, « Rester vivants » s’est avéré décevant pour moi. Déjà, la couverture est étrangement faible par rapport aux précédentes avec un dessin peu inspiré, presque enfantin.
A l’intérieur, les choses avaient pourtant bien commencé avec une nouvelle page de présentation des personnages. On y découvre les Ours, leurs noms, leurs rangs, leurs clans. Ça pose l’ambiance d’entrée en titillant l’imagination. Mais passé cette alléchante mise en bouche, la sauce a tendance à vite retomber.
Comme on s’en doutait, les scénaristes se sont inspirés de l’univers viking pour créer Arnor. En soi, c’est une bonne idée. Mais on ne saura rien ou presque de leur mode de vie. Pas de contexte social, économique ou historique non plus. Les Ours, quasiment tous partis en campagne, sont dépeints comme des brutes sanguinaires, bourrines et sans aucune nuances.
Si les félins étaient de fins politiciens retors et machiavéliques, les singes d’habiles commerçants rusés et raffinés, les plantigrades ne semblent pas briller par leur intelligence et n’ont l’air d’avoir pour eux que leur force physique et leur soif de conquête. A l’image de la couverture, cela ressemble un peu trop à une caricature, que les auteurs avaient su éviter jusqu’à présent avec les autres peuples.
J’espère que la suite gagnera en subtilité, qui est l'une des caractéristiques marquantes de la série.
Certes, ce n’est qu’un tome d’introduction mais qui m’a donc largement laissé sur ma faim. Cet épisode n' a même pas d'annexe en postface, ce qui rajoute au sentiment de trop peu. Je salue toutefois quelques bons personnages, comme Oddei ou Volk, qui nous offrirons certainement de bons moments à venir. Mais aussi la présence intrigante de chiens et de loups dans leurs troupes et, surtout, le rôle trouble que ces derniers ont à jouer en Arnor.
A suivre... (avec impatience tout de même !)
Il y a tout dans cet album : du frisson, de l’action, de l’émotion, de la romance, de la fureur, de la tendresse, de la poésie… Les auteurs, en état de grâce, parviennent à nous administrer une triple leçon avec une générosité sans pareil.
Une leçon de vie car le courage et la détermination de Madeleine et tous ses camarades résistants forcent le respect et l’admiration.
Une leçon d’histoire car la précision de la documentation, le souci du détail et la puissance du témoignage en font une précieuse source d’enseignements.
Enfin, une leçon de bande dessinée car même s’il s’agit d’une biographie (ce qui laisse souvent pantois au vu des situations décrites !) Madeleine Riffaud - alias Rainer - en plus d’une immense résistante, devient AUSSI un personnage de BD à part entière, une des héroïnes les plus fortes et les plus attachantes qui puissent être.
En termes de rythme, les terribles scènes d’emprisonnement de Madeleine peuvent sembler longues (plus de 60 planches sur 120), mais elles ne nuisent jamais à la fluidité de l’ensemble. Le deuxième acte, l’attaque du train qu’illustre superbement la couverture, n’en parait que plus explosif.
Dès le premier volume on se doutait déjà que cette série ferait date ; ce 3ème tome confirme qu’elle se taille une place indiscutable au panthéon du 9ème art.
Achat coup de tête, comme souvent chez moi s’agissant de science-fiction. Mais sans regret.
Pelaez et Grabowski proposent avec « Neuf » un album solide, plutôt cérébral. Très classique dans sa forme mais dont le fond se cherche une certaine profondeur, sans toujours l’atteindre. La faute, peut-être, à une forme de tarabiscotage scénaristique. Les auteurs en général devraient pourtant savoir depuis longtemps que tisser un récit sur un paradoxe temporel est extrêmement casse-gueule et offre peu de débouché.
Pelaez réussit toutefois à pas mal s’en sortir, sa trame n’étant pas dénuée de sens. Notamment dans une impossible relation père-fils assez touchante. Son scenario donne cependant l’impression de tourner un peu en rond et aurait mérité d’être dynamisé par un peu plus d’action et surtout, beaucoup plus de scènes spatiales. La déjà légendaire Planète 9, dont l’existence réelle est aussi probable que mystérieuse, aurait mérité un décor à sa mesure.
Grand admirateur de Gaël Faye – chanteur – je ne l’ai pourtant jamais lu car cela fait quinze ans que je ne lis plus que des BD. La sortie de l’adaptation par Savoia et Sowa de son fameux « Petit pays » fut donc une bénédiction pour moi et ne pouvait pas m’échapper.
Visuellement l’album est de très bonne facture. Le dessin, réaliste, léger et expressif est particulièrement agréable et permet une immersion naturelle au Rwanda et au Burundi des années 90, bien aidé en cela par une palette de couleurs chaudes qui restituent de superbes ambiances équatoriales.
Cette plongée au cœur de l’Afrique est également favorisée par un récit qui prend son temps et se développe d’abord autour du quotidien des jeunes protagonistes, entre insouciance de l’enfance et forfanterie adolescente.
Mais l’écriture étant d’une grande subtilité, le lecteur attentif pourra comprendre dès les premières pages que quelque chose se trame. Quelque chose d’indistinct et de fort mauvais augure. Une multitude de signes, d’abord imperceptibles puis de plus en plus concrets, viennent peu à peu assombrirent un horizon qui finira par basculer dans l’horreur absolue. Une horreur incompréhensible, d’autant plus tragique qu’elle est vue à hauteur d’enfant. Du jour au lendemain les amis, les copains, les proches peuvent devenir des ennemis ou être massacrés sans discernement.
Le sujet est dur. Dans la deuxième partie, la plus sombre, les auteurs doivent surfer en permanence sur une ligne extrêmement difficile à tenir : montrer la peur, la folie, le sang ou laisser tout cela hors champ ? Ils trouvent le bon équilibre, sans se draper dans une fausse pudeur mais sans la moindre complaisance non plus pour la violence. Tout ce qu’ils décrivent a du sens. Ce sont, ni plus ni moins, les rouages d’un nettoyage ethnique qui ensanglanta ces deux « petits pays ».
Une histoire bouleversante traitée avec beaucoup d’intelligence et de talent. A lire absolument.
Chaque tome est différent du précédent. Pourtant mes commentaires sur Marshal Bass se suivent et se ressemblent. Et pour cause : j’admire sans réserve la capacité des auteurs à approfondir encore et toujours ce personnage ombrageux et son univers si particulier en alliant de nouvelles propositions scénaristiques à une certaine audace graphique. A noter que les couleurs de Vitković sont d’ailleurs pour beaucoup dans le « style » ‘Marshal Bass’ de Kordey.
Il est rare dans le paysage de la BD actuelle de trouver une telle cohérence dans un background constamment renouvelé. Cet épisode n’est pas exceptionnel en soi mais il s’inscrit pleinement dans une série qui, elle, l’est par bien des aspects.
Après les prodigieux « Blast » et « Rapport de Brodeck », Manu Larcenet frappe encore – toujours aussi juste, toujours aussi fort – avec une adaptation fidèle de Cormac McCarthy.
Mais au-delà des qualités propres du roman, c’est définitivement le langage graphique de l’auteur qui s’impose au fil des pages comme une référence définitive du 9ème art. Le vent, la cendre, la solitude, le froid, la peur… Les nombreuses planches muettes parviennent à dire bien davantage que les mots.
Le texte reste cependant primordial. Précis, économes, les dialogues viennent questionner l’espoir avec une terrible acuité. Reste-t-il une raison de lutter pour vivre dans un monde où nulle herbe ne pousse, nul oiseau ne vole, où le soleil lui-même semble avoir disparu ? Pur instinct de survie ou foi aveugle en une hypothétique renaissance ?
In fine, les quelques échanges entre l’homme et son fils viennent surtout donner corps à l’abnégation et la fatalité. En n’accrochant à leurs esprits en lambeaux qu’une seule et nécessaire idée motrice, celle qui les fera tenir un jour de plus : être et demeurer les « gentils ». L’enfant doit y croire. Le père doit, lui, trouver la force de faire semblant.
Une œuvre éminemment sombre, bien évidemment, mais une grande œuvre.
Même sans avoir lu « Red badge of courage » de Stephen Crane, duquel est tiré cet album, on sent intuitivement qu’il s’agit d’un livre important. Une vision de la guerre radicale s’y déploie à travers les yeux d’Henry Fleming, un jeune fermier engagé volontaire en 1863, dans la guerre de Sécession états-unienne. Sur un temps très court, deux ou trois jours seulement passés sur un champ de bataille, sa vie sera irrémédiablement changée.
Deux ou trois jours qui suffisent pour comprendre toute l’horreur de la guerre, mais aussi toute son absurdité, son injustice, son aberration.
Je comprends mille fois que Steve Cuzor ait souhaité adapter ce roman. En termes de narration il est probablement très bien transposé mais l’exercice a dû être sacrément difficile. Car ce qui se décrit en mots peut avoir plus de mal à se traduire en images. Avec une seule unité de temps, de lieu et d’action, c’est loin d’être évident. D’autant que tous les personnages se ressemblent, uniforme oblige.
Heureusement, le dessin est d’une intensité rare et nous immerge avec force au cœur des combats. Celui qui se déroule à l’extérieur, avec son lot de ravages, de mort et de destruction. Mais surtout celui qui se déroule à l’intérieur du jeune Fleming. Par le biais de nombreux récitatifs, le héros nous adresse ses pensées. Steve Cuzor nous fait écouter sa voix plus qu’il ne nous la fait lire. La voix entêtante d’un adolescent que la violence transforme en homme. Cette voix qui rend compte de l’évolution permanente de son état d’esprit et de sa lutte contre lui-même. Car finalement, le pire ennemi qu’il aura à vaincre pour survivre ne sera pas l’adversaire dans le camp d’en face, mais sa propre peur.
« Cinq branches de coton noir » m’avait ébloui en version N&B. J’ai donc pris « Le combat d’Henry Fleming » dans la même édition et je ne le regrette absolument pas.
Cet opus est une proposition différente, moins ample c’est vrai, moins romanesque et plus âpre que le précédent, mais il s’en dégage puissance et intelligence. Un album graphiquement exceptionnel, porteur de sens et de réflexion.
Je n’avais jamais entendu parler du roman « La neige était sale ». Et comme le relève J.L. Fromental dans sa postface, cet ouvrage présente des analogies avec « L’étranger » d’Albert Camus. Âpre et rugueux, le récit de Georges Simenon heurte, dérange, questionne. Et sa trame aride possède effectivement une dimension existentialiste.
Ancrée dans un passé incertain mais familier, l’intrigue se développe au cœur d’une France vaincue, étrillée, annexée. Un contexte de guerre d’autant plus dérangeant qu’il reste volontairement flou. La présence inquiétante de l'ennemi, désigné comme « les occupants », crée pour les protagonistes un climat d’angoisse et de paranoïa permanente, empiré par de rudes conditions hivernales.
Il aurait alors été facile d’imaginer dans ce nouvel ordre sinistre, l’émergence d’un personnage charismatique et vertueux prêt à combattre la tyrannie.
Au contraire, le jeune Franck Friedmaier n’a rien d’un héros. Fils privilégié d’une mère maquerelle influente, il est un homme malfaisant, cynique et vicieux. Indifférent, borderline, se croyant plus malin que les autres, il considère ces temps misérables comme une opportunité pour commettre impunément et sans discernement les pires exactions en s’enfonçant inexorablement vers l’irréparable.
Alors que tout espoir de rédemption semble impossible pour lui, une révélation insoupçonnable, quasi christique, agira comme une étincelle lumineuse au plus obscur de son être.
Je ne peux juger l’adaptation en elle-même. En revanche, je n’ai aucun doute sur l’implication totale des auteurs. Même s’il m’est arrivé de trouver le dessin de Bernard Yslaire un peu appuyé sur certaines cases, son trait donne des gueules étonnantes de vie aux acteurs et sait parfaitement rendre cette ambiance un peu malsaine de capitulation décadente. Son portrait de Franck notamment, très androgyne, est saisissant.
Au texte, J.L. Fromental construit sa narration avec quelques ellipses et ruptures de rythme, mais l’ensemble est pleinement maitrisé. Ces choix, qui pouvaient sembler contre-intuitifs, s’avèrent payants à la fin et confirment toute l’expérience du scénariste.
Une bande dessinée puissante, particulièrement sombre, qui renvoie à d’autres grandes œuvres dystopiques.
Formica me semble une œuvre mineure.
Drôle, oui, parce que Fabcaro maitrise bien la mécanique de l’absurde. Mais cette belle machinerie tourne à vide. D'accord pour qu'elle n'ait aucun sens – c’est l’idée – mais elle n’a surtout aucun dessein, ni la moindre poésie. Or, les grands maitres de l’absurde (au hasard Ionesco, Beckett*, Devos, Fred, Voutch...) ont toujours teinté leurs propos d’une douce folie, poétique, loufoque et décalée qui invite à la réflexion. Là, c’est loin d’être le cas. On sombre plutôt dans le registre du « bête et méchant » que je n’affectionne guère.
Les repas de famille étaient pourtant un excellent point de départ. Chacun en a vécu et en garde ses souvenirs, parfois cauchemardesques.
Cela dit, un point de départ ne fait pas un album. Le lecteur attend en vain des développements qui ne viendront jamais. Le récit use et abuse du comique de répétition et il en touche très vite les limites. Du coup, ça ne mène nulle part.
Une chute, un twist, ou ne serait-ce qu’un peu d’intelligence auraient été bienvenus.
En somme, un album pour rire ou sourire mais qui ne sert strictement à rien. Dommage, dans la mesure où Fabcaro a déjà prouvé qu’il est capable de beaucoup mieux.
*Je cite des auteurs de théâtre puisque Fabcaro qualifie Formica de « comédie en 3 actes »
:::: AVIS POUR L’ÉDITION PRESTIGE GRAND FORMAT ::::
C’est clairement magnifique, mais j’avoue ne pas avoir pris tout à fait autant de plaisir à la lecture de Notre-Dame de Paris qu’à celle de Dracula et Frankenstein, les 2 fabuleux opus que Georges Bess nous avait précédemment offerts.
Cependant, mes réserves ne tiennent qu’à des détails et ne remettent pas en question la qualité générale de l’ouvrage.
Tout d’abord, pas de romantisme gothique ici. Ni d’ornementations débordantes ou de compositions picturales esthétisantes. Le texte originel de Victor Hugo étant beaucoup plus dense que ceux de Bram Stocker et Mary Shelley, son adaptation ne permettait sans doute pas à l’auteur de trop enluminer les planches ni d’agrandir les cases. Formellement, il s’agit donc d’une bande dessinée aux contours plus classiques que ses prédécesseurs.
Autre détail qui m’a surpris : la 1ère vraie vue de l’intérieur de la cathédrale n’arrive qu’à la page 174. Et je ne peux pas m’empêcher de regretter qu’il n’y en ait quasiment pas d’autres (hormis celle de la page 33, très partielle). La nef de Notre-Dame, ses colonnes, sa voûte, son transept, son chœur... méritaient quelques cases d’ampleur que le talent de Georges Bess aurait forcément rendu sublimes.
Dernier détail plus gênant : l’imprécision du visage de Claude Frollo. Son profil, notamment, qui change souvent d’une case à l’autre. A tel point que je n’ai pas réussi à m’en faire une image mentale et savoir à quoi il ressemblait vraiment.
C’est perturbant mais c’est comme ça et je l’accepte. Je ne vais pas critiquer le dessin d’un tel artiste.
L’histoire en elle-même est connue, forcément, mais elle est habituellement édulcorée. Avec cette adaptation parfaitement fidèle au roman, on découvre qu’elle reste sur le fond d’une grande modernité (ce qui devrait d’ailleurs nous inquiéter…). Une tragédie intemporelle, universelle, qui se joue au fil de pages superbes, poignantes, effroyables, saisissantes. Comme je l’ai déjà dit, c’est simplement magnifique.
J’en recommande la lecture en édition prestige. Le prix semble élevé mais il est largement justifié par le format, la beauté de l’œuvre et la qualité éditoriale. Et je continuerai de les acheter sous cette forme tant que Georges Bess continuera d’en réaliser. J’en espère d’autres en tous cas.
Et je confirme que ces trois albums géants ont fière allure côte à côte dans une bibliothèque ! Même si chez moi, ils sont relégués dans un coin, dans le seul casier assez haut pour les contenir...
Une belle histoire, tout en retenue, à la fois légère et profonde. Etienne Davodeau a su mêler hauteur de vue et mélancolie avec la poésie qu’on lui connait.
Ses images sont douces, ses mots sont forts.
Après avoir été sèchement refroidi par son « Droit du sol », je suis heureux de retrouver le Davodeau que j’apprécie, loin des controverses et du militantisme facile. En observateur affuté, il n’est jamais aussi bon que quand il surmonte son égotisme et s’efface au profit des personnages touchants qu’il arrive toujours à sortir de son chapeau.
Cette balade en Loire fut un délicat plaisir de lecture. Je m’y rebaignerai avec joie.
Malgré le léger sursaut que l’épisode précédent avait amorcé, ce dernier tome raté confirme sans surprise ce que j’en pensais depuis le début (voir mes autres avis) : ce scenario abscons n’a jamais décollé. Il avait pourtant du potentiel mais Tristan Roulot n’a pas su mettre en place des enjeux clairs, ou ne serait-ce qu’une intrigue fluide. Encore moins des acteurs forts auxquels s’identifier et pour lesquels on ressent de l’empathie, tout simplement.
En bande dessinée, les personnages ont toujours été la clé d’un bon récit me semble-t-il. Or ici, tout est cryptique, poussif, inintéressant, sans consistance. Rien ne m’a jamais semblé crédible. Comment le serait-ce avec des ressorts narratifs aussi distendus et des protagonistes à ce point antipathiques, déshumanisés, désincarnés ?
Comment s’attacher à ces mutants tous plus malsains les uns que les autres ? On ne sait jamais d’où ils sortent, ils ne servent pas à grand-chose voire à rien du tout et, in fine, leur sort ne nous importe pas le moins du monde.
C’est d’autant plus dommage que Dimitri Armand aura rendu une excellente copie. Son dessin aurait presque pu sauver la série à lui tout seul. L’espace de quelques cases magnifiques, il nous aura laissé entrevoir tout ce qui ne s’est pas passé dans l’histoire. A savoir de la maitrise, de la cohérence, du souffle, de l’intensité. Mais c’est malheureusement loin d’être suffisant.
Tant mieux si d’autres lecteurs plus indulgents que moi ont apprécié cette série. J’ai vraiment essayé d’y croire mais « Le convoyeur » aura été à ce jour l’une de mes plus grosses déceptions. J’avais pris ce tome 4 dans le seul but de posséder la série complète.
En vain. Ces albums feront partie des très rares que je ne garderai pas.
Le final tant attendu, à la fois inévitable et imprévisible, se déchaine enfin sur la montagne, prêt à engloutir Saint-Elme sous un déluge de feu.
Serge Lehman et Frederik Peeters emboitent avec précision les dernières pièces de leur sanglant puzzle. La conclusion hallucinée d’un récit génial aux personnages inoubliables. Les auteurs auront réussi à créer un univers parfaitement cohérent, dont les bords laissés volontairement flous, le nimbent de mystères insondables.
Qui voudrait aller à Saint-Elme a été prévenu dès le début : ici, c’est spécial !
Que sont réellement ces Thorgal Saga ? Pas vraiment des hors-séries, pas une série à part entière non plus… Un truc entre les deux, probablement. Peu importe, j’adore ce concept : partir d’un héros culte et confier aux soins d’auteurs différents, mais talentueux et respectueux, la création d’histoires uniques qui étendent l’univers de la série-mère et l’enrichissent, c’est très bien vu.
Le mot SAGA est d’ailleurs particulièrement bien adapté à Thorgal. Selon Wikipédia : « On appelle saga un récit […] rapportant la vie et les faits et gestes d'un personnage, digne de mémoire pour diverses raisons, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, en n'omettant ni ses ancêtres ni ses descendants s'ils ont quelque importance ». Si l’on rajoute que c’est un mot viking, on ne peut pas faire plus raccord.
Pour ce qui est de « Wendigo », le scenario est sans doute trop simple pour créer la surprise mais il est néanmoins solide et bien mené.
La partie graphique, elle, est irréprochable. Le superbe dessin de Corentin Rouge en fait une lecture immersive qui prête au rêve. Avec ce sentiment familier d’être bel et bien dans un Thorgal mais un Thorgal upgradé, classieux, magnifié par le grand format, la pagination généreuse, l’édition soignée.
D’autres éditeurs devraient s’en inspirer pour d’autres personnages (même si oui, les spin-off ne datent pas d'aujourd'hui). Car Le Lombard peut se féliciter d’avoir lancé avec Thorgal Saga une nouvelle référence qui a déjà trouvé son public et pourrait bien en conquérir un nouveau, beaucoup plus large.
Pour ma part, ce 2ème opus m’ôte tout doute ; j’en serai.
Exceptionnel !
Mais attention, je parle en fan de Star Wars. Je ne sais pas comment serait perçu cet album par quelqu’un qui ne connaitrait pas la saga, notamment le tout premier volet, dont l’improbable genèse nous est contée ici par Renaud Roche et Laurent Hopman. Deux auteurs plus ou moins inconnus jusque-là. Eh bien on peut dire qu’ils ont frappé fort ! La Force est avec eux et je pense qu’on n’a pas fini d’en entendre parler…
Première surprise : c’est écrit de façon très simple. Ce qui aurait pu être un défaut s’avère être une qualité majeure. Car c’est du coup extrêmement facile à lire et d’autant plus efficace. Un véritable page turner, percutant, drôle, passionnant, rythmé et même émouvant sur la fin. Le travail de documentation est époustouflant et particulièrement rigoureux. Comme le rappellent les auteurs, la plupart des dialogues sont inventés, forcément, mais ils n’ont aucune difficulté à nous convaincre de leur authenticité, tant ils sentent le vécu.
En tout cas on ne peut que s’extasier devant les montagnes de difficultés que le réalisateur a dû franchir des années durant, sans jamais quitter son but ni dévier de sa trajectoire. Faut-il croire en ses rêves ! On ne peut que ressentir de l’empathie pour George Lucas, dont la détermination, l’abnégation et la persévérance nous administrent, bien malgré lui, une sacrée leçon de vie.
Deuxième surprise : au premier regard, le dessin assez stylisé et plutôt froid ne correspond pas à mes critères ; je n’aurais donc pas dû l’aimer. Sauf qu’au deuxième regard, il n’est ni froid ni stylisé. Renaud Roche est vraiment très fort, et c’est un euphémisme. Son trait est en fait précis, expressif et ultra dynamique. Il sait se concentrer sur l’essentiel sans rien bâcler. C’est un exercice difficile et il le réussit à la perfection. Bien aidé par ses touches de couleurs qui parsèment chaque planche et donnent une profondeur immédiate et chaleureuse aux nuances de gris.
Cette histoire incroyable – et avec elle un pan entier de la culture contemporaine – méritait sa BD. Une BD à relire et à rerelire. Indispensable, en tout cas à MA bibliothèque !
Encore une BD documentaire… me suis-je dis dans un soupir en voyant chez mon libraire « La vie secrète des arbres ». J’observe avec perplexité que ce genre, s’il n’est pas nouveau, bénéficie depuis peu d’un tel engouement, que certains titres comme « Le monde sans fin » en deviennent des phénomènes éditoriaux à l’ampleur inédite. À l’instar des Satouff ou certains Davodeau, ces albums sont très souvent lus par des gens qui ne lisent pas de BD habituellement. C’est pour cela que les chiffres des ventes sont à ce point astronomiques.
Bref, ce n’est pas trop mon truc et cette parution n’aurait pas dû m’interpeller. Mais déjà, quand Benjamin Flao est sur la couverture, je deviens tout de suite beaucoup plus attentif.
Et puis la perspective d’apprendre des choses sur le règne végétal n’est-elle pas suffisante en soi ? J’ai donc fini par l’acheter et j’ai très bien fait.
Même si j’ai mis un peu de temps à rentrer dedans, j’ai vite été happé par cette vie effectivement secrète et insoupçonnée des arbres, riche de réflexion et de poésie.
C’est vraiment étonnant et plutôt abordable, bien que quelques planches plus didactiques que d’autres m’aient donné l’impression d’être des fiches scolaires de SVT. Mais cela n’empêche pas la lecture de rester passionnante de bout en bout.
B. Flao a probablement déjà été meilleur (son « Âge d’eau » est un chef d’œuvre !) mais la vivacité de son trait dynamise avec une belle allégresse un texte essentiellement technique. De même que ses aquarelles, parfois magnifiques.
J’ai eu un peu plus de mal avec le récit à la 1ère personne, puisque l’intérêt de l’album réside dans la vie des arbres, non dans celle de son auteur. Mais c’est le jeu des adaptations. Possédant également le livre de Peter Wohllenben – très bien – je confirme que la version BD est beaucoup plus attrayante, moins austère et tout aussi instructive. Elle est donc pertinente et pleinement justifiée, pour répondre à l’utilisateur précédent.
Je ne sais pas quel sera le destin de ce bel album mais on pourrait parier sans risque sur un nouveau succès. C’est tout ce que je lui souhaite en tout cas.
Vous pouvez l’acheter et/ou l’offrir les yeux fermés.
« Mauvaise réputation » c’est d’abord une atmosphère faite d’un style réaliste au trait léger et délicat ; de tons automnaux, crépusculaires, parsemés de vibrants éclats de lumière ; sans oublier ces espaces un peu vaporeux dans lesquels les personnages semblent parfois flotter. Hervé Bazin a réalisé un travail d’une immense élégance.
L’impeccable couverture démontre encore une fois sa maitrise de la composition et son goût affirmé pour le silence et la contemplation.
Antoine Ozanam livre de son côté un récit précis, parfaitement adapté à l’univers graphique de son dessinateur : 1908, puis 1922. Emmett Dalton, seul survivant du légendaire gang d’outlaws pilleurs de trains et braqueurs de banques, puise dans ses souvenirs pour collaborer avec un producteur de cinéma. Leur but ? Tourner un film qui réhabilitera la véritable histoire des Dalton, loin des clichés sensationnalistes et racoleurs vendus par les feuilles de chou de l’époque. À l’origine, des marshals épris de justice, contraints de sombrer dans l’illégalité à la suite du non-paiement de leurs salaires.
Les auteurs alternent présent et passé avec virtuosité. A noter d’ailleurs que le découpage est heureusement beaucoup plus fluide dans ce 2ème tome.
Les réminiscences d’Emmett, synonymes d’un Far West désormais révolu, se teintent de nostalgie alors qu’un Hollywood à peine naissant commence à transformer les collines californiennes jusqu’alors désertes.
Les unes de journaux insérées en tête de chapitres, magnifiquement illustrées par H. Bazin, renforcent le dialogue – qui s’avèrera fécond – entre fait divers, paillettes et fiction.
Un diptyque absolument splendide.
PS : si le papier mat accorde une incontestable valeur ajoutée au dessin, il reste très perturbant pour moi d’avoir le tome 1 en brillant et le tome 2 en mat !
Matthias Lehmann, auteur franco brésilien, réussit avec « Chumbo » un roman graphique fleuve couvrant 70 ans de la vie politique et sociale du Brésil. Un projet très ambitieux sous forme d’autofiction. Au travers d’une famille fictive – inspirée de la sienne – il met en scène tout un pan d’histoire, de l’ascension du père, riche industriel dans les années 30, jusqu’à la postérité de ses enfants à l’aube des années 2000.
Les trajectoires des différents protagonistes suivront les fluctuations tumultueuses de la société, soumises aux luttes de pouvoirs qui scinderont la population entre partisans de l’ordre, prônant une dictature militaire, et les tenants d’un virage communiste, prêts à s’engager dans la lutte armée. Les différents régimes qui se succéderont au cours de ces 7 décennies agiront à chaque fois dans leur propre intérêt aux dépends des classes populaires et se compromettront tous plus ou moins dans la corruption, la censure, ou pire, la torture.
Avec ce résumé on pourrait imaginer un tableau sombre et peu attractif. Mais ce serait oublier le talent de Matthias Lehmann pour conter les à-côtés, les mille petites facéties de l’existence. Son goût pour la gaudriole, son esprit cinglant, son regard à la fois tendre et distant, sa liberté de ton, sont autant de prises auxquelles le lecteur s’accroche. Le portrait qu’il nous brosse de son pays est écrit avec une passion communicative. Il parvient continuellement à transmettre au lecteur son amour pour sa culture.
La lecture est dense, voire exigeante. Quelques longueurs ralentissent parfois le rythme et les multiples personnages, particulièrement leurs noms, sont difficiles à retenir pour les non lusophones. Cependant l’ensemble reste toujours intéressant, grâce à un dessin plutôt simple et économe, mais capable de véhiculer de nombreuses émotions.
Une œuvre forte et chaleureuse que tout amateur de roman graphique appréciera à sa juste valeur.
Arthur Rimbaud fait partie des auteurs qui ont largement influencé ma vie. Dès le collège, sa poésie m’a laissé entrevoir une autre vision du monde, faite de création, de solitude et de liberté, qui s’est avérée être le meilleur rempart qui soit contre tout esprit pusillanime et trop terre à terre. Il reste pour moi l’incarnation ultime du génie ; sa définition même. Son destin incompréhensible (abandon total de la poésie pour une vie hasardeuse de trafiquant d’armes en Afrique) participant également à sa légende.
« Les illuminés » met en lumière cette singularité, ce renversement entre le maître absolu de la littérature qu’il était et le dégoût rampant que son art, sa propre vie ou ses semblables lui inspirèrent au fil du temps. On y découvre les poètes Germain Nouveau et Paul Verlaine, les deux plus proches compagnons de Rimbaud, être tour à tour terrassés, jaloux, hypnotisés, effrayés presque, par la puissance de ses mots. Impuissants à le sauver de lui-même, ils vivront dans son ombre, comme hantés par son insaisissable fantôme.
Laurent Frédéric Bollée retrace 14 années de leurs parcours respectifs dans des narrations parallèles et complémentaires. On peut suivre chacun des trois poètes aux mêmes moments mais dans différents lieux, grâce aux tonalités que les pinceaux de Jean Dytar attribuent à chacun d’eux. Procédé brillamment exploité qui permet de les identifier immédiatement en rendant chaque planche parfaitement lisible. Qui permet surtout de comprendre leurs trajectoires croisées, leurs divergences et leurs aspirations.
Le dessin enfiévré de Dytar dépeint tellement bien l’époque, les portraits, le thème, qu’il en est arrivé à me déconcentrer ! Je me trouvais parfois de longues minutes dans l’incapacité de poursuivre ma lecture, ébloui que j’étais par cette beauté.
C’est très personnel mais les auteurs ont réussi à réveiller l’adoration que j’avais porté à Rimbaud dans mes jeunes années. Un album qui m’a laissé au cœur une étrange mélancolie doublée d’une furieuse envie de faire des vers, de vivre, tout simplement.
Quant à cette couverture ! De loin la plus belle de l’année à mes yeux. Ah ! que n’aurais-je donné pour croiser, une nuit de brouillard, ces illuminés sur ce pont et trinquer avec eux…
Attention, je ne recommanderais toutefois pas cet album - pour magnifique qu’il soit - à quelqu’un qui ne connaitrait ni ces personnages ni leurs œuvres ; il aurait toutes les chances de passer à côté.
Superbe voyage auquel nous invitent – une dernière fois ? – les grands Schuiten et Peeters. Un songe intemporel, éthéré, mélancolique et littéraire qui a toute sa place dans la poétique des Cités Obscures.
Les illustrations sont splendides et donnent corps aux textes de Peeters qui entreprend de « ressusciter » le légendaire capitaine Nemo dans un jeu de miroirs avec son créateur, le non moins légendaire Jules Verne. Ce dernier figurant en bonne place, rappelons-le, parmi « Les personnages illustres des Cités Obscures ».
Réalité et fiction se confondent alors, comme souvent dans cet univers. Le personnage se fond dans son démiurge, les deux ne faisant plus qu’un : Jules Verne est Nemo ; Nemo est Jules Verne. Son Nauti-poulpe, mû par quelque esprit secret, visite le Monde Obscur jusqu’à Samarobrive, sa destination finale, en inspirant d’ailleurs au passage à Rimbaud « Le bateau ivre ».
Puis, l’écrivain ayant retrouvé sa place, nous plongeons avec lui dans son « Paris au XXème siècle », qui fut le 1er ouvrage de Jules Verne publié sur le Continent Obscur, contrairement à notre réalité, où il aura fallu attendre l’année 1994 pour en voir imprimer le manuscrit.
Vous l’aurez compris, « le retour du Capitaine Nemo » est une troublante et mystérieuse déambulation dans les méandres de notre mémoire collective, fut-elle fictive.
Le seul reproche que je pourrais lui faire est que l’ouvrage entier, dans son contenu comme dans son intention, sert de chambre d’écho à la sculpture monumentale d’un Nauti-poulpe, que François Schuiten lui-même à conçu pour la ville d’Amiens (« Samarobrive ») et qui devrait être installé en 2025. Difficile de faire abstraction de ce contexte. Un album des « Cités Obscures » peut-il servir de promotion à l’actualité de ses auteurs ? C’est discutable.
Lire Saga est toujours une expérience étrange et assez fascinante… à condition d’accepter le postulat de départ, en mode « No limit ». En effet, rien ne vient jamais entraver l’imaginaire et la créativité débordante de Brian K Vaughan pour élaborer son scenario. L’expression « univers magique » est d’ailleurs employée, pour la première fois je crois, par l’un des protagonistes. C’est le bon qualificatif pour décrire ce background complètement fou où absolument tout peut potentiellement arriver, que ce soit en termes de design (personnages, décors et vaisseaux) ou d’actions.
Mais derrière ce miroir aux merveilles plein de poudre de perlimpinpin se cache une réflexion humaniste souvent profonde, parfois émouvante, et toujours intelligente. Cet épisode, par exemple est centré sur la notion du pardon.
Pour ma part, je continuerai cette série unique - que je suis depuis le 1er tome - tant que les auteurs proposeront une Saga de cette qualité-là.
A lire absolument !
Ce 3ème chapitre est encore meilleur que les précédents !
Le lecteur, à présent familiarisé avec l’environnement, l’intrigue et les personnages, profite pleinement d’un récit aussi riche que prenant. Je l’ai lu d’une traite, complètement absorbé par l'atmosphère qui s'en dégage. C’est addictif et particulièrement bien réalisé.
Il manquerait peut-être juste une pointe d’ironie, de décalage, comme le bonze Noshin dans « Okko », qui contrebalançait merveilleusement l’austérité des autres protagonistes.
Avec « Le serpent et la Lance » Hub est incontestablement en train de réaliser une série de premier plan. Bravo !
Quand je lis l’avis de celui qui prétendait deviner la fin du cycle, tant l’histoire était soi-disant prévisible, je rigole !
C’est justement ce qu’il y a de formidable avec ce scénario : il est impossible d’en voir les ressorts. Pourtant, aucune fausse piste n’est mise en place pour mystifier le lecteur et lui faire croire à une pseudo complexité comme on le voit souvent ailleurs. Tous les personnages sans exception ont un rôle à jouer. Parfois anecdotique, parfois déterminant, mais tous suivent leurs voies. Et ce faisant, apportent leur pierre à l’édifice.
Et quel édifice ! La série entière est appelée à devenir culte si cette qualité se maintient, ce dont je ne doute pas. Car le récit a beau être dense et les arcs narratifs multiples, il sait rester fluide. Fatalement, certains passages peuvent ne pas se comprendre sur le coup, mais l’on n’est jamais perdu. Mieux, on a l’impression de vivre les évènements en direct sans que les situations ne paraissent prédéterminées. C’est le cas de cette conclusion dantesque, même si elle se projette directement dans le monde des Ours sans clore pour autant le chapitre des Primates.
Et s’il est vrai qu’on y parle beaucoup de politique, point de prise de tête. Ces longs dialogues souvent très bien écrits et chargés de tactiques en tous genres permettent de comprendre les mentalités des différents protagonistes mais également les spécificités des peuples des 5 Terres. Si l’on rajoute les petites annexes en fin d’albums qui étendent l’univers, l’ensemble est parfaitement cohérent, immersif, intelligent et redoutablement efficace.
Je comprends qu’on puisse ne pas aimer, mais tout un chacun ne peut qu’admettre que c’est objectivement bien ficelé et éminemment bien dessiné. Un pur plaisir de lecture !
Je collectionne avec avidité tous les tomes de cette série tant le travail de Gou Tanabe m’impressionne.
Comme je lis exclusivement des BD et plus du tout de littérature, je ne me suis pas replongé dans les "vraies" nouvelles de Lovecraft depuis au moins 20 ans. Par conséquent je ne jugerai pas la qualité de l’adaptation. A en croire l’avis de kingtoof, elle est fidèle et je n’en doute pas. Ce qui est d’ailleurs une gageure car l’univers de l’écrivain est connu pour être difficilement transposable.
Bref, Lovecraft par Tanabe, c’est vraiment bien.
Pourtant, ce 10ème volume n’est pas mon préféré.
Le travail graphique reste de haut niveau mais il ne m’a pas transporté. J’aurais préféré qu’il soit moins centré sur les personnages pour faire plus de place aux inquiétants décors.
La narration, elle, est hachée par une chronologie non linéaire qui nuit un peu à la fluidité du récit, donc à l’immersion. Dommage, car l’atmosphère générale de « L’abomination de Dunwich » est suintante d’horreur et de mystère.
J’attends le second tome avec impatience pour me faire une idée définitive.
Frais, tendre et sympathique, ce 15ème Pico Bogue reste dans la veine des précédents.
Soyons franc, la série s’essouffle peu à peu. Mais elle sait à chaque fois trouver un nouveau ressort pour revitaliser la narration. Dans « Les heures et les jours », ce sont les colères soudaines et spectaculaires d’Ana Ana qui servent de fil rouge.
On sourit souvent et les yeux sont bercés par les belles aquarelles d’Alexis Dormal. C’est Pico Bogue, quoi !
Une thèse de philosophie mise en BD ?! Après tout, pourquoi pas ?
Le thème de l’hybridation est objectivement intéressant et l’idée, bien qu’ardue, aurait éventuellement pu aboutir… si elle avait été portée par des auteurs professionnels !
Là, on a une docteure en philosophie à l’écriture et un « dessinateur » amateur au dessin. Je mets des guillemets car pour un trait aussi faible, on ne peut décemment pas parler de dessinateur. Je me demande encore qui a laissé croire à ce monsieur Petetin qu’il était capable de réaliser une bande dessinée. Le résultat est hélas désastreux.
C’est doublement dommage : d’une, le texte n’est pas nul et comporte même de beaux passages. S’il avait été scénarisé correctement, il aurait sans doute été passionnant. De deux, il existe des dizaines d’auteurs, des vrais, des talentueux, qui galèrent et n’auront peut-être jamais la chance de faire leurs preuves et légitimer leur travail.
Je suis donc presque en colère de voir que ce monsieur qui, étant – comme sa bio l’indique – DG d’un grand groupe, n’a nul besoin ni d’argent ni de reconnaissance, se fasse publier on ne sait trop comment.
Pour moi comme pour beaucoup de passionnés, la BD est un art majeur que l'on doit respecter. Ce genre de publication tire tout vers le bas. Pourquoi avoir commis cela ?
Bertail et Morvan sont en train de créer un chef d’œuvre du 9ème art en transposant le témoignage ô combien précieux de Madeleine Riffaud dans de superbes planches nimbées de cet indéfinissable bleu-gris. Cette couleur, dont il émane une magnifique lumière, est idéale pour faire vivre le souvenir de la guerre. L’atmosphère est palpable. Elle est intense. On y est.
Cette fructueuse partition graphique culmine avec les cases illustrant les rues de Paris. Elles sont d’une grande beauté. Dominique Bertail n’a pas son pareil pour dépeindre les pavés humides et les murs décrépis. L’immersion est totale.
En revanche, les mots vont me manquer pour décrire l’histoire en elle-même. Le caractère même de l’ouvrage crée une étrange et puissante ambivalence : d’une part on est entrainé par le souffle romanesque de ces personnages incroyables vivant des situations dantesques en ne laissant aucun répit au lecteur ; d’autre part on éprouve une sorte de retenue respectueuse devant la véracité d’un vécu qui effare, questionne et bouleverse. La scène du pont, notamment, ne peut pas laisser indemne…
Je rejoins l’avis de bd91130 : grâce aux talents conjugués de deux auteurs parfaitement en phase et au courage d’une résistante, combattante et survivante, on assiste en direct à l’édification d’un monument de la BD. Indispensable.
Parler en même temps d’avortement, d’intégrisme religieux et d’homosexualité dans le même album, il fallait oser. Si le pari est audacieux, il s’avère payant car « Mister Prairie » est particulièrement marquant.
Visuellement, il est dessiné par un très grand Ralph Meyer au summum de sa technique. Quant à Xavier Dorison, il modernise radicalement le western par son propos. Il a concocté un scenario prenant, aux enjeux encore très actuels (malheureusement). Il est en plus agrémenté d’une nouvelle super-méchante qu’on adore détester !
Un très bon tome dont on attend déjà la conclusion avec impatience.
A lire les critiques, certains ont trop vite méjugé le premier volet. Comme très souvent dans les diptyques, le premier tome présentait les principaux protagonistes et introduisait les enjeux. Et il le faisait très bien.
Rappelons que si le héros créé par le duo espagnol est à ce point iconique, c’est d’abord parce que l’univers zoomorphe dans lequel il évolue est une référence incontestée du genre. Il pourrait presque se suffire à lui-même tant sa richesse visuelle est opulente.
Et sur ce plan-là, « Alors tout tombe » 1 & 2 est un exemple éblouissant !
Pour autant, sa stupéfiante virtuosité graphique ne fait pas oublier sa qualité d’écriture. Le format double a en effet permis de développer un scenario subtil aux multiples imbrications et des personnages complexes. Parmi eux, je décerne une mention spéciale à l’inquiétant Shelby, le goéland, pour sa formidable prestation.
Enfin, la force de cet opus tient aussi et surtout à l’évolution de l’environnement. La ville y devient actrice à part entière. Le pont de Solomon (superstructure aérienne) accentue l’échelle des décors et donne à New York une ampleur quasi gothique. Ce gigantesque ouvrage fait écho au métro (infrastructure souterraine), l’une des toiles de fond de la première partie. Ces deux mondes s’opposent et se confrontent mais sont les deux faces d’une même médaille, symbole d’ambition, d’aveuglement et d’arrangements véreux. Et cette fois-ci, John Blacksad ne pourra rien ou pas grand-chose face à cette réalité désenchantée.
La création artistique – ici le théâtre – toujours présente dans l’univers Blacksad, est impuissante à changer la société. L’idéalisme prend fin. Tout tombe. Les artistes doivent mourir ou se muer en héros masqués et vengeurs pour, peut-être, faire tomber à leur tour les puissants de ce monde… C’est magnifique.
« Alors tout tombe » est l’un des meilleurs épisodes de la série.
J’admire l’équilibre parfait de cet excellent scenario. Il en émane une impression de douce mélancolie, de tendresse poétique et roborative.
« La bête » est une BD à l’ancienne, massive et superbement illustrée, beaucoup plus dense et complexe qu’il n’y parait.
Le Marsupilami – puisque c’est de lui qu’il s’agit – n’en n’est pas le héros. De nombreux personnages sont mis davantage en avant. On sent que Zidrou, au scenario, les a aimés et peaufinés. Ils ont tous leur histoire et leur vie à vivre. Ce sont eux qui, par leur humanité, contribuent à donner une dimension aussi sauvage, terrible presque, à « la bête ».
Ce contraste, véritable contrepied qui donne son nom au diptyque, est le plus bel hommage et la meilleure contribution que Zidrou pouvait faire à l’œuvre de Franquin : oui, le marsupilami est avant tout un animal ! Extraordinaire, improbable, légendaire… mais un animal quand même. Il mord, grogne, se défend avec vigueur. Et le lecteur comprend en creux qu’il pourrait facilement tuer s’il était acculé.
En le replaçant dans ce contexte beaucoup plus réaliste, qui plus est très immersif avec des décors magnifiques et un langage authentique, les auteurs le réhabilitent à un tout autre niveau que celui auquel il était cantonné. Ils lui donnent tout simplement une portée universelle. C’est la première et immense qualité de ce récit.
La deuxième est qu’il propose une histoire fluide, jolie, avec un goût prononcé pour le merveilleux. Les tribulations du jeune François pour retrouver son ami poilu prennent des airs de conte initiatique, pour peu qu’on adapte son regard au bon niveau de lecture.
Leur cavale rocambolesque est en tout cas un régal pour les yeux. Franck Pé, aidé d’Elvire de Cock aux couleurs, a enchanté ses planches. Je n’ai cessé de m’extasier au fil des pages. Absolument tout sonne juste : des trognes des acteurs, à cette clinique que n’aurait pas renié Tim Burton, en passant par les rues illuminées de Bruxelles. Certes, Zidrou a ensemencé son récit d’une certaine candeur ; acceptons-la. Mais de mièvrerie, jamais. Il n’y a ni manichéisme, ni bons sentiments. Les protagonistes ont tous une raison d’agir, qui n’obéit pas à une quelconque morale. Et ce n’est pas un détail.
En conclusion, l’exercice était bigrement difficile… S’emparer de l’œuvre culte d’un intouchable génie ! Un défi que beaucoup n’aurait pas pu relever.
Non seulement « La bête » y parvient mais elle en écrit un nouveau chapitre. Chapeau !
Beaucoup mieux que le Griffon ! Comme quoi, pas besoin de grands espaces inexplorés pour faire un « bon » Astérix. Il suffit d’un bon scénariste. C’est le cas de Fabcaro qui signe une histoire très proche des Astérix historiques. Bien aboutie, plutôt drôle et assez fine, avec juste ce qu’il faut d’esprit satirique.
Même s’il y flotte un sentiment de déjà lu, Fabcaro réussit donc une excellente reprise, sobre et respectueuse, particulièrement appréciable après les calembours obsessionnels et pesants de son prédécesseur.
::: SPOILERS :::
Pour un fan de la 1ère heure comme je le suis, difficile de ne pas être légèrement déçu à la lecture de ce dernier tome. Légèrement, ai-je dit. « Eugène - Toutes les bonnes choses ont une fin » n’est pas moins bien que les autres. Mais il n’est pas mieux non plus.
Et c’est justement de là que provient ce sentiment de trop peu.
L’ensemble de la série étant magistralement orchestré depuis le début, le désir d’avoir un ultime volume inégalable, incomparable, finissant en apothéose ce thriller génial, était légitime, voire obligatoire.
On aurait tellement eu envie d’un twist final qui remette tout en perspective et justifie la narration éclatée entre les 6 personnages choisis pour l’incarner ! « L’intrigue » étant résolue dès le 1er chapitre, j’avais espéré un climax, une montée en puissance autour d’un élément nouveau, dont le dernier personnage aurait été la clé. Mais non. Pas non plus d’énigme supplémentaire apportée par la superposition des points de vue. Et c’est là que je rejoins l’excellente remarque du chroniqueur : Eugène, caricature de gros beauf dont le parcours un peu pathos a tendance à excuser la bêtise, n’est pas particulièrement intéressant. C’est évidemment Fanette qui aurait dû clore la série. Elle est de loin le meilleur personnage, le plus réussi, le plus mystérieux, le plus ambivalent, et le seul qui aurait pu (qui aurait dû ?) faire basculer l’histoire.
Alors, dommage ?
Non.
C’est parce que RIP est si bien que j’eus souhaité que ce fût absolument parfait. Mais à défaut de perfection, elle reste une grande série, une de celles qui fait date. Parfaitement écrite, parfaitement dessinée. C’est incontestablement une nouvelle référence de la BD. Ne serait-ce que pour avoir repoussé les limites aussi loin. Mais ne nous y trompons pas, si l’insondable noirceur qui s’en dégage est largement décomplexée, elle est néanmoins indispensable à l’histoire. Et le plus remarquable, c’est que tout un panel d’émotions infuse peu à peu au fil des pages, par-delà la fange humaine si lugubrement mise en scène. Le glauque absolu est atteint, certes, mais avec la manière…
C’est bien simple, à partir de maintenant, pour évaluer le degré de noirceur d’une œuvre, je parlerai de l’échelle de RIP !
Ne comptez pas sur l’objectivité de mon avis, j’adore trop cette série. Définitivement. Et ce, pour plusieurs raisons que j’ai déjà pu évoquer dans mes précédents commentaires. Parmi celles-ci : une ambiance unique, inimitable, due autant aux choix des décors qu’aux couleurs anormales utilisées si pertinemment par Peeters. C’est à chaque fois une petite claque visuelle. Si l’on rajoute une galerie de personnages complètement barrés et particulièrement bien caractérisés, on en reprend une deuxième.
Enfin et surtout, c’est la dimension pré-fantastique qui me fascine le plus. Tout concourt à faire sombrer l’histoire dans le surnaturel mais elle n’y bascule jamais vraiment, comme si elle restait accrochée au bord de l’abime. Le récit est donc constamment cerné par une forme d’irréalité, de fantasmagorie indéfinissable d’où n’importe quelle créature pourrait surgir sans que cela ait quoi que ce soit d’étonnant (mais un loup-garou, monsieur Lehman… vous êtes vraiment sûr ?!)
Cet équilibre périlleux entre un excellent polar, crapoteux à souhait, et l’univers de mystères et de légendes cher au scénariste, est un véritable tour de force. Ce 4ème tome s’inscrit dans cette continuité et ne déçoit pas, malgré l’absence de révélations d’ampleur, qui arriveront fatalement au prochain et dernier épisode.
Je n’aurais pas parié, en me plongeant dans cette série dès la sortie du 1er tome, qu’elle basculerait à ce point dans le fantastique. Et c’est à mon avis ce qui la rend si singulière. Les bas-fonds d’un Londres victorien plus vrai que nature qui se peuplent de démons asiatiques aux super-pouvoirs ?... Il fallait le faire ! Et non seulement Homs et Zidrou l’ont fait mais ils l’ont très bien fait. Ce mélange improbable de mythologie japonaise et de combats sociaux bien réels contre la misère et l’exploitation est détonnant ET passionnant.
Album après album, les auteurs jalonnent leur œuvre de marqueurs indélébiles : des personnages féminins puissants, incarnés, dans les veines desquels coule une inextinguible soif de justice ; de mémorables salopards ; d’incroyables morceaux de bravoure ; un récit s’étalant sur plusieurs époques tout en restant constamment fluide ; un dessin superlatif ; des couleurs parfaites… La liste est longue de toutes les caractéristiques faisant de Shi une grande série. Ce deuxième cycle, bouclé avec « La grande puanteur » est sans doute moins complexe et exaltant que le premier mais ces qualités demeurent et le plaisir de lecture est immanquablement au rendez-vous. Très belle couverture en prime.
« Le Nom de la rose » par Manara ? Miam ! Le type de BD déjà culte avant même sa publication. C’est en tous cas un des albums qui a suscité chez moi le plus d’envie. Trop sans doute…
Impossible d’abord de faire abstraction de l’excellent film de Jean-Jacques Annaud, sorti en 1986, en lisant cette adaptation. À l’inévitable jeu des comparaisons, il y a forcément de bonnes et de moins bonnes surprises. Les bonnes sont des personnages aux mines assez différentes. Hormis Salvatore qui ressemble peu ou prou au rôle incarné par le grand Ron Perlman, les autres arborent d’autres faciès, tous très réalistes et pleinement réussis. On notera au passage la ressemblance non fortuite de Guillaume de Baskerville avec un certain Marlon Brando ; c’est bien vu.
L’ambiance générale, ensuite, qui culmine avec les vues superbes de l’abbaye, est tout aussi mystérieuse et glaçante que dans le long métrage. Chaque planche est magnifique – pas de doute, il s’agit bien de l’œuvre d’un maître – et bénéficie d’une mise en couleur particulièrement évocatrice.
S’il fallait chercher des lacunes ce serait plutôt du côté du récit qu’on les trouverait. Je savais mes attentes exagérées sur cet album, je ne suis donc pas réellement déçu, mais je reconnais que ma lecture reste en deçà de ce que j’en espérais. La faute à une intrigue qui va parfois trop vite et ces nombreuses scènes qui auraient mérité, à mon avis, de plus amples développements et une aura de mystère supplémentaire. Cela dit, les choix narratifs de Manara sont souvent efficaces. Les cases en style médiéval, par exemple, sont parfaites.
En conclusion, même si quelques points sont largement discutables, je pense qu’il serait dommage de passer à côté de cet album dont la suite gommera probablement les défauts en en faisant une grande et belle œuvre de bande dessinée, et non plus une simple adaptation.
3,5 / 5
L’entame de ce deuxième tome m’a surpris, tant il m’a semblé différent du premier ; non pas par l’histoire qui est la suite directe de « Après la chute », mais par une tonalité générale un peu plus grave, un rythme légèrement moins trépidant et un personnage de Slava dont la présence s’efface au profit de Lavrine, même si sa voix de narrateur se fait davantage entendre.
Puis, le contexte de ce deuxième épisode enfin posé, la trame retrouve peu à peu le dynamisme et les excentriques aventures humano-magouillo-financières qui font tout le sel de la lecture. Avec « les nouveaux russes » Pierre-Henry Gomont réitère l’exploit de nous captiver avec le background pourtant austère de la chute de l’Union Soviétique. Grâce à des personnages solides et truculents, une qualité d’écriture hors norme, une incroyable vivacité du trait.
Il en ressort une ambiance, une énergie et une intelligence que je n’avais encore jamais expérimentées à ce point dans une bande dessinée. L’auteur évoque à un moment « Les âmes mortes » de Gogol, prodigieux bouquin dont je garde encore un souvenir intact après des décennies. Eh bien, son « Slava » me fait un peu le même effet. C’est d’ores et déjà à mes yeux une série exceptionnelle que je prendrai un immense plaisir à relire en attendant la suite.
On aurait pu s’attendre à un scenario plus complexe, puisque développé en diptyque.
Mais « Hell Paso » donne plutôt l’impression de dérouler sa propre histoire et pourrait presque se lire indépendamment de « Texas Rangers », le précédent volet.
A priori, rien d’inoubliable, donc...
Si ce n’est que les fondamentaux de « Marshal Bass » sont là et bien là. Et cela est suffisant en soi pour en faire une lecture obligatoire.
Car où trouver ailleurs cette noirceur désespérante, contrebalancée en permanence – presque contrariée – par une humanité écorchée, s’acharnant à survivre envers et contre tout pour s’emparer de certains personnages, au premier rang desquels River Bass, en en faisant des porteurs de cette minuscule et vacillante petite flamme qui empêche le monde de sombrer dans l’obscurité totale ?
Je suis un peu lyrique, ok, mais c’est un des effets que me procurent « Marshal Bass ». Il y a quelque chose de tragique dans cette série, au sens le plus noble du terme, qui me touche davantage à chaque épisode. Ici, j’ai particulièrement apprécié le crescendo de la narration qui mène quasiment à la folie ; avec une mention spéciale pour le rôle du « Fantôme », excellent personnage que l’on est amené à revoir. Du moins je l’espère.
A condition qu’Igor Kordey ne se relâche pas trop. S’il reste capable du meilleur, ce 10ème tome comporte quelques cases au dessin trop approximatif.
Un scenario inébranlable qui emprunte son storytelling aux meilleures séries télé : la trame est constamment relancée par des éléments extérieurs imprévisibles ou bien par les changements de comportement d’un personnage, qui, confronté à telle situation voit ses convictions évoluer et sa psychologie s’infléchir. Chaque détail, chaque action peut potentiellement bouleverser l’histoire entière. C’est d’une efficacité diabolique.
Le plaisir de lecture, renforcé par un dessin toujours impeccable, va grandissant au fil des tomes.
Attention, risque d’addiction élevé !
Avec des pages de gardes striées de noir & blanc qui troublent la vision, le ton est tacitement donné dès le début : le contenu sera dérangeant.
En effet, il est beaucoup question de pédophilie dans « Contrition ». Mais l’immense richesse de l’album est que l’auteur s’en sert comme d’une matière à réflexion pour interpeller le lecteur et nourrir un scénario palpitant, digne des meilleurs thrillers.
L’action commence à Contrition Village, communauté américaine où les pédo-criminels tentent de se réinsérer après avoir purgé leurs peines. Quand l’un d’entre eux s’immole par le feu, une journaliste flaire que derrière la thèse officielle de la police se cache une tout autre affaire… Elle va alors mener une enquête passionnante et découvrir une vérité beaucoup plus profonde et insaisissable. Le lecteur va être happé en même temps qu’elle dans un tourbillon de rebondissements et de questions dont les réponses, forcément ambivalentes, ne seront jamais satisfaisantes ; comme par exemple : « jusqu’où les gens peuvent-ils agir sous l’emprise d’une autorité néfaste ? » ou « faire de mauvaises choses fait-il de vous une mauvaise personne ? ».
L’intelligence de l’écriture est redoutable et nous préserve de tout pathos, tout parti pris polémique ou politique. Un pur plaisir de lecture.
Carlos Portela et Keko (dessinateur de la prodigieuse « Trilogie du Moi ») signent une œuvre extrêmement puissante, aussi fine que complexe. Un grand roman graphique.
Une déception. C’est toujours très beau et la lecture n’est pas désagréable. Mais à l’heure de lire ce dernier tome, il était déjà trop tard, le destin des personnages ne m’importait plus depuis longtemps.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire et je persiste : le principal défaut de cette série est que Rodolphe n’aura jamais été capable de faire vivre ses acteurs. Ils n’auront jamais eu d’incarnation, ni la moindre personnalité, encore moins de psychologie. Rien. Ce sont des enveloppes vides. Ils sont juste là, spectateurs inertes de leur propre histoire.
Cette conclusion n'y change rien, elle aggrave même les choses. J’ai regardé les beaux dessins de Dubois en étant, hélas, complètement étranger au contenu, comme maintenu à distance par le scénariste lui-même. Du coup, c’est une impression de gâchis qui l’emporte car sur l’ensemble des 6 tomes il y aura quand même eu quelques idées intéressantes, de belles trouvailles scénaristiques et des rebondissements, notamment dans le tome précédent. Mais tout cela est inutile si rien ne nous attache aux personnages. L’intrigue passe rapidement au second plan, l’intérêt se dissipe et l’ennui s’installe.
Après un premier tome génial (« L’étranger »), la sauce est vite retombée. Sans être indigne, la suite n’a été qu’une longue dilution, jusqu’à l’apparition de ces 'anges' dans ce dernier volet, mal amenée et mal fichue, qui achève définitivement tout espoir de rattraper un scenario poussif et finalement peu inspiré. Dommage.
Difficile de se faire un avis sur ce 9ème Marshal Bass, puisqu’il ne s’agit que de la première partie d’un diptyque.
On y suit un River Bass en un peu moins mauvaise posture que d’habitude (mais le pire est à venir, n’en doutons pas !), avec pour compagnons de route une bande de Texas Rangers beaucoup trop louches pour être honnêtes…
On y retrouve également Doc Moon, excellent personnage secondaire, dans un deuxième arc narratif étrange et intrigant.
Le trait d’Igor Kordey est ce qu’il est – on adhère ou pas – mais il fait preuve d’une constance et d’un style des plus solides. Il parvient, là encore, à créer des ambiances extraordinaires qui donnent à l’ensemble de la série une identité graphique incomparable.
Les scenarii de Darko Macan étant le plus souvent intelligents et généreusement sombres, gageons que la seconde partie apportera cette profondeur caractéristique au personnage qui fait pour l’instant légèrement défaut à ce chapitre.
Excellente idée que d’avoir offert une suite à Mégafauna ! D’autant qu’entre les deux, le dessin – qui était le point faible du premier tome – s’est nettement amélioré. Il est beaucoup plus fin, dynamique et varié.
Mais c’est encore une fois au niveau de l’écriture que l’alchimie opère véritablement. Nicolas Puzenas a concocté une excellente histoire, particulièrement aboutie. L’univers est toujours aussi original et les nombreux développements réservent moult rebondissements. Le récit est dense, cohérent, bien mené et déborde de bonnes idées scénaristiques, dont certaines sont d’ailleurs sous-exploitées au regard de leur potentiel. Intelligent, humaniste, il s’enrichit en plus d’une dimension épique pleine de souffle, de profondeur et d’émotion.
Un très bon album que je ne suis pas près d’oublier et qui forme avec son prédécesseur un diptyque extrêmement original. A noter, enfin, un bon travail d’édition de la part de Sarbacane. A lire absolument !
Vu sa couverture peu engageante et un premier coup d’œil aux pages qui ne m’a guère emballé, je n’aurais rien parié sur « Mégafauna ». Pourtant, le plaisir de lecture est clairement au rendez-vous. Grâce notamment à un scenario surprenant, cohérent et bien ficelé. On sent que Nicolas Puzenas, que je ne connaissais pas, a tout mis en œuvre pour donner vie à ses personnages et à son univers original. On pourrait chipoter sur certains détails du récit mais peu importe, « Mégafauna » est bien écrit et a fini par emmener le lecteur assez exigeant que je suis beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé.
La partie graphique, en revanche, est perfectible.
Bien que peu subtil, le dessin est dans l'ensemble plutôt correct. Mais les cadrages sont trop moroses : énormément de plans « américains », plans « taille » et de personnages de profil, qui nuisent au rythme et donnent une impression de platitude peu adaptée à cette aventure.
C’est dommage car avec un trait plus structuré, mieux maitrisé, « Mégafauna » aura tout eu d’une grande œuvre. Il convient tout de même de saluer l’énorme travail que l’auteur à fourni sur 80 planches.
Au final, je suis très heureux que cet album, qui m’a été offert, ait intégré ma bédéthèque car je ne l’aurais pas forcément acheté moi-même et j’aurais sans doute eu tort. C’est très bien, il gagne à être connu.
Un troisième tome intensément tendu, presque suffocant tant le scenario de Fabien Nury se resserre autour de Charlotte, impératrice fantoche dans un Mexique hostile où rien ni personne, pas même la nature, ne veut d’elle.
Affublée de son pitoyable et sinistre mari, elle parvient à maintenir, seule, un semblant d’apparences en rassemblant son intelligence et le reste de sa dignité pour essayer de sauver ce qui semble déjà perdu. Elle en devient une grande figure tragique au destin bouleversant.
Mais ce magnifique portrait de femme esquissé par la plume de Nury, aussi beau soit-il, ne serait sans doute qu’anecdotique sans le talent de Matthieu Bonhomme. La grâce de son dessin, la précision de son trait, l’élégance de ses décors, la science de ses cadrages, élèvent « Charlotte impératrice » à un niveau extatique pour la rétine. Aucun déchet, aucune approximation, jamais. Chaque planche, chaque case est superbe et participe constamment à la narration. Une partition parfaite. Et la couverture est somptueuse.
Une leçon de bande dessinée !
Jens Harder poursuit son Grand Récit avec l’illustration des 2000 dernières années en 2000 images. Le résultat est toujours aussi titanesque et impressionnant même si mon intérêt décroissait un peu à mesure que s’approchait la période contemporaine, qui m’est plus familière et suscite forcément moins d’émerveillement. De ce point de vue, « Alpha » et « Beta 1 », qui balayaient des périodes beaucoup plus larges et moins scolaires, avaient forcément plus d’ampleur et de mystère.
Par ailleurs je rejoins l'avis du chroniqueur, l'Afrique noire est quasiment absente de cette chronologie, autrement que par le tragique mais sempiternel biais de l'esclavage.
Ces réserves mises à part, l’ensemble reste bien évidemment passionnant et unique en son genre. J’ai d’ores et déjà une immense curiosité pour le prochain chapitre, Gamma, qui explorera le futur…
Même si ce troisième chapitre m'a semblé le moins abouti, je conserve ma notation maximale, ne serait-ce que parce qu'il est bien évidemment "indispensable", selon les critères du site, à qui possède les deux premiers.
Superbe épisode, particulièrement sombre et poignant.
Un dessin qui évolue de nouveau légèrement mais reste toujours aussi expressif et détaillé. Un scenario intelligent, impitoyable, qui interpelle par sa justesse. Il approfondit encore davantage le personnage d’Elijah Stern en en faisant une figure d’un nouveau genre, inclassable, intègre, à la force intérieure inébranlable ; un être presque tragique.
Deux observations, enfin :
J’ai noté que Stern n’avait plus ses fameuses bottes dans cette aventure. Un détail, certes, mais j’ai trouvé ça dommage dans la mesure où elles faisaient un peu partie de sa personnalité. Messieurs Maffre, je réclame leur retour !
Autre détail mais esthétique : les croix noires sur rouge en haut du dos des albums commencent à former, quand tous les tomes sont alignés côte à côte, un cimetière à l’aspect gothique et crépusculaire ; c'est magnifique, j’adore !
« Stern » est définitivement une série de premier plan, qui a raison de prendre son temps pour s’ancrer parmi les grandes sagas de la BD contemporaine. Bravo !
Encore un titre qui était sur ma liste depuis des années et qui vient enfin de rejoindre ma bibliothèque.
Ce n’est certes pas une lecture rigoureusement indispensable, mais c’est un album on ne peut plus réjouissant, à condition bien-sûr de ne pas être complètement allergique au genre pulp dans le sillage duquel « Lorna » se positionne clairement. On pourrait ne rien attendre d’une telle publication mais le récit s’avère beaucoup plus intéressant et complexe que la couverture le laisse imaginer. Et c’est surtout du grand Brüno côté dessin ! L’ensemble est absolument magnifique et se dévore avec un plaisir coupable.
Une petite pépite dans laquelle monsieur Pétrimaux a très certainement pioché quelques idées en faisant son « Il faut flinguer Ramirez »…
Avec « Frontier », Guillaume Singelin a réalisé en solo une œuvre exceptionnelle qui rappelle la prouesse de son complice Mathieu Bablet en 2016 avec « Shangri La ».
Visuellement, c’est dément. Sans frime, sans poudre aux yeux, sans effets informatiques artificiels. Un univers graphique inimitable et particulièrement efficient dans ce contexte d'exploration du système solaire, reconnaissable au premier coup d’œil pour qui a lu et aimé P.T.S.D, son précédent opus et BD déjà exceptionnelle elle aussi.
Guillaume Singelin a le don de créer des ambiances incroyables juste avec son trait et les innombrables détails qui vivent dans ses cases. Et ce n’est pas que du remplissage, loin de là. Ce fourmillement d’objets en tous genres qui trainent un peu partout, crée un bazar familier et chaleureux qui réchauffe considérablement les planches et rend compte de l’étroitesse des coursives et de la fragilité des stations orbitales, faites de bric et broc, exigües, malpropres, constamment réparées avec les moyens du bord. Tout ce bordel agit comme un marqueur humain dans la froideur spatiale. Cela favorise une grande proximité avec le lecteur et participe à son immersion.
Ce style, fait de partis pris forts et assumés, est unique. Et je contre par avance ceux qui ne manqueront pas de le critiquer : les personnages, avec leurs bouilles de cartoon, entre Dragon Ball et Mafalda (visages enfantins, pas de nez, pieds minuscules…), ne plairont pas à tout le monde, c’est une évidence, mais ils sont la signature d’un auteur accompli, génial et singulier qui n’a pas à prouver qu’il « sait » dessiner.
Auteur dont le scenario est en parfaite adéquation avec son mode d'illustration. A la fois intimiste et foisonnant, le récit brille par sa simplicité et sa cohérence. Les protagonistes ont chacun leurs raisons d’agir, et de chacune de leurs actions découle une conséquence. C’est sobre, universel, authentique.
Il ne faut pas attendre de « Frontier » un space-opera jodorowskien en Cinémascope… Toute la dimension SF, formidablement mise en scène, est toujours soutenue par des valeurs humanistes de liberté et d’émancipation. Sans jamais que de la pyrotechnie ou un jargon pseudoscientifique ne vienne ternir le propos. Il s'agit juste de trois personnes qui, s’étant rencontrées par hasard, vont tenter de vivre leurs vies selon leurs convictions. Ce n’est que ça mais c’est tout ça.
5 étoiles parce que Guillaume Singelin m’a offert précisément ce que j’attends d’une BD : du rêve, de l’évasion, de la réflexion, de la surprise, de l’émotion, de la beauté, sans jamais savoir à quoi m’attendre en tournant la page. Merci !
Je finirai en tirant mon chapeau au label 619 et à l’éditeur, qui après « Hoka Hey », nous gratifient d’un nouveau bijou à la maquette soignée (superbe couverture et titre en relief argent sur jaune) pour un prix, encore une fois, très abordable. Re-merci !
La chronologie du 1er volume de « Beta …civilisations » va des des tout premiers regroupements préhumains jusqu'à l''an 0.
Comme précisé dans la postface, l’album est composé de 2000 images, toutes plus évocatrices les unes que les autres, piochées dans l’ensemble de l’iconographie disponible et réinterprétées par l’auteur. Chercher les centaines de références au fil des pages devient d'ailleurs vite jubilatoire et j’ai été agréablement surpris d’y retrouver « Pour l’empire » de Merwan et Bastien Vivès, par exemple, ce qui prouve l'éclectisme de ses sources.
Beaucoup plus qu’un livre d’images, donc, « Beta » est une vertigineuse plongée dans nos plus labyrinthiques origines. Jens Harder réussit le prodige de questionner notre humanité, autant sur le plan philosophique que métaphysique, tout en restant parfaitement accessible à tous.
Peut-être moins spectaculaire qu’« Alpha » mais tout aussi indispensable.
Encore un excellent tome. Le travail de Jérôme Lereculey est admirable et se bonifie continuellement : découpage fluide, cadrages efficaces, plans variés, perspectives, jeu des personnages, costumes et décors, souci du détail... Tout est propre, dynamique, expressif.
Le scenario est toujours aussi haletant et promet un final sanglant. Mis à part l’arc narratif de la jungle, qui convergera probablement vers les autres, le cycle de Lys est pour l’instant centré sur une guerre de clans sauvage et imprévisible. Tous les coups semblent permis et à ce stade, il serait risqué de s’aventurer à faire des pronostics sur les chances de survie des uns et des autres. L’écriture est pour cela d’une efficacité sans pareil.
Franchement, je n’en n’attendais pas tant en me lançant dans cette série dès la sortie du premier tome. Je n’aurais jamais imaginé qu’elle soit de cette qualité-là, surtout avec une parution tous les 4 mois ! Le plus appréciable étant l’équilibre idéal entre un récit complexe aux dialogues intelligents et ciselés, un rythme étudié pour permettre de développer la psychologie des personnages (point essentiel à mes yeux) et un univers graphique riche et approfondi.
Un dernier mot pour parler des couvertures que nul n’a encore commenté ici : elles sont absolument parfaites ! Splendides déjà, avec leur vernis sélectif flamboyant qui contraste avec la sobriété du décor de fond, et d’une cohérence totale. Elles présentent tour à tour les principaux protagonistes dans des attitudes hiératiques qui décrivent à elles seules la force et l’intelligence qu’il faut déployer pour être un héros des 5 Terres !
A noter pour finir, une faute de français dans la postface sur Œstrae et Shin Taku, (2° page, 2° paragraphe, 3° ligne). Il est bizarrement écrit « part achève », au lieu de parachève, du verbe parachever.
"La chute" est une série post apocalyptique qui se singularise par son background austère, actuel et réaliste, puisqu’il n’y a ni zombie, ni fin du monde, mais un inévitable effondrement de la société provoqué par de multiples facteurs conjugués.
Elle n’est cependant pas parfaite et après 3 tomes, ses défauts sont toujours les mêmes : découpage étrange et narration parfois mal cousue qui provoquent des à-coups dans la fluidité. Mais on pourrait tout aussi bien considérer que c’est le « style Muralt » et il n’est pas non plus dénué de qualités : une histoire plutôt accrocheuse et crédible sans aucun des clichés habituels du genre ainsi que des personnages atypiques qui ne suscitent pas forcément la sympathie. Je mets ce dernier point au rang des qualités, car ces personnages n’ont pas vocation à être des héros intrépides et valeureux. Ils sont comme vous et moi avec leur courage, certes, mais également leurs lâchetés et leurs faiblesses. C’est assez peu fréquent dans le paysage de la BD et j’apprécie la façon dont l’auteur s’en empare et le traite.
C’est à mes yeux une série solide que je continuerai à suivre.
"Bella Ciao", suite et fin.
Baru aura livré, au long de ces trois tomes, un témoignage touchant doublé d’une réflexion intelligente et sensible sur l’espérance, l'opiniâtreté et la résignation qu’il faut, générations après générations, pour enfin devenir « invisible » aux yeux de la société quand on est étranger, et ce, quel que soit son pays d’origine.
La forme est un peu décousue et le dessin parfois trop stylisé mais le message est fort et généreux. A lire absolument.
Voici un avis qui ferait sûrement plaisir à Baru s’il le lisait.
En effet, après avoir acheté le tome 1, j’avais posté il y a deux ans un commentaire plutôt amer en expliquant que ça ne m’avait pas donné envie de lire la suite. Je n’avais pas compris l’intention de l’auteur, ni la forme peu fluide qu’il avait donné à son récit.
Malgré tout, je savais Baru absolument sincère dans sa démarche.
Beaucoup trop d’auteurs n’ont rien à dire… alors quand il y en a un, parmi les bons, qui se donne les moyens de développer sa généalogie familiale dans son contexte historique en trois tomes, c’est qu’il le fait par nécessité et ça ne peut que valoir le coup.
Mon instinct me disait donc de persévérer malgré ma déception, et j’ai bien fait de m’écouter !
Ce deuxième épisode est un bijou de truculence et de tendresse. Ce qui n’en n’atténue pas la gravité. La longue et douloureuse histoire de l’émigration italienne est pleine de fantômes et de sacrifices. Baru n’en cache rien mais il le fait avec du cœur, sans jamais s’apitoyer. Il en extirpe la force et la chaleur humaine. Les joies sont simples, la bonne humeur, communicative.
Un excellent album, éclairant et réconfortant. Bravo, et pardon d'avoir douté !
Derrière ce titre mystérieux se cachent deux histoires interconnectées à travers l’espace et le temps : la première est le journal d’Howard Carter qu’il écrivit en 1922 en découvrant le tombeau de Toutankhamon ; la seconde, la liaison que vit une jeune femme avec un artiste à Berlin, dans les années 90, où doit se tenir une exposition sur l’Egypte dont elle est chargée de l’organisation. Elle est studieuse, insomniaque, un peu naïve, un peu perdue. Il est libre, dilettante et enflammé. Leur rencontre sera celle d’une vie.
De ce point de départ nait un album indéfinissable, mélancolique et poétique.
Cependant, tout y est très fugace, à tel point que je ne saurais pas décrire exactement ce qui m’a autant plu. Mais j’ai eu, c’est sûr, un grand plaisir à le lire. La beauté des planches y est pour beaucoup. L’ensemble est particulièrement élégant, voyez la couverture ! La technique de Manuele Fior est toujours aussi admirable et sa couleur, notamment, est superbe.
Mais au-delà, il arrive - on ne sait comment - à capter l’insaisissable : une forme de voyage aux confins de la mémoire intime et collective ; une forme de nostalgie sous laquelle couvent encore, peut-être, quelques braises des années révolues de jeunesse et de passion ; une forme de vertige procuré par la découverte et l’exploration, que ce soit d’un trésor antique ou d’un amour naissant ; une forme de fragilité des sentiments et d’impermanence des existences qui rendent infini l’instant présent…
On peut ne pas accrocher mais j’ai trouvé ça beau et profond, bravo !
Grand admirateur de Jérémie Moreau (voir mes avis sur « La saga de Grirm » et « Penss »), j’ai acheté Les Pizzlys sans la moindre hésitation. Pourtant, cet album m’a décontenancé à plus d’un titre.
D’une part – et c’est une surprise – le dessin m’a franchement déplu. Rien ne m’a semblé bon ou intéressant dans ce trait ultra fin, froid, rectiligne et inexpressif. Pire, les yeux des personnages réduits à de simples tâches noires sont un choix que je n’arrive pas à cautionner. Pourquoi avoir fait ça, qu’est-ce qui le justifie ? Ça me fait penser à une coquetterie d’auteur, gratuite et tape-à-l’œil, plutôt qu’à un dispositif graphique pensé et dicté par l’histoire. Impossible de faire abstraction de ces "yeux", et dans une moindre mesure de ces bouches, mochement noires elles aussi, qui m’ont gâché une partie du plaisir de lecture.
Bref, on est malheureusement très loin du dessin gracile et subtile de Grirm qui m’avait tant émerveillé.
On sent bien que Jérémie Moreau est de ces auteurs qui refusent de se cantonner à un style en cherchant constamment à évoluer, à expérimenter. C’est bien et je n’ai rien contre. Mais là, je n’ai simplement pas aimé ce parti pris qui, pour moi, ne fonctionne pas.
D’autre part le scenario m’a également laissé perplexe. Probablement engourdi par une intrigue lénifiante, je ne suis pas arrivé à savoir où l’auteur voulait en venir. Le propos sur la reconnexion à la nature est quand même d’une grande banalité. Et bien que l'on soit clairement dans une fable, je n’ai pas senti de logique dans l’enchainement des évènements, de rythme narratif qui crée une gradation en termes d’émotion. Le fond d’écologie est intéressant mais n’apporte pas grand-chose qu’on ne sache déjà, rebattu sur tous les media à longueur de journée. Restent les légendes d’Alaska qui contribuent à la dimension onirique et spirituelle de l’aventure.
Le meilleur de l’album est apporté par l’utilisation radicale de la couleur. Des tons essentiellement fluorescents, employés librement. Cela donne des cases surprenantes aux superbes ambiances qui rappellent le spectre des aurores boréales. On avait vu récemment sur l’excellent « Saint-Elme » de Lehman et Peeters à quel point la couleur pouvait façonner l’atmosphère de la planche. Dans cette veine, Jérémie Moreau déploie sans complexe une incroyable palette, qui plus est inattendue dans des paysages enneigés. Cela fait naitre spontanément au fil des pages une indéfinissable poésie, à l’image de la couverture, absolument splendide.
Mais ça ne suffit pas à rattraper la platitude de l’ensemble.
Pour conclure, « Les Pizzlys » est sans doute une belle proposition de bande dessinée mais que je n’ai pas comprise et à laquelle je n’adhère pas. J’en suis le premier peiné. Je continue de penser que M. Moreau est un auteur qui compte mais dorénavant, je ne me précipiterai plus aveuglément sur ses publications, sachant sa capacité à jouer sa propre partition et à déconcerter son lectorat.
Comme beaucoup, je connaissais déjà le fameux naufrage du Batavia, et c’était effectivement un sujet parfait pour une grosse BD d’aventure.
Xavier Dorison, décidemment très inspiré en ce moment, s’approprie cet incident de l’histoire pour en faire un récit romanesque et prenant, en dosant ses ingrédients avec talent. Des personnages bien écrits, du rythme, des dialogues efficaces et une unité de lieu terrifiante : le Jakarta. Ce vaisseau surchargé d’hommes et d’or, qui devient peu à peu l’endroit le plus dangereux du monde pour son équipage et ses passagers, tout en restant leur seul et unique salut.
Le scenario repose sur cet équilibre paradoxal d’où nait une tension étouffante. La pagination généreuse permet de la faire progressivement monter au fil des pages.
Le dessin réaliste de T. Montaigne est de très bonne tenue. Parfaitement adapté à l’intrigue, il réussit à faire exister tous les personnages dans une ambiance palpable de claustrophobie, de paranoïa et d’insalubrité.
L’ensemble est de facture classique, sans réelle surprise, mais procure un vrai plaisir de lecture.
La fin étant déjà connue, il faut maintenant que la seconde partie tienne ses promesses pour que le futur diptyque accède au rang de référence auquel il peut prétendre.
Je suis content de poster mon 500ème avis sur l’exceptionnel « Alpha …directions » !
Ce n’est d’ailleurs pas simple d’écrire sur une telle œuvre, qui sort largement des critères habituels. Car il ne s’agit pas à proprement parler d’une BD : aucun personnage, aucun phylactère, aucun scenario. Mais une histoire, une seule, passionnante, déterminante, celle de notre planète, de la naissance de l’univers jusqu’à l’apparition des premiers hominidés. Rien à voir pourtant avec un documentaire National Geographic…
En plus de ses propres illustrations – extraordinaires – Jens Harder puise dans toute la richesse de l’iconographie de l’histoire de l’art, des civilisations, des religions, des sciences, de la pop culture etc… Il y rajoute la poésie et l'intelligence et il le fait avec un talent inouï. Le résultat est incroyable. Une mine de savoirs et une beauté à couper le souffle. Chaque case est un tableau, c’est une merveille !
Absolument indispensable pour qui ne craint pas d’explorer les frontières de la bande dessinée telle qu’on la connait.
Malgré la profusion de titres, le genre post-apocalyptique m’attire toujours et je regarde attentivement tout ce qui sort sur ce thème. J’ai donc immédiatement lorgné sur NeoForest avec curiosité. Le premier feuilletage ne m’avait clairement pas emballé et je ne suis habituellement pas client des scenarii de Fred Duval. C’était donc mal engagé.
Mais curieusement, je l’ai pris quand même, histoire de voir... Eh ben ce n’est pas mal du tout. Une bonne lecture, agréable et rythmée, dont les développements laissent présager une suite intéressante.
J’ai bien sûr lu Thorgal, comme tout le monde, mais je ne l’ai pas dans ma collection. Je n’ai pourtant pas hésité à acheter ce hors-série, premier – je l’espère – d’une longue liste, pour replonger dans cet univers mythique avec un autre regard. Aucun regret, même si des références m’ont sans doute échappé. C’est un bon album, particulièrement respectueux, empli d’une certaine profondeur et visuellement très beau.
« Révolution » est une œuvre à part, une de celles que je qualifie d’expérience de lecture.
L’entame de ce Livre 2 est exigeante, voire difficile. A tel point que le premier chapitre en est presque pénible : trop touffu, trop foisonnant. C’est très compliqué à suivre. Le dessin, génial mais peu précis, n’aide pas à s’y reconnaitre dans cette foule de personnages. Une telle abondance de noms, de surnoms, de révolutionnaires, aristocrates, officiers, royalistes, patriotes, contre-révolutionnaires… est impossible à mémoriser.
Mais dès le 2ème chapitre la magie opère. Le scenario se fluidifie comme par miracle. Tout ce beau monde et l’environnement de 1791 deviennent peu à peu familiers. Preuve d’une construction parfaitement maitrisée, les quatre mains de Grouazel et Locard aident régulièrement le lecteur en glissant judicieusement dans les répliques quelques rappels nécessaires à la bonne compréhension de l’histoire.
Et si je parlais de magie c’est justement parce qu’on se rend compte au fur et à mesure que cet embrouillamini de dialogues, ce tumulte visuel qui faisait du premier chapitre un tel fouillis est tout simplement la meilleure façon de faire vivre au lecteur la Révolution de façon immersive, en temps réel, à hauteur d’homme, jour après jour, heure après heure. Cette confusion prend donc tout son sens et fonctionne comme un dispositif narratif à part entière. Car – et c’est ce que nous démontre magistralement les auteurs – que fut le déroulement de la Révolution si ce n’est cette effervescence, cette incertitude permanente, ce bouillonnement quotidien où tout pouvait arriver à chaque instant ?
Il y a peu d’action dans ces pages, mais il y a des gens. Certains font la Révolution. D’autres croient la faire. La plupart, surtout, ne la font pas. Ce sont eux que les auteurs s’attachent à suivre pas à pas. Non seulement c’est un point de vue audacieux qui tranche singulièrement avec la vision traditionnelle qu’on en avait jusqu’à maintenant, mais c’est aussi très pertinent d’un point de vue historique. Ce décalage est finalement la meilleure position pour observer l’histoire en marche, en saisir toutes les imbrications et les bouleversements qu’elle provoque à chaque échelon de la société sur les gens ordinaires et non plus uniquement sur les grandes figures que les manuels d’histoire ont exclusivement retenues. A part quelques apparitions de Marat ou Lafayette de-ci de-là, et la silhouette quasi muette du roi, aucun acteur historique majeur ne joue les premiers rôles. Juste des gens, des rues, Paris. Les cases grouillent de monde, c’est hallucinant ! Mais les rues, elles, ne sont pas juste des rues : elles sont pavées, pleines de flaques et de fange, bordées de maisons aux pierres apparentes dont on voit les tuiles et les clous sur les portes… Le trait vif, presque esquissé, se pare de texture et d’une densité incroyable. Au-delà de la prouesse graphique, ce n’est pas qu’un décor inerte, planté pour faire joli. Il est vivant, vibrant, mouvant. Comme les 5 cases de la page 210 où Langret se fraye un chemin dans la foule... ou les bateaux de la page 127. Ce sont les deux premiers exemples qui me viennent en tête mais on pourrait les multiplier à l’infini ; c’est un travail de titan.
Quant aux doubles pages qui illustrent chaque chapitre, elles mériteraient toutes d’être sérigraphiées et encadrées. C’est superbe et profondément fascinant !
Le revers de la médaille est que c’est long, très long à lire. Ce n’est pas forcément un défaut d’ailleurs, au contraire quand il s’agit d’Histoire avec un grand H, mais l’amoncellement de dialogues et de détails finit par glisser comme à la périphérie du champ visuel. On est parfois tenté de les passer en lisant un peu plus vite qu’il ne faudrait, juste pour avancer et venir à bout de ce pavé de près de 300 pages. C’est le risque. Personnellement j’ai choisi de prendre mon temps pour ne rien manquer de cet extraordinaire théâtre. J’ai passé plus d’une semaine à le dévorer et en savourer chaque miette.
Les amateurs d’albums ou de séries classiques n’arriveront probablement pas à le lire mais pour ma part, je n’ai pas peur de dire que c’est un des chefs-d ’œuvres de la décennie.
Enième relecture de Bételgeuse…Parfois, je retrouve, non sans plaisir, certains fondamentaux de ma bibliothèque.
Aldébaran et Bételgeuse font partie des BD que j’ai, que je relis régulièrement mais que j’adore critiquer. Surtout au vu de l’engouement irrationnel que ces albums continuent de susciter auprès d’un grand nombre de lecteurs.
La narration reste, il est vrai, un modèle d’efficacité. Les différents personnages apportent tous leur part à un scénario plutôt solide, construit autour d’enjeux humains. C’est dépaysant et très immersif avec, au centre de la mire, le mystère de la fameuse Mantrisse, plus joli coup de l’auteur.
Si l’on fait abstraction d’une naïveté gluante, la trame est quand même bien foutue et ses qualités sont indéniables, particulièrement sur le plan du rythme et de l’imaginaire. C’est du moins mon avis sur le fond. Voilà pourquoi je parlais de plaisir.
Sur la forme hélas, rien n’y fait, ça ne passe toujours pas. Même si je reconnais être obligé de mettre son œuvre au rang des incontournables, j’assume une aversion au style de Leo.
En dehors d’une esthétique globale complètement périmée, comme calcifiée au début des années 80, je déteste ces affreux rictus qui déforment trop souvent les visages de ses pauvres personnages. Il les voudrait expressifs mais il ne réussit qu’à en faire des masques figés et grimaçants. Finalement, ils ne sont jamais autant réussis que quand ils sont inexpressifs justement, neutres ou pensifs.
Bien pire encore, ces innombrables scènes de nu complétement gratuites qui concentrent tous les clichés du sexisme le plus rance et n’ont strictement rien à faire dans ce contexte de survie. Cette complaisance pour la femme-objet, qui croirait-on, reflète les obsessions d’un autre âge et les fantasmes d’un vieux pervers libidineux – assortis de dialogues ridiculement phallocrates – me met toujours mal à l’aise. Désincarner ainsi ses héroïnes en les rabaissant à un concours de seins, c’est plus proche du salon de l’agriculture que de l’érotisme. C’est, j’imagine, ce qu’adorent les aficionados de Leo. C’est ce qui fait que je ne pourrai jamais apprécier correctement son travail.
Toujours aussi beau…
Félix Delep compose à chaque planche un véritable poème visuel. La douceur et l’expressivité de son trait sont absolument parfaites pour donner vie à ce conte sombre et profond louant la non-violence.
L’histoire progresse avec une belle fluidité même si l’émotion est moins palpable ici que dans le tome précédent. Sur ce plan-là, « Les marguerites de l’hiver » était indépassable. Mais l’ensemble est d’une générosité sans pareil, permettant à tout un chacun, quel que soit son niveau, de prendre part à la réflexion intelligente et salutaire proposée par X. Dorison.
Une série magnifique qui devient carrément magique en édition grand format !
:::: AVIS POUR L'EDITION GRAND FORMAT ::::
Le trait de L. Astier n’est pas des plus fins mais il colle au background et sait lui insuffler de l’énergie et un style graphique de qualité.
Je serais en revanche plus mesuré sur le scenario, comme pour les tomes précédents. La vengeance d’Emily tient la route mais elle n’arrive jamais à capter pleinement mon attention, par manque de crédibilité dans sa trame et ses retournements de situations.
De même, la volonté de l’auteur de vouloir absolument traiter de sujets sociétaux – ici la persécution des Noirs et l’oppression des ouvriers – alourdit le propos puisque ses intentions, certes louables, se devinent constamment. La subtilité n'étant pas forcément son truc...
Malgré cette pesanteur visible sur le fond comme sur la forme, la lecture reste néanmoins détonante et divertissante.
Une série agréable et rythmée qui vaut le coup.
Sur un scénario particulièrement vénéneux de Serge Lehman, Frederik Peeters invente avec "Saint-Elme" un nouveau vocabulaire graphique en parfaite adéquation avec cette plongée dans les tréfonds de la ville de Saint-Elme, comme dans ceux de l’âme humaine.
Ses jeux de couleurs presque nocives attaquent la rétine en renforçant l’expérience de lecture. Avec la volonté accomplie de créer une dissonance visuelle qui installe au fil des pages une tension rarement ressentie.
Pas question de réalisme ici, ni sur le fond ni sur la forme. On est beaucoup plus proche de David Lynch que des frères Dardenne ! Et c’est justement tout l’intérêt de cette série unique en son genre. Dans l’impossibilité de se raccrocher à la réalité, en proie à une espèce de cauchemar éveillé, le lecteur sait que tout peut arriver. Surtout avec des acteurs aussi dingues et géniaux que le Derviche et les frères Sangaré, qui rentrent tous trois directement dans mon panthéon des personnages les plus réussis de la BD.
Il est certain que beaucoup vont détester mais j’adore définitivement cette radicalité et la population patibulaire qui hante ces planches. C’est fort. Très fort !
Mais que c’est beau !
La lecture de « Hoka Hey ! » m’a mis le même genre de claque que "Jusqu’au dernier" pour ceux à qui ça parle. Une immersion totale dans un western sauvage et violent, ponctué de respirations poétiques, spirituelles et humanistes.
Et c’est aussi et surtout un choc esthétique. Certaines planches sont d’une beauté irradiante et j’ai passé de longues minutes à les contempler pour m’imprégner de l’atmosphère qui s’en dégage.
Et cet univers graphique si spectaculaire est idéalement relayé par un scenario à la fois simple et captivant où tout est parfaitement dosé : des personnages complexes et magnifiques, de sombres desseins qui infusent au fil des pages, des scènes d’action millimétrées sans filtre ni complaisance, des pauses contemplatives grandioses, des questionnements ambivalents où rien n’apparait jamais évident, de l’émotion en pagaille... Cette histoire, pour simple qu’elle soit, est donc d’une richesse incroyable. Elle déroule avec beaucoup d’intelligence le fil de la quête d’identité et des phénomènes de déculturation et d’acculturation, avec la liberté comme valeur cardinale.
J’avoue tout de même garder quelques menues réserves ici ou là, notamment sur la fin. Elle est tout à fait cohérente mais semble juste un peu précipitée. Cela peut donner un sentiment de raccourci qui contraste avec le rythme général de l’album. Mais qu’il est impossible de ne pas pardonner tant l’ensemble est éblouissant.
Le travail de Neyef, auteur seul aux commandes de ces 224 pages, est vraiment colossal. C’est à n’en pas douter une des BD de l’année. Qui bénéficie en plus d’un superbe travail d’édition et d’un prix, pour une fois, plus que correct. Comme quoi le label 619, même passé chez Rue de Sèvres, reste un gage de qualité.
Bravo Neyef et chapeau bas !
Un 3ème tome chez les primates qui confirme la narration de ce cycle comme un modèle du genre. Les quatre intrigues parallèles s’entrecroisent dans une fluidité exemplaire et mettent l’album tout entier sous tension. Le suspense est permanent, les retournements de situations s’enchainent sur un rythme haletant et déjouent les attentes. Des liens avec les autres Terres et leur histoire commune commencent à être entrevus et promettent d’être passionnants.
Le dessin étant toujours aussi lisible et efficace, rien ne vient pour l’instant gripper cette mécanique savamment construite.
Une série qui commence à être vraiment impressionnante. 4,5/5
Un album savoureux qui met largement en avant Ana Ana, la petite sœur de Pico. L’idée du casting comme fil conducteur et principal running gag est excellente. Pico, de son côté, semble mûrir et ses nouvelles ambitions littéraires le rendent encore plus attachant.
Ce 14ème tome, allégé en jeux de mots alambiqués, est une cure de fraîcheur et de tendresse.
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’après une attente interminable de 4 ans, il est plus que difficile sans une relecture attentive des tomes précédents, de suivre les improbables mais géniales tribulations spatiales d’Hazel ! Ce 10ème tome, qui débute un nouveau cycle, demeure aussi foisonnant que passionnant.
Sur le plan visuel, le dessin reste exceptionnel en termes de design et de lisibilité. Il évolue toutefois vers un trait légèrement plus épais, qui perd en précision mais gagne en texture ; c’est pas mal, du coup.
Le scénario, qui garde toutes ses qualités humaines, son ton décalé et son inventivité donne quand même l’impression de se chercher et n’avance pas des masses. Au final pas de déception, l’histoire se tient et de nouveaux personnages apparaissent, mais après une si longue pause, j’en espérais sans doute un peu plus.
Un album de transition, peut-être, avant un coup retentissant au prochain chapitre ?
3ème opus (avec Ailefroide et Le Loup) de ce qu’on pourrait appeler une trilogie montagnarde, « La Dernière Reine » en est largement le plus romanesque.
Jean-Marc Rochette nous livre un long récit, sobre, juste et fort, traversé de bout en bout par une émotion brute.
Le scénario est servi par un dessin superbe dont le trait est devenu de plus en plus fin et précis au fil du temps. Seules les couleurs sont très sombres, trop sombres sans doute. Mais on peut le voir comme un choix délibéré de l'artiste pour donner une tonalité crépusculaire et mélancolique à l’ensemble de l’album.
Cependant, Rochette a suffisamment d’expérience pour ne pas sombrer dans le pathos là où d’autres auraient fait du larmoyant. Privilégiant l’implicite, il s’exprime tout en retenue, sans s’appesantir. Certaines scènes se terminent par des ellipses narratives ou des fondus au noir, comme s’il voulait laisser leur intimité à ses deux personnages. On sent qu’il a d'ailleurs une grande affection pour eux et semble toujours les accompagner avec la plus grande bienveillance. De sorte qu’Edouard et Jeanne forme un couple poignant, soudé au-delà du commun par la sincérité et la force des idéaux.
Le contexte historique, très immersif, est restitué avec soin. S’appuyant sur une documentation solide, les décors (hors montagne) restent discrets mais particulièrement réalistes. Les artistes de l’époque qui jouent un rôle dans l’intrigue, comme François Pompon, Soutine ou Picasso, sont tous aisément reconnaissables. A noter d’ailleurs l’apparition de l’auteur lui-même page 221 sous les traits d’un chasseur.
Enfin et surtout, « La Dernière Reine » est aussi un hymne aux grands espaces, à la faune et la flore sauvage, à une forme d’écologie primordiale. Pour autant J-M. Rochette, auteur engagé à la parole libre et parfois rude, ne nous donne aucune leçon. Le message, induit par la dramaturgie du récit, est là sous nos yeux : non, l’espèce humaine et la nature ne peuvent cohabiter. Le cycle multimillénaire qui nous liait est irrémédiablement rompu. Le lecteur le comprend comme une évidence – et un avertissement – au fil des pages, sans que l’idée ait besoin d’être assénée. Bien aidé en cela par de nombreuses planches muettes qui offrent des respirations contemplatives et poétiques.
Bien que l’on ne puisse pas vraiment les comparer, j’avoue avoir quand même une préférence pour "Le Loup", plus de l’ordre de la parabole, de l'allégorie, alors que la Dernière Reine serait plutôt sur le champ de la tragédie grecque. Mais c’est précisément cette dimension universelle qui devrait interpeller le plus grand nombre et en faire à coup sûr un succès. C’est un album d’une grande beauté, à lire ou à offrir. En revanche il faut garder en tête qu’il en émane une certaine tristesse et une misanthropie à peine voilée.
::::: SPOILERS ! :::::
Intéressant, l’avis de philjimmy et ses références musicales. Moi je n'y ai vu que Mad Max et Apocalypse now. J’avoue que les grosses guitares et les tignasses ne sont pas ma culture… Il faut vraiment être en phase avec Pat Perna et l’univers du rock pour comprendre les subtilités de ce "délire" et le trouver génial !
Personnellement, je ne suis jamais à l’aise quand on utilise Hitler ou le IIIème Reich pour rigoler. Les nazis peuvent éventuellement servir de toile de fond au scenario mais pas comme un ressort narratif plus ou moins gratuit comme c’est le cas ici. Je n’ai toujours pas compris ce que les révélations finales venaient apporter. L’histoire serait-elle différente si El Loco n’avait pas été le fils de… ? Je ne crois pas. Je n’y vois qu’un "truc" pour forcer le côté WTF, fun et rebelle que veut se donner le scenario. Ca ne me parle pas trop, du coup.
Pareil pour les serial-killers, présentés finalement de façon très cool, en tout cas bien plus que leur victime… Même à des fins de divertissement, c’est un point de vue largement discutable, me semble-t-il.
Si je fais abstraction de ces relents presque malsains et que je juge ce 3ème tome sur des critères strictement artistiques (eh oui, je le répète encore, la BD est pour moi une forme d’art!) c'est un bon album. En tout cas il vaut clairement la lecture. Le dessin auquel je reprochais d’être trop rectiligne au premier tome s’est bien amélioré sur ce plan et c’est tant mieux. Il est d’autant plus impressionnant et efficace. Avec un bonus pour les tronches et les expressions des personnages, particulièrement bien trouvées. Les véhicules sont aussi splendides. Bref, visuellement, c’est chouette et ça envoie !
En conclusion, que dire de l’ensemble de la série ? Je ne peux pas m’empêcher d’y voir depuis le début un sous-produit d’« Il faut flinguer Ramirez », lui-même fait à 80% de pif paf boum ! Et sur ce point « Valhalla Hotel » bat son modèle puisque son taux de pyrotechnie et de baston doit atteindre les 95%.
Le ton parodique et décalé est assez sympa, mais difficile quand même de faire plus bourrin. S'il y a une suite, je m'arrêterai là.
J’ai un peu hésité avant d’acheter Slava car je craignais un contexte trop politique et l’environnement pas folichon de la Russie post soviétique...
Craintes complètement infondées !
C’est à un festival d’énergie et d’émotions, entre rires, suspense, étonnement et réflexion que nous convie l'auteur. Pierre-Henry Gomont exploite tout ce que lui permet l’univers dans lequel il a planté cette savoureuse intrigue : des décors somptueux, des ambiances neigeuses intenses, une chaleur humaine roborative, une ironie permanente et tout un tas de trouvailles graphiques, comme les onomatopées rouges en alphabet cyrillique. Et plus que tout, une qualité d’écriture extraordinaire. Il démontre encore une fois son habilité incroyable à manier la langue française pour trouver des expressions et des tournures de phrases aussi poétiques que cinglantes qui servent toujours son propos.
Comme précédemment dans « Malaterre », il y a dans Slava, en plus d'une partie graphique et d'un scénario pointus, ce style littéraire "Gomont", inimitable, qui à lui-seul rajoute une dimension supplémentaire à l’œuvre. La richesse de cette langue donne vie à des personnages irrésistibles qui portent littéralement l’album sur leurs épaules. L’auteur, jouant de leurs antagonismes, provoque des situations souvent inattendues, soit hilarantes et burlesques, soit graves et tendues.
Le fond politique est présent, forcément, mais ne surclasse jamais les péripéties de ce quatuor hétéroclite constamment sur la brèche et déployant des trésors d’ingéniosité, de bravoure et d’opportunisme pour s’éviter de sombrer en même temps que le pays tout entier. Le sentiment de délitement est d’ailleurs parfaitement rendu. Il pourrait être tragique – car réel à cette époque – si l’écriture n’était pas si drôle et incisive. Elle évacue toute lourdeur. De sorte qu’il souffle dans ces pages un vent libertaire, enivrant ; l’ivresse du chaos et l’impunité des actes ; la certitude que, comme le dit le proverbe, la fortune sourira vraiment aux audacieux.
Slava rejoint en cela l’exceptionnel « Ibicus » de P. Rabaté dans lequel, déjà, un petit comptable profitait de la révolution russe pour escroquer son prochain grâce à son intelligence, sa duplicité et son entregent.
Un album d’une générosité sans pareil qui augure d’une série géniale si ce niveau se maintient, ce qui ne fait guère de doute, tant Pierre Henry Gomont se révèle au fil de ses parutions comme un auteur incontournable.
Le changement de ton est radical dans ce 5° volet : Gaet’s délaisse les cadavres en putréfaction pour nous servir un polar ultra tendu à l’ambiance suffocante. Avec toujours plus de ponts entre les différents personnages développés dans les tomes précédents. Le puzzle sera bientôt complet et le final promet d’être saignant !
Si « Albert » avait, de mon point de vue, légèrement marqué le pas, « Fanette » détonne !
Un travail d’écriture vertigineux servi par un dessin qui grimpe encore d’un degré sur l’échelle ouverte de l’excellence.
Une série phénoménale dont on n’a pas fini d’entendre parler…
Darko Macan serait-il un scénariste de génie ? Je pose la question sérieusement tant son 8ème opus m’a semblé flamboyant. Ou inspiré, plutôt. Comment fait-il pour constamment se renouveler ainsi, constamment surprendre le lecteur et nous emmener systématiquement là où on ne l’attend pas ? Cette « mort misérable et solitaire de Mindy Maguire » en est un exemple éclatant ; un petit bijou d’humanité sans filtre, rugueuse et désarmante. Une écriture fine et fluide qui jette une lumière nouvelle, plus chaleureuse, sur l’univers habituellement désenchanté de « Marshal Bass ».
River Bass, qui nous avait accoutumé à plus de noirceur et de cynisme, révèle son empathie à la faveur d’une battue en territoire indien. Escapade au cours de laquelle tous les personnages prennent une ampleur remarquable, à commencer par le rôle-titre, Mindy Maguire. Prostituée en cavale, maladroite et boulotte qui nous en apprend plus sur le prix de la liberté que n’importe quel cow-boy viril en poncho. Puis Cameron Defoe, qui s’avère être beaucoup plus complexe que le boulet empoté qu’il semblait être, et Enapay le Sioux qui ne peut échapper à sa nature prédatrice, pleine de fureur et de tension. A noter que la séquence dans laquelle il mime la bataille de Little Big Horn est exceptionnelle et parvient à captiver avec très peu de moyens.
Un scenario mélancolique et brillant qui prend le lecteur à contrepied en questionnant la Liberté sous toutes ses formes : celle d’une femme, a fortiori une putain, dans cet Ouest dépravé où elle n’est qu’une marchandise ; celle d’un homme de loi à l’éthique variable, piégé entre devoir et conviction ; celle d’un frère, d’un fils, aux épaules trop frêles pour la mission dont il a la charge ; celle enfin d’un indien dont le redoutable instinct de guerrier sombre dans la réalité qu’il est censé combattre. Bref une femme et des hommes presque ordinaires dans ce contexte dont les destins vont se jouer ensemble le temps d’une rencontre. Sans emphase ni héroïsme, et sans jugement aucun, comme toujours dans « Marshal Bass ». C’est justement de cette rudesse âpre et banale que nait l’émotion, palpable dans ce tome.
Pour la première fois, la double planche présente dans chaque épisode arrive tout à la fin comme pour clore en majesté cette parenthèse où le lecteur croit avoir entraperçu une forme de tendresse. Elle n’en n’est que plus belle.
Un propos subtil, des scènes d’action cinglantes au découpage parfait, un deuxième arc narratif orchestré avec une précision jubilatoire qui relance la série en quelques cases. Si l’on rajoute en plus l’humour de répétition avec la reddition des prisonniers, on obtient un album formidable, mon préféré jusqu’à maintenant. Mais il faut avoir lu et aimé les précédents pour l’apprécier et vraiment comprendre ce qu’il a de si particulier.
A nouveau cycle, nouvelle esthétique.
Je partage l'avis de Nettoyor, le dessin s’est considérablement éclairci et n’a plus grand-chose à voir avec les premiers tomes. On peut déplorer cette soudaine simplification du trait, c'est sûr. Mais au moins, il gagne en lisibilité ce qu’il a perdu en force, c’est déjà ça. D’autant qu’il reste tout de même de haut niveau.
Le scenario subit lui aussi un affadissement notable, tout en conservant heureusement les bases solides qu’on lui connait. Le contexte historique soigné, les différents arcs narratifs, les personnages interlopes et l’atmosphère saumâtre sont tous au programme de ce "Livre IV".
A ceci prêt que le Triste Sire lui-même n’a plus le premier rôle et se retrouve étrangement transparent et relégué aux arrière-plans.
L’ensemble s’est donc amplement dévitalisé et c’est assez regrettable tant cette série a su façonner sa marque dans un registre de polar médiéval, crépusculaire, amoral et retors, taillé sur mesure pour elle.
J’aurais préféré arrêter là ce tableau quelque peu mitigé mais j’ai gardé le pire pour la fin : des erreurs de dessin incompréhensibles que j’ai du mal à pardonner à un auteur aussi admirable et capé que Ronan Toulhoat. Mis à part les mauvais raccords de décors que j’ai notés page 26, la faute monumentale vient de la balafre du roi Philippe qui a toujours éborgné son œil GAUCHE depuis le 1er tome et qui - alors qu'elle est pourtant bien placée p. 41 - se retrouve du côté DROIT de son visage dans le reste de l’album (bien visible pages 25, 53, 91, 92). Certains le tiendraient pour un détail mais c’est rédhibitoire pour moi. Une fois que je l’ai vu, impossible d’en faire abstraction et mon plaisir de lecture fait pschitt…
Personne ne relit donc chez Akileos ?
Cette seconde partie confirme mon bon ressenti du tome 1 et comble entièrement mes attentes.
L’Heroic fantasy étant depuis toujours un de mes genres préférés, j’ai trouvé en "Ténébreuse" une histoire magnifique, puissante et tragique et je l’ajoute sans hésiter à la longue liste de mes ouvrages de référence.
J’ai pu lire ici ou là que ce serait mièvre... Ce n’est aucunement le cas. Et je plains ceux dont le regard ne porte pas plus loin. On n’est évidemment pas dans une de ces fresques peuplées de monstres cornus, magiciens, elfes et champs de batailles sanguinolents. Le registre d’Hubert est beaucoup plus intimiste, plus humain. Et infiniment plus subtil. Oui, "Ténébreuse" est à sa façon une histoire d’amour. Dramatique, impie, fatidique mais néanmoins d’une certaine pureté. Et Vincent Mallié l’illustre à merveille.
Je n’ai pas forcément envie d’argumenter à n’en plus finir et de détailler tout ce qui m’a semblé bon dans ces deux albums ; c’est une question de goût. Tout ce qu’il faut savoir c’est qu’il s’agit d’un conte autant que d’une aventure. Acceptons-le en tant que tel sans y chercher de souffle épique ou de lyrisme grandiloquent. Un conte sombre et désenchanté, rédempteur voire libérateur, une parabole riche d’enseignement, de sagesse et de beauté.
Dès l’introduction, le classicisme réconfortant du dessin et la force de la mise en page procure une impression de qualité immédiate. Impression qui ne se dément jamais au fil des pages.
Une chasse à l’homme peuplée de gangsters patibulaires, de politicards véreux et de flics ripoux qui s’appuie sur un héros charismatique et solitaire comme on les aime. Le scenario, plus touffu qu’il n’y parait, offre un suspense jubilatoire au terme d’une aventure violente et tendue, particulièrement bien écrite.
Paradoxalement, il y a d’ailleurs peu de surprise puisque tous les ingrédients traditionnels du road-movie désertique sont attendus et bel et bien réunis, y compris les touches d’humour autour du nom du « chien ». C’est justement ce respect des codes qui met tout de suite à l’aise et procure un grand plaisir de lecture.
Matz maitrise avec brio le rythme et la narration en parvenant à glisser dans cet univers familier des éléments bien à lui qui font toute la singularité de cette histoire. Les auteurs réussissent l’exploit d’en faire une BD complètement originale dans un genre déjà surexploité auquel ils ont su rendre hommage sans tomber dans les poncifs et la facilité.
Je recommande donc sans hésitation ce très bon album dont je ne doute pas une seconde du succès.
Je ne sais pas trop pourquoi je continue à acheter cette série puisqu’elle est destinée avant tout aux adolescents et que ses développements scénaristiques sont parfois difficiles à suivre… Cela dit, sa lecture reste étonnamment prenante.
La partie graphique y est pour beaucoup : le style de Tako donne aux personnages une identité bien reconnaissable et son dynamisme fait merveille dans les nombreuses scènes d’action. De plus, la mise en couleurs remarquable confère aux planches une atmosphère fantastique très immersive.
Enfin, le scenario - basé sur le mythe des Grands Anciens mais très actuel - progresse efficacement tout en dépoussiérant le Necronomicon et l’univers de Lovecraft.
Une série particulière à l’esthétique soignée, qui parvient à se démarquer dans la jungle des parutions post apocalyptique, ce qui n’est pas rien. A lire.
Une superbe fresque qu’on pourrait croire historique tant l’époque est restituée de manière précise et réaliste. Anthony Pastor dépeint la France rurale de 1920 avec un souci poussé du détail. Les décors, par leur austérité, prennent dès lors une place prépondérante. Ils offrent le cadre idoine, âpre et immersif, pour cette course poursuite haletante menée par des personnages à la rudesse bien campée. La confrontation Arpin/Blanca, qui captive par la détermination de chacun à l’emporter sur l’autre, en est le point d’orgue.
La plus grande réussite de l’album est d’associer une intrigue sobre, presque naturaliste, avec une dramaturgie romanesque. Il en résulte une tension, une ambiance qui réussissent à rendre épique la simple fuite, à pied, d’une vieille dame, d’une jeune veuve et d’un adolescent de leurs montagnes savoyardes vers Paris.
Une excellente lecture, pleine de force et d’émotion.
Il y a des BD comme ça… J’en ai même toute une liste. Je les convoite depuis des années mais je ne les achète jamais car je priorise les nouveautés. C’était le cas du « Loup des mers », qui a enfin pu intégrer ma bibliothèque après m’avoir été offert.
Ceux qui lisent mes avis savent que j’ai souvent tendance à m’étaler, surtout quand j’aime un album. Mais, là, curieusement, je ne trouve rien à en dire. C’est juste la quintessence de l’aventure en mer, de l’aventure tout court. Tout y est. C’est magistral. On est proche du chef d’œuvre. Respects monsieur Riff Reb’s !
::::: AVIS POUR L'INTEGRALE :::::
Comme le dit la 4ème de couverture : « Noir et éclatant, monstrueux et magnifique, horrible et drôle, effrayant et fascinant, cauchemardesque et fascinant, affreux et désirable, morbide et captivant… Oserez-vous enter dans l’univers de Foerster ? »
C'est on ne peut plus vrai mais ne réduire Foerster qu’à cela serait oublier un peu vite à quel point c’est bien écrit. La richesse du vocabulaire, les qualités narratives, la poésie cachée dans les dialogues et les situations en font une lecture hors norme. Car derrière ce petit théâtre des horreurs, cette espèce de freak show dérangeant, il y a souvent un fond plus émouvant qu’horrifique, profondément humain.
Bien sûr, toutes les histoires contenues dans cette intégrale - regroupant les albums Fluide Glacial des années 80 - ne se valent pas, certaines étant du pur génie quand d’autres sont plus lourdes et malsaines. Cependant l’univers reste toujours puissant et fascinant.
Ce fut l'une de mes premières lectures BD de jeune adolescent. Trente ans plus tard, cela n’a pas pris une ride, le frisson procuré par ces planches admirables est toujours intact. Je n'ai pas hésité une seconde à faire l'achat de cette belle édition.
Chapeau l’artiste !
J’ai trouvé « Celle qui parle » particulièrement agréable à lire.
Il faut dire que j’adore ce dessin parfaitement lisible et centré sur les humains. Alicia Jaraba ne s’appuie que sur quelques détails pour personnaliser ses protagonistes, ce qui permet de tous les différencier au premier coup d’œil sans charger les cases.
L’autrice se sert aussi de tout un tas de mimiques pour animer les scènes en rendant les personnages hyper expressifs et très attachants. Comme les nombreux gros plans sur le regard de Malinalli par exemple : l’effet d’exagération produit est percutant et révèle en quelques traits la profondeur de l’héroïne et son état d’esprit.
De manière générale la dessinatrice use d’une grande liberté dans son style, notamment quand il s’aventure vers la caricature. Cela rend le ton bienveillant et résolument optimiste. Certaines scènes en deviennent quasiment comiques et contribuent au plaisir d’une lecture vivante et légèrement décalée, en l’éloignant judicieusement d’une stricte biographie.
Enfin, la mise en couleur est également superbe. Des teintes subtiles et lumineuses qui restituent l’exotisme du paysage et définissent chaque ambiance. Que ce soit sous le soleil, la pluie, de nuit, en intérieur, l’atmosphère est prenante et s’impose constamment comme un élément narratif.
En ne laissant ainsi transparaitre que l’essentiel, le travail graphique d’Alicia Jaraba est un modèle de clarté, d'efficacité et de fluidité.
Le scenario est en pleine cohérence avec les illustrations. Privilégiant la légende, il ne prétend jamais être rigoureusement historique mais suit une chronologie des moments marquants qui firent basculer le destin de celle appelée "La Malinche".
C’est écrit avec épure et honnêteté intellectuelle. Plutôt que de renter dans les controverses qui entourent le personnage, l’autrice évitent tous les écueils en ne se concentrant que sur ce qui est réellement important et justifie l’album : la place déterminante du langage et l’ambiguïté du rôle-clé qu’a joué la Malinche, bien malgré elle, auprès de Cortès. Si Alicia Jaraba prend forcément parti pour son héroïne, déchirée, déracinée, seule face à des responsabilités écrasantes, elle ne juge personne. La situation intenable dans laquelle est placée Malinalli et le simple fait qu’elle y survive suffit à faire d’elle une femme certes extraordinaire mais qui surtout, emportée par le tourbillon de l’histoire en marche, ne se dépare jamais de ses valeurs et son humanité.
Pour toutes ces raisons « Celle qui parle » est donc un album qui a du sens, riche, beau et pleinement abouti. Même si cette (fausse) simplicité - un peu à l'image de "Peau d'homme" ou "Géante" il y a quelque temps - pourrait décevoir certains lecteurs avides de grand spectacle.
Une belle réussite en tout cas, bien éditée par Bamboo, bravo !
4,5/5
J’ai lu et plutôt apprécié la plupart des Lapinot mais je trouve ça juste sympa, sans plus (sauf 'Vacances de printemps' que j’adore).
Tout ça pour dire que « Par Toutatis ! » est le premier Lapinot que j’achète, alléché par la parodie d’Astérix. Sans aucun regret, c’est un bon album.
Et c’est beaucoup plus qu’une parodie, en fait. On pourrait même en faire une longue analyse tant il y aurait à dire sur les parallèles réalité/fiction, construction/déconstruction du mythe et la mise en abîme de la BD dans la BD.
Si l’on y rajoute les anachronismes et des scènes bien connues recuisinées à la sauce Trondheim, on obtient un album original, drôle, malin, qui ne se contente pas de s’appuyer sur Astérix pour exister, mais au contraire rajoute une nouvelle pierre à l'édifice qu'ont bâti Goscinny et Uderzo. C’est ce dernier aspect qui vaut mes 4 étoiles, car pour le reste, je ne suis pas plus emballé que d’habitude par le dessin, fidèle à lui-même.
En conclusion un album à découvrir sans hésitation mais à ne pas mettre entre toutes les mains, la violence (parfaitement justifiée) de certains passages étant volontairement gore.
Cet album est assez incroyable à plus d’un titre.
Première qualité, il ne ressemble à rien de connu, bien qu’il coche quand même quelques cases du genre post-apocalyptique : une maladie mortelle, oui. Une humanité décimée, oui. Des survivants en perdition, oui. Mais le référentiel s’arrête là. Tout le reste n’est que surprise et découverte.
Un œil au titre et à la couverture suffit à comprendre qu’on ne sera pas dans Walking Dead…
Jonathan Case fait une tout autre proposition : à travers les yeux d’Elvie, 10 ans, petite fille précoce et intrépide, on suit l’extraordinaire migration du fameux papillon Monarque à travers les Etats-Unis, dont Flora, une biologiste qui éduque et protège la fillette, espère tirer un vaccin. Une quête semée d’embûches, forcément, mais aussi de peur et d’espoir, de remise en question, de rires et de poésie.
Ce qui m’amène à la deuxième qualité : la mise en page originale et inventive. L’auteur fait régulièrement des focus sur le carnet de bord d’Elvie qui contient ses dessins, ses observations et sa connaissance de la Terre en l’an 2101. Et comme le scenario repose sur une base scientifique plausible, c’est particulièrement instructif. On en apprend énormément sur les papillons bien-sûr, mais aussi sur les plantes ou les étoiles avec plein d’astuces de survie dans la nature. Ce procédé très immersif fonctionne à la perfection.
Enfin, preuve d’un scenario pleinement abouti, cet album possède plusieurs niveaux de lecture. Quel que soit son âge, « Les petits monarques » peut être lu avec le même plaisir. Malgré la violence sous-jacente, pas un seul coup de feu n’est tiré et les confrontations les plus rudes se déroulent hors champ. Jonathan Case maitrise fermement son propos sur 250 pages sans jamais se disperser ni perdre de vue les valeurs d’humanisme et de bienveillance qu’il lui insuffle.
Aucune complaisance, donc, mais aucune mièvrerie non plus ! Les personnages ont des caractères bien trempés, le récit est palpitant, intelligent et le rythme reste intense de bout en bout.
Seul petit bémol pour moi, j’avoue ne pas être un grand fan du dessin. Autant je sens l’auteur très à l’aise sur les visages, expressifs et franchement réussis, autant les véhicules et certains éléments de décors m’ont beaucoup moins convaincu. Cela dit l'ensemble de la partie graphique est cohérent et bien mis en couleur. Le dynamisme des cadrages, notamment, donnent une belle énergie aux planches.
Si toutes ces caractéristiques vous parlent, ne passez pas à côté, c’est sans doute l’un des albums de l’année. Dans tous les cas, même pour les moins jeunes, il est à lire absolument.
A garder en tête : c’est aussi une BD parfaite à offrir !
Scénario solide, personnage charismatique, rebondissements, dessin au top, "Mister Mammoth" avait vraiment tout pour être une grande BD. Sauf que…
Pourquoi, mais pourquoi est-ce aussi court ?!?
Deux fois 48 pages. C’est nettement insuffisant : l’intrigue est comme survolée, les personnages secondaires ne sont qu’entraperçus et les révélations finales, pourtant percutantes, sont expédiées en quelques cases, format oblige. Cette enquête bien tordue aurait pu être jubilatoire avec les développements supplémentaires qu’elle méritait.
Cela reste une lecture agréable mais ces 2 excellents auteurs étaient capables de produire ensemble un chef d’œuvre, ce qui, il faut le dire, n’est pas le cas. La prochaine fois ?
J’avais lu ce 3ème opus de Melvile sans connaitre les deux premiers tomes. Je réévalue donc à la hausse mon appréciation et ma note car je n’avais pas pu saisir toute l’ambition, la complexité et la maitrise de ces histoires parallèles. Au regard de la série entière, « L’histoire de Ruth Jacob » vaut ses 5 étoiles tant le travail de Romain Renard est exceptionnel.
Il a créé un univers unique, à la fois réaliste et fantastique, tentaculaire et intimiste, peuplé de personnages authentiques et touchants qui s’entrecroisent sans le savoir. A travers eux, son récit convoque la mémoire, la culpabilité, les non-dits, des sentiments troubles qui résonnent en chacun de nous et dont nous nous accommodons tous à notre façon.
La bourgade de Melvile elle-même semble agir sur les humains – comme la planète Solaris dans les films du même nom – et les pousse à se révéler malgré eux. Mus par cette force inconnue, prisonniers de leurs passés et d’un destin qui ne leur appartient pas, leurs vies se mettent un jour à vaciller et un détail les fait basculer unes à unes vers la vérité. C’est poignant.
En tout cas je n’ai jamais lu d’équivalent jusqu’à présent de ce qu’a réalisé Romain Renard avec « Melvile ». Bravo !
Que Romain Renard est fort !
Dès l'entame de l'album, il fait preuve d'une subtilité rare pour introduire et développer son intrigue. En quelques regards, quelques silences et quelques étrangetés, l'ambiance est posée.
Tout est nuancé, mesuré, précis et d'une fluidité exemplaire. Cette élégance graphique et scénaristique qui laisse une place importante à l'oeil du lecteur m'a définitivement accroché.
Concernant le dessin, un trait aussi réaliste continue d'étonner et provoque parfois une sorte de sidération. Mais loin de se complaire dans sa virtuosité, chaque posture, chaque expression de visage est porteuse de sens et sert le récit.
Il en va de même pour les dialogues dont le moindre mot est pesé. Quel que soit le contexte ils apportent toujours des éléments renforçant le caractère ou la psychologie des personnages. L'auteur installe une telle proximité avec eux qu'ils en deviennent plus vrais que nature.
Le tout serti dans le décor majestueux de la forêt cernant Melvile, cette petite bourgade perdue à la Twin Peaks. En témoignent les 11 planches muettes au 2/3 du livre, d'une beauté magique, seule respiration dans un scenario ne laissant aucune échappée.
Malgré une histoire somme toute très simple, la tension est omniprésente et devient par moment suffocante. Ce climat est alimenté par la dimension fantastique qui sous-tend l'ensemble et vient troubler la perception des protagonistes autant que celle du lecteur. Saura-t-on ce qu'il se passe réellement à Melvile ? Qui voit quoi ? Et surtout, qui est ce qui et quel est ce quoi ?
Quand je lis Melvile je me rappelle pourquoi j'aime autant la BD.