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Eric Herenguel est un petit coquin! En entamant sa série pulp on pensait partir sur une aventure classique suivant un bellâtre aviateur à la tête d’une escouade d’avions de chasse… dès le premier tome le supposé héros disparaît entre les griffes des amazones de Manhattan Jungle, Kong n’apparaît guère et on finit par réaliser que toute cette cavalerie n’est pas plus centrale que le grand singe qui ne servent que de décorum pour laisser l’auteur jouer avec ses dinosaures, ses engins et suivre le véritable héros de l’histoire: le teckel Spit, désigné priorité nationale par le président des Etats-Unis en personne!
Car ce qui définit Kong Crew c’est un énorme délire qui réussit le miracle de tenir la route de bout en bout en nous réservant pas mal de surprises que ce soit dans l’humour absurde ou dans l’intrigue proprement dite. Envoyant de nouveaux joujoux se faire trucider dans la zone pendant que la jolie fille du colonel joue les starlettes pour retrouver le chien, Herenguel transforme son tome de conclusion en sauvetage baroque sans se contenter de rester sur ses bonhommes, au contraire. Il multiplie les projecteurs sur une galerie de grandes gueules toutes aussi bad-ass les unes que les autres, que ce soit du côté des militaires que des amazones, si bien qu’il n’y a pas trop de soixante pages pour ajouter une sous-intrigue à chaque chapitre. Et lorsque la course-poursuite finale est arrivée on n’est guère surpris mais la banane aux lèvres de comprendre que tout ceci n’était qu’une mise en bouche avant un second arc peut-être encore plus délirant à venir…
Publié en éditions anglaise au format comics avec le partenaire Caurette, ce qui ne semblait qu’un petit projet pour initié est devenu au fil des tomes un vrai blockbuster de la fin d’année, qui démontre, contrairement à son confrère Mathieu Lauffray malheureusement, que Eric Herenguel est un vrai bon scénariste qui maîtrise toutes les ficèles et facéties pour se faire plaisir avec ses avions, ses dinos et son New-York post-apo. Bourré d’action, de rebondissements, de belles séquences « Kaiju » en cinémascope et de bons mots à la sauce vintage 50’s, Kong crew c’est le cinéma du samedi soir en BD et on en redemande devant tant de générosité, en n’ayant exploré qu’une petite partie de ce magnifique univers.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/11/18/kong-crew-3
Grosse sortie de ce tunnel éditorial annuel chez Glénat, la 3eme kamera a été teasé depuis plusieurs mois avec différentes variantes de la (très réussie) couverture, prélude aux trois éditions en vente (dont une NB avec la désormais malheureuse habitude de doubler le tarif pour les éditions sans couleur...).
Communiqué comme l'album des auteurs des (excellents) Ballade du soldat Odawaa et La Bombe, ce one-shot doté d'un très fourni livret historique est plutôt à mettre en parallèle avec le tout aussi excellent Seules à Berlin, dont il partage la noirceur. Car il y aune petite confusion dans cette BD qui traite bien plus du chaos humain dans le Berlin de l'immédiat après-guerre que de cette quête d'archives historiques. Il vaut donc mieux être prévenu pour éviter une déception. L'intrigue tortueuse menée par Cedric Apikian garde bien pour fil rouge l'un des photographe des PK mais ce qui intéresse les auteurs reste la chronique noire d'un chaos où seule la survie compte et où toute morale a disparu alors que subsistent quelques vestiges humains revanchards du glorieux Reich. L'aspect documentaire sera excellement fourni par les pages historiques en fin d'album mais plus sur le modèle d'un bonus DVD que véritablement structurant de l'histoire. Cette dernière s'attache plus à l'affrontement feutré entre les services de renseignement militaire affairés à capturer les milliers d'anciens nazis disparus dans la débâcle et un ancien officier qui n'a pas dit son dernier mot et utilise le tas de gravât qu'est Berlin pour mener ses petites combines et assassiner un soldat par-ci par-là.
Et Berlin est peut être le personnage principal de l'album, ou du moins ses occupants, pauvres âmes qui se remettent à peine de la fin d'un monde. Le dessin assez classique de Denis Rodier a toute sa force en posant ses encrages profonds dans des décors redondants qui n'aident pas à habiller l'image mais que le dessinateur, plein de professionnalisme, sait varier dans sa mise en scène en usant de cadrages très larges voir de pleines pages au découpage déconstruit. C'est ainsi une véritable prouesse graphique que de parvenir à donner une vraie dimension graphique à un album au contexte très pauvre en possibilités. Aidé par le script de son scénariste, le dessinateur québécois développe joliment ses personnages de soldats et de rescapés en aérant un peu la pesanteur du propos. Les limites de son trait rendent en revanche parfois compliquée la distinction de certains personnages dans une histoire où l'identité du photographe est un des mystère qui perdure jusqu'à la dernière page.
Surprenant tout au long de la lecture, La 3eme Kamera se trouve plutôt mal titré sur cette confusion originale. N'hésitant pas dans la noirceur, le scénario sait apporter des moments de fraicheur en suivant ces soldats joviaux pris dans une menace qu'ils ne perçoivent pas. Plutôt nihiliste au final, l'album est une excellente description des conséquences immédiates de la guerre pour les allemands et vous permettra de vous documenter sur le thème des archives de guerre que les auteurs n'auront malheureusement pas complètement réussi à intégrer à leur histoire.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/11/11/la-3eme-kamera/
Il y a deux ans Hollywood dynamitait la lassitude des spectateurs en remettant en scène un Golden boy soixantenaire dans l’improbable suite du film Top Gun, qui avait lancé sa carrière et créé une icône de la pop culture avec cet avion au design unique: le F-14 Tomcat. L’impact de cet avion sur l’imaginaire occidental (avec un énorme travail de communication de l’armée US rappelons le) ira jusqu’à incarner les Valkyries, ces avions-robots dans la mythique saga japonaise Macross et comme le raconte Romain Hugault, peu de petits garçons des années 1980 ignoreront les poster d’avions F-14 comme de Ferrari… C’est donc à la fois un hommage nostalgique à une époque, un documentaire sur l’histoire de cet avion et une suite non-officielle à la saga Top Gun que s’adonne le dessinateur-aviateur, avec toujours un si brillant talent technique qui nécessite de rappeler (comme il le fait en making-of bonus) que la totalité des planches sont entièrement dessinées et jamais issues de photographies retouchées. Cela va mieux en le disant.
Un peu comme une reprise du concept de son premier album, le dernier envol, Tomcat propose très humblement deux histoires sur cet avion: celle du premier (et quasi unique) combat contre des avions libyens pour cet engin dont la supériorité technique incitait les adversaires à prendre le large, et celle – touchante – de la première femme pilote de chasse qui disparut tragiquement du fait d’une défaillance moteur connue du F-14. Immédiatement la narration surprend avec cette interventions de l’avion lui-même qui s’immisce fictivement dans les échanges radios des pilotes. Excellente idée qui permet aux auteurs de livrer des informations et donner une âme à cet engin de fer, dans un milieu empli de tradition allant parfois jusqu’au mysticisme. Si la première séquence s’inscrit totalement dans les pas du film Top Gun et nous emporte tout autant entre testostérone et militaro-technicisme reaganien, la seconde est beaucoup plus politique et intéressante puisqu’elle nous décrit une aéronavale restée sur un texte de 1948 interdisant aux femmes de piloter des avions de chasse et dont les soirées orgiaques aboutirent à un gigantesque scandale d’image dans les années 1990 après le viol de dizaines de femmes par de fiers officiels pilotes. En suivant cette brillante pilote, on ressent la fierté d’assouvir enfin ce rêve contre le patriarcat, contre une armée archaïque, contre l’Histoire.
En ouvrant cet album on aurait pu craindre le caprice d’un excellent vendeur de BD d’avions rutilants et on ressort les yeux plein d’étoiles entre la magie du cinéma et le documentaire critique, histoire de profiter des incroyables planches de Romain Hugault sans sombrer dans une image d’Épinal qu’il frôle souvent dans ses albums. Encore un magnifique travail dont on ne se lasse pas et qui nous apprend plein de choses que l’on aurait pas eu l’idée de demander.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/11/13/tomcat/
Le scénariste chevronné Jean-François di Giorgio qui nous avait proposé le très sympathique Shaolin sait décidément très bien s’accompagner puisque pour cette ouverture d’une trilogie western lorgnant vers Sam Pekinpah il offre à l’italien Fabrizio des Dorides une incroyable galerie graphique pour son premier album publié! Véritable révélation dès les premières pages (excellemment aidé par Garluk à la couleur), le dessinateur nous plonge dans un Ouest ultra-violent où les cadrages serrés et le découpage haché du scénariste participent d’une urgence permanente où la vie est bien peu de choses… Un artiste à suivre.
Naviguant entre plusieurs personnages et temporalités, ce volume s’ouvre sur un gigantesque massacre en plan aérien dans une riche propriété du Wyoming, toute l’intrigue devant mener à la cause et au déroulement de cet assaut. Sans grandes explications, le scénario nous propose au fil de cette brève lecture, essentiellement des gunfights rageurs, des morts atroces et une imprévisibilité recherchée, le tout léché par des dessins aux petits oignons. Si les planches nous racontent la terrible histoire d’une garde du corps qui est ce qui se rapproche le plus d’une héroïne, son temps est largement partagé avec une importante galerie de personnages habitant un lieu semble t’il destiné à accueillir un huis-clos sanglant, une bataille inéluctable. Vous l’aurez compris cette ouverture n’est qu’une mise en place qui aurait dû être frustrante si ce n’était le rythme très rapide et l’action omniprésente. Les amateurs de belles images ne bouderont pas leur plaisir en attendant un démarrage d’intrigue dès le prochain tome qui s’annonce tonitruant.
Surprenante BD finalement assez vide narrativement parlant, mais dotée de suffisamment de sympathies d’intention et de radicalité d’action pour justifier une plongée dans ce sang et ces larmes… à venir.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/11/04/wyoming-1863-1-cinq-jours-pour-mourir/
Second choc graphique de l’année proposé par les comics indé et raflé par les décidément efficaces éditions Hicomics après le rageux Kali, ce Dawnrunner s’annonçait comme le messie et candidat évident au statut d’album de l’année: un pitch au croisement entre deux des plus grands chefs d’œuvres SF ciné des vingt dernières années, le golden-boy du scénar comic du moment et de premiers aperçus à tomber. La filiation avec l’immense Pacific Rim coule de source, la thématique plus intello de la communication avec l’envahisseur ajoutée (l’autre immense Arrival) et tout l’imaginaire Mechas/Kaijus depuis Evangelion faisaient frétiller les amoureux d’imaginaire techno et de batailles boom-boom.
Et je dois dire que je suis sorti déçu de cette lecture pour des raisons d’autant plus frustrantes qu’elles résultent de choix créatifs totalement volontaires. Au premier chef ces trames assez denses posées sur les somptueux dessins d’Evan Cagle et qui affadissent tout en rendant encore moins lisibles des affrontements mis en scène de façon compliquée.
Comprenons nous bien: le travail artistique de Cagle est phénoménal, sa maîtrise technique sans défaut apparent et l’implication totale. Pourtant les auteurs optent pour un découpage qui alterne le hors-champ et les très gros plans en évitant soigneusement la lisibilité des combats. Le design des Kaijus et des méchas prête également à discussion: si l’on comprend la volonté d’évolution de créatures primitives vers des blob organiques pour les besoins du scénario, le cœur du plaisir de lecture en devient frustrant en nous faisant échapper aux belles bastons que James Harren n’oubliait pas dans son superbe Ultraméga.
En refusant pratiquement de répondre aux questions que se posent les lecteurs, Ram V et son compère choisissent le contre-pied en se concentrant sur la dimension philosophique de l’âme et de la vie après la mort, lorsque leur championne pénètre dans l’univers mental d’un ancien soldat disparu depuis longtemps. Tout accaparés à développer ce sous-drame passé ils ne font que survoler une autre dimension pourtant mise en avant dans la première partie, la transformation de cette résistance humaine en l’ultime arène de gladiateurs, extrapolation de la société américaine du spectacle permanent. L’itinéraire mental de l’héroïne et de son alter-ego progresse peu jusqu’au sursaut final qui redonne un coup de punch sans lendemain, comme si les auteurs tétanisés par leur envie n’avaient su comment conclure en un unique tome. Les pistes ouvertes étaient pourtant multiples et l’attente des fans de Kaijus immense, faisant de ce Dawnrunner le reboot officieux du film de Guillermo del Toro.
L’intrigue étant beaucoup portée par les images sans grande aide narrative, une seconde lecture pourra peut-être ouvrir les chakras philosophiques du projet et rehausser cette appréciation qui reste dubitative quand à une certaine confusion des objectifs de Ram V, suivant un peu plusieurs thématiques sans jamais en pousser aucune. La déception est donc à la hauteur des espoirs mis dans ce projet qui reste graphiquement d’une grande virtuosité mais scénaristiquement pas le meilleur script de l’auteur indien. Dommage.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/11/03/dawnrunner
A mon grand regret j’avais plutôt mal accueilli le premier tome de cette luxueuse trilogie en raison d’une complexité de construction et d’une présentation épistolaire trop essentielle dans le récit. Après un étonnant flash qui nous montrait notre chevalier dans de beaux draps aux mains de sauvages des Amériques, ce second volume nous envoie de l’autre côté de l’Atlantique à la suite directe des dernières pages du précédent. Le malfaisant chevalier a en effet trouvé dans son bannissement l’occasion de se refaire une place au soleil de Versailles au détriment d’une jeune héritière qu’un noble jaloux souhaite voir frapper du l’infamie en missionnant le libertin pour la marier à un sauvage!
Il faut se souvenir qu’Alain Ayroles aime les intrigues alambiquées et manipulatrices et les Indes Fourbes nécessitait un peu de concentration. Cette suite des mésaventures du chevalier de Saint Sauveur reprend sur un rythme plus soutenu que le précédent en adoptant une linéarité beaucoup plus facile à suivre et enthousiasme par des décors où Richard Guérineau semble bien plus à l’aise que dans les intérieurs français. Il nous rappelle à cette occasion son immense qualité de coloriste qui rangerait presque son dessin au second plan au regard de la finesse de ses textures.
Découvrant clairement les finalités du récit et les manigances du méchant, le lecteur peut également prendre fait et cause pour les victimes, la jeune femme et les deux pauvres serviteurs, l’indien et ce Gonzague qui va prendre une dimension de premier plan au travers de ses lettres à sa femme restée au pays. Ce qui manquait cruellement à L’ennemi du genre humain qui se contentait de constater les méfaits du chevalier sans possibilité de compassion pour les souffres-douleur est ici résolu de façon salutaire et donne un intérêt rehaussé à la série.
Je constatais au billet précédent le manque de souffle, ce n’est plus le cas ici puisque l’aventure canadienne crée un nouveau départ qui permet l’émerveillement dans ce Nouveau Monde et la frugalité de la vie confrontée à une Nature omniprésente et remet l’anti-héros au second plan. La différence de traitement scénaristique est très étonnante et confirme peut-être une prise de conscience du scénariste, ce qui laisse optimiste pour la conclusion d’une série totalement relancée. Progressant tout naturellement entre l’arrivée dans ce monde qui doit lui permettre de se faire une virginité, l’histoire évolue vers la grande aventure qui fait référence aux écrits de London et au Dernier des Mohicans. L’amour présenté jusqu’ici sous le regard cynique du chevalier prend désormais un regard plus tendre, condamnant la vision machiavélique de ce dernier et laissant le lecteur espérer une punition à la hauteur de ses maléfices.
Très heureuse évolution d’une série mal débutée malgré la grande technique des auteurs, L’ombre des Lumières se rééquilibre en plaçant les Lumières sur l’Ombre pour le plus grand plaisir des lecteurs en proposant une grande aventure lettrée.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/10/29/lombre-des-lumieres-lennemi-du-genre-humain/
Voici venue la fin (?) des aventures du pirate Raven et comme on s’y attendait depuis un premier tome lu à l’envie, le dessinateur de Long John Silver semble avoir produit sa trilogie à l’impro (au talent comme on dit). Toutes les difficultés rencontrées précédemment se retrouvent concentrées ici avec en outre la très mauvaise idée de monter la pagination à presque un double album pour une intrigue quasiment résolue à la fin du précédent…
L’ouvrage commence par une étrange page de résumé (qui n’existait pas sur le second tome, tiens, pourquoi?) puis sur une bonne surprise: un flashback sur l’enfance de Raven. Le projet étant construit sur la rivalité entre l’anti-héros et la belle Blacksee, le fait de renforcer le background de Raven est plutôt bien vue, en attendant celui de sa rivale (attendez…). Ensuite patatra: Lauffray reprend pratiquement case pour case sur la dernière page du volume deux pour nous enchainer un très long déroulement en unité d’action, de temps et de lieu. Le lieu est incroyablement pauvre avec cette menace majeure d’une attaque massive des cannibales sur le petit fort en bois, sauvages que le dessinateur laissera à l’état d’une masse informe, bien loin des flamboyances barbares qu’il a su croquer par le passé. Le temps se trouve haché avec des séquences brutales sans préparation et qui frisent par moment le ridicule. L’action se résume à des aller-retour de Raven entre les habitants du fort et les pirates piteusement vautrés au pied de leur navire échoué, tout cela en l’absence remarquable d’une Lady Darksee dont l’inévitable retour sonnera creux.
Si la réalisation de l’album a à peu près tout faux je soupçonne Mathieu Lauffray de préparer une suite ou spin off… sur ce qu’aurait dû être son projet depuis le début: Raven et Darksee se tournant autour dans une tragicomédie pirate. Il semble s’être perdu en route faute d’histoire à raconter. Une histoire sans personnage ne tient pas, des personnages sans histoire malheureusement pas plus. Terrible naufrage d’un immense illustrateur qui nous rappelle (en pire) les errements de sa première aventure en semi-solo sur Prophet. Raven n’avait pas pour objectif de révolutionner la BD de piraterie mais avait un potentiel ne serait-ce que dans le ton surprenant adopté. Sur Furies Lauffray dramatise et plonge dans ses tics graphiques sans contrôle, sans mise en scène. Une série à oublier et qui mérite deux étoiles uniquement en raison de l’aura d’un grand auteur et d’une qualité graphique qui reste malgré tour importante.
Alain Ayroles est un fin connaisseur de l’Age classique et de la langue qu’il parcours depuis presque trente ans au fil de sa grande série De capes et de Crocs et de son best-seller Les Indes fourbes en 2019. De ce dernier on retrouve pour cette association avec le dessinateur du Chant des Styges une construction complexe, un protagoniste malfaisant et corrupteur et un jeu entre la narration et la réalité visible. Ce premier tome nous fait découvrir les aventures du dit chevalier en deux chapitres entrecoupés d’une vision de ses (mes)aventures au Canada.
Présenté comme une variation sur les Liaisons dangereuses, on retrouve donc le récit épistolaire compliqué à suivre entre le chevalier, ses alliés de malfaisance et des oies blanches victimes de ses machinations. La subtile entrée en matière introduisant l’anti-héros retarde l’immersion du lecteur dans ce récit en devant faire une gymnastique permanente entre les bulles, les lettres, elles-même jonglant entre vraie et fausse identité des uns et des autres… bref il faut s’accrocher. Lorsque de vraies séquences de BD démarrent on profite néanmoins des magnifiques planches de Richard Guérineau qui semble parfaitement à l’aise et impliqué dans ce projet, lui qui a par le passé donné l’impression de dérouler des albums à minima. La reconstitution historique, la colorisation somptueuse enchantent les sens tout comme les textes, pour lesquels on connait l’aisance d’Alain Ayroles.
Techniquement irréprochable, ce beau premier tome n’a pas froid aux yeux en accumulant les difficultés: une thématique intello, une construction compliquée, un anti-héros qui interdit toute implication pour le lecteur, gageons que les lecteurs se remémoreront la flamboyance (pas si simple) des Indes Fourbes pour vouloir renouveler l’expérience. Le problème est que l’on est cette fois en présence d’une trilogie avec une construction qui laisse un peu circonspect. L’esprit est là, le plaisir littéraire indéniable, le souffle sans doute pas. Semant de petits pas pour la suite cet album parie sur la fidélité des lecteurs plus que sur la conviction de nouveaux venus. Guère d’inquiétude sur la qualité des prochains tomes, un peu plus sur les ventes de l’éditeur.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2023/11/28/lombre-des-lumieres-1-lennemi-du-genre-humain/
Porté par une communication appuyée et un relai médiatique important à sa sortie, cet étrange album n’est que le premier d’une fresque qui pourrait s’apparenter au projet fictif de Gibrat sur la magistrale série Mattéo. Véritable adaptation BD d’une source secondaire, le témoignage d’un acteur de la Guerre, Les 5 drapeaux est bien un album documentaire, avec les risques du genre, malgré un style cartoon surprenant et qui permet à l’album d’éviter une pesanteur administrative que la trop grande proximité avec le Journal impose.
Le premier volume est dédié aux camps d’internement (pour ne pas dire « de concentration ») dans lesquels la République française a caserné pendant des mois ces dérangeants résistants espagnols rescapés de la Retirada, alors que Paris capitulait à Munich et tentait de ne pas fâcher les régimes fascistes. Sur le plan historique cet aspect est très intéressant, nous plongeant à l’intérieur de sombres moments méconnus de notre pays. Ces camps seront reproduits quelques décennies plus tard pour les harkis algériens. La limite du propos reste que Pau se cale sur la vision de son grand-père sans mise en perspective historique. Ce n’est pas trompeur en ce que cela reste une vision intime, mais c’est frustrant tant cette problématique historique du comportement des autorités françaises est sérieuse.
Le récit quelque peu redondant reste ainsi totalement calé sur les écrits du grand-père, une personnalité déterminée dont les dessins de Pau rendant bien compte et sauvent un album qui aurait sinon pu être rébarbatif faute d’intrigue. Très expressifs malgré les tronches de walt-disney de ses personnages canidés, les personnages nous permettent de ressentir l’émotion de la perte de son pays, de l’inconnu concernant les proches et tout simplement de la difficulté de la vie dans ces camps, totalement abandonnés jusqu’au décès des plus faibles.
Cette ouverture aurait mérité comme tout bon album une part scénarisée afin de fluidifier une lecture qui reste passionnante. De même, en oubliant de teaser la suite des aventures du personnage principal, l’auteur donne l’impression de lire un one-shot pesant qui reste fermé sur une petite section de l’Histoire. Espérons que Pau s’émancipe de son matériau et de la mémoire familiale pour proposer une grande fresque BD que le sujet permet assurément.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/10/25/les-5-drapeaux-1/
Depuis son inabouti Invisible Kingdom en 2020, le britannique Christian Ward semble être une des nouvelles coqueluches du Big Two en apportant sa touche Indé qui redore le blason industriel des mastodontes. Après le réussi Aquaman Andromeda en compagnie de Ram V (autre cador du moment), le voilà qui rempile dans le Black Label et profite de la liberté de cette collection pour proposer un étonnant croisement entre l’univers de Batman et celui de Lovecraft.
Pour ceux que la technique très numérique et parfois criarde de Ward rebuterait je peux les rassurer en indiquant que cet album se veut un hommage graphique à la BD qui a donné envie à l’auteur de faire de la BD: le mythique Arkham Asylum de Dave Mckean. Et sur ce plan c’est déjà très réussi puisque l’auteur utilise intelligemment son trait habituel pour illustrer les deux univers (mentaux?) que décrit l’album. Se glissant totalement dans l’atmosphère « horreur » recherchée, les pages posent donc comme un filtre sur des fonds troubles et inquiétants en variant le découpage, du gaufrier rectiligne à des arabesques circulaires.
Mais ce sont bien le retour de la Cour des Hiboux et les idées énoncées à partir de cet infra-monde qui bousculent incroyablement l’univers de Batman, comme on ne s’y attendait pas. Lorsque cette secte de millionnaires est apparue dans le cerveau de Scott Snyder en 2011 on n’imaginait pas qu’elle allait rester si discrète dans les créations suivantes. Bien peu ont osé réutiliser ce qui redéfinissait pourtant l’écosystème de Gotham en créant ces fameux Ergots, assassins à peu près increvables aux mains de maîtres des psychotropes qui mèneront la vie dure au Dark Knight. Et c’est toute l’intelligence de Cristian Ward sur ce one-shot (malheureusement trop court pour pouvoir vraiment développer) que d’ouvrir une improbable porte vers le monde miroir d’en dessous tout en permettant une interprétation psychologique toute batmanienne sur des hallucinations horrifiques. Le premier degré restera sur l’irruption lovecraftienne d’une entité du monde caché qui influe sur les êtres de notre univers. Cela fait échos avec un asile d’Arkham où a toujours sembler roder un maléfice corrupteur et qui trouve ici une explication double. Les occupants de l’asile trouvent ainsi un sens à leur démence, jusqu’à transformer Double-face en un allié de circonstance. Une vision plus intellectuelle verra ce court voyage comme une allégorie des méandres psychiques de Bruce Wayne, tout en symbolique, au travers d’une relation filiale complexe…
Alors que le Batman monstrueux que pourchasse Bruce Wayne nous frustrera un peu par le refus de l’auteur de nous offrir l’affrontement épique attendu, la multiplicité de pistes détaillant la Cité, ses monstres et jusqu’à la véritable origine de la quête sans fin de Batman, fascinent par leur richesse. C’est simple, cela faisant bien longtemps qu’un album de Batman n’avait pas ainsi posé une stèle majeure dans la mythologie de ce si passionnant personnage.
Attendu comme une simple récréation à la mode Cthulhu, ce City of Madness enthousiasme tant graphiquement que dans ce qu’il ouvre, tout en restant accessible à ceux qui ne voudront y trouver qu’un one-shot bien au chaud dans la collection Black label. En attendant on ne peut que remercier l’artiste d’avoir su dépasser sa seule envie d’hommage pour propose un ouvrage majeur qui restera dans la bibliothèque idéale de Batman.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/10/23/batman-city-of-madness/
Le personnage d’Aquaman est créé en 1941 et adapté au cinéma en 2018 au sein du Snyderverse. Succès commercial et critique, le destin de la franchise au cinéma est pourtant mort-née avec les changements de plans de l’éditeur. Un second film doit sortir en fin d’année aux Etats-Unis. Première incursion de l’étoile montante du scénario US Ram V dans le Label mais aussi de l’artiste numérique couronné aux Eisner Christian Ward, il a fallu attendre une année pour voir débarquer chez nous ce one-shot très attendu, avant le fort alléchant Wonder Woman Historia cet été.
Doté peut-être de la plus belle couverture de l’année BD, cet album coche toutes les cases de la qualité BL en proposant une histoire dans sa propre continuité et parfaitement accessible aux néophytes, sur un schéma archi-classique voir même plagiaire puisque l’on a parfois le sentiment de lire un mix entre le Namor d’Esad Ribic (pour l’horreur en huis-clos) et le film Abyss: alors qu’Aquaman navigue entre ses amitiés humaines retirées des villes et son gardiennage des royaumes sous-marins, un objet spatial tombe dans une fosse du Pacifique en attirant une expédition de l’armée américaine à bord d’un sous-marin ultra-technologique. Bien vite la pression des fonds et l’influence de ce qui est renfermé dans le vaisseau mettent à mal les objectifs de la mission. Aquaman va devoir sortir de sa neutralité pour empêcher un chaos planétaire…
Votre appréciation de ce très bon album sera déterminée par votre réceptivité à l’art très particulier de Christian Ward. Doté d’une technique de dessin parfois discutable et très éloignée des canons du comics, l’artiste excelle surtout dans un découpage très libre qui accompagne les formes et couleurs semblant inspirées par l’iridescence des fonds et des écosystèmes marins. Cela permet de créer une atmosphère entre haute-technologie aux aspects vaguement kitsch avec des aplats et des formes futuristes dans le sous-marin et un univers psyché-dark pour l’Océan où la quasi absence d’encrage se marie parfaitement avec un monde incertain à la luminosité fuyante. Sa représentation d’Aquaman est sur ce point parfaitement réussie en sorte de fantôme presque muet qui rode autour des humains pas vraiment à leur place.
Si la trame générale du scénario est donc fort classique, avec un chapitrage décrivant alternativement le passé des différents membres de l’équipage, on retrouve la facilité narrative et l’écriture riche de Ram V vu sur These Savage shores ou le récent Batman Nocturne et qui semble jusqu’ici dans la toute puissance créative, pour notre plus grand bonheur. Proposant un schéma totalement calibré pour un futur film (le CV parfait!), il profite de la forme de Ward pour éviter un trop grand déjà-vu et travaille la paranoïa de son équipage pour aboutir à un huis-clos fantastique.
Remarquablement équilibré entre les balises de ce type de récit (les militaires, le massé mythologique, l’angoisse des abysses, les relations en huis-clos), la cohérence formelle avec le film et l’historique d’Aquaman, Andromeda est un bel album qui sort incontestablement des canons Comics et retrouve la raison d’être du Black Label en proposant une entrée assez facilitée dans le monde numérique de Christian Ward.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2023/07/10/aquaman-andromeda/
L’histoire suit un pilote suédois qui fait des miracles dans cet embryon d’armée qui doit résister aux attaques des arabes et aux manigances de l’Irgoun, ce groupe paramilitaire suprémaciste qui assume l’élimination des arabes pour fonder le Grand Israël. Présentant la guerre froidement, dans toute sa violence brutale, imprévue et inéluctable, les planches de Juillard sont d’une efficacité clinique, alternant dans une étrange atmosphère estivale les séquences militaires très lisibles et les débats fort bien écrits sous la plume de Yann, entre ces goys qui tiennent l’existence de la jeune nation à bout de bras et ces jeunes juifs fiers, mélangés entre fanatiques, mystiques et socialistes.
Ainsi l’album retranscrit parfaitement ce patchwork de personnes venues de partout, de toute influence, toute idéologie, certains nés en Palestine et qui livrent une guerre de basse intensité dans une ambiance de boy-scouts flirtant dans la chaleur de la méditerranée et ramenés à la réalité par les drames soudains. Entre les batifolages du personnage principal, ses mystérieux cauchemars et la vie quotidienne du bataillon, l’histoire de ces Mezek, cercueils volants rachetés à bas prix en Europe et dont la fiabilité semble tuer plus de pilotes juifs que d’adversaires…
On savoure ainsi autant les superbes planches d’André Juillard (qui montrera encore avec son acolyte son amour pour l’aviation sous la Guerre d’Espagne) que le scénario et les dialogues de Yann entre marivaudages et espionnage clinique. Dans un parfait équilibre entre l’Histoire, l’action, la sensualité (car n’oublions pas que Juillard aimait les beaux corps), ce Mezek est donc un franc succès digne de la collection et d’un remarquable équilibre, donnant autant envie de se documenter plus avant sur la période que de poursuivre l’exploration de la biblio d’un grand maître.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/10/11/mezek/
Parmi la masse de comics publiés je dois dire que Delcourt déniche très fréquemment de petites pépites, comme ce magnifique Kroma paru l’an dernier. Également publié par Image comics, cette fois c’est un disciple de Mike « Hellboy » Mignola qui publie son premier indé, à la fois très prenant et déstabilisant par sa crudité. Car ce Poussière d’os est d’un nihilisme violent rarement vu depuis le survival espagnol Solo! A cheval entre le superbe Renaissance de Duval et Emem et la série d’Oscar Martin, la création de Ben Stenbeck parcourt des terres désolées où un jeune humain semble doté de capacités guerrières, d’une envie de vivre et d’une praticité qui lui permettent de résister à la force brute des cannibales qu’est devenue l’humanité. Sans nom, sans parole (l’album se lit d’ailleurs très vite du fait de la quasi absence de textes), cet inconnu attirera l’attention d’un des deux êtres qui ouvrent l’aventure: lumineux, d’un aspect semi-robotique évolué, on ne sais pas s’il s’agit d’aliens venus visiter la Terre ou d’androïdes/cyborges extrêmement sophistiqués.
L’auteur nous confronte ainsi à un schéma classique d’une archéologie d’une Terre morte par une entité supérieure, en jouant sur un contraste graphique appuyé. L’élégance du trait permet de résister à l’ignominie de ce que sont devenus les hommes. Progressivement, malgré le format one-shot et l’ambition toute mesurée du projet-concept, Stenbeck instille des éléments de background, comme
cette créature mécanique que l’on comprend être l’aboutissement aberrant d’une IA, continuant de déblatérer les lignes de son code de propriété des siècles après la Chute. Construit comme une fuite de l’enfant sans but autre que la survie, le scénario voit nos être supérieurs et a priori invincibles tourner autour de cette lutte naturelle. Avec une base sèche, primale, l’auteur apporte suffisamment d’aspect SF élégant pour sortir son projet du seul plaisir post-apo.
Graphiquement c’est extrêmement fluide mais aussi extrêmement gore. Âmes sensibles s’abstenir, ce monde est mort, organique, vulgaire et sanglant. Les hommes ne sont que de la viande sur pattes et les belles planches rehaussées par le toujours brillant Dave Stewart ne détournent pas le regard pour montrer toute l’étendue de la souffrance possible… Sans espoir (ou presque…), Poussière d’os s’avère une belle lecture pleine d’énergie, d’action et capable d’entrainer son lecteur sur une trame simple mais rudement efficace. Jusqu’à une conclusion surprenante mais qui instille tout de même quelques goutes d’avenir prométhéen pour notre pauvre engeance.
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Sans doute victime d’un ostracisme pour son identification « jeunesse » depuis les Mythics, on oublie que Philippe Ogaki est aussi le dessinateur de la formidable série Météores où son worldbuilding faisait déjà merveille en matière de design. Etonnamment ignorée, Astra Saga arrive déjà à la moitié de son intrigue et il est temps de résoudre le malheureux choix scénaristique initial qui alourdit sans raison un projet par ailleurs tout à fait merveilleux.
La mécanique de l’ouverture au cœur de l’action avant un flashback qui reboucle fonctionne très bien en audiovisuel car le rythme reste court pour le spectateur qui garde en mémoire son intrigue. Sur de la BD étalée sur sept années (un an par album) cela impose au lecteur de switcher à chaque étape entre les différentes époques chronologiques, en espérant que le dessin des personnages soie suffisamment précis pour ne perdre de vue le who is who. Dans Astra saga si l’intrigue progressive fonctionne en voyant grandir nos personnages qui se croisent épisodiquement, le retour de la scène inaugurale à chaque album tombe complètement à plat faute de tension dramatique. Des bastons spatiales il y en a pléthore sur l’ensemble des pages, l’antagoniste n’est pas encore connu et l’univers pas encore suffisamment ouvert pour procurer un effet WAOU lorsque l’inframonde va se révéler au héros. Surtout la brièveté des séquences du « temps présent » coupe l’intrigue principale pour un double effet négatif. A la clôture de ce troisième épisode il semble que les deux trames se rejoignent, ce qui peut laisser espérer de revenir à un déroulement chronologique plus classique et plus intense…
Car pour le reste on est toujours dans du magnifique space-opera qui sait en outre garder du mystère hors-champ, comme ce Sultanat dont on aimerait diablement découvrir l’apparence. l’auteur n’oublie pas pour autant d’ouvrir des portes en dévoilant progressivement des peuplades au design toujours réussi, comme ces nains logiquement équipés d’exosquelettes. Les séquences d’apocalypse sont lisibles et aussi titanesques que les batailles spatiales en permettant en un instant de saisir ce qui a pu provoquer le Ragnarök antédiluvien. Hormis ce petit bug de structure on reste donc sur de l’excellent blockbuster d’une richesse imaginaire proche de ce que fait Alice sur le Château des Etoiles, excusez du peu. Alors n’attendez pas plus, chaussez vous rouflaquettes et votre plus belle robe et embarquez pour les Etoiles d’Astra Saga!
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l est très étonnant de lire ce court cri de rage du documentariste Joe Sacco quand on a touché à au moins l’un de ses très importants travaux. Symbole du journalisme rugueux, allant au fond des sujets avec une méthode et une rigueur qui ont fait sa légende, l’américain publie peu car son travail de terrain lui prend du temps. J’avais expérimenté Gaza 1956 et avait été autant impressionné par la méticulosité de son enquête que par des dessins qui peuvent rebuter. Ici (et pour la première fois je pense) son travail est tout autre puisque l’urgence exigeait de lui une expression qu’il reconnaît aussi vitale que futile devant le génocide en cours. Et c’est la première marque de ce fascicule que d’illustrer comme d’autres qui ont étudié l’horreur sur le long terme, comme certains journalistes de guerre ou humanitaires habitués aux abominations des zones de guerre, que les plus habitués à la barbarie humaine restent sans voix devant la fuite génocidaire du gouvernement et de l’armée israélienne à Gaza, et maintenant au Liban.
Publié sur un site web avant d’être repris par son éditeur français historique (les droits vont intégralement à des associations d’aide à Gaza… achetez le!), Guerre à Gaza ne vise pas une démarche journalistique, survole la question (aujourd’hui très documentée) et semble autant le cri d’un américain voyant sa nation (autoproclamée « patrie de la Liberté ») sombrer que celui d’un homme effaré par le silence assourdissant de l’Occident alors que le peuple victime de l’Holocauste s’affaire sous nos yeux à régler la « question palestinienne » avec la méthode du Talion, en ce premier génocide du XXI° siècle. Sacco y reconnaît sa naïveté pacifiste devant l’intention assassine de l’Etat israélien… bien avant 2023. Ceux qui connaissent leur Histoire et ceux qui ont suivi les travaux de Sacco savent de quoi on parle. Mais l’auteur dénonce pèle-mêle la manipulation médiatique, le maccarthysme qui a lieu dans bon nombre de « démocraties », le storytelling des néo-fascistes réécrivant la réalité avec les mots qu’ils jugent vrais. Et le grand courage de Joe Sacco est d’assumer son propos sans crainte d’être marqué du sceau de l’infamie antisémite, activité quotidienne d’un système médiatico-politique dominé par le Capital.
Guerre à Gaza est un maigre objet, un maigre cri, mais une urgence vitale pour son auteur tétanisé qui devrait rappeler à tous les humanistes que nous sommes nombreux et que c’est d’abord par le silence des démocrates que les assassins mènent leurs projets. Alors achetez Guerre à Gaza, offrez Guerre à Gaza. Et ne restez pas silencieux, comme disait Stephane Hessel, indignez-vous!
L’intrigue désormais lancée, ce second et dernier tome va s’attacher à résoudre l’affaire du tableau alors que le tremblement de terre change radicalement le contexte. Dans ce chaos visuel les mafias chasseuses deviennent chassées par les hommes d’un général bien décidé à profiter de cette zone de guerre pour utiliser la force que lui donne son statut. Et c’est malheureusement là que l’on constate les limites de la construction scénaristique de ce diptyque puisque ni Meddour limité à décrire un paysage terne, sans relief et guère intéressant graphiquement, ni Marie qui oublie totalement ses personnages pour illustrer simplement l’aspect documentaire de son projet, ne parviennent à prolonger un premier tome qui se laissait lire avec plaisir.
Faute d’intrigue liant Everett une fois les criminels tombés sous les balles du général, les auteurs auraient pu se plonger dans l’aspect fantastique et mythologique de ces intéressants motifs que sont le tableau de Klimt et le personnage de Judith. Semblant avoir perdu le fil ils se contentent de suivre ce militaire décidé. L’aspect documentaire prend alors totalement le dessus sur l’histoire en maintenant un semblant d’intérêt immédiat. Mais en abandonnant complètement toute mécanique dramatique l’album se trouve à porter une responsabilité trop grande sur Fabrice Meddour qui malgré quelques tentatives d’imposer les thèmes klimtiens à certaines cases se trouve bien démuni en semblant errer comme son personnage dans un brouillard imperméable où toute couleur a disparu. Il en ressort une cruelle impression de premier album qui annule presque les qualités ici très mal utilisées de la technique de l’artiste. On termine donc cette histoire satisfait d’avoir découvert une catastrophe méconnue de l’histoire américaine mais agacé d’avoir lu ce qui a partiellement oublié d’être une BD.
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Fabrice Meddour est un artiste trop peu connu. Surgi dans les années 1990 avec une série qui a marqué son époque, Hispanola, sa technique en couleur directe n’a par la suite pas rencontré le succès escompté. Allié au talentueux Damien Marie depuis le magnifique diptyque Après l’enfer, il revient pour un quatrième album tant le duo fonctionne bien et reprend cette alchimie de dessins aussi sensuels qu’incertains et d’un scénario à la trame simple mais très référencée.
Auparavant attachés aux horreurs de la Guerre de Sécession où ils transposaient le conte du Magicien d’Oz, le duo documente cette fois le grand séisme de San Francisco où ils construisent une intrigue mafieuse dans laquelle notre belle ingénue va croiser la route du grand Caruso aux prises avec le chantage de la pègre locale. Le cœur de ce chantage est un tableau perdu de Gustav Klimt qui va passer de main en main en faisant de la pauvre Everett le témoin d’évènements semi-historiques. Le premier tome suit une intrigue linéaire mais astucieusement découpée pour aborder les différents protagonistes de ce prétexte à décrire (dans le second tome) le contexte chaotique laissé par le tremblement de Terre. Avec différentes mafia ethniques qui se partagent le Crime, un artiste craignant pour sa voix et un général d’armée tiraillé entre son amour pour une femme fatale et son devoir militaire, notre héroïne va être ballotée au gré des évènements. Et c’est le principal « défaut » de cet album qui fait de son personnage principal un fétu de paille dont la seule caractéristique est une énigmatique filiation avec le mythe de Judith, cette magnifique veuve qui usa de ses charmes pour assassiner le puissant général babylonien. Le scénario relie ainsi joliment le tableau biblique de Klimt, l’histoire mythique et cette pauvre fille plongée dans les ruines de San Francisco. De quoi titiller notre curiosité pour la suite et de donner prétexte à Fabrice Meddour à nous donner de superbes planches coquines dans ses tons sépia habituels.
Jouant entre les lieux et les temporalités, Damien Marie propose de jolis textes et rythme son histoire entre une galerie de personnages variés et de l’action directement issue des films de genre. Le personnage principal est une victime souvent peu vêtue même si, avouons le, les auteurs semblent plus intéressés par les règlements de compte gores. La survenue du séisme donne tout de même lieu à de belles planches massives où les limites techniques de Meddour nous laissent loin d’un apocalypse à la mode Otomo. L’ensemble reste pourtant malgré ces quelques faiblesses connues (le style du dessinateur était plus à son aise dans les lianes du Bayou) une lecture très plaisante pour une mise en place.
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Avec une gestion du rythme remarquable et une fluidité de l’avancée narrative qui déroule les étapes de l’histoire avec des temps de passage parfaits, Bruno Bessadi reprend donc son tome de conclusion juste après que son héros ait été livré aux sbires du tyran. De retour sur sa terre natale, le voilà qui, accompagné de ses deux petits acolytes, va renouer avec ses anciens affidés pour récupérer son trône… ou pas. Car l’intérêt de cette série repose dans la cohérence psychologique des personnages qui les sort d’un cadre trop classique d’une histoire de vengeance vue mille fois. L’auteur sait alors déjouer les attendus du lecteur. Hormis le mécanisme initialement très fun du démon tout puissant qui rend le héros invincible… qui affaiblit inévitablement la tension dramatique, l’intrigue politique et les interactions historiques entre dominants, dominés et revanchards fonctionne parfaitement, faisant de l’Ogre lion une des toutes meilleures séries anthropomorphique de ces dernières années (et on peut dire qu’il y a de la concurrence, ici, ici, ou là).
Jouissant d’une galerie de personnage pléthorique qui parviennent (presque) tous à jouer un rôle, on pourra simplement regretter que l’idée initiale très influencée par l’univers de Robert E. Howard et de Moorcock, ait vu notre protagoniste évoluer vers des sentiments moins… barbares. Rassurez vous, les éviscérations et découpages au laser restent bien présents mais l’on voit poindre quelques bons sentiments au contact de l’enfant et des gentils herbivores qui entraînent une prise de conscience de la tyrannie des lions. On reste donc dans du (relativement) grand public mais l’ensemble se lit avec grand plaisir de bout en bout pour une conclusion cohérente qui n’oublie pas la grande bataille finale et met un terme finale à la vengeance de Kgosi.
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Me voilà rassuré! Malgré une écriture et des dessins toujours remarquables, le cycle de Lys m’avait fort déçu par l’absence de rythme et de cette étincelle qui faisait flamboyer le premier cycle des 5 Terres. Après lecture du premier spin-off et de cette entame du cycle des Ours, ce qui avait tant plu est de retour. Profitant de la formidable conclusion du tome douze les auteurs font directement débarquer leurs vikings sur l’intouchable Angleon et évitent de longues présentations en nous plongeant intelligemment au cœur d’une troupe d’élite, la Pointe de Drun, chargée d’attaquer aux avant-postes et de monter des expéditions commando. Option militaire implique échanges viriles entre soldats de différentes espèces qui facilitent la découverte et justifient la simplicité de l’intrigue résumée à la prise de la citadelle d’Angleon. En bonne compagnie on savoure alors le montage d’opérations, l’attente lors du siège, avec un intéressant prisme visant à exclure totalement les lions de notre perception et en nous plaçant dans l’unique vision des Ours.
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La team de scénaristes ne nous fait pas patienter puisque l’on rencontre tous les personnages présents sur l’intérieur de couverture histoire de démarrer ce cycle confortablement. L’affaire étant entendue après quelques péripéties, restent ainsi cinq tomes pour développer une trame complexe qui saura sans doute relier encore un peu plus les différents peuples. La principale faiblesse de ce tome réside (comme toujours je dirais) dans l’intrigue secondaire autour de l’otage revenu d’Angleon, dont la présence semble obligatoire mais qui sent un peu le réchauffé après les atermoiements de Keona au cycle précédent. L’affaire des otages a bien sur pour but d’illustrer le changement dans chacun des peuples avec ce ver dans le fruit de traditions que les détenteurs du pouvoirs ne veulent surtout pas voir changer. Le risque est de reproduire à chaque cycle la même recette. Si cette sous-intrigue fonctionnant comme aération sur le cycle d’Angleon, elle semble depuis le précédent un passage obligé qui peine à se justifier.
Démarrant bien plus solidement que Lys, très bien présenté et doté de personnages attrayants et facilement lisibles, ce nouveau cycle des 5 terres entame donc sous les meilleurs auspices en retrouvant l’alliance d’une fine écriture et d’une approche grand public bienvenue. L’espoir retrouvé, il ne reste plus qu’à attendre le prochain opus de cette série au rythme qui ne cesse d’impressionner.
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Avec un sens du timing assez terrifiant, ce récapitulatif didactique de l’inextricable bourbier moyen-oriental arrive dans nos librairies au moment où les fous de guerre qui dirigent l’Etat israélien semblent décidés à régler une fois pour toute l’ensemble des problématiques engendrées par la disparition de l’Empire Otoman puis par la survenue du foyer juif sur cette mosaïque de peuples séculaire. La qualité première de cette tentative (et pas des moindres!) est de rester concentrée sur le sujet syrien, tant l’actualité aurait tendance à nous faire oublier que le régime de Damas reste l’un des régimes les plus stables de la région. De façon absolument sanglante mais néanmoins stable. De l’Irak, de la Libye, d’Israël et du Liban bien sur on entend parler régulièrement. De Bachar Al-Assad un peu depuis la guerre civile commencée en 2011. Mais cette dynastie semble étonnamment capable de se faire faire oublier, de se fondre dans le décors d’une normalité barbare mais qui sait parfaitement tenir compte du bruit du monde pour disparaître parmi les autres dictateurs qui parsèment la planète. Revenant à l’origine de l’Etat syrien et les choix des colonisateurs de promouvoir certaines minorités, l’album rappelle aussi que pour une fois tout ne viens pas des européens et que les équilibres de puissance au sein de l’Empire Otoman joueront au moins autant que le finalement court mandat franco-britannique après les célèbres accords Sykes-Pikot. On revient en somme à la responsabilité des occupants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans…
La partie graphique est assez minimaliste, Nicolas Otero travaillant principalement sur des photographies retouchées, appuyé par sa femme sur les couleurs. On comprend l’économie de temps par rapport à des planches classiques, même si l’aspect BD en souffre, faisant de ce Paris-Damas un objet plus proche du reportage La Fissure que d’un véritable album séquentiel.
L’album commence par un descriptif de l’ascension vers le pouvoir d’un ambitieux militaire de la minorité alaouite qui sut s’appuyer sur l’efficacité soviétique dans un contexte de Guerre Froide pour, très tôt, ambitionner la recréation d’une Grande Syrie incluant le Liban. Arrive vite le cœur du sujet avec l’explosion des attentats en France comme mode opératoire de pression diplomatique. Se souvenant des années sanglantes et du nombre d’attentats que les drames de 2015 nous avaient presque fait oublier, on réalise la faiblesse des puissances occidentales face à la menace terroriste, a fortiori quand elle est utilisée par un Etat dont on attend des avantages économiques sur place. Jean-Claude Bartoll nous relate ainsi (beaucoup au style narratif mais il n’oublie pas de scénariser d’hypothétiques échanges entre chefs d’Etat et dirigeants des services de renseignement pour justifier le format BD). La course entre attentats plus ou moins directement commandités par Hafez Al-Assad (en instrumentalisant la lutte des Palestiniens ou directement en employant le terroriste international Carlos) et les représailles des opérations noires de la République française nous laisse sans voix tant l’écart entre le vernis journalistique actuel et la réalité crue est abyssal. Les frasques de Nicolas Sarkozy sont les dernières à nous rappeler combien cette sale géopolitique était habituelle à l’époque.
En suivant chronologiquement les luttes internes dans la famille et l’inattendue arrivée au pouvoir de celui qui se voyait médecin à Londres, l’album parvient à nous tenir la tête hors de l’eau, tant les explications internes, historiques, religieuses, sont multiples et complexes. Et l’on comprend pourquoi il est très difficile d’expliquer les soubresauts meurtriers dont le Liban est victime depuis toujours. A la fois détaillé et synthétique, l’ouvrage de Bartoll et Otero a nécessité un sacré travail documentaire, en témoigne l’importante bibliographie indicative en fin d’album.
En refermant l’album on reste marqué par l’inefficacité des puissances occidentales face à une détermination froide, amorale des Al-Assad, et par la permanence de deux abcès géopolitiques: la Syrie qui occupe et dirige de facto le Liban depuis plusieurs décennies et l’occupation israélienne du Liban, du Golan et des territoires palestiniens qui créent une tension géopolitique et militaire permanente. Et on remercie les auteurs pour ces rappels ardus mais très didactiques sur un régime plus influent qu’il n’en a l’air.
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La sortie de films DC et Marvel entraine toujours une étrange danse de publications plus ou moins liées à un plan com’ devant soutenir le métrage. Joker: folie à deux et la production de The Batman 2 voient ainsi s’associer une commande au magnifique duo King/Gerads qui n’a produit jusqu’ici que de très grandes BD. Avec une petite centaine de page, ce nouveau one-shot sur le Joker se situant à l’époque des débuts de Batman n’a guère le temps de développer une intrigue intéressante (que d’autres histoires comme White Knight ou The killer smile réussissaient parfaitement) mais se concentre sur une mise en scène aux petits oignons en forme d’exercice de style sur un mode parfaitement rodé du duo.
Reprenant le classique gaufrier coutumier de Mitch Gerads, le volume voit Batman lancé à la poursuite d’un serial killer inaccessible qui semble cibler des notables de Gotham, que l’on voit terrifiés face à des policiers (et un Jim Gordon) surs de leur force protectrice. En vain… Cette version du Joker, plutôt terrifiante, est la version croque-mitaine de la nemesis de Batman, que l’on peut rapprocher de l’acmé de la terreur qu’il incarnait dans Le deuil de la famille, peut-être le meilleur album de Batman paru jusqu’ici. Invisible, métamorphe, increvable, le clown est ici un fantôme quasi-fantastique capable de frapper n’importe où et n’importe qui, jusqu’à mettre le chevalier noir dans un état critique. On pourra simplement reprocher aux auteurs de ne pas faire l’effort de jouer sur l’aspect psychologique permettant d’expliquer ces facultés hors norme et de se contenter de cet état de fait.
Pour le reste, avec la place dont ils disposent, Gerads et King installent un étonnant duo entre un Bruce Wayne assez creux et un chef de gang dont la gouaille détonne et prend la lumière, sans que l’on sache trop à qui on a affaire. Comme dit plus haut, toute l’énergie créative est mise sur un découpage et des interventions du joker qui jouent sur d’élégants cartons de cinéma muet comme s’ils invoquaient l’expressionnisme des années 1920, alternant images violentes et blagues du criminel. Visuellement cette petite expérience est magnifique et peut se justifier en tant que tel. Sans l’ambition de vouloir détrôner les chefs d’œuvres autour du Joker, les auteurs se font simplement plaisir avec cet exercice luxueux qui ne marquera ni l’univers de Batman ni votre vision du clown de Gotham mais se savoure simplement pour ce qu’il est, une belle pièce one-shot sur l’un des plus riches méchants de la création séquentielle d’un des plus intéressants duo de l’industrie comics.
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Le tome deux démarre plutôt bien avec une intrigue aussi linéaire que le précédent et envoie sans beaucoup d’explications un rescapé d’une autre dimension, sorte d’alter-ego juvénile de Superman, sur Terre, en plein deuil de sa planète et de ses parents. L’home au slim rouge devra accueillir ce jeune homme doté de puissants pouvoirs et gérer les difficultés psychologiques liées à son drame. Robin l’accueil au sein des Teen Titans, le temps de passages qui s’insèrent dans l’esprit World’s finest. Mais rapidement le ton change lorsque le jeune héros devient victime de crises et que le Joker associé au fascinant « La clé »‘ ne viennent foutre le bazar, en mode sombre. Pas mal de très bonnes choses dans ce volume, à commencer par les deux méchants dont un joker proche de la perfection (aussi timbré qu’inquiétant) et un acolyte d’une puissance semblant capable de contrer un Superman et dont je ne comprend pas qu’il n’ait plus de présence dans les comics. Jouant sur les réalités et l’espace-temps, plongeant Superman dans l’inhabituel rôle de mentor responsable, Mark Waid mène brillamment son histoire même s’il perd la naïveté qui donnait un tel charme à son ouverture.
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« Un étrange visiteur » est suffisamment chaotique pour donner le sentiment d’avoir raté des sous-intrigues. L’histoire débute sur ce qui ressemble à la dernière page d’une histoire précédente, comme si l’on suivait une revue de BD avec des épisodes chaque mois. Est-ce le cas aux Etats-Unis je ne sais pas, mais la version reliée nous plonge d’emblée dans une incompréhension qui ne sera pas soulevée ni n’est utilisée dans la construction narrative. La Ligue de Justice part sur une enquête autour de la mort d’un milliardaire lié à l’aventurier Rex Mason, devenu Metamorpho, méchant capable d’utiliser toutes les facultés du tableau périodique des éléments. Potentiellement intéressant avec son vernis Indiana Jones, ce personnage tout à fait torturé sert surtout à perdre le lecteur dans un brouillard du Who’s Who que le déroulement scénaristique n’aide pas à lever. Sur un mode thriller, les auteurs finissent par convoquer tout un aréopage d’associés de la JL quand survient le véritable méchant de l’histoire, Newmazo l’androïde au vague style de Namor, à l’aspect tout à fait ridicule et aux facultés absurdes. On finit par ne plus rien y comprendre avec tous ces personnages tordant la matière et hormis le plaisir fugace de voir Superman habillé de divers combinaisons protectrices composites on termine cet album dans un grand n’importe quoi qu’aurait pu produire Scott Snyder…
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Deux ans après la conclusion de la trilogie la plus jouissive depuis longtemps voilà que Bedouel relance le turbo, en solo cette fois-ci, avec un projet simple: plus gros, plus vite, plus con! Prenant comme fil conducteur le beauf Malone qui sort de quelques années derrière les barreaux, on ne perd pas une seconde pour constater que les nazis sont de retour, mieux équipés et bien décidés à sortir de leur nouvelle tanière. Fini le trou du cul du Nouveau-Mexique, bienvenue dans le trou du cul de l’Alaska. Les autochtones sont tout aussi cons mais il fait juste plus froid… Pendant que le coach de Ping Pong était à l’ombre, la fine équipe qui avait contré les nazis a suivi une belle ascension: El Loco est rockstar, Lenny réalise des porno, le sherif n’est autre que Président des Etats-Unis d’Amérique et Betty bosse pour la CIA. Il ne manquerait plus qu’un vétéran du ‘nam pour combler les amoureux du cinoch de video-club des années 80 que nous sommes… ah ben le voilà qui débarque derrnière un arbre!
Valhalla bunker tome 1Cadeau kitsch à l’imaginaire ricain de série B, cette suite de Valhalla Hotel fait très bien le job pour une reprise même si on attend encore un peu plus de folie. Mais reconnaissons que toutes les cases sont cochées, notamment graphiquement, avec une belle ribambelle de séquences endiablées sous la technique connue de Fabien Bedouel…et même un peu de Trump dans le paquet (faut ce qu’il faut). Le principal risque reste de voir le dessinateur prendre le dessus sur le scénariste (maintenant que les deux ne font plus qu’un). Risque sommes toutes mesuré au vu de la « finesse » du scénario… En attendant le prochain opus on se bidonne à la lecture des dialogues, on souris à chaque scène d’action, on est ravis de retrouver nos vieux copains et on trépigne de retrouver enfin des nazis que l’on espère plus nombreux, plus armés et de découvrir (oh surprise) quels pouvoirs paranormaux ils ont réussi à développer dans leur nouvelle base…
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Nous avions laissé le roi-lion déchu et amnésique Kgosi se diriger vers un shaman susceptible de l'aider dans sa quête de mémoire et de rédemption. Le second tome de L'ogre lion enchaîne donc directement dans la cabane du sorcier pour un volume qui est construit très intelligemment comme un flashback sur les origines du lion et de son démon allié, l'écorché Bakham Tyholi. C'est la grande surprise de ce second tome (prévu en trois...?) où l'on n'attendait pas autant de révélations de sitôt, l'épisode précédent étant présenté sur une base simple envisageant des révélations progressives. Un risque aussi, probablement calculé au vu du format en trilogie et qui déséquilibre un peu l'aspect fantasy-barbare du titre puisque l'on perd sur la plus grosse partie du tome l'équilibre remarquable de la petite trouve formée par le lion et ses amis.
On sort ainsi de cette aventure au fait des responsabilités de Ngosi dans la mort de ses enfants, du rôle de son frère qui apparaissait comme le traître à la fin du précédent épisode, et des origines du démon cornu. Avec ce parti pris inhabituel il est incontestable que le lecteur aura bien avancé dans l'intrigue, intéressante, centrée sur la tyrannie féline contre les herbivores, qui développe le thème du racisme sous la forme d'une parabole animalière. Fort impliqué dans son projet (au point de délaisser l'attendu second tome du très réussi Amazing Grace avec Aurélien Ducoudray), Bruno Bessadi dispose d'une intrigue politique détaillée autour de différents peuples (notamment un mystérieux peuple simien) et il n'est pas du tout impossible au vu du développement, du plaisir manifeste de l'auteur dans le travail de son projet et du potentiel que la trilogie s'élargisse dans quelque chose de plus ambitieux.
Si l'album marque une petite faute de gout lorsque l'impitoyable démon incarné Bakham Tyholi devient sensible aux amitiés des vivants, on n'a que peu de choses à reprocher à un album qui respire l'implication, la confiance et le professionnalisme. Bessadi croit en son grand œuvre et il n'est pas impossible qu'il le tienne au vu des qualités qu'il a montré jusqu'ici, suffisamment pour entrainer le public avec lui en tout cas dans ce
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Au printemps, le premier tome de ce généreux Birdking sortait chez les Humanos et confirmait le talent du duo pour la création d’univers et des designs très puissants sur une mise en scène inspirée par l’animation. Avec un rythme ralenti par la nécessaire introduction, nous voici cette fois lancés dans une quête pleine et entière de notre héroïne, héritière d’une peuplade insoumise et qui va parcourir (enfin!) de vastes territoires en compagnie du gentil géant, le « roi de la colline aux plumes ». De quoi se faire plaisir avec de vastes panoramas grandioses que seule la Fantasy permet. Retrouvant rapidement les légions du nécromancien Aghul dans ce monde qui semble totalement en guerre, l’héroïne bientôt rejointe par une équipe de jeunes compagnons va tenter de rejoindre le légendaire royaume d’Atlas où dit-on la Lumière domine l’Ombre et dont les murs résistent jusqu’ici aux coups puissants d’Aghul.
Suivant assez classiquement le schéma de l’odyssée désespérée du Seigneur des Anneaux, ce second opus ne lésine pas sur l’action qui est quasiment interrompue et permet de confronter l’armure-esprit à des affrontements titanesques en mode Kaiju. Avec son esprit naïf accompagné d’une flottille de petits oiseaux bleus, le roi tranche avec le désespoir et l’atmosphère crépusculaire qui se dégage de chaque planche. Reprenant le principe de grandes œuvres telles que Le géant de fer ou plus récemment Saison de sang, Birdking nous entraîne très facilement avec des personnages dont les interactions fonctionnent parfaitement et toujours ce talent de designer. Daniel Freedman nous surprend lorsqu’il s’agit d’affronter l’invincible armada du Nécromancien, un dieu du chaos ou un des Spectres frères du Roi de la colline aux plumes. Dans ce monde mort les personnages ne sont pas tous ce qu’ils semblent être et les rôles s’inversent plus qu’attendu. Manquant sans doute encore d’une adversité digne de ce nom, Birdking ne souffre pourtant d’aucune longueur et seul le dessin particulier de CROM pourrait en rebuter certains. Engageons ceux-là à regarder au-delà de la première impression pour observer une des fantasy les plus entières et généreuses depuis longtemps.
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Leviathan est une excellente surprise qui nous vient de Corée, l'univers du webtoon dont un nombre croissant d'éditeurs français ont compris qu'il regorge de pépites. Et la petite structure Kmics a sur ce coup déniché une vraie pépite à la barbe de Glénat et autres Ki-oon avec ce petit miracle qui parvient à dynamiter le genre post-apo en proposant une série courte aussi populaire que bien construite.
Sur un schéma très classique, celui d'un survival marin les auteurs débutent leur série par un premier tome qui se paie le luxe de détailler l'univers dans un tome presque entièrement dédié à l'action. Le rôle de cette ouverture est de nous montrer le désespoir absolu de cette ce groupe familial littéralement submergé par des hordes de monstres qui attaquent vague après vague. On comprend rapidement que le gentil papa à lunettes n'est pas si inoffensif lorsqu'il fait montre de capacités martiales hors du commun, armé de son épée pneumatique. Le héros mystérieux va disparaître rapidement et laisser ses deux enfants isolés sur un ilot. Cette fois les deux enfants sont seuls, toujours face à ces hordes increvables... Aussi à l'aise dans le dessin d'action colorié à la mode dessin-animé que pour des décors métalliques et steampunk Miyoung Noh propose des designs archi-fun en assumant totalement l'aspect populaire de la série lorsqu'il croque une caste de Harponneurs aussi poseurs qu'efficaces pour défoncer les terribles monstres. Et les auteurs connaissent leurs classiques en matière de drame puisque la toute puissance de ces presque-kaiju rend ce monde très inquiétant, la mort pouvant rôder sous chaque vague. Les héros combattants en deviennent d'autant plus héroïques, auréolés de cicatrices, de tenues ou équipements spécifiques. Le second tome voit l'arrivée d'une société maritime qui va héberger les deux survivants après l'intervention de l'atout charme du webtoon: la terriblement sexy et bad-ass Kana, qui mérite à elle seule la lecture du manga. Sans perdre de temps on nous raconte l'origine de cette championne de la chasse au Leviathan et son lien avec les enfants tout en nous décrivant la société de Union-Busan, un rassemblement de navires fortement armés et dotés d'une équipe de Harponneurs. Ce futur est cohérent dans son malheur et les réfugiés ne sont pas franchement dorlotés, chacun devant trouver sa place et son utilité, quel que soit son âge. Le danger est alors autant à l'extérieur qu'à l'intérieur pour de jeunes enfants sans protecteur et qui devront faire face au passé de leur papa.
En seulement deux tomes et cinq cent pages full-color (certains râleront sur le cout/volume à presque quinze euros...), doté d'une jolie maquette, Leviathan nous happe de la première à la dernière page sans perdre une minutes, en alternant les très intenses et nombreuses séquences d'action, les apparitions qui feront frétiller les âmes d'ado, une gestion du hors-champ qui gère parfaitement la terreur sans jamais oublier de construire ses relations entre personnages, de tisser des fils pour l'évolution des gamins et de développer progressivement un univers particulièrement cohérent. On pourra trouver à redire sur la physique des humains qui repartent à l'assaut après avoir été lacérés de haut en bas ou sur le design parfois chelou des monstres mais alors il faudra s'en prendre à la quasi-totalité des shonen... Jusqu'ici presque parfait, Leviathan ressemble au guide du parfait manga. Espérons que les auteurs sauront gérer le tempo mais au vu du potentiel, du nombre de points graphiques ou thématiques juste évoqués et de la sympathie totale qui se dégage de l'oeuvre, je ne suis pas très inquiet!
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La toute petite maison d’édition réunionnaise Des bulles dans l’océan (DBDO pour les intimes) publie peu mais avec une exigence qui force le respect. En lançant un Pelaez ou les frères Morellon sur lesquels il faudra compter, la maison assume un niveau graphique qui rivalise avec les grandes maisons sur les étales des librairies. La couverture de cet Unité Z confirme cela en atterrissant directement sur ma sélection des plus réussies de l’année (et il y a de la concurrence!).
Contre toute attente il faut rattacher ce one-shot à la mythologie Lovecraft puisque le cœur du scénario repose bien sur l’incertitude quand à l’univers psychologique du personnage principal et sa transposition dans des planches qui tordent la réalité en une boucle déstabilisante. Le thème SF n’est donc qu’un habillage qui montre l’envie des auteurs de proposer une belle aventure techno avec une escouade de soldats harnachés d’équipement ultra-sophistiqués et l’inévitable conseil scientifique top secret qui ne dit pas tout. Le risque de ce type d’intrigue est de rester trop cryptique… et c’est malheureusement le principal défaut de ce courageux album que de nous perdre à force d’en trop peu dire. Comme dans un David Lynch ou le dernier Nolan on profite d’une narration intello mais l’on est frustré de ne pas tout comprendre. En forme d’exercice de style (on en a déjà vu des BD de ce type) avec l’originalité de l’habillage SF, mOTUS commence son histoire comme un survival SF avant de développer un relationnel psychologique entre les personnages de cette « famille » militaire (l’unité Z) pour brutalement tomber dans le grand vortex de la folie lovecraftienne. On voit la progression, bien vue et logique, mais la brisure de la réalité est trop peu accompagnée et l’on ère un peu sur la fin sans bien comprendre la finalité.
Heureusement l’album s’appuie sur un talentueux dessinateur (dont c’est apparemment le premier ouvrage pro) qui a les défauts techniques de la jeunesse mais propose un excellent découpage et de très réussis design SF autant que fantastiques, avec des créatures impressionnantes, notamment lors de l’entrée dans la faille. Je n’ai pas pour habitude sur ce blog de critiquer des dessinateurs dont la progression technique sera évidente (je me souviens trop de ce qu’était Toulhoat sur Block 109 avant d’aboutir au Roy des Ribauds!) et il convient de souligner les grandes qualités d’un album à l’envie.
Avec ses défauts, son ambition peut-être un peu trop gourmande (quels grands auteurs ont déjà pleinement réussi un album de ce type à part Ledroit?), Unité Z attire pourtant la sympathie d’une série B SF lovecraftienne que tous les amateurs de Lovecraft et de SF ne pourront qu’apprécier. Avec pour principale limite de rester sur l’exercice de style, l’album propose quelques belles visions, un petit roller-coaster narratif et tout de même un plaisir de lecture non forcé.
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Il y a quatre ans débarquait d’un petit éditeur réunionnais une jolie proposition, imparfaite mais pleine de passion, croisant de la SF avec l’univers de la folie lovecraftienne. Perçu (et présenté) comme un one-shot, quelle ne fut pas ma surprise de voir débarquer au printemps dernier son petit-frère !
Il faut dire que le premier volume se suffisait à lui-même, nous montrant le principal protagoniste plongé dans un coma de folie après son contact avec une entité d’Outre Espace-Temps… Très différent, ce tome déroule une narration hachée et très sophistiquée visant à raconter l’odyssée dans la folie de cet esprit humain dépassé par des forces incommensurables, alors que lui est révélé le retour de Goz-Anndaroth, l’Être supérieur. Quand le premier suivait un schéma assez classique de SF militaire avec un personnage de membre de la fameuse unité Z, section spéciale chargée de pénétrer dans la « Brûme » où des entités surnaturelles semblaient sorties de notre espace-temps, ce second volume se focalise presque entièrement sur De Cenave, la pauvre victime malencontreusement « touchée » par les forces obscures lors de la dernière insertion…
Alors que l’on naviguait jusqu’ici dans une trame temporelle incertains, sans trop savoir si nous suivions un rêve ou la réalité, si les compagnons de la victime étaient toujours vivants ou non, les auteurs pénètrent cette fois totalement dans un voyage multiversiel et spatio-temporel où la progression graphique de Heri Shinato est évidente et permet de somptueux tableaux… mais perdent quelque peu l’esprit SF d’action et surtout les possibilités d’une vraie tension narrative par la disparition quasi-totale de personnages secondaires. Les seize premières pages s’ouvrent dans la suite directe de la conclusion précédente et laissent penser à l’itinéraire d’un rescapé tentant de se reconstruire psychologiquement… avant de basculer totalement dans un autre univers (mental?), dans la plus pure lignée des récits lovecraftiens. La mise est scène est toujours très intéressante en jouant sur la fragilité psychologique du personnage. L’atmosphère générale qui se dégage de la série est pesante, assez dépressive, rendant parfaitement l’état d’esprit de ce pauvre héraut désigné du Grand Ancien. En cela le projet prend de l’ampleur puisque restés sur une incertitude quand à la possible construction mentale de de Cernave, les auteurs assument ici totalement la cosmogonie infernale qui leur permet de jouer avec les trames du Temps, de l’Espace et de la Réalité en promenant notre héros dans des interactions aberrantes, grotesques et visuellement parfaitement réussies, y compris dans le malaise que l’on ressent.
En se concluant par une référence évidente à un film majeur de John Carpenter, cette Unité Z s’achève (probablement définitivement) sur cette note bien sombre qui pourra être vue comme légèrement redondante avec le premier tome, comme une sorte de prolongement graphique, esthétiquement très satisfaisant, mais qui tombe dans les limites de tout récit sur la folie d’Outre-Espace. Deux très bons auteurs à découvrir en tout cas et un accueil à réserver malgré de peu de visibilité sur les bacs des libraires… et ce blog est aussi là pour cela!
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Déjà six ans que Sean Murphy a dynamité la mythologie Batman avec son White Knight. L’année dernière il concluait (?) sa trilogie avec un Beyond the White knight franchement décevant. Avec ce spin-off où Murphy n’intervient pas et laisse le scénario à Katana Collins, auteur de romans Young adult et scénariste du très bon Harley Quinn, on ressent que le concept commence à s’étirer et qu’il serait temps de conclure définitivement…
Attention Spoilers!
Vous aurez peut-être tiqué en voyant la bannière « jeunesse » en tête de cette chronique et je confirme le changement de tonalité, tout à fait assumé par les auteurs mais qui semble traité de manière un peu étrange par l’éditeur qui ne laisse en rien penser à un pas de côté lorsqu’il reprend la maquette Black Label et inscrit « pour lecteur averti » au dos de l’album. Je vais donc être clair: cet album, s’il peut être pris comme une suite chronologique du White knight: Harley Quinn en mettant en scène les deux enfants de Harley et du Joker, rompt totalement avec les concepts et la tonalité très sombre de l’univers de Sean Murphy. En faisant des deux enfants les héros de l’intrigue, en rangeant Batman au rang de figurant de luxe, en prenant la très bonne Mirka Andolfo (dont on connaît le style cartoon) pour les dessins, les auteurs ne comptaient tromper personne. En ce sens il est dommage que Murphy illustre toutes les couvertures d’épisodes en brouillant les cartes. L’aspect vendeur de l’auteur est évidemment la motivation principale mais un certain nombre de lecteurs risquent d’être déçus malgré les qualités réelles du volume. Il est toujours important d’être clair sur le lectorat ciblé par une BD. Bref…
Nous avons donc nos deux bambins qui fuguent avec une batmobile grâce à leur super-papa numérique dont la conscience a été ressuscitée dans Beyond the White knight. Leur maman part à leur poursuite en parallèle au FBI… et bien entendu un tonton Bruce Wayne qui s’évade de prison quand il veut et donne des coups de pouce quand il faut. Cette échappée est l’occasion d’étudier les relations des deux enfants, la fille ayant commis des grosses bêtises sur le précédent album et de craindre qu’ils ne suivent l’évolution de Jack Napier devenu le Joker. Ils vont se retrouver confrontés à quelques vilains de Gotham dans leur double quête: renouer avec leur papa et permettre à sa conscience numérique de perdurer éternellement.
Comme album jeunesse ou young adult ce Generation Koker est plutot chouette, en abordant les thématiques des relations des enfants avec un père qu’ils n’ont pas connu, avec cette crainte de devenir comme lui tout en recherchant leurs racines. Les jeunes sont évidemment des geek avec quelques sujets bien attendus comme l’épistolaire numérique avec un ami qu’on ne connait pas et autres piratages informatiques. La question de l’identité et du choix de qui on veut être reste un classique, pas très original mais approprié. Graphiquement Mirka Andolfo fait le job élégamment et surtout très joliment colorisée par un Alejandro Sanchez que je découvre et qu’il faudra suivre.
Sur l’insertion dans l’univers White knight en revanche la déception est franche. Pratiquement pas de Batman malgré la love-story impossible avec Harley qui permettait des choses très intéressantes, le retour de personnages que Murphy s’était fait une discipline de purger pour développer sa chronologie et donc des péripéties gentillounettes qui nous laissent loin des profondes introspections sur la psyché des personnages et sur le mythe de Batman. Au final on se trouve donc en présence d’un joli album qui se lit bien pour peu que l’on ait compris la thématique et que l’on ne s’attende pas un un album du murphyverse. Tout cela ressemble donc à une fausse bonne idée et il revient aux éditeurs US et français de trouver l’astuce pour assumer cet aspect spin-off découplé du canon White Knight.
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Cet album a attiré immédiatement mon attention en me plongeant dans l’archéologie du blog, lorsqu’il y a presque huit ans (ça ne nous rajeunit pas!) je chroniquais un de mes premiers albums de retour de mon unique séjour à Angoulême où j’avais pu rencontrer le très sympathique Mathieu Thonon sur sa première publi, le brillant diptyque Brane Zero. Guettant de temps en temps une nouvelle création d’un auteur fort prometteur, je me suis précipité sur cette nouvelle série, un peu trop vite peut-être. Car Semper Feri est à la jonction entre l’album jeunesse et le Young Adult, propulsé par le scénariste El Diablo, venu de la presse BD satirique, et donc loin de la Hard Science qui m’avait tant plu sur Brane zero. Les qualités scénaristiques de Thonon sont donc hors sujet et sa technique, si elle s’est clairement développée sur la colorisation numérique plutôt chouette pour le genre, n’a que peu progressé depuis ses débuts.
On est donc en présence d’une honnête BD de SF militaire dystopique qui reprend une multitude de passages obligés et se repose essentiellement sur des designs plutôt réussis. Associés à un découpage très efficace, on peut dire que la forme joue son office malgré des personnages qui hésitent entre le style épuré type Animation mais sans la technique permettant une dynamique des mouvements, et le style jeunesse qui atténue la violence insistante de l’univers. Avec des personnages archétypaux et des scènes téléphonées comme cette belle scientifique résistante de l’ombre qui va emballer le cœur de notre gros bourrin de héros, le scénario a lui aussi un habillage alléchant mais une maîtrise partielle que les dialogues n’aident pas à alléger.
Comme souvent dans cette part de marché (comme sur le dernier Batman: White Knight), selon le public concerné le lecteur pourra passer outre ces limites calibrées ou les trouver trop déjà-vus pour s’arrêter sur cette création au milieu des centaines d’autres en librairie…
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Chef de file de l’école hispanique doté d’une très solide formation technique, Jordi Lafebre est arrivé chez nous par la grâce de monsieur Zidrou qui lui a offert de jolis projets, lui permettant aujourd’hui de devenir un auteur complet avec un sacré sens des dialogues et des situations. Son précédent album Malgré tout avait été accueilli par des avalanches de fleures et l’auteur embraye trois ans après par un génial one-shot de cent pages qui se dévore avec un plaisir continu.
L’idée de créer un personnage (qu’on espère récurent vu le plaisir de la rencontre) de psy pour une enquête non-officielle est brillante en ce qu’elle permet tout un tas de saillies sur la galerie de personnages, que ce soit au travers des cases de narration issues de la séance chez le psy ou de bulles de dialogue direct. La répartie de la foldingue est absolument savoureuse notamment lorsqu’elle se confronte à la troupes de mâles Alpha qui habitent ce milieu de la grande bourgeoisie catalane. Vous l’aurez compris, le scénario se construit à partir de cette séance initiale et nous raconte cette improbable enquête entrecoupée par les interruptions du psy ou des trois voix de femmes qui habitent notre héroïne dysfonctionnelle… mais terriblement attachante. Eva est bien sur la première qualité de cet album: jeune femme forte et brillante qui n’a peur de rien et cohabite avec ses quelques problèmes d’alcool, de tabac et de passé familial. Ses tribulations vont nous envoyer dans le monde des vignobles et des secrets de (grosses familles) ainsi que des magouilles agro-réglementaires lorsque des intérêts économiques sont en jeu.
Lafebre accompagne son scénario déjà fourmillant d’idées par un dessin semi-réaliste excellement dynamique, dans la ligne de Blain ou Gomont mais en se rapprochant de la finesse graphique de ses homologues espagnols. Outre la dynamique des corps, l’auteur utilise toutes les possibilités du dessin pour faire parler ses cases, émettre des sons ou créer du mouvement. Les lecteurs de Malgré tout ne seront pas surpris par la fluidité de lecture et l’attachement très fort aux personnages.
Auteur complet au sommet de son art, Jordi Lafebre est de ceux pour qui la BD semble si facile à dessiner et à lire en nous rappelant pourquoi nous sommes si durs dans nos avis BD sur ce blog et pourquoi la BD est vraiment un art total!
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L’an dernier le duo nous proposait la très bonne surprise Raiders et remet le couvert cette fois sur une série qui reprend les codes de la dark fantasy où de sombres monarques oppressent les honorables et où l’héroïsme se hissera seul parce que l’injustice c’est mal! « Mêmes joueurs jouent encore » puisque si l’on change d’espace, on retrouve toutes les qualités et caractéristiques du précédent album mais aussi les limites d’un dessin dont l’encrage grossier ne rend pas toujours hommage à la qualité des designs de CROM.
Car la qualité première des auteurs est de proposer de la pure série B en assumant ses clichés, ses références pour le simple plaisir de l’aventure et de l’épique. On sent à chaque instant combien le plaisir de créer de puissants chevaliers en armures ou des tortueux combattants issus du bestiaire fantastique japonais aurait pu prendre le dessus sur l’histoire et étouffer le projet, mais Freedman structure l’ensemble en proposant une narration fluide, simple, basée sur la quête du maitre et de son disciple, en attendant la confrontation contre l’empire du
nécroman. Découpé en sept chapitres courts plein d’une action dynamique influencée par les codes de l’Animation, Birdking se lit agréablement en proposant une progression régulière sans nous frustrer puisque les personnages attendus se révèlent de vrais héros d’action, à commencer par cette sorte de Golem qu’est Birdking, l’esprit du roi de la colline aux plumes…
Comme sur Raiders, l’univers très riche déborde largement des pages et laisse une foule de possibilités narratives après cette prise de contact avec les personnages qui prend soin de laisser le grand antagoniste dans l’ombre. Visuellement sombre (voir un peu vide niveau arrière-plans), Birdking devrait logiquement évoluer au tome deux vers un apprentissage entre l’héroïne bad-ass et son compagnon, reprenant le modèle du gentil-géant doté de pouvoirs qu’il ignore. Comme toute ouverture on reste un peu dans l’expectative mais pour peu que vous accrochiez avec le style particulier de CROM, le duo propose une belle aventure bien ficelée et généreuse.
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Depuis quelques temps Urban tente de trouver la parade à la démographie famélique des lecteurs de comics et pourrait bien avoir trouvé la parade au travers de deux collections d’une qualité semblent vouée à remplacer l’autrefois imparable Black Label. Après la collection Urban proposant de grands formats luxueux et livrant des créations aussi riches que Nice House on the Lake ou Le dernier des dieux, L’Urban Blast propose désormais des formats comics souples, plus proches que jamais du format originel et après le génial Phenomena, nous livre un nouveau joyau avec ce personnage éponyme qui pourrait bien lancer une incroyable série tant cette découverte frise la perfection! On pourra juste tiquer sur un prix élevé pour ce format et en regard des collections plus qualitatives de l’éditeur…
Twig est pour une fois un vrai album jeunesse, dont la qualité graphique éclatante (avec notamment une colorisation incroyable du canadien Jean-François Beaulieu, familier de Young depuis plusieurs albums) est loin d’être le seul atout. Cette histoire one-shot (…mais qui annonce déjà d’autres aventures) est d’une richesse folle qui ne surprendra pas les habitués de Skottie Young, notamment sur l’excellent MiddleWest. Le personnage principal archi-mignon est ce qui marque tout d’abord. Ses interactions avec ses copains séduiront totalement les jeunes lecteurs et attendriront leurs parents. Car comme pour tout grand album jeunesse la richesse permet d’intéresser à égalité des adultes et le public cible. En suivant Twig dans sa quête on va progressivement entrer dans des thèmes plus sombres comme le deuil d’un parent ou tout simplement la fin du monde. Car l’album n’est pas mièvre et place de redoutables méchants dans sur le chemin de notre héros bleu. Accompagné de son ami-couteau suisse qui
agit à la fois comme aidant technique et psy soulignant les éléments de sous-texte du récit, Twig va affronter des dangers topographiques, des paysages fantastiques et des ennemis déterminés… mais aussi faire des rencontres qui interpellent sur la conscience animale, le sacrifice et bien sur l’amitié.
Bondissant de péripétie en péripétie, l’histoire suit le schéma d’un jeu vidéo, jusqu’à ces visions qui nous montrent un « héros (celui du titre) » en illustrant l’arrière-cuisine des jeux vidéo fantastiques où de petits êtres doivent bien préparer la quête des personnages qui seront ensuite mis en lumière. Sans entrer dans le principe du Isekaï très populaire dans le manga, Young complexifie son univers en cassant une linéarité liée à la narration jeunesse. Devant suivre une carte et récolter des items, Twig va devoir faire des choix et surtout collaborer avec ses amis.
Sans aucun temps mort, sans faiblesse apparente, Twig est la nouvelle pépite de Urban Blast, un nouveau joyau dans la superbe biblio de Skottie Young et une lecture obligatoire qui entre directement dans le top de l’année 2024!
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Le vétéran et multiprimé Jason Aaron s’associe au Rookie-frenchie Alexandre Tefenkgi dont le Good Asian lauréat en 2022 de pas moins qu’un Eisner et un Harvey Award (les deux prix majeurs de la BD américaine) n’est étonnamment toujours pas sorti chez nous… pour une surprenante série post-apo tragi-comique prévue a priori en trois volumes. Dans L’amour aux temps de la Friche nous suivons l’alliance contre nature de deux jeunes gens perdus au milieu d’un chaos où la nature n’existe plus, où ce qui se rapproche le plus d’animaux consiste en des rats sanguinaires ou des monstres tentaculaires et où ce qu’il reste d’humanité semble être constitué de cadavres en sursis ou des fanatiques Rangers, descendants des premiers survivalistes. L’entrée en matière pose immédiatement les deux personnages dont l’opposition va structurer tout le récit sous forme de fable.
Maceo vit seul dans une tour protégée des affres de l’époque, jouissant de tout le confort composé d’artéfacts du temps d’avant bricolés et qui semble parfaitement apprécier son mode de vie consistant à profiter d’une nostalgie positive. A l’inverse Mezzy est une survivante, la guerrière ultime qui a appris tout ce qu’il faut auprès des Rangers pour vivre jusqu’à la fin de cet enfer. A quoi bon vous direz-vous? Et c’est bien la petite graine de doute que sa rencontre avec Maceo va faire germer dans ses certitudes et sa rigueur robotique. Alors que les deux entament un périple mystérieux surgit le clan de Mezzy, ces Rangers dont elle a volé l’unique livre, leur Bible vénérée servant de guide au sein de ce monde barbare.
Ceux qui ont déjà lu du Jason Aaron (et notamment son chef d’œuvre le Massacreur de dieux) ne seront pas surpris de constater qu’il sait manier la langue et son duo est clairement l’atout de ce projet. Si Maceo peut sembler fatiguant au premier abord, ce qu’il incarne avec sa comparse, le positif face au pessimisme, la faiblesse face à la force, le ying et le yang quoi, transforme assez vite cette petite histoire apocalyptique en une réflexion plus élevée. Sans non plus atteindre la grande philosophie, l’auteur utilise son intrigue pour questionner sa société sur ses marqueurs moraux, entrecoupé d’absurde qui évite de tomber dans quelque chose de top sombre. Lorsque surviennent les rangers le message se précise en anticipant la victoire de cette Amérique qui monte et qui ne cesse d’inquiéter les inventeurs d’histoires. Les auteurs américains n’auront jamais autant décortiqué l’essence même de leur société schizophrène dont la déliquescence les amène à traiter de valeurs fondamentales telles que la violence, l’amour, l’humanité. Cela peut paraitre gnangnan mais le questionnement est cruellement actuel alors que toutes les valeurs universalistes semblent remises en question de part le monde et à commencer par le pays des cowboys.
Alors pour les plus allergiques à l’américano-centrisme comme moi, on pourra se lasser de lire des histoires écrites par des américains pour des américains traitant de gimmicks et de références américaines (clairement, les rangers et autres scouts, on s’en contre-fout…). Il faut dire que le dessinateur français n’aide pas beaucoup à s’immerger dans un récit dont il se contente de dessiner rapidement les personnages principaux, laissant l’arrière-plan totalement vide. Il faut ainsi beaucoup d’imagination pour vraiment découvrir cet univers, laissant la partie graphique clairement de côté. Il semble que les deux autres tomes soient prévus avec d’autres partenaires aux crayons, aussi cet écueil pourra être minimisé sur la suite.
Le vétéran et multiprimé Jason Aaron s’associe au Rookie-frenchie Alexandre Tefenkgi dont le Good Asian lauréat en 2022 de pas moins qu’un Eisner et un Harvey Award (les deux prix majeurs de la BD américaine) n’est étonnamment toujours pas sorti chez nous… pour une surprenante série post-apo tragi-comique prévue a priori en trois volumes. Dans L’amour aux temps de la Friche nous suivons l’alliance contre nature de deux jeunes gens perdus au milieu d’un chaos où la nature n’existe plus, où ce qui se rapproche le plus d’animaux consiste en des rats sanguinaires ou des monstres tentaculaires et où ce qu’il reste d’humanité semble être constitué de cadavres en sursis ou des fanatiques Rangers, descendants des premiers survivalistes. L’entrée en matière pose immédiatement les deux personnages dont l’opposition va structurer tout le récit sous forme de fable.
Maceo vit seul dans une tour protégée des affres de l’époque, jouissant de tout le confort composé d’artéfacts du temps d’avant bricolés et qui semble parfaitement apprécier son mode de vie consistant à profiter d’une nostalgie positive. A l’inverse Mezzy est une survivante, la guerrière ultime qui a appris tout ce qu’il faut auprès des Rangers pour vivre jusqu’à la fin de cet enfer. A quoi bon vous direz-vous? Et c’est bien la petite graine de doute que sa rencontre avec Maceo va faire germer dans ses certitudes et sa rigueur robotique. Alors que les deux entament un périple mystérieux surgit le clan de Mezzy, ces Rangers dont elle a volé l’unique livre, leur Bible vénérée servant de guide au sein de ce monde barbare.
Ceux qui ont déjà lu du Jason Aaron (et notamment son chef d’œuvre le Massacreur de dieux) ne seront pas surpris de constater qu’il sait manier la langue et son duo est clairement l’atout de ce projet. Si Maceo peut sembler fatiguant au premier abord, ce qu’il incarne avec sa comparse, le positif face au pessimisme, la faiblesse face à la force, le ying et le yang quoi, transforme assez vite cette petite histoire apocalyptique en une réflexion plus élevée. Sans non plus atteindre la grande philosophie, l’auteur utilise son intrigue pour questionner sa société sur ses marqueurs moraux, entrecoupé d’absurde qui évite de tomber dans quelque chose de top sombre. Lorsque surviennent les rangers le message se précise en anticipant la victoire de cette Amérique qui monte et qui ne cesse d’inquiéter les inventeurs d’histoires. Les auteurs américains n’auront jamais autant décortiqué l’essence même de leur société schizophrène dont la déliquescence les amène à traiter de valeurs fondamentales telles que la violence, l’amour, l’humanité. Cela peut paraitre gnangnan mais le questionnement est cruellement actuel alors que toutes les valeurs universalistes semblent remises en question de part le monde et à commencer par le pays des cowboys.
Alors pour les plus allergiques à l’américano-centrisme comme moi, on pourra se lasser de lire des histoires écrites par des américains pour des américains traitant de gimmicks et de références américaines (clairement, les rangers et autres scouts, on s’en contre-fout…). Il faut dire que le dessinateur français n’aide pas beaucoup à s’immerger dans un récit dont il se contente de dessiner rapidement les personnages principaux, laissant l’arrière-plan totalement vide. Il faut ainsi beaucoup d’imagination pour vraiment découvrir cet univers, laissant la partie graphique clairement de côté. Il semble que les deux autres tomes soient prévus avec d’autres partenaires aux crayons, aussi cet écueil pourra être minimisé sur la suite.
Ainsi Once upon a time… propose un concept intéressant et des personnages qui auraient dû nous emmener vers une jolie aventure mais ce premier tome est vraiment peu inspiré graphiquement, manque singulièrement d’action et fatigue un peu avec son adresse très américaine. On pourra lui laisser sa chance sur un second tome qui a (au vu de la structure) la capacité d’un gros rebond, mais ce démarrage reste assez faiblard. Avec la profusion d’albums disponibles on a le droit d’attendre plus.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/06/25/once-upon-a-time-at-the-end-of-the-world-1/
Le chinois Wu Qingsong revient cinq ans après un premier volume publié en VO en 2019 et dont le présent tome suit de près la publication chinoise. Il s’en excuse dans une brève post-face en annonçant le (peut-être?) dernier tome pour l’année prochaine. Au vu des qualités folles des dessins et de la très volumineuse pagination, il sera difficile de le lui reprocher. Sur les planches, si le cadrage plus serré permet moins de visions grandioses, on conserve une qualité graphique de très haut niveau tant dans les décors que dans le design des personnages et des armures, puisque c’était cette originalité esthétique qui faisait du premier volume une magnifique surprise asiatique.
Continuant de développer un univers de steam-fantasy (mais sans vapeur), Quingsong nous alimente en continu en Kaiju gigantesques, en peuplades exotiques comme ces hommes-oiseaux et surtout en chevaliers steel-mystiques dont la puissance issue de pierres magiques permet des affrontements titanesques qui rappellent par moment Saint-Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque) ou Funerailes. Regorgeant de séquences de combats virevoltants, les deux-cent pages du volume ne sont pas franchement ennuyeuses.
Les dialogues restent également très accessibles et bien tournés mais s’orientent résolument vers ce qui apparaît ici le cœur du projet de l’auteur et l’inévitable faiblesse de ces Brumes écarlates: les très complexes jeux d’échec occultes entre factions dans cet enchevêtrement de royaumes aux alliances fragiles. Après avoir fait connaissance avec le groupes de « ronins » qui ont enlevé la princesse, nous voilà lancés dans la quête de la Pierre aux Cinq couleurs, joyau doté d’une énergie mystique absolue qui renvoie les cristaux alimentant les armures des protagonistes au rang d’allumettes. Alors que tout le monde se tombe dessus pour posséder cette pierre, différents émissaires des royaumes dissertent sur leur billard à 25 bandes. Appuyé sur des planches dont toujours appétissantes et aucun problème de rythme, la série est pourtant victime d’une complexité renforcée par l’éternel problème des noms que l’on a le plus grand mal à retenir. L’indispensable carte d’intérieur de couverture, perfectible sur le premier volume, s’élargit ici en nous noyant encore un peu plus dans les interactions entre royaumes. Du coup on suit tout cela avec attention et concentration, mais l’on se perd régulièrement sans trop savoir laquelle des éminences grises nous suivons. Ajouté à cela d’étonnants sauts narratifs, on remercie grandement la sciences du rythme de l’auteur pour nous éviter de plonger.
Il est très frustrant de minorer ainsi les très grandes qualités de ce manhua surtout lorsqu’elles sont liées à un genre dont il respect les codes et une langue qui n’a bien évidemment pas à s’adapter au lecteur occidental. On parcourt ainsi un album sans réelles fausses notes, toujours élégant, d’une richesse de background très grande (et illustrée par les pages d' »encyclopédie » qui sépare les parties), mais dont la complexité diplomatique et les mystères nécessitent un certain niveau de concentration, d’autant que l’auteur ouvre plus de portes qu’il n’en referme. Néanmoins très fun, créatif et donc toujours aussi beau, Les brumes écarlates reste une BD exigeante mais fort agréable. A voir si le troisième volume simplifiera quelque peu les interactions et permettra d’assumer un coup de cœur qui n’est pas loin.
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Engagé dans la Légion étrangère sur la Somme, l’archéologue Randolph Carter assiste à l’irruption de créatures indicibles massacrant son bataillon. Rescapé il entame un voyage en orient sur les traces du médaillon jadis trouvé dans le métropolitain de New-York et représentant une figure à tête de poulp….
Amis Lovecraftphiles bienvenue dans une nouvelle et très élégante itération de l’univers de l’écrivain de Providence qui nous fait découvrir le personnage récurrent de Randolph Carter. Le personnage apparait dans sept récits de Lovecraft en marge du mythe de Cthulhu. Ancêtre d’Indiana Jones, il est archéologue et homme d’action engagé pour un idéal dans la Première Guerre mondiale et relié au culte des Grands Anciens par sa généalogie.
Un peu passif sur ce premier tome (notons que l’histoire aurait probablement justifié trois ou quatre volumes), Carter sert principalement de fil rouge permettant des découvertes racontées par lui et ses interlocuteurs et relatant l’apparition de ces créatures non-humaines. Apparaissant déjà construit, le héros nous narre en deux temps l’histoire de sa famille et comment il en est venu à débarquer avec les boys sur la Somme doté d’un médaillon représentant le grand Cthulhu. Un peu linéaire mais très bien huilé dans l’enchainement des situations classiques des récits lovecraftiens (la rencontre du dément qui a rencontré les Autres, la secte occulte et ses agents infiltrés, le rationnel confronté à l’irrationnel,..), ce premier tome se lit avec grand plaisir et remplit le cahier des charges sur le plan narratif.
Le cadeau bonux est sur les dessins qui sortent du lot par leur qualité qui s’autorisent quelques planches particulièrement inspirées, notamment dans l’utilisation d’une colorisation adaptée aux ambiances. Sans être virtuoses, les dessins sont de ceux qui glissent sous les yeux mais que l’on réalise après coup pour leur lisibilité, leur finesse et leur qualité technique, discrète mais au-dessus de la moyenne.
Cette lecture est donc une excellente surprise, qui plus est chez Soleil qui a la fâcheuse habitude de reproduire les recettes et peine à sortir des rails de la maison. Avec deux tomes annoncés et un héros récurrent qui permet de découvrir une autre facette du gigantesque monde de H.P. Lovecraft, il serait dommage de se priver de cette jolie récréation.
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17.000 chalutiers européens et chinois pillent les ressources marines du golf de Guinée pour alimenter la voracité des consommateurs occidentaux en saumon et thon. La mondialisation apparait dans toute sa concentration, créant de la misère, de l’insécurité, déracinant les familles et détruisant les écosystèmes. Le commandant d’un navire Sea Sheperds raconte cette réalité crue…
La riche collection Delcourt/Encrages voit arriver un nouveau documentaire percutant qui parvient à synthétiser en cent pages nombre de problématiques liées à la fuite en avant capitaliste. Le soucis de beaucoup d’albums docu est souvent de rester trop près de leur sujet en oubliant d’en extraire l’essence et de proposer des solutions. Nombre de photographies immédiates qui ont le mérite de révéler des horreurs mais qui nous laissent un peu sans ressources.
Ce n’est pas le cas de Pillages qui a d’abord le mérite d’être une vraie BD et l’intervention du semi-pro Renan Coquin étonne par sa maitrise du langage séquentiel. Avec une colorisation tradi variée et élégante, il crée des atmosphères crédibles en nous promenant sur la terre d’Afrique, sur les ponts rouillés des navires ou dans les rues de Paris. Déroulant le scénario fictif le dessinateur fait respirer ses pages en alternant le découpage, tantôt classique, tantôt en gaufrier muet et entrecoupe les séquences par des doubles-pages très didactiques où l’on revient sur les données chiffrées qui permettent de mieux appréhender le récit que nous venons de lire. L’expérience de l’artiste avec la Revue Dessinée se ressent et c’est un bon point.
Le narratif est écrit par un spécialiste qui évite de s’enferrer dans la technique de données empilées et nous raconte son histoire à hauteur d’hommes et de femmes, un pécheur contraint de trouver une solution à l’absence de poissons et une capitaine de navire qui collabore avec un gouvernement africain pour attraper les chalutiers clandestins ou simplement en infraction. Ces deux personnages aux deux bouts de la chaine structurent l’histoire et permettent de varier les thématiques sans se disperser. Nous découvrons ainsi que la quasi-totalité de la piraterie mondiale a migré de l’Océan indien vers le golfe de Guinée, que la corruption empêche les autorités de faire appliquer la loi et que l’Europe en alimentant la concurrence entre flottes de pêche joue du cynisme qu’on lui connait.
Pour qui s’intéresse aux migrations et aux questions environnementales les éléments apportés ne seront pas une grande révélation. Pourtant l’aisance avec laquelle les multiples problématiques sont mises en lien cohérent, que ce soit pas l’explication ou par l’image brute, montre un travail pédagogique remarquable. Rien n’est plus dur que d’expliquer simplement la complexité pour impliquer son lecteur en le considérant comme acteur et non comme consommateur. La post-face de Camille Etienne appuie ainsi le propos de l’album en nous rappelant que faute de respect démocratique des contestations, dans le capitalisme le consommateur a un pouvoir gigantesque, celui de ne pas consommer. Et après cette lecture vous retrouverez avec plaisir les petites en boite en consommation ponctuelle. C’est bien suffisant et vous serez heureux de lutter à votre échelle contre ces ogres qui tuent notre environnement.
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Le retour de Steve Cuzor après son marquant Cinq branches de coton noir était attendu. De retour chez Air Libre, le dessinateur adapte ce qui est considéré comme un des premiers romans modernes de la littérature américaine, The Red Badge of courage, roman viscéral qui relate les sensations d’un jeune volontaire de la Guerre de Sécession lors de batailles infernales, encensé par Ernest hemingway excusez du peu.
Comme sa couverture l’album est austère et magnifique. Austère par le traitement porté par très peu de textes, alternant quelques échanges entre soldats et des réflexions qui permettent de saisir la progression psychologique de ce jeune bouseux parti vivre une vie d’action et confronté à sa lâcheté, à sa peur, à son adrénaline dans le feu d’une action aberrante. Le caractère absurde et aveugle de la guerre est parfaitement retranscrit, appuyé sur des planches d’un dessin brut, aussi obscure que précis. Comme un Larcenet, Cuzor va à l’essence du fusain et nous laisse percevoir au sein de bouillies de noirs des silhouettes en mouvement, des explosions, des lumières fusant entre les feuilles d’un bosquet où les points cardinaux semblent avoir disparu, faisant tourner son héros dans un pandémonium sans but, sans direction, sans temporalité.
Sur ce plan le caractère sensitif de l’œuvre est excellement traité. Laissant son personnage dans l’ombre lors des premières parties, sans visage, plongé dans l’ombre et peinant à sortir dans la scène, l’auteur va progressivement faire prendre consistance à Henry Fleming à mesure que ses interlocuteurs le confrontent, que l’action entraîne des prises de décisions. Malheureusement ces partis pris enlèvent beaucoup de leviers à Cuzor pour créer une progression dramatique et l’album finit pas ressembler graphiquement et scénaristiquement à l’univers mental confus du personnage éponyme. On enchaîne ainsi les batailles, les désorientations, les retrouvailles avec un camarade ou un autre. L’idée est là mais narrativement cela reste répétitif et limite ainsi l’immersion du lecteur.
Car graphiquement la partition est encore une fois impressionnante, si bien que l’on se demande régulièrement si certaines planches ne sont pas des photographies d’époque retouchées. Cadrées souvent très serrées, les cases multiplient les effets visuels avec toujours une précision et une justesse sidérantes au vu de la technique utilisée. J’ai hésité à opter pour la version n&b de l’album, peu friand des BD utilisant des aplats monochromes, mais le prix assez prohibitif m’a fait me contenter de la version classique.
Expérience immersive, sensitive, dans la tête d’un troufion sans envergure mais que la guerre peut faire passer d’un instant à l’autre du statut de traitre à celui de héros, Le combat d’Henry Fleming vaut le détour mais convaincra principalement pour sa partie graphique. Fausse bonne idée inadaptée au format BD ou projet trop ambitieux, on remerciera de toutes façon l’auteur pour sa tentative et pour la leçon de dessin tout au long des cent-vingt pages de l’album.
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Au milieu de ses multiples licences orientées young adult (TMNT, Star Teek ou Power Rangers,…) IDW publishing sort régulièrement de très jolis projets indé. En associant l’élégant dessinateur de l’excellent Alienated et l’ambitieuse Gwendolyn Willow Wilson, Les affamés du crépuscule nous propose un decorum fantasy tout ce qu’il y a de plus classique mais dont le traitement va nous plonger dans une lecture bien plus émouvante qu’attendu. Sur un ton désabusé qui sent bon le post-apo, la chasse aux redoutables adversaires va recouvrir une découvert ethnologique réciproque qui sera le cœur du projet. Ainsi les personnages très bien écrits, au premier chef celui de la jeune orc mage-guerisseuse et du ranger Callum, vont découvrir qu’ils ne sont pas si différents bien que des siècles de racisme réciproque laissent l’espoir de cohabitation bien mince. Du côté du seigneur Throth c’est la civilisation avancée des orcs qui va nous être dévoilée, avec une inversion très intéressante puisque d’elfes on n’entend pas parler (a moins que…), que l’élégance se trouve chez les orcs et que les humains semblent réduits à quelques fermiers et ces guerriers maraudeurs certes très efficaces dans leur liberté mais bien faibles face à une armée organisée qui pointe à l’horizon.
En parcourant le cahier de recherches ont comprend qu’un travail très important a été réalisé sur le worldbuilding, que ce soit les costumes, les sigles des clans orcs, l’histoire de ce monde ou son bestiaire. Le travail de storyboarder et de designer de Chris Wildgoose se ressent et densifie fortement cet univers aux décors plutôt désolés. L’enjeu de ces personnages, outre l’alliance face aux Vangols, va être de dépasser l’inévitable qui les ramène à une histoire d’adversité (y compris entre clans orcs qui s’opposent entre conservatisme et espoir) et de croire que l’amour et la solidarité pourront triompher et sauver leurs deux peuples.
Remarquablement découpé avec des scènes d’action très efficaces (et bien trash), un rythme très bien balancé entre les séquences stratégiques et la découverte de la culture orc et surtout des personnages que l’on a envie de suivre et de voir réussir, Les affamés du crépuscule réussit son pari de réinventer le genre fantasy en osant y apporter en sous-texte l’élément écologique original et inattendu. Étonnamment sous son apparence désespérée, c’est plus l’espoir qui ressort dans ce nouvel exemple de la fantasy colapsologique que je vous convie à découvrir.
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Cet album aurait pu être un morceau de « poids » au même titre que le monumental La bombe paru il y a quatre ans. Pagination gigantesque, documentation extrêmement précise, dessin noir et blanc proche de la ligne claire et très élégant, et surtout, sujet très intense. Il ne fait aucun doute que le roman dont il est adapté est une œuvre importante (couronnée de plusieurs prix), notamment sur le plan juridique. Sur le plan formel la masse de travaille fournie par les trois auteurs est phénoménale. Sur le plan BD Retour à Lemberg nous fait profiter d’un vrai travail graphique et narratif qui évacue le problème récurrent des documentaires-BD qui oublient de raconter une histoire.
Construit comme une enquête personnelle de l’auteur sur son père qui n’a jamais voulu parler de son passé pendant la Guerre, l’album est chapitré alternativement autour de figures de la Shoah ou de sa propre famille. Lemberg a la particularité d’être une ville située à la jonction des influences russes et germaniques et a changé plusieurs fois de nom et de rattachement, tantôt polonaise, tantôt soviétique, tantôt allemande. En bordure du grand Est choisi par les nazis pour leur Solution finale, Lemberg a été témoin de l’expérimentation dans la persécution puis l’extermination des juifs de l’Est. Le père de Philippe Sands était originaire de cette ville et une grande partie de sa famille a ainsi disparu à différentes étapes de la seconde Guerre mondiale. L’aspect documentaire porte ainsi sur un cas précis, une cité au cœur de la tourmente, nous immergeant dans la folle destinée de ces pauvres gens, dont la survie fut souvent liée au hasard. Fil conducteur de l’enquête, Lemberg permet à l’auteur de parler d’un des condamnés de Nuremberg, un brillant professeur de droit devenu gouverneur de la zone et applicateur zélé de l’oppression nazie, mais aussi des deux concepteurs de notions majeures sur lesquelles Sands travaille aujourd’hui, le Génocide et le crime contre l’humanité utilisées pour la première fois dans l’accusation des Alliés à Nuremberg.
L’idée était intéressante pour se raccrocher à l’histoire de ces principes de la civilisation moderne, qui donnent lieu ces derniers mois à des combats sémantiques très importants. En cela l’ambition de l’album pouvait rivaliser avec celle du travail d’Alcante, Bollée et Rodier sur la Bombe atomique (dont on se demande s’il n’aurait pas donné envie à Nolan de réaliser son grand Oppenheimer…). Mais le projet de Sands est bancal à plusieurs titres. Le premier est l’aspect extrêmement familial qui met souvent mal à l’aise avec le sentiment d’entrer dans l’album photo de sa famille. Bien sur le contexte en lui-même rend intéressant le destin de ces personnes, mais en entrant dans mille détails on baille un peu en attendant le lien avec l’Histoire. Les deux figures historiques alors suivies sont traitées de la même manière, très documentaire, très précise, très juridique parfois, laissant le lecteur un peu sur la touche par rapport aux subtilités soulevées. Le livre est peut-être destiné à des personnes férues de droit. Côté BD on rate ainsi le coche.
La partie la plus intéressante reste donc la fin relatant le déroulé de l’accusation de Nuremberg, nous faisant entrer dans les arcanes de cette ébauche de droit international. Et si la partie historique joue parfaitement son rôle, on reste en surface quand à l’importance des deux notions elles-mêmes, faute de les raccrocher à ce qu’il en sera fait dans les décennies suivantes. Alors on se rattache à la découverte de deux personnalités ayant fait l’histoire (dans l’ombre), frustrés de très bien connaitre les personnes, beaucoup moins leur importance pour l’évolution des concepts juridiques de l’Ordre des Nations Unies. Comme l’illustre la couverture se contentant de reproduire celle du livre, l’adaptation aurait nécessité un travail spécifique et semble n’être qu’un décalcomanie dessiné…
Alors que l’hyper-actualité (la mise en accusation du Premier ministre israélien et de dirigeants du Hamas pour crimes contre l’humanité) met en lumière l’importance du droit et rappelle Nuremberg plus que jamais, Retour à Lemberg apparait comme une grosse occasion manquée de réaliser une œuvre historico-juridique marquante.
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Ayant passé avec brio son arrivée dans le monde de la BD, Eric Puybaret arrive au plus dur, le second tome, toujours attendu et souvent décevant.. Ici on perd un peu de la folie absurde de l’ouverture et je reconnais que l’histoire amoureuse et la multiplication des deus ex machina atténuent quelque peu notre intérêt.
L’aspect positif de cet album reste le dessin et la mise en scène ainsi que des dialogues toujours très littéraires et élégants. Le schéma du voyage initiatique (nous allons entrer plus avant dans le passé d’Anton) qui peut par moment rappeler la Divine Comédie reprend ce qui fonctionnait, à savoir les intrusions de personnalités des arts et de la culture dans cet infra-monde et l’irruption de créatures. Le rythme reste enlevé et l’auteur maintient des scènes d’action efficaces. Mais une fois la surprise de l’absurdie passée, on retombe dans une intrigue et un monde fantastique sommes toutes classique où le palot personnage principal reste littéralement balloté au gré du vent (on rendra à Puybaret d’assumer visuellement cet état narratif!) et où la quête principale (retrouver la belle Quéa) manque de piment, notamment du fait de l’absence d’antagoniste. Si le premier tome était facile d’accès, les personnages qui arrivent dans ce volume restent mystérieux pour certains: après Nina Simone et Chopin rescapés du premier tome, voici rappeur Notorious Big (que je découvre), le général Custer, Géronimo en médium et d’autres figures plus énigmatiques. On tablera sur la grande culture de chacun pour retrouver ses petits mais ces personnalités ne font au final que de la figuration.
On appréciera l’apprentissage musical d’Anton auprès de la diva noire et du pianiste polonais dans l’optique d’aller envouter le seigneur de ces Antres. Cela permet quelques scènes sympathiques et une allégorie élégante. Avec moins de folie que le précédent, Quea nécessite plus de concentration et respect le format du ventre mou d’une histoire avant de découvrir au prochain tome le paradis. A suivre…
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2019… cela fait un monde que nous attendons la suite de ce Magic Order avec la promesse d’un niveau artistique de folie sous les pinceaux du grand Stuart Immonen. Les deux bonshommes ont déjà collaboré sur l’assez décevant Empress mais la radicalité et la qualité de l’univers de ces sorciers faisaient de cet album un des plus alléchants depuis longtemps. Malheureusement l’inspiration (ou le travail?) du golden-boy Millar semble s’être tarie et ce nouvel opus d’une série qui tarde à arriver en format audiovisuel sur la plateforme au N rouge ne nous rassure en rien sur sa capacité à proposer de nouveaux monuments du comic indé. La source se serait-elle tarie?
On ne pourra en effet rien reprocher au dessinateur canadien qui s’il a tendance à rechercher la simplification des dessins, n’en explose pas moins de talent à chaque fois qu’il sort du pure illustratif. L’enchaînement des séquences reste lisible et les moments d’action plutôt fun. La tâche n’était pourtant pas facilitée par un scénario qui semble vouloir se concentrer tout le long sur la petite histoire, celle des sorciers en jogging et des problèmes de couple, comme si Mark Millar avait voulu faire, plus encore que sur le premier, un néo-polar londonien à la sauce Avada Kédavra… Peu de moments épiques à se mettre sous les yeux donc.
A cela le péché majeur du scénariste est d’abuser totalement du Deus Ex-machina qui rend le tout presque risible tant il ne s’encombre à aucun instant de construire un puzzle. La linéarité du tout est confondante de faiblesse et malheureusement ce n’est pas la poudre de perlimpinpin jetée grâce à la maîtrise graphique d’Immonen qui masque l’absence de projet pour ce opus qui pourrait à ce rythme se prolonger sur des dizaines d’albums. Ainsi le méchant sorcier d’une lignée vaincue rassemble des pierres cachées pour se venger et reprendre le pouvoir sur les Moonstone… Hum, on a vu plus original. Accordons toutefois à Millar son caractère de sale gosse qui assume tout, tuant n’importe qui à tout va, donnant par-là un peu de sel à une intrigue qui en manque diablement.
Il ressort de ce très attendu album un sentiment de gros gâchis qui fait hésiter entre le conserver pour les planches ou s’en séparer devant une telle incurie. Si l’on fait le compte le Magic Order #1 est le dernier vraiment bon album de Millar (en sauvant Sharkey pour son aspect fun qui a un bon potentiel en série). A force de se reposer sur une armée des plus grands dessinateurs de comics pour garantir les ventes, l’auteur semble en oublier la deuxième patte d’un bon album BD.
Le troisième tome de Magic Order est en cours de publication aux Etats-Unis (avec l’italien Gigi Cavenago aux crayons) et les premiers aperçus (très impressionnants) des planches du quatre avec Dike Ruan indiquent une sortie dans la foulée, probablement fin 2023. Lorsqu’on sait que la newsletter publiée par Millar parle de Greg Capullo, Travis Charest ou encore le retour de Coipel, on a de quoi se faire briller les mirettes. Les séries Netflix semblent sur le point d’être lancées en production. De quoi rester confiant sur le catalogue Netflix. Côté BD pas forcément…
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Dans le yo-yo qualitatif des publications Millar je fais partie des optimistes qui voient dans le plus punk des scénaristes de comics un auteur toujours brillant qui jongle entre facilité d’écriture, feignantise du patron qui laisse ses employés graphiques faire le job et intelligence disruptive qui surgit… quand il s’en donne la peine.
Après un excellent premier tome qui rappelait au monde du comic Indé qui est le boss en ouvrant d’immenses possibilités à son univers d’Harry Potter pour adulte, un second très faible épisode qui ressemblerait à un spin-off généré par une IA si ce n’était faire offense au pauvre Stuart Immonen pour le coup bien mal tombé, ce troisième tome rassure quand au potentiel des aventures des Moonstone. En semblant vouloir oublier l’égarement du précédent, le scénariste écossais ouvre une histoire en deux partie (qui se conclura au quatrième volume dessiné par Dike Ruan et que l’on espère voir rapidement en 2024) en se raccrochant résolument à ce qui avait fait le sel de l’ouverture, les parts sombres de la famille Moonstone.
Le nombre de pistes ouvertes et le signal donné que personne n’était garanti de ne pas chuter permet ainsi de créer une atmosphère paranoïaque pour des lecteurs qui savent déjà que l’image n’est qu’une façade qui renferme bien rarement la réalité. Jouant sur plusieurs temporalités en juxtaposant l’histoire intime des membres du clan Moonstone (le père, la nièce, l’oncle ou… la mère!), Mark Millar joue avec nos nerfs en continuant à se faire plaisir dans un infini des possibles qui voit des créatures telles que le « puzzle-vampire » ou une sorte de Grand-Ancien sorti tout droit de l’univers Lovecraftien mettre en danger la Création. Les dialogues sont toujours aussi punchy et tout est fait pour qu’on se sente en terrain familier… juste pour nous tordre le bras à chaque page.
La petite faiblesse de ce volume réside dans les planches de l’italien Gigi Cavenago surtout connu pour avoir travaillé sur le personnage de Dylan Dog. Non que l’artiste (et sa très bonne coloriste) ne réalise un travail assez remarquable, mais quand on passe après Coipel et Immonen (tous deux dans un registre assez proche, que rejoint Dike Ruan), le style de Cavenago tranche et modifie l’atmosphère réaliste recherchée par Millar. En adoptant un design anguleux en aplats, le dessinateur est parfois moyennement lisible, ce qui est problématique lorsqu’il s’agit de retranscrire une certaine folie visuelle où le scénariste se joue des formes, des dimensions et du Temps depuis la première page de la série. Disons qu’en tant que tel le travail graphique est tout à fait intéressant mais niveau cohérence on a une petite faute de gout de la part de son employeur qui avait pourtant des dizaines de graphistes plus adaptés à sa disposition.
Volume qui aurait du être titré « première partie », ce nouveau Magic Order reste donc un plaisir de lecture qui ne se refuse pas sous la plume décidément unique de Mark Millar. Pour peu que vous soyez gourmand graphiquement et passiez sur la rupture de style, on plonge donc très volontiers dans les manipulations de ces terribles magiciens avec une grande envie et un soupçon de crainte sur ce que Millar va nous réserver pour la suite et la conclusion de la saga prévue au tome cinq. En attendant, une très grosse fin d’année côté Millarworld avec toujours des monstres aux crayons et de quoi alimenter encore et toujours les critiques agacées des fans devant les publications Millar.
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Voir Sean Murphy s’offrir une variation sur le personnage de Zorro n’est guère surprenant. Ce très américain dessinateur trouve dans le Renard une icône du mythe américain et lui permet d’étudier (très légèrement…) à nouveau le lien entre mythe et réalité crue, après son très bon Plot Holes et bien sur la réinvention de Batman. Seuls les aveugles ne verront pas en Zorro l’ancêtre du Chevalier Noir, jusque dans sa Caverne que l’on pourra comparer avec amusement avec la Batcave de Murphy. Réalisé via un financement participatif, cet album en quatre parties (qui atterrit étrangement dans la collection Urban plutôt quand dans le format comic classique) n’a d’autre justification que l’envie d’un des cadors de l’industrie comics de se faire plaisir graphiquement.
Pour le coup on retrouve toutes les qualités du dessinateur et notamment sa capacité à proposer des pages posées à la composition marquante (on notera en comparaison la très banale illustration de couverture choisie par l’éditeur français) et la dynamique de ses cases sur une aventure qui regorge d’action. Trop sans doute. Car si l’on prend un sincère plaisir de lecture loisir on a immédiatement le sentiment, en refermant le livre, d’un petit caprice de dessinateur avec une intrigue famélique et vue mille fois. En choisissant de transposer la figure de Zorro de nos jours dans une vallée gangrénée par un cartel Murphy ne cherche pas d’autre vraisemblance que celle de lui permettre de dessiner les bagnoles dont il raffole. Le reste se bricole pour faire rentrer le tout en quatre parties et en allant piocher des personnages directement dans ses précédentes créations (comme ce guérillero dont on ne sait rien hormis qu’il semble débarquer de Punk Rock Jesus).
La bonne idée est de faire de Zorro un benêt que le traumatisme d’enfance a cantonné dans les histoires. Se prenant pour Zorro (et en ayant le talent athlétique), il jacte à l’ancienne en se croyant dans les aventures du héros masqué. Cela crée un humour en décalage avec la crudité des affrontement très sanglants contre les mafieux. Cet apport participe à la dynamique d’ensemble mais ne participe pas à construire des relations entre personnages et une histoire intéressante.
On ressort donc avec un plaisir immédiat mais le sentiment tenace que Sean Murphy s’est bien amusé mais n’a jamais tenté de créer une BD digne de ce nom. Si vous êtes amateurs du personnage de Zorro ou fana de tout ce que fait Murphy cela pourra vous contenter et justifier de conserver ce bel objet dans votre bibliothèque. Pour les autres ce Zorro s’avère un effort très dispensable et très oubliable auquel on préfèrera le Don Vega bien plus intéressant.
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Avec une couverture bien peu attrayante et la signature d’un Scott Snyder dont je me méfie beaucoup depuis son chef d’œuvre La Cour des Hiboux il était peu probable que j’en vienne à chroniquer ce western horrifique. Mais Western et Panosian ont suffi à attirer ma curiosité, l’artiste américain étant un des plus intéressants dessinateurs indépendants en exercice, ce que confirme l’originalité de son travail sur Canary. Derrière un dessin de type « sale » mais très élégant, Panosian colle des peintures en gros plan qui créent des arrières plans lumineux évoquant des décors rocheux ou des ciels torturés. L’effet est saisissant et installe une atmosphère vénéneuse très appropriée.
Snyder commence son histoire comme un polar sur un chasseur de serial-killer enquêtant sur des affaires étranges. Immédiatement nous sommes pris par des dialogues très inspirés qui caractérisent des personnages forts aux interactions crédibles. Après avoir fait la connaissance du barjo Hyrum Tell qui semble très lié à l’histoire personnelle du héros, se forme un trio savoureux composé de Holt, le scientifique noir élégant et l’héritière bad-ass du magnat local qui a disparu voici des années dans l’effondrement d’une mine. Bien vite tout va se concentrer autour de cette mystérieuse mine que certains veulent finir d’enterrer quand d’autres rêvent de la voir réexploiter.
Si l’histoire pourrait avoir des airs des Mystères de l’Ouest sur le début (avec les engins mécaniques du prof’ et un soupçon d’occultisme), on va migrer progressivement vers ce qui fait la marque de Scott Snyder… et son gros défaut: la création d’une cosmogonie démoniaque démesurée qu’il ne sait malheureusement pas contrôler. Soyons clair, l’idée de faire tomber son héros de western dans un pandemonium païen vaguement référencé d’éléments bibliques est plutôt bonne et donne une vraie ampleur à un genre habituellement peu original. Mais sa propension à abuser de zblub et de zblob dentus et abominables a tendance à nous mener vers le ridicule. C’est là qu’on peut remercier son collègues aux pinceaux qui parvient à garder une homogénéité graphique qui reste plus inquiétante que grand-guignolesque. Le talent de Dan Panosian pour croquer des visages expressifs est évident et il parvient même à proposer quelques monstres graphiquement recherchés au milieu de zombies ridicules. Retrouvant une esthétique vue sur d’autres œuvres de Snyder on peut gager que c’est bien lui qui impulse cette part de mauvais gout.
Au final, si le travail graphique est exempt de tout reproche et tient même d’un des plus chouettes travaux de l’artiste, Snyder est fidèle à lui-même, avec de l’excellent comme du piteux qu’il n’est jamais capable de filtrer. Le plaisir de lecture général reste bon mais on ne peut que s’agacer de voir un scénariste saboter aussi systématiquement et consciencieusement ses bonnes idées…
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Kali est un film dessiné auquel il ne manque qu’une bande-son. L’album a tout du projet de série B totalement orienté sur l’action, la rage et une violence radicale. Mad Max est immédiatement cité en référence mais je tablerais plutôt sur du western moderne régressif poisseux tel que Desperado ou Sisu, avec un personnage hybride entre John Wick et le fameux Max qui bastonne l’Armée du Ruban Rouge….
Entrant dans la danse au cœur de l’intrigue, le récit va progressivement nous raconter la ténue chronologie qui a poussé l’héroïne dans sa vengeance rageuse. Et c’est la première agréable surprise de ce one-shot que de ne pas se contenter d’un exercice technique vain mais d’assumer via un découpage très efficace de ne pas chercher au-delà de la course vengeresse tout en forçant sur l’aspect désespéré du projet. Le court vengeur est un genre en soi qui exige une gestion du rythme impériale comme l’est Kali. Je préfère évacuer tout de suite les craintes sur la finesse du scénario puisque ce n’est pas l’objet de ce projet. Dans Kali on sent la douleur, la poussière et le bruit des balles. On laisse juste assez de mystère dans la construction pour garder de la découverte, de la curiosité nécessaire pour ne pas se lasser. En cela le hors-champ important (qui laisse donc la possibilité de suites assez facilement… malgré le processus de production de sept ans pour réaliser cet album!) permet à la course de Kali de ne pas flotter. Chaque engin, soldat spécial, lieu qui nous est balancé dans la tronche sans prévenir, a sa cohérence qui arrive ensuite. Une cohérence de série B mais on est venu pour ça et nos yeux comme notre imaginaire sont ravis au vu de la richesse des designs et de la générosité qui déborde du format.
Les références cinématographiques de décennies de films d’action (pas forcément les plus subtiles!) explosent autant que les balles et les dialogues sont aussi rêches que le sable du désert. Paradoxalement le travail scénaristique garde (un peu) les pieds sur terre à Kali ; le seul regret est de ne pas voir avoir de loop de violence comme seul un Shaolin Cowboy sait en proposer et que le réalisme se dispense d’une folie totale. Mais sur le cahier des charges on est totalement conquis par la furieuse!
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Cet album a beau avoir fait l’objet d’une très discrète communication (comme son dessinateur), il était attendu comme un des évènements de 2024. Fidèle à son habitude, le puissant éditeur Dargaud attire à lui la fine fleur des artistes BD, à commencer par Roger Ibanez, le dessinateur de la fabuleuse série Jazz Maynard et un des chefs de file de la si brillante école hispanique. Rare, l’espagnol rappelle combien le projet proposé par Fabien Vehlmann a permis de le ramener à une motivation que son brillant perfectionnisme doit épuiser à chaque album. Cinq ans après la conclusion de Jazz, le voilà sur un gros one-shot où il peut laisser libre court à son talent brut.
Car c’est très clairement l’énorme atout de cet album, cette légende racontée à la voix narrative, cette histoire du tréfond des âges, cette histoire des hommes, de leur violence et de leur avidité. Le très peu de bulles laisse une grande liberté de mise en scène pour le dessinateur qui montre un design tribal rappelant par moment la qualité du travail de Bourgier sur Servitude ou plus récemment de Henninot sur sa Horde du Contrevent. Roger montre sa science des encrages (peut-être les plus impressionnants de toute la planète BD), la facilité avec laquelle il transforme une ombre en mouvement, avec laquelle un simple trait suggère un hors champ où jamais l’on n’est perdu, où l’immersion est totale, élégante, majestueuse. D’un trait il fait une montagne d’une finesse incroyable avant d’enchainer sur de simples taches aussi évocatrices que la cité qui vient, aux mille détails et matériaux. Jouant ses cadrages tantôt très serrés tantôt larges, il anime ses planches en permanence, proposant la même élégance à une silhouette éclairée par le feu qu’à la hargne des forçats qui trainent le navire royal. Comme sur ses précédents albums, comme pour un Ronan Toulhoat et tous les grands encreurs, on pourra regretter l’usage d’aplats de couleur pour habiller un dessin qui n’en a jamais besoin (et je conseille aux plus patients et amateurs d’attendre une très probable édition NB qui ne tardera pas d’être proposée par l’éditeur en fonction d’un succès commercial pour le Dieu-Fauve, dont je ne doute pas).
Pour ne pas être injuste avec le très bon scénariste Fabien Vehlmann (de tous les bons coups, récemment avec le retour de Jean-Baptiste Andreae) reconnaissons la grande qualité de textes inspirés, mélancoliques au travers de plusieurs vois narratives qui malheureusement n’aident pas à fluidifier le récit. En proposant une construction en cinq chapitres sans jamais préciser qui est le narrateur (pourtant omniprésent tout au long des cent pages), il flatte certes nos oreilles mais n’aide pas à lire l’album, cet univers incertain, non daté, non localisé. La focale reste très serrée sur des personnages dont la dresseuse qui restera un long moment le cœur du récit et le plus intéressant. Vehlmann boucle sa narration entre une ouverture rappelant celle de 2001 l’Odyssée de l’Espace et un épilogue qui dénoue certes les fils mais laisse un sentiment de frustration portée par un nihilisme qui ne surprendra pas les lecteurs de Seuls. Si la construction peut se justifier (c’est du reste l’absolue liberté de l’auteur), la quasi absence de bulles et donc de dialogues crée une sorte de surplace qui donne presque par moment l’impression d’un livre d’images, heureusement animé par son collègue via son découpage redoutable. On sait que le cœur d’un récit est ses personnages. En changeant régulièrement le viseur, en empêchant leurs interactions verbales, Vehlmann crée certes une atmosphère recherchée mais laisse son lecteur un peu à quai. Il est difficile de reprocher à un auteur son ambition mais celle-ci a malheureusement l’obligation de faire mouche dans la dure jungle de la création imaginaire. Le Dieu-fauve rate donc un peu le coche mais reste un très élégant ouvrage et espérons le, un retour régulier de l’immense Roger Ibanez… qui gagne un quatrième Calvin à lui tout seul.
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Le mystère de la poule et de l'œuf. Depuis la parution du premier tome des 5 terres en 2019 toute BD anthropomorphique est lus en comparatif à cette grande saga. A sa sortie les 5 Terres furent comparées à Game of Thrones... qui fut comparé aux Rois maudits. Bref, a chaque création marquante il devient difficile d'admettre que ce n'est pas le package qui définit le projet mais bien son traitement. En cela Erik Hanna est soit courageux, soit suicidaire, soit opportuniste en proposant ce triptyque où l'on retrouve son talent littéraire indéniable qui faisait de sa série Détectives un excellent récit d'enquêtes dialoguée.
C'est immédiatement ce qui marque dans ce premier tome: l'esprit théâtral, shakespearien, emphatique des échanges entre personnages. L'ouverture prend la forme d'un long monologue introductif qui marque le tempo en créant un conflit entre le prince et sa mère. Bien malin ensuite qui pourra anticiper le rôle de chacun. Immédiatement les auteurs développent la galerie de personnages, entre le pouvoir, les malandrins de la basse ville, l'escouade diplomatique. Beaucoup plus léger (par le texte assez brillant), moins politique que les 5 Terres, Le royaume sans nom n'a pas à rougir devant son illustre grand-frère dont il se détache avec ses propres qualités. Graphiquement d'abord avec la superbe mise en couleur de Lou et les dessins très disneyens de Redec qui reste en famille puisque pour sa troisième série il continue à collaborer avec celui qui l'a lancé. Disney est ainsi
la référence qui revient évidemment, tant on sent dans l'esprit, les dessins utilisant largement les trognes tragi-comiques des personnages et la mécanique des séquences, l'envie de retrouver ce qui a fait la force de tant de magnifiques films d'animation de l'âge d'or. Attention, Le royaume sans nom est bien une BD adulte pleine de sang, de violence, d'intrigues tortueuses (et un peu de cul). Mais l'impression de lire un Anime comic est permanente, ne serait-ce que par la finesse des décors (probablement réalisés en structure 3D) ou l'apparition régulière de pleines doubles-pages pour des séquences clé choc.
Si la mécanique scénaristique de Lewelyn sur les 5 Terres a été fort logiquement louée, celle de cet acte I n'a rien à lui envier. La lecture se fait fluide, la découverte des personnages progressive, le scénariste posant un contexte de départ dans lequel la belle galerie de personnages va interagir de façon croisée en un très ludique jeu de piste. Situé entre un Disney, l’Ogre lion et les 5 Terres, ce Royaume sans nom va rapidement en acquérir un dans la bibliothèque des lecteurs tant il est la très bonne surprise de cette rentrée BD. On frôle les 5 Calvin pour l'originalité relative mais on n'en est vraiment pas loin.
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Un jour il faudra étudier les statistiques des albums Millar pour déterminer si l’on peut retrouver une fréquence régulière de qualité. Le dernier en date était très bon. Ce reboot d’un des albums qui ont fait sa réputation (… de sale gosse du comic!) ressemble à une fausse bonne idée/à une opportunité commerciale/ a un caprice de star, au choix et de manière potentiellement cumulative…
En 2011 Millar se lançait dans un improbable projet court mettant en scène une version négative de Batman: un milliardaire tout de blanc vêtu et dénoué de tout sens moral et de toute empathie, lancé dans une vengeance implacable contre des gradés de la police. L’an dernier Millar annonçait le reboot de son concept en pré-lancement de son crossover maison, Big Game attendu cet été et que seuls les lecteurs d’une immense mauvaise foi contesteront attendre. C’est ça Millar: une drogue que l’on est presque sur de regretter mais que l’on a très envie de prendre. Voici donc pour ceux qui sont passés à travers le retour du Nemesis juste avant l’Ambassador dessiné par monsieur Frank « Jupiter Legacy » Quitely qui vient juste de sortir.
Accompagné d’une des méga-star du dessin US, l’écossais déroule une partition qui fait malheureusement du surplace. Si le scénariste connait la mise en scène par cœur et nous donne quelques belles séquences rodées, le projet lui-même semble sans but, faute de définition. Si l’on comprend vite le type de personnage auquel on a
affaire, jamais on nous explique le lien entre sa formation décrite dans les flashback et sa capacité criminelle aussi infinie que celle du Joker. Sauf que le Joker est passé avant et jouit d’une aura mythologique qui dispense de rechercher la rationalité, au contraire du Nemesis qui par manque d’adversité (toujours le nœud gordien) nous lasse à enchaîner ses massacres avec sa tête de psychopathe. Si le concept même reste novateur (assumer le récit d’un super-méchant pratiquement sans aucune justification), le déroulé est linéaire en mode jeu vidéo. On pourra même trouver les planches relativement sages comparativement à des BD vraiment folles d’un Bisley, d’un Liberatore ou même d’un Rick Remender.
L’album one-shot enchaîne donc les massacres semi-bien pensants (on trouve toujours des cadavres dans les placards des innocentes victimes, ou presque) et une fois son « devoir » accompli on a un peu l’impression d’avoir assisté à un énième blockbuster sans âme ni plus-value aussi vite oublié. Gageons que dans la toile du vaste projet de Millar (qui a dit que plus on en parle moins il y en a?…) cet apéritif trouvera sa place mais pour l’heure hormis le pitch de départ et les planches très qualitatives on est dans la version basse du parangon de la danseuse de Netflix.
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Nouvelle découverte pour moi cette année avec cet album dont la couverture aussi grise qu’expressive m’a attiré. L’espagnol Prado est un auteur installé avec une carrière qui remonte aux années quatre-vingt et a déjà travaillé sur Sandman avec Neil Gaiman.Vautours est le second one-shot sur les enquêtes des inspecteurs Tabares et Sotillo, après un premier tome paru en 2017. Cette fois l’auteur passe en couleur directe (le précédent était en NB), ce qui donne beaucoup de profondeur à ses planches qui restent dans une grisaille reflétant l’âme humaine et l’état d’esprit de ses personnages.
Le concept de la « série » repose sur des enquêtes policières très classiques dont sont victimes des personnes en situation de faiblesse. Après les petits épargnants voici le thème des pédophiles et des réseaux où la bourgeoisie espagnole est impliquée. Ne se drapant pas dans de la fausse pudeur, l’auteur transpose sa révolte dans les idées marxistes de son inspectrice, la très froide mais très humaine Olga Tabares dont le duo avec son acolyte fonctionne à merveille dans de fréquentes joutes où l’on devine un amour platonique effleuré tout en pudeur.
La forme est celle d’un polar social, rugueux, technique, cette remontée de pistes, de fausses pistes et d’interrogatoires où la précision documentaire de la procédure (on est proche des albums de Scala et Eacersall) joue beaucoup dans l’immersion du lecteur. Si on pourra regretter le voile de grisaille qui habille l’ensemble des sublimes planches de Prado (qui est un très grand dessinateur en plus d’être un coloriste appliqué) et un lettrage très informatique peu élégant, le scénario est remarquablement construit en plusieurs phases et plusieurs temporalités croisées. Lorsque les coupables sont (assez vite) découverts, vient le temps de comprendre la profondeur de la corruption qui aboutit à cette mort. Le dessinateur n’implique la pauvre victime que quelques cases en début d’album, évitant le pathos pour se concentrer sur son enquête et les coupables. Cela aurait pourtant pu apporter une touche d’humanité à ce sombre récit proche du nihilisme. Heureusement les personnages du commissariat et de la procédure dans le sens large, mais aussi les pitoyables criminels sont très crédibles et aux interactions subtiles.
Vautours est donc un très chouette récit policier rugueux dont les protagonistes donnent très envie de suivre de prochaines enquêtes tant ils réussissent leur passage dans le monde des policiers récurrents. En espérant un délai moins long qu’entre les deux premiers volumes.
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Comme le titre l’indique, ce second tome va consister pour l’essentiel en une traque de l’héroïne par un équipage de mutins qui semble commandité en haut lieu pour éliminer un risque dynastique… L’album reprend presque exactement où s’est clôturé le premier et on constate déjà un petit problème de jointure entre deux albums qui semblent coupés artificiellement. Même en se replongeant dans la lecture du précédent volume on sent un manque de mise en place avec de nouveaux personnages avant un massacre inattendu qui va bouleverser le sympathique équipage que l’on avait appris à connaître. Un peu le même rythme et ruptures qui structurait le premier volume. Une volonté du scénariste peut-être…
L’album est du reste assez linéaire et tendu dans une chasse impitoyable où les personnages n’auront aucun répit. Cette aventure axée action dramatique reste agréable à lire et bien huilée au niveau des séquences de chasse même si comme dit précédemment le dessin de Silvio Camboni, fourmillant de détails mais marqué par le cartoon, ne semble pas le plus approprié. On m’objectera que des séries comme Seuls ou Orbital ont trouvé leur marque malgré ce décalage entre le style graphique et les thématiques. Soit, mais pour ne pas aider le changement de coloriste sur ce tome perd l’aspect artisanal agréable et coloré du précédent pour une touche propre mais terriblement informatique qui fait perdre un peu d’âme à cette série.
A la conclusion de se second tome je dois reconnaître qu’il est pas courant d’être confronté à ce type de problème: deux auteurs qui maîtrisent bien leur mécanique respective, un projet plutôt original dans un genre SF ultra-balisé, mais un script et une réalisation graphique qui semblent inadaptés au projet. Sympathique mais encore trop mystérieux dans le développement de l’univers (ce volume ne fait que très peu progresser notre connaissance), subissant des problèmes de rythme abusant notamment des Deus Ex Machina, Prima Spatia a sacrément intérêt à changer de braquet au prochain volume s’il ne veut pas risquer de finir dans les bacs d’occasion de Gibert…
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Il y a trois ans s’arrêtait au cinquième tome l’une des plus incroyables saga de la BD franco-belge, un monde fou co-construit par Wilfried Lupano et Jean-Baptiste Andreae, cet Azimut qui restera un chef d’œuvre intemporel. L’univers de JB Andreae est si fort et identifiable qu’il fait toujours craindre que le scénariste soit vampirisé, étouffé sous cet imaginaire issu de Tim Burton et du surréalisme de Dali. Fabien Vehlmann était le comparse idéal pour proposer un nouveau projet au dessinateur, dans lequel il se fond avec gourmandise et une facilité toujours sidérante.
La Cuisine des Ogres est un (gros) one-shot, en tout cas annoncé comme tel. Le format double-album n’est pas de trop tant l’univers juste aperçu est monumental et se prête à une série. Le sous-titre de l’album semble rappeler cette volonté qui cadre avec la politique raisonnable de Rue de Sèvres de ne jamais démarrer sur de longues séries mais de laisser la porte ouverte au développement de l’univers. Le scénario malin permet tout à fait cela et on l’espère vivement en refermant le volume tant celui-ci est riche!
On commence avec une amusante variation Andreaéienne de Seuls lorsque l’histoire s’ouvre sur une bande d’orphelins très vite raptés par un croque-mitaine bondissant qui file livrer sa victuaille au monde des Ogres. Début alors pour celle qu’on appelle Trois fois morte la découverte d’un monde souterrain où des milliers de créatures sont occupées aux différentes étapes de fabrication du repas des Géants, du nettoyage de la vaisselle à la conception des plus fins mets. Réchappée au broyeur par miracle, la jeune fille est bien décidée à sauver ses amis de l’assiette…
Le ton tragi-comique est celui de tous les albums d’Andreae: celui d’un conte de fées pour sales gosses, où les personnages ont les yeux globuleux, les ogres le nez crochu et la plus mignonne des créature un je-ne-sais-quoi d’inquiétant. Au-delà des pérégrinations truculentes de l’héroïne se dessine une vie tout à fait dramatique qui n’a pas grand chose à faire dans un récit pour enfants… ce que n’est pas vraiment cette Cuisine des Ogres.
Sous une base tout à fait classique du conte de fée (distordu), les auteurs plongent allègrement dans le monde de Rabelais, que ce soit par le verbiage utilisé, les citations (nos géants sont Gargamel et Pantagruel) ou les tableaux de grande bouffe où le dessinateur se régale à croquer mille et un détails. Les facéties et déformations de son dessin nous ont d’ailleurs fait oublier combien il était précis dans ses planches et la finesse de tous les décors ne cesse d’étonner. Aussi brillant dans sa colorisation directe (qui ferait passer Marini pour un débutant) que dans le dessin pur, Andreae confirme par cet album qu’il reste un des plus éminent dessinateurs de la BD franco-belge.
Fourmillant de références aux contes et légendes sans perdre en cohérence locale, La Cuisine des Ogres s’avère bien plus ambitieux qu’il n’en a l’air et parvient à créer un monde fonctionnel où la bonne morale est absente et que l’on a hâte de retrouver pour peu que le lectorat soit au rendez-vous. Avec deux artistes absolument gourmands et appliqués il aurait été difficile de se rater. Alors on savoure les pages avec un plaisir permanent et le seul regret que l’aventure ne soit pas plus longue.
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Ça y est, il va falloir s’habituer à une vie sans Saint-Elme… En seulement cinq albums sortis en trois ans, le duo Serge Lehman et Frederik Peeters ont créé un petit miracle d’intensité que personne n’attendait et qui débarque directement dans le hall of fame des grandes séries de la BD. Et ce n’est pas ce dernier (gros) tome qui va faire baisser la tension, occupé qu’il est sur ses 2/3 par une des plus magistrales fusillade réalisée dans le neuvième art. Dans une sorte de perfection rythmique les auteurs résolvent tranquillement leurs intrigues, qu’elles soient mystiques ou terres à terre, n’oublient rien au passage et gardent le bon goût de laisser planer suffisamment de mystère pour garder cette aura particulière qui aura recouvert la série.
L’écart est ténu entre le déballage précipité et la retenue cryptique et le duo d’auteurs tient sa ligne de crête avec élégance, facilité, évidence même. Comme dans un film d’action parfait on se dit que c’est finalement si simple de conter une histoire populaire, artistique, personnelle tout à la fois. Chaque élément est à sa place, chaque case est du bon format, l’ensemble, de la fusillade pourtant nocturne en huis-clos aux révélations parmi la pléthore de personnages, tout est d’une lisibilité sans faille, comme une leçon de maîtres.
Alors on savourera surtout la très grosse baston en se disant que décidément avoir de la place dans une BD c’est un sacré luxe! On accompagnera des personnages désormais familiers sur leur dernier itinéraire et on appréciera ce qui reste de mystère avec l’élégance de gentlemen qui sauront résister aux sirènes de prolongations. Car à Saint-Elme tout doit finir.
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A la clôture de ce septième album (en 24 ans… Blacksad s’apprécie comme le bon vin) on se demande un peu ce qui a justifié la césure en deux parties étant donnée la relative simplicité de l’intrigue. Un confort graphique peut-être, le temps nécessaire pour faire revenir un personnage iconique sans véritable lien avec la trame principale éventuellement. Toujours est-il que cette seconde partie pourra paraître un peu facile scénaristiquement parlant, Canales ayant tendance à téléphoner ses révélations. On est d’ailleurs surpris par la discipline avec laquelle il aura défloré ses personnages depuis le tome précédent, en comparaison avec les atmosphères pleinement polar des anciens albums où les cliffhanger finaux étaient toujours efficaces. C’est le cas ici (en deux temps) mais on aura besoin de relire l’ensemble (et même Ame Rouge) pour être bien sur de comprendre les liens entre l’affaire du théâtre, Alma et l’arrivée de Blacksad dans tout cela.
Ne soyons pas trop difficile, l’album reste dans les canons d’une série magistrale dont les planches illuminent les yeux et transpirent du plaisir de l’artiste. La reconstitution de l’époque est toujours un fourmillement de détails qui donnent envie de passer un temps infini à savourer chaque détail des cases. Guarnido se permet même une petite expérimentation pointilliste sur une séquence flashback et alterne les ambiances avec une facilité déconcertante. Tentez l’expérience de reprendre les toutes premières pages de la série pour constater mine de rien l’immense progrès du dessinateur.
L’enquête en elle-même reste agréable, dans les arcanes d’une politique municipale corrompue jusqu’à la moelle… Reste l’affaire Alma. La chute du précédent album était parfaitement réussie tant dans l’explosion visuelle que dans le fait de ramener le seul vrai amour de notre chat préféré. Pourtant on croise cette figure tout le long avec la désagréable impression que les auteurs ont trouvé un prétexte très artificiel pour rappeler le point faible du héros. Le problème c’est qu’Alma peine à s’intégrer à l’histoire (téléphoné je disais) et si les auteurs ne sont jamais abstenus d’invoquer subrepticement le passé de Blacksad sur d’autres albums, cela paraît ici ne rien apporter ni à la tension dramatique ni à l’histoire. Avec un happy end en sus, on frise la faute de goût, si ce n’était le plaisir de voir le personnage en lui-même. Heureusement les autres figures habituelles, à commencer par Weekly qui prend de plus en plus d’importance et le commissaire qui surprend en sorte de Gordon (notamment dans une séquence où l’on n’attend plus que la cape de Batman), sont parfaitement en place pour servir d’acolytes à l’enquêteur.
Espérons que c’est un mal pour un bien à savoir une décision de tisser un peu plus de liens à l’avenir entre les albums d’une série qu’on espère reprendre un rythme biennal.
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Fabrice Meddour est un artiste trop peu connu. Surgi dans les années 1990 avec une série qui a marqué son époque, Hispanola, sa technique en couleur directe n’a par la suite pas rencontré le succès escompté. Allié au talentueux Damien Marie depuis le magnifique diptyque Après l’enfer, il revient pour un quatrième album tant le duo fonctionne bien et reprend cette alchimie de dessins aussi sensuels qu’incertains et d’un scénario à la trame simple mais très référencée.
Auparavant attachés aux horreurs de la Guerre de Sécession où ils transposaient le conte du Magicien d’Oz, le duo documente cette fois le grand séisme de San Francisco où ils construisent une intrigue mafieuse dans laquelle notre belle ingénue va croiser la route du grand Caruso aux prises avec le chantage de la pègre locale. Le cœur de ce chantage est un tableau perdu de Gustav Klimt qui va passer de main en main en faisant de la pauvre Everett le témoin d’évènements semi-historiques. Le premier tome suit une intrigue linéaire mais astucieusement découpée pour aborder les différents protagonistes de ce prétexte à décrire (dans le second tome) le contexte chaotique laissé par le tremblement de Terre. Avec différentes mafia ethniques qui se partagent le Crime, un artiste craignant pour sa voix et un général d’armée tiraillé entre son amour pour une femme fatale et son devoir militaire, notre héroïne va être ballotée au gré des évènements. Et c’est le principal « défaut » de cet album qui fait de son personnage principal un fétu de paille dont la seule caractéristique est une énigmatique filiation avec le mythe de Judith, cette magnifique veuve qui usa de ses charmes pour assassiner le puissant général babylonien. Le scénario relie ainsi joliment le tableau biblique de Klimt, l’histoire mythique et cette pauvre fille plongée dans les ruines de San Francisco. De quoi titiller notre curiosité pour la suite et de donner prétexte à Fabrice Meddour à nous donner de superbes planches coquines dans ses tons sépia habituels.
Jouant entre les lieux et les temporalités, Damien Marie propose de jolis textes et rythme son histoire entre une galerie de personnages variés et de l’action directement issue des films de genre. Le personnage principal est une victime souvent peu vêtue même si, avouons le, les auteurs semble plus intéressés par les règlements de compte gores. La survenue du séisme donne tout de même lieu à de belles planches massives où les limites techniques de Meddour nous laissent loin d’un apocalypse à la mode Otomo. L’ensemble reste pourtant malgré ces quelques faiblesses connues (le style du dessinateur était plus à son aise dans les lianes du Bayou) une lecture très plaisante pour une mise en place.
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Alexis Vitrebert est apparu dans le champ de la BD il y a cinq ans sur le très remarqué Château de mon père et confirme sa maitrise narrative et illustrative sur ce gros volume qui retranscrit le journal de l’explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt. Pour sa seconde BD (après un docu sur Gisèle Halimi) la chercheuse Danièle Masse oublie en revanche de nous raconter une histoire en restant trop près de ses sources. L’album prend ainsi la forme assez plate d’une succession de plans, de séquences d’attente répétitives. La réalité des récits de Burckhardt ne doit pas faire oublier qu’une histoire se doit de comporter des personnages, une tension dramatique, des surprises… choses absentes de cette sorte de journal illustré qu’est L’espion d’Orient.
L’album commence pourtant plutôt bien avec ces superbes dessins croquant le jeune suisse errant dans une Londres pluvieuse à la recherche d’un emploi sur recommandation. Finalement embauché par l’African association qui finance des explorations en lien avec le ministère des Affaires Etrangères, il débarque à Malte puis en Jordanie où il se crée le personnage de Cheikh Ibrahim qui lui permettra de passer inaperçu dans ses itinérances moyen-orientales, cette poudrière incontrôlée où brigands, tribus bédouines et chefs de guerre rendent les chemins si aventureux en pleine concurrence avec l’empire napoléonien. Prenant le temps d’apprendre la culture et la langue arabe, Burckhardt navigue entre transmission des notes qui intéresseront vivement les Renseignements britanniques, longues attentes d’un financement ou d’une caravane et rencontre avec puissants diplomates ou chefs locaux.
Le scenario part donc très bien jusqu’à son arrivée au Moyen-Orient où le rythme se trouve brisé par une alternance de scènes sans grands repères temporels, redondantes, qui finissent par ennuyer la lecture. Est-ce une volonté narrative de reproduire l’ennui de l’aventurier ou simplement la confusion entre une histoire à raconter et un Journal à illustrer? Toujours est-il qu’on arrive vite frustré à la lecture de ce long album sans grand souffle, malgré l’aspect Bigger than life du personnage. Hormis quelques interactions fugaces avec des Figures historiques que seuls les plus érudits reconnaîtront, on a tout le long le sentiment que l’universitaire déroule son descriptif historique un peu pros proche de ses notes en oubliant de faire vivre ses personnages. En tant que documentaire l’album pourra trouver un certain public. Les lecteurs classiques se contenteront eux d’admirer les très belles planches…
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Sacrée découverte que cette jeune autrice australienne formée à l’animation et déjà à la tête de trois albums avant un quatrième à sortir cet automne (et en 2025 chez Kinaye). Sous la forme d’un volume au format franco-belge très classique elle revisite le fameux conte sous une forme féminine, mais surtout comme une sorte de prolongation du récit qui introspecte la psyché de celle qui criait au loup par un léger décalage totalement immersif. Il faut dire que la partition graphique est franchement enthousiasmante, voir même impressionnante! Dans une bichromie orangée l’autrice travaille ses textures et des motifs simples pour, comme dans un rêve, évoquer les yeux ou le pelage du loup si redouté. Avec des traits simples elle insère ses personnages dans un univers organique qui nait par de simples effets de pinceaux, évoquant le couvert végétal, les huttes du volage ou cette fourrure, dans un monde nocturne où tout est sombre et inquiétant.
La mise en scène par des cadrages serrés et très dynamiques crée l’incertitude permanente, jouant champ/contre-champ en cherchant toujours les regards, comme une recherche crainte entre les yeux de Dawa et ceux du loup. Enfin le design du village, des costumes, très élégant, transpose un univers africain de fantasy dans les sombres forêts de résineux qui ont vu naitre le conte…
Cry wolf girl, par son immense richesse graphique, par la simplicité de son histoire, par l’utilisation du conte, a plus de l’album jeunesse, univers parent de la BD et où les artistes jouissent d’une liberté créatrice sans pareil. Ariel Ries a choisi le format BD, qui ajoute la possibilité de mise en scène lié au découpage. Il ressort de cette lecture (rapide) un très grand plaisir à la fois familier et novateur et surtout l’explosion d’un talent brut qu’il faudra suivre assurément!
En 2012 l’économiste proche du Parti Socialiste Thomas Piketty acquiert une renommée internationale après la sortie de sa somme Le Capital au XXI° siècle, ambitionnant de mettre à jour l’indépassable Das Kapital de Karl Marx, dont les 160 ans au compteur nécessitaient une adaptation à notre époque. Conscient du prisme occidental de son ouvrage, Piketty choisit une mise à jour en 2019 pour analyser l’histoire des idéologies qui installent et font perdurer les inégalités.
Pour adapter ce pavé de plus de mille pages, les auteurs Claire Alet et Benjamin Adam choisissent d’illustrer le propos de l’économiste au travers d’une dynastie française, des ancêtres propriétaires esclavagistes aux descendants enseignants et militants écolo. Ce dispositif permet de raconter une histoire, d’apporter des personnages et de marquer visuellement les époques en faisant vivre à ces ancêtres les soubresauts de l’Histoire. Graphiquement on a un visuel typique des reportages de la Revue Dessinée, simple et tranché par des aplats de couleur et qui alterne les séquences BD et diagrammes explicatifs des mécanismes économiques et de répartition des richesses.
Le prisme idéologique de Piketty est bien entendu marxiste et ses principales critiques viennent du camp libéral. Une fois dit cela, le déroulé est limpide et permet à tout un chacun de comprendre comment les inégalités de répartition des richesses issues de l’Ancien Régime se transforment mais se maintiennent sous les évolutions politiques et civilisationnelles. Ainsi on rappelle que la pauvreté chronique d’Haïti vient directement de la rançon payée par les esclaves qui y avaient proclamé leur indépendance aux anciens propriétaires, jusques mi-temps du XX° siècle, de quoi nous rappeler les violentes joutes entre la Grèce exsangue et l’Allemagne ordolibérale lors de la crise des dettes souveraines en 2012 où le gouvernement d’Athènes rappelait que les vols de richesses nazi n’avaient jamais été rendus à la Grèce après la Libération en raison de l’établissement de la Guerre Froide…
Plus proche de nous on nous explique que les différents mécanismes d’imposition profiteront toujours aux propriétaires, jusqu’à nos jours, avec cette courbe de l’Elephant qui démonte le concept de ruissellement en montrant que l’essentiel de la croissance reviens mécaniquement aux plus riches (les fameux 1%). Les deux grandes évolutions seront issues des deux guerres mondiales, la première car la masse d’argent nécessaire à l’effort de guerre impliquait de ponctionner les riches, la seconde car la pression socialiste et le besoin de rebâtir un pays établirent un équilibre inédit dans la juste répartition des richesses. Assez rapidement, avec le choc libéral de Reagan et Thatcher, la « norme » revint au galop et la chute du Mure de Berlin permit trente ans d’enrichissement débridé qui allaient provoquer la polycrise du capitalisme que nous vivons actuellement.
Très didactique l’album réussit comme documentaire plus que comme BD (l’introuvable alchimie de ce type d’ouvrage). Le dessin n’est pas en cause, sa simplicité restant lisible et efficace. En revanche l’artifice des histoires familiales nous perd un peu malgré l’arbre généalogique et le récit qui s’adresse directement à nous pour nous rappeler le fil du récit. Avançant rapidement pour ne pas nous lasser, ne restant pas trop sur les personnages pour pouvoir expliquer le propos de Piketty, les auteurs nous noient quelque peu entre les membres de cette famille avec des sauts vertigineux de plusieurs décennies. Si ce choix nous permet de personnaliser des situations (surtout sur les dernières strates de la dynastie), je reste cependant dubitatif sur le gain final, les séquences ainsi utilisées manquant peut-être pour entrer plus en détail dans l’explication des idéologies.
On ressort néanmoins de la lecture bien renforcé dans notre connaissance de l’histoire des inégalités de notre pays. L’album se termine par des propositions concrètes (un peu utopiques je dois dire) de Thomas Piketty présentées comme une ébauche de programme économique (il a été conseiller économique sur la campagne présidentielle de Benoit Hamon avant de soutenir le programme économique de la NUPES récemment). Sans être le docu-BD de l’année, Capital et Idéologie permet en 160 pages de connaître l’analyse et les propositions d’un des économistes les plus importants de notre époque et c’est déjà pas mal!
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La jeune artiste Australo-malaisienne Reimena Yee a fait une entrée fracassante dans l’univers de la BD en 2020 avec son diptyque Le marchand de tapis de Constantinople, (traduit chez nous chez Kinaye en 2023) conte arabe où sa liberté et créativité visuelle enchantait critique et lecteurs. Surfant sur la popularité de la dessinatrice, l’éditeur sort très rapidement sa nouvelle création (parue en octobre dernier en VO) dans un écrin magnifique agrémenté d’un cahier final de making of.
N’ayant pas lu ses précédentes créations je découvre un vrai talent de designer et de composition qui agence sur un style simplifié typique de l’Animation (de Walt Disney diront certains) des effets de céramiques grecques ou d’enluminures arabes pour nous immerger dans un orient antique où le grand Alexandre s’ennuie fermement sur son trône… Annonçant vouloir adapter librement le Roman d’Alexandre, Yee choisit un voyage initiatique du héros en compagnie de son serviteur, à la recherche de la Fontaine de Jouvence. C’est l’occasion d’aventures de différentes tailles, du domptage du cheval Bucéphale par le jeune Alexandre à la rencontre des Griffons fantastiques.
En suivant l’agencement de récits sans lien chronologique (typique des gestes médiévales), l’autrice affaiblit quelque peu la lecture en brisant l’enchaînement. Cela participe à la volonté d’œcuménisme graphique, la grande force de l’album, qui enjoue en nous proposant une véritable odyssée dans l’histoire de l’art médiéval et antique, croquant certaines parties dans un style d’enluminures chevaleresque ou arabe. Le texte joue également de cette mise en abyme en brouillant dès les premières pages la légende d’Alexandre, racontée à ce dernier par celui-là même qui la fait avec le héros… Reimena Yee nous relate ainsi une légende fabriquée en direct par un servant qui emmène le grand conquérant sur le chemin de ses propres futurs/anciens exploits.
Lors des scènes plus classiques, malgré une mise en scène très travaillée de l’autrice le trait simpliste peut paraître un peu faible en regard d’autres séquences. Je tiens à préciser que, Kinaye oblige, ce récit est bien un album jeunesse et il ne faudra pas vous attendre à une grande complexité relationnelle ou narrative dans les pages de cet album, ce qui correspond du reste à l’ambiance de la source adaptée. Pourtant on peine un peu à profiter pleinement d’une histoire trop hachée pour vraiment convaincre, malgré une technique et un personnage éminemment sympathiques.
On termine ce premier tome heureux de la découverte mais un peu frustré d’avoir raté de la grande aventure classique, sans doute par soucis trop appuyé d’adapter un texte qui s’y prête peu. Il restera trois tomes pour vraiment convaincre.
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Triste album qui nous vient en ce début janvier. Il y a presque dix ans sortait un miracle, Le chevalier à la licorne, du même duo, qui faisait exploser le talent brut de l’espagnol Guillermo Gonzalez Escalada dans un sublime et tragique poème graphique médiéval. Malheureusement l’annonce de ce second album s’accompagna rapidement de celle du décès de l’artiste en 2021. Seules quelques pages manquaient sur le scénario de Stephane Piatzszek, que deux dessinateur complétèrent dans le respect du style original.
Les histoires païennes sont légion. Le titre pouvait être trompeur et si l’album se centre bien sur l’itinéraire de la princesse Libussa, figure légendaire du peuple tchèque que l’on rattache à une armée de résistantes amazones, c’est plutôt l’histoire d’amour de cette héritière farouche avec une de ses guerrières alors que le danger qui menace son peuple est immense, qui intéresse le scénariste. Malheureusement le récit est incertain, comme si l’auteur n’avais su où mettre la focale et surtout par abus de suggestion. Il y a peu de textes et l’enchaînement des séquences n’est guère expliqué, ce qui rend la lecture par moment confuse.
Le dessin de son comparse est toujours aussi brillant mais l’aspect fruste de ses visages médiévaux n’aide pas à la compréhension en rendant parfois peu lisible la distinction entre ces personnages. Le style de Guillermo Gonzalez Escalada, si fort dans l’action et les visions oniriques, ne compense pas le manque de précision du scénario. De même, les quelques surgissements fantastiques, graphiquement puissants, ne semblent pas servir
l’histoire où la sœur mystique de l’héroïne est totalement muette et trop peu en interaction pour que l’on puisse s’y intéresser vraiment.
Oubliant de nous proposer de belles batailles épiques grand public, tiraillé entre sa Légende, un amour féminin impossible, le devoir dynastique et l’oppression chrétienne sur les anciennes traditions Stephane Piatzszek se contente d’admirer les sublimes compositions du dessinateur espagnol et échoue à nous emporter dans ce drame amoureux mal défini. L’album regorge pourtant de très belles scènes de banquet, de poursuites ou de complots, mais le tout reste mal monté par un récit trop suggestif.
Le duo n’aura donc pas réussi à rééditer le coup de maître de leur premier album. Il restera à admirer l’art si organique du défunt pour regretter, plus que l’album lui-même, la perte d’un très grand artiste.
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La recette initiale de Drakoo étant plutôt efficace, l’éditeur continue à faire appel à des romanciers fantasy pour apporter leur science de la construction d’univers et de personnages. Pour son deuxième album après une adaptation de son roman, Aurélie Wellenstein se lance cette-fois en compagnie de l’italien Emanuele Contarini sur une nouvelle création dans une atmosphère de la Venise classique du XVI° siècle.
Démarrant son histoire sans perdre de temps, on se retrouve embarqué avec ces cinq « louves », ce pianiste virtuose qui a perdu sa main dans une attaque et ses quatre comparses et amantes, chacune dotée de capacité tout à fait intéressantes. Car c’est la grande force du concept de la scénariste (plus que l’univers de cape et d’épée vénitien, finalement assez absent) que ces bombes « surréalistes » dont le seul nom suffit à titiller notre curiosité. Il s’agit en fait d’explosions qui modifient la réalité avec des effets permanents redoutables: l’un a vu sa main littéralement oblitérée, deux autres partagent le même esprit, comme deux super-jumelles, une autre voit sa conscience coincée entre le présent et le futur immédiat, quand la dernière cache un terrible secret… Si l’adversité manque cruellement à force de mystère sur l’origine des attaques, cet album nous intéressera jusqu’au bout et sa conclusion lovecraftienne intellectuellement très enthousiasmante.
Le problème c’est que ce qui aurait sans difficulté nécessité trois albums afin de pouvoir mettre en place les personnages, une résolution progressive et l’utilisation d’un riche univers… doit se présenter en un format classique de 48 pages! C’est absolument incompréhensible et totalement suicidaire narrativement parlant, d’autant que les planches du dessinateur sont vraiment agréables et dégagent une énergie organique qui rappelle le travail récent de Créty sur Gueule de Cuir, chez le même éditeur.
Ainsi il est compliqué de chroniquer un album qui ne peut avoir aucune structure correcte dans un tel format. Les auteurs n’ont rien à se reprocher, les dialogues sont percutants, les interactions et pouvoirs des personnages très agréables et novateurs dans une sorte d’esprit X-men de la Renaissance et même la résolution en tant que telle est plutôt réussie. Mais l’album semble juxtaposer des séquences qui ne tiennent pas dans le format et laissent l’impression d’avoir lu une très grosse plaquette de promotion d’un album à venir. Autant on pouvait reprocher à Pierre Pevel d’avoir du mal à gérer le hors champ de son univers d’Ambremer dans un format BD limité, autant ici c’est bien le format BD qui pose problème. Très agaçant car on serait volontiers parti sur une série qui disposait d’un sérieux potentiel. Les mystères éditoriaux sont décidément bien impénétrables…
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En cette fin d’année nous sommes servis en adaptations de grands classiques du roman moyen-ageux après le Nom de la Rose de Manara. Désormais spécialiste des adaptations littéraires, Geoges Bess débarque cette fois au XIX° siècle sur le plus connu des romans de Victor Hugo, reprenant la maquette d’édition de Dracula et Frankenstein. Le projet était aventureux, comme pour Dracula, tant le récit a été mille fois proposé, jusqu’à s’éloigner du cœur du texte. Et ce sera la principale qualité de cette belle version qui s’étale sur XXII chapitres (contre une cinquantaine dans l’œuvre originale) que de rester étroitement proche du récit initial en nous rappelant l’immense modernité de Victor Hugo qui pointe la pesanteur des traditions (d’en haut comme d’en bas) et le drame des passions humaines.
Esmeralda apparaît comme la candeur, plus que la beauté, qui aspire à une vie simple et victime de la jalousie maladive d’un puissant, l’abbé Frolo. Souvent ramenée à l’amour (fraternel) de la belle et la bête, cette histoire est à l’origine plus celle de la bohémienne et de l’abbé au sein d’une société d’injustice où les gueux ne sont guère plus éclairés que les puissants. Multipliant les protagonistes en refusant la linéarité comme dans toutes ses œuvres, Hugo aborde la complexité des passions, des hasards et des drames humains et la BD permet par la concision du format d’éviter les longues digressions qui rendent parfois le texte exigeant. En lisant cet album on se rappelle combien ce récit est la matrice d’une infinité de grandes séries BD telles Sambre ou le Roy des Ribauds par exemple.
La version de Bess est peu une BD, le dessinateur déroulant son récit essentiellement par des cartouches narratifs entrecoupés par quelques scènes fortes de véritable BD. Graphiquement, si la première moitié se hisse au niveau de précision de Dracula, tant dans les décors, les éléments décoratifs qui font le sel des planches de Georges Bess, on sent sur la fin que la charge de travail sur une telle pagination l’a poussé à l’économie, multipliant les fonds vides et certains décores à peine encrés. Le choix de textures de niveau de gris permet de densifier les cases et le jeu de lumières dans une Cité qui est un personnage à part entière de l’histoire.
Le rendu global est une lecture très plaisante, immersive qui prend une partie du talent de Victor Hugo embelli par un graphisme de haut niveau et quelques sublimes pages. La grosse pagination augmente le risque de dessins inégaux mais on ne pourra constater que l’auteur maintient une générosité générale et une passion pour ce texte évidentes. Une excellente occasion de lire ou relire ce chef d’œuvre du patrimoine littéraire français et d’ajouter un nouveau joyau à la collection d’adaptations de Georges Bess. En attendant avec impatience de connaître le prochain choix qu’il nous livrera…
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Depuis la passage à la périodicité biennale au changement de scénariste les éditions Dupuis semblent vouloir multiplier les recettes de leur poule aux œufs d’or puisque outre un troisième film (basé sur le diptyque Le prix de l’argent/La Loi du Dollar), ce sont trois éditions qui sont parues en fin d’année et s’accompagnent de pub pour des tirages luxe de Philippe Franck…
Le vingt-troisième tome avait paru comme un miracle pour Largo, un rafraichissement inattendu et l’illustration d’une maturité pour le nouveau couple créatif. Laissant Largo dans de beaux draps à 100 km de la Terre il faut reconnaître que le cliffhanger de ce double album n’aura pas fait l’effet escompté puisque défloré en introduction du premier volume il tombe d’autant plus à plat qu’Eric Giacometti tombe dans la facilité en se débarrassant totalement de toute recherche de complexité pour laisser les clefs à son (brillant) dessinateur pour résoudre le problème du héros. On ne va pas bouder son plaisir mais cette ouverture explosive (déjà vue au cinéma avouons-le) illustre l’ensemble d’un album qui va tutoyer les sommets de l’action en sa calant dans un scénario de blockbuster hollywoodien. On pourra trouver pire mais pour une série de cette qualité et après les efforts tortueux de l’ouverture on a le sentiment que le scénariste a encore du mal à gérer le format 2X46 pages.
Chacun place le curseur d’exigence où il veut sur les séries royales ; personnellement j’assume une tendresse mais j’attends le meilleur. Surtout, le comparatif avec les scripts de Van Hamme ne cesseront de se manifester. On savoure alors cet album comme un des tout meilleurs de l’ensemble de la série sur le plan de l’action, les auteurs enchaînant les séquences franchement impressionnantes! D’autant que les deux années de travail pour Franck ne semblent pas se passer à la piscine tant la qualité graphique et colorimétrique des planches brise les rétines, jusqu’à frôler le photoréalisme par moments, à se demander si le dessinateur ne travaille pas essentiellement sur photo retouchées. On alterne d’une chute libre depuis l’espace (moins ridicule que celle d’un certain Chevalier Noir…) avant de tutoyer Rambo dans les sublimes décors du Yosemite pour finir en baston d’hélicoptère après une fusillade choc. On aura rarement autant retenu son souffle sur les planches du milliardaire en blue-jeans! Mais ces plaisirs primaires ont une conséquence: outre une méchante absolument pas mystérieuse, le scénario expédie tous les tiroirs ouverts en une case en forçant un peu trop sur la pédale. Il en résulte un gros gâchis scénaristique, d’autant que le précédent diptyque avait fait de gros efforts pour ouvrir le background. Il restera au crédit de ce Centile d’or décevant toujours plus de personnages savoureux, des perspectives politiques intéressantes pour Largo et son groupe et donc un plaisir actionner indéniable. Je dirais donc la coupe de champagne à moitié pleine…
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La Chute de la Maison Usher est une des nouvelles les plus célèbres de l’immense Edgar Poe, qui a inspiré nombre d’œuvres musicales, cinématographiques ou BD. Netflix vient de diffuser la première saison d’une variation audiovisuelle et au moins trois autres adaptations BD sont déjà parues avant cette originale version de Jean Dufaux.
L’originalité de ce one-shot est d’élargir librement l’histoire du personnage principal en imaginant une classique fuite devant un créancier violent. Le surgissement surnaturel d’un fiacre semblant sorti des Enfers permet à Damon Price, cousin du riche Rodrick Usher (son ami d’enfance dans la novelle) d’échapper à un assassinat et de découvrir la fameuse maison qui donne son titre au récit et fait office de personnages à part entière. Cet ajout permet d’installer une atmosphère vénéneuse et de caractériser cet antihéros qui abuse de l’amour d’une belle prostituée et de multiplier les antagonistes redoutables de violence avant de confronter le personnage à la maison et son propriétaire. Dufaux fait également œuvre de facétie en insérant Edgar Poe dans le récit avec une mise en Abîme intellectuellement très attrayante où l’auteur raconte au personnage son propre récit…
Les planches de Jaume Calderon (qui spécialisait jusqu’ici sa redoutable technique sur des récits historiques) nous plongent immédiatement dans une ambiance que ne renierait pas Tim Burton, où les grandes cités de la côte Est ne sont encore que des bourgades aux maisons de bois et aux ruelles tortueuses et où les brumes de la campagne n’attendent plus que de laisser émerger esprits et non-morts… La violence du récit de Jean Dufaux est sèche et le scénariste ne laisse que peu de possibilité de compassion pour son personnage qui va se retrouver (un peu facilement) dans les griffes d’Usher. S’agissant d’un conte noir le lecteur n’attend pas tant de la vraisemblance que de l’immersion et en la matière le projet est tout à fait réussi. Ainsi lorsque le maître des lieux nous conte le destin tragique de sa sœur entre chandeliers gothiques et qu’il promène son invité dans les marais environnants on n’est guère surpris de voir surgir des forces surnaturelles aussi normales à cet emplacement que le cocher aveugle qui a sauvé Price ou la maison dont les portraits semblent vivants. Dans ce type de récit le personnage n’est qu’un focus à une narration linéaire. Pour une adaptation d’un classique on peut dire que les auteurs réussissent à nous surprendre, ce qui était une gageure.
Avec des planches somptueuses, un texte inspiré et une action qui évite de limiter le projet à de la seule horreur gothique, Dufaux et Calderon nous proposent avec ce one-shot une élégante proposition fantastique qui sait enrichir le matériau d’origine et, cerise sur le gâteau, permet de lire le texte de Poe présent en fin d’album et lui comparer l’adaptation. On a trouvé pire comme découverte d’un texte célèbre.
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Depuis trois albums le duo Eacersall/Scala nous ravit par des histoires particulièrement immersives et cinématographiques dans le monde de la police dont est issu le second. Une sorte de pendant BD d’Olivier Marchal au cinéma et contrairement à celui-ci nos deux scénaristes ont l’intelligence de varier les sujets puisque après les indic dans GoSt111 et la police criminelle dans Cristal17 nous voilà transporté dans l’univers des « nourrices », ces habitants des Quartiers qui gardent discrètement les cargaisons de drogue, d’armes ou d’argent pour le compte des dealers.
Avec une mise en scène sèche comportant peu de dialogues mais redoutablement efficaces pour faire monter la tension par de simplex cadrages, ils happent le lecteur qui peut être dubitatif eu commencement de la lecture avec le risque de déjà vu. Intelligemment ils font changer le regard sur cette femme qui semble pas bien maline en tombant dans les pièges insolubles de la banlieue (mariage africain imposé, mari évaporé, incapacité à gérer l’argent, heures passées devant des imbécilités TV,…) avant de nous montrer qu’avec ses moyens et sa détermination elle tentera de renverser la double mâchoire de son contact dans la police et de du caïd par qui tout a commencé. Comme dans tout récit social les auteurs nous parlent bien sur de la réalité de ces quartiers hors de la République (le truand rappelle fort à propos « ici la loi c’est moi ») où les paliers des barres d’immeubles font se croiser islamistes oppresseurs de compagnes, dealers, vieillards miséreux et femmes seules avec enfants. En tissant des liens entre les personnages, le scénario permet de parler aussi d’entraide et d’une forme de liberté qui ne dépend pas du niveau scolaire mais bien de la force de caractère.
Réalistes, crédibles dans sa froide description d’un quotidien bien loin de nous, Eacersall et Scala parviennent à l’équilibre entre récit policier plein de tension et de suspens au travers de regards perçants, et description anthropologique de cet infra-monde où la police exploite les exploités et où la morale est bien moins exigeante au regard des difficultés matérielles. Les splendides dessins réalistes à l’aquarelle participent grandement à la qualité de l’album avec une maîtrise des éclairages saisissants et les limites inhérentes à cette technique (encrages très légers et manque de précision sur certaines scènes).
Avec son titre intrigant et sa couverture fort réussie, les trois auteurs réussissent avec A mourir entre les bras de ma nourrice un nouveau carton passionnant à lire, qui assume la dureté réaliste sans sombrer dans le misérabilisme.
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Troisième album en trois ans pour l’Anthologie grand format passionnée de Tiburce Oger qui se révèle à nos yeux de lecteur un grand expert de la Conquête de l’Ouest, s’efforçant de partager, parfois maladroitement, sa passion. Car une fois que l’on a savouré les magnifiques planches débordant de tout ce qui fait l’Ouest, dans le confort graphique de récits très courts, on ne peut que constater les limites de l’exercice de vouloir raconter une dizaine d’histoires en moins de dix pages chacune.
Après les pionniers et les Indiens voici venus les gunmen, ces fortes têtes venues au crime souvent par hasard, souvent par erreur, dans un univers où ce qui définissait la Loi fut souvent celle du plus fort/riche quand elle n’était pas tout bonnement inexistante. La variété des profiles décrits (souvent historiques) permet de ne pas s’ennuyer et le talent pur des illustrateurs suffira à tous les amoureux de poussière, de soleil et de saloons. Seule faute de gout, l’insertion du récit absurde d’un éléphant pendu, dessiné par un Nicolas Dumontheuil dont on se demande ce qu’il est venu faire là tant son style tranche avec le reste des partitions. Le plaisir de voir le trop rare Olivier Vatine de retour aux crayons contrebalancera cette incongruité.
La difficulté du format anthologique se confirme donc ici et l’auteur aurait été inspiré de reproduire le fil rouge des deux premiers tomes qui donnaient une fiction de liant entre ces histoires, ici totalement découplées. La désormais habituelle ouverture et clôture de l’album par Paul Gastine (dont ont attend en trépignant le nouveau western cette année…) si lumineuses soient-elles, ne suffisent pas à donner un squelette à cet enchevêtrement qui reste réservé aux passionnés de westerns.
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Album après album Teresa Radice et Stefano Turconi enfilent les chefs d’œuvres comme les perles sur un collier. Avec la même aisance mais sans jamais tomber dans la facilité, la redite ou la formule. Après la trilogie Violette autour du monde qui les a révélé en France et un passage par la jeunesse entre deux albums de leur univers de l’encensé Port des marins perdus, ils proposaient ce monstrueux Amour minuscule. Un projet gargantuesque dont le seul défaut sera la taille et la structure qui se rapproche plus d’un roman illustré que d’une BD. Entendons-nous bien: Amour minuscule est bien une BD, brillamment montée et mise en scène, magnifiquement illustrée par la technique impériale de Stefano Turconi. Seulement la verve de Teresa Radice, l’intimité du propos, la quantité de textes, rendent la lecture exigeante, demandant plusieurs sessions de lecture concentrée.
Construit en dix Livres illustrés par une calligraphie arabe et une citation, l’album pourrait presque faire penser par son ampleur et sa profondeur au monument Habibi. Débutant par la découverte de la grossesse et par l’enlèvement d’Ismaïl, le récit est ensuite agencé en une structure complexe passant par la jeunesse d’une mère terriblement absente, la rencontre entre les deux amants mais surtout celle du lieu central qui donna naissance à ce projet, le monastère Deir Mar Moussa al-Habachi qui vit à l’orée des années 2000 une communauté œcuménique y recréer un lieu de vie spirituelle sous la houlette du père Dall’Oglio. Comme le dit Teresa Radice en post-face, les histoires sont toujours un mélange de réalité et d’imaginaire qu’il n’est pas nécessaire de vouloir détricoter.
La trame double enchevêtre l’odyssée d’Ismaïl, qui permet d’aborder le drame des migrations et du cimetière méditerranéen depuis le Printemps arabe de 2011, avec l’itinéraire plus personnel d’Iris, entre sa grossesse seule, sa mère absente, son absence de racines et son amour disparu. La quantité de réflexions, tantôt pleinement philosophiques, tantôt humanistes sidère et demande une digestion lente. L’intelligence des propos, la finesse des textes répondent aux superbes pastelles d’un Stefano Turconi qui transpire le calme et la beauté intérieure.
Sur des sujets foncièrement durs on ne tombe jamais dans le pathos, même lors des passages les plus crus avec les migrants clandestins et une vraie émotion nous presse concernant ce destin tragique tant l’immersion émotionnelle est tissée.
En parvenant à allier les drames géopolitiques, les questionnements philosophiques sur la relation entre homme et divin et l’itinéraire psychologique d’une jeune femme enceinte à la recherche de ses racines familiales, le couple d’auteurs réussit un sacré tour de force qui semble réalisé avec une spontanéité déconcertante. Pas le plus facile de leurs albums mais peut-être le plus profond, Amour minuscule est un nouvelle illustration que Radice et Turconi sont le couple artistique le plus constant et le plus intéressant du moment.
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Il y a quatre ans le chevronné Merwan Chabane nous scotchait avec un délirant one-shot post-apo entièrement axé autour de l’absurde et de sa technique graphique prodigieuse. Sans prévenir il débarque avec cette suite immédiate, plus courte… et bien plus bancale malheureusement.
La première chose qui choque en reprenant le précédent volume c’est la force des couleurs directes, déjà remarquables sur l’album de 2019. On pourra trouver les planches trop chargées voir incertaines du fait de l’aquarelle mais chacun sera forcé de reconnaître l’incroyable précision des textures et des couleurs dans cet espère de cour de récré pour le grand Marwan! L’encrage très délicat laisse certains traits en crayonnés quand certains volumes exposent d’un noir profond, le tout permettant d’éviter un effet dilué de l’aquarelle en créant une progression des densités. Très fort. Surtout, les extraordinaires mise en scène et technique anatomique de l’auteur empêchent ses personnages de se noyer dans ces entrelacs de couleurs.
Jouant avec ses bonshommes dans le huis-clos d’une ancienne usine, Merwan fait mumuse avec des armes tout droit sorties d’un jeu vidéo comme Splatoon ou Portal qui crachent des rayons fluo du plus bel effet. L’action devient alors brillante de possibilités en renouant avec le dynamisme de la balle au prisonnier du premier tome… Malheureusement ces quelques idées magnifiques (une arme figeant les corps, l’autre désintégrant temporairement la matière… y compris les décors!) restent trop peu exploitées pour laisser la place au déroulé d’une intrigue qui part de trop loin pour nous intéresser. Inventant un passé à Aster (qui est ici loin d’avoir le statut de personnage central), Merwan complique pour rien la lecture qui n’aurait dû n’être que ludique, donnant un peu le sentiment que le copain Sanlaville lui a grillé la priorité en reprenant son concept sur le délirant Banana Sioule.
Disposant de tous les atouts dans sa manche, le dessinateur choisit pourtant de montrer un quasi thriller politique lançant factions de pirates contre forces de sécurité de la grande Nation. Ouvrant l’album sur une carte des territoires comme pour nous expliquer qu’il va cette fois développer son univers, Merwan oublie que l’on ne sait que bien peu de choses à son écosystème et que le premier volume tenait surtout comme mécanique sportive et compétitive. Abandonnant ici complètement le sport et ses interactions, Merwan a voulu recréer une situation de confinement où se développe une micro-société. Mais il en oublie du coup le concept de la série et on se demande pourquoi il n’est pas parti sur un tout autre album.
Changeant de braquet, d’essence et de route, Merwan perd un peu son lecteur en ne pouvant laisser libre-court à une fresque géopolitique du monde d’après dans le huis-clos de l’usine et en refusant de délirer complètement sur des acrobaties que le terrain de jeu permettait. Comme s’il était passé à côté de son sujet, parti sur une fausse bonne idée ou plutôt sur un malentendu, il laisse ce second tome inattendu comme un épisode bis oubliable. Fort dommage.
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Le projet mit du temps à accoucher. Écriture ciselée, recherchée, documentée, dessin d’orfèvre du dessinateur polonais, fabrication minutieuse, ce Dernier jour de HP Lovecraft a tout du projet fou et du cadeau de Noël pour tout amateur d’imaginaire fantastique. Car c’est bien un hommage magnifique que cet album, un hommage à celui qui inventa le fantastique moderne, à la suite de Edgard Poe et avant Stephen King et autres Alan Moore. Outre sa création d’un Mythe imaginaire cohérent, le confiné de Providence créa artistiquement la quasi-totalité des dessinateurs de BD fantastiques actuels, matrice esthétique et imaginaire indépassable.
L’album est néanmoins bien une BD très joliment narrée en forme de reprise de l’Enfer de Dante voyant des guides mener Lovecraft à travers sa propre histoire, rencontrant de vrais personnes (le magicien Houdini), ses créations (Nyarlathotep), sa femme ou ses successeurs. Alors que l’on s’attendait à une nouvelle immersion dans le Mythe de Cthulhu, c’est une quasi-biographie fantastique que nous propose Romuald Giulivo en mêlant fiction et réalité dans la cheminement d’un pauvre hère délirant sur son lit d’hôpital. On découvre ainsi la pauvre vie tragique d’un enfant soumis au contrôle aliénant de sa mère et incapable de s’en extraire toute sa vie durant. On rencontre sa femme avec qui il n’a vécu que quelques mois à New-York, sans doute dans une tentative de jeunesse de sauver son âme de la domination familiale. En vain. On nous parle d’Auguste Derleth, celui qui constitua à titre posthume le Mythe de Cthulhu proprement dit… Alternant lettres écrites d’une calligraphie très élégante (et qu’on imagine manuscrite de l’auteur ou de l’éditeur, chose rare) et accompagnement des planches d’une immense variété et créativité de Jakub Rebelka, la cohérence de l’ensemble est remarquable.
Ce n’est pas faire injure à la très grande qualité du projet et des textes de Romuald Giulivo que de rappeler que l’intérêt majeur de cet album reste le travail impressionnant du dessinateur polonais. Sachant être figuratif ou onirique quand il faut, celui que j’avais beaucoup apprécié sur La cité des chiens, prend une ampleur encore plus importante par l’apport de la couleur. Ce que l’on perd dans le travail d’encrage on le gagne dans les formes organiques et les textures. Rebelka semble né pour illustrer Lovecraft et comme pour tous les grands auteurs on lui accorde volontiers le temps nécessaire entre deux créations.
Enfin, 404 comics constitue album après albums un sacré catalogue qui rivalise clairement avec les grands éditeurs par un choix qualitatif tant dans l’artistique que dans la fabrication de livres d’orfèvrerie. Heureusement nous serons gâtés dès l’an prochain avec un Judas qui s’annonce somptueux!
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Cela fait des éons que l’on n’a pas eu le loisir d’apprécier le boss d’Image comics aux dessins sur un album complet et je dois avouer que les récentes résurrection d’un Frank Miller par exemple ne m’incitaient pas à une grande confiance… Le créateur de Darkness et des mythiques éditions Top Cow a un style très marqué, proche d’un Jim Lee avec une vraie qualité de crayonné bien que parfois daté. Très bavard, Silvestri nous relate en préface l’origine du projet dans un texte assez narcissique qui montre qu’il n’y a pas que son dessin qui est vissé aux années 90.
Soyons beaux-joueurs, malgré des lacunes techniques qui éclatent autant que celles de grands ancêtres de la Franco-belge au regard des cadors actuels de l’industrie comics, l’album est visuellement très agréable, pour peu que l’on admette une plongée absolument nihiliste dans une Gotham proche des cimetières de Tim Burton. On ne pourra pas parler de faute de gout même si l’univers du créateur du Darnkess prend clairement le dessus sur celui du Chevalier Noir. Et c’est ce qui surprend le plus dans cet album qui semble finalement bien peu « batman style ». Ce n’est pas la première fois qu’un auteur majeur s’émancipe du carcan traditionnel du Bat-Univers, mais ce Deadly Duo laisse l’étrange gout en bouche d’un album de Marc Silvestri habillé de la cape de Batman.
Ce n’est pas l’intrigue proprement dite qui est en cause, artifice en forme de buddy-movie tout droit issu de Die Hard 3 où un mystérieux maître chanteur donne des missions impossible au plus improbable des duo. Cela permet de beaux morceaux de bravoure et surtout au dessinateur de se permettre une très inhabituelle violence cadavérique dans l’univers de Batman. Le problème vient surtout de la fausse bonne idée que la décence m’interdira de qualifier d’aberrante. Un autre que le grand éditeur aurait-il été laissé aux commandes d’un projet qui va a l’encontre de tout ce qui fait l’essence de Batman? Rien n’est moins sur. Comme s’il savait qu’il était scénaristiquement impossible de rendre cohérente cette collaboration entre Batman et le Joker, Silvestri balance d’ailleurs son excuse en quelques cases plus que légères, histoire de rapidement lancer son train.
Car une fois lancé, le rythme est rapide, plusieurs séquences sont très amusantes dès qu’il s’agit pour le Joker de balancer des punchlines absurdes qui fonctionnent très bien en décalage avec le sérieux impénétrable et ennuyeux du Dark Knight. Ainsi l’écriture de cet album Black Label est tout à fait correcte, de même qu’un dessin très organique voulu comme crayonné, primal, pour exprimer les racines noueuses d’une Gotham que l’on n’a jamais fini de découvrir. Mais sans doute trop porté sur un cadre de cinéma hollywoodien, l’auteur oublie qu’il est dans une BD avec ses contraintes et s’oublie progressivement dans des intrigues cachées un peu éculées jusqu’au grand-guignol final où l’univers souterrain justifie une pauvreté graphique triste à voir.
Démarrant plutôt bien, ce Deadly Duo progresse entre quelques séquences fun vers une conclusion brouillonne qui s’étire en longueur et fait craindre une envie de Silvestri-verse qui prolongerait plus que de raison ce qui devait n’être qu’une belle proposition.
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Cette série qui s’achève aura été bien compliquée et il faut d’abord rendre honneur au formidable artiste qui se confie dans une longue préface intime qui revient sur un projet de vingt ans. Sur ce dernier tome on peut dire qu’il dévoile enfin et assez largement les tenants et aboutissants de cette intrigue sur le transhumanisme inspirée notamment par la prélogie de Dune montée laborieusement par le fils Herbert. Comme tome de conclusion on peut doc dire que la structure narrative est carrée: l’identité du héros enfin révélée, il rejoint une communauté de résistance humaine avant l’assaut final du grand Titan entraperçu dans les précédents tomes. Pendant ce temps les hommes de la vallée confrontent le clan de Sylvio pour déterminer si l’oppression dit se poursuivre ou s’il est temps de réunir les humains…
Le premier effet (partiellement compensé par les révélations sur l’intrigue initiale) est une petite chute de tension après la conclusion intense du tome trois. De même que l’auteur n’aura jamais su relier les puissantes visions SF de combats entre les sages moines-guerriers et les IA et la trame du héros, on retrouve ici cette juxtaposition de deux intrigues jamais reliées qui essoufflent la tension avec un sentiment de frustration lorsque ce héros aussi froid que sa peau affronte son créateur sans que l’on puisse vraiment ressentir d’émotion. Autant la dureté de la trame des deux clans humains est très réussie (avec un des plus détestables méchants vus dans les BD!) et nous touche, autant celle des IA nous laisse assez spectateurs et Jaouen Salaun ne semble pas lui-même savoir comment conclure cette bataille qu’il veut titanesque et qu’il noie sous un ciel mal éclairé en affadissant ses planches.
Toujours incertaine, cette BD semble finalement souffrir d’un manque de définition de son objectif. L’idée de confronter une terre à la Mad Max et un futur hyper-technologique était bonne mais les morceaux n’ont pas vraiment su s’agencer. Ainsi cette communauté humaine créée autour du Dalaï lama permettait un focus héroïque que l’on n’aura vu que par bribes solitaires sur quelques séquences puissantes mais isolées. La bataille motorisée du tome trois semble arriver trop tôt avec une conclusion un peu décalée sur le suivant. Et la trame des IA arrive fort tard, trop pour réellement permettre l’ampleur souhaitée. Le tout trouve alors une asymétrie qui étouffe la création d’un véritable organisme créatif.
Comme vu depuis le premier tome, on sent l’implication, une quantité de travail phénoménale de l’auteur et l’envie de bien faire. Série bipolaire, Elecboy est très réussi dans sa partie personnages, moins dans sa partie SF. Passant près d’un statut de série majeure, elle mérite néanmoins votre intérêt, ne serait-ce que pour les planches somptueuses de bout en bout et pour les idées lancées ça et là. Inabouti mais terriblement généreux.
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Comme album solo Cristal rouge est franchement réussi dans son aspect révélations, trahisons et combat final. Ce n’est pas suffisant pour corriger les lacunes précédentes mais l’univers et les personnages installés permettront de bien belles choses pour la suite. [...]
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Après un petit retard à l’allumage, la série SF de Tarquin s’est très joliment conclue l’an dernier par un gros album très dramatique et épique comme il faut, de quoi redonner une envie de space-cowboys. Et voilà que nous tombe ce volume totalement déstabilisant. Quel est le projet du couple Tarquin concernant la série? Alors que la conclusion de la trilogie laissait entendre des aventures de pirates de l’espace avec un nouvel équipage constitué autour de Mony, voilà t’y pas qu’on nous envoie nous crasher sur une planète neigeuse, l’héroïne ayant tout juste accouché (ah bon elle était enceinte?) et embarquée dans une quête pour récupérer son nouveau né. Quelle ellipse galactique! Aucun lien n’est tissé avec les évènements précédents et l’impression d’avoir raté plusieurs tomes reste tenace. En outre si le style Tarquin reste agréable, l’intrigue est tout de même fort court, même pour un western spatial et on termine l’album comme on l’a commencé, stoïque, ne comprenant pas ce qu’on vient de lire et où nous emmène le dessinateur. Le potentiel est clairement présent et les dialogues sont toujours aussi savoureux en mode desperados. J’ai lu que le projet d’Albator de Tarquin était avorté et qu’il aurait pu donner naissance à cet album, qui s’avère assez Frankenstein. L’auteur n’a jamais eu de problème avec l’aspect commercial de certaines parutions et j’espère sincèrement qu’il a de vrais projets pour la suite de sa série car avec tout l’amour du monde pour le spaceop ses plus fidèles lecteurs risquent de finir par se lasser…
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Après l’excellente ouverture de la série par le duo classique Gerads/King, voilà le retour de Matteo Scalera sur un one-shot consacré aux méchants de Batman après l’excellent Harley Quinn dans le cadre du MurphyVerse. Avant le Rhas al Ghul et les très alléchants Catwoman et Gueule d’argile, l’italien et son scénariste proposent ici une histoire finalement bien plus classique bien que centrée sur Mr. Freeze.
Disons-le tout net, c’est d’abord pour la partie graphique assez exceptionnelle que vous lirez cet album. Scalera est de plus en plus à l’aise avec l’univers de Batman et affine son style (entre Miller, Murphy et Sale) et fait beaucoup de bien à l’industrie comics en rappelant que certains artisans du dessin ont encore de belles choses à montrer. Aussi à l’aise dans les excellentes et nombreuses séquences d’action que dans les narratifs autour de Fries et Nora, Scalera est dans une alchimie totale avec l’immense coloriste Dave Stewart en proposant des encrages profonds qui siéent parfaitement à l’univers du chevalier noir, en alternance avec des aplats vifs qui rappellent le travail du même coloriste sur Catwoman à Rome de Sale et Loeb. L’ambiance est rétro et l’équipe s’engouffre dans le classicisme épique que l’on aime tant dans les albums de Batman.
Pour un format si court (qui fera encore râler les fans de comics en se rapprochant d’un tarif à la page de la BD franco-belge) et un concept fermé, je dois dire que j’ai été plutôt enjoué dans cette fausse origin-story où pour une fois Robin est à la manœuvre en tentant de démontrer à son mentor qu’en aidant les égarés on peut les ramener dans le droit chemin. Le duo s’efforce alors d’aider Freeze à ramener sa femme à la vie et d’éliminer par-là même le seul motif de ses actions criminelles. Il faut dire que Duggan et Scalera n’ont pas choisi le plis machiavélique des méchants pour leur version de One Bad Day.
Ainsi la lecture alterne entre la vie passée de Nora et Victor Fries, avec qui le scénario n’est pas tendre en le montrant comme un égocentrique jaloux, et les confrontations des héros avec leur adversaire alors que le froid de Noël s’abat sur Gotham, permettant de superbes décors enneigés. On ressort de cette lecture tout à fait conquis par une fort belle BD qui contient ce qu’on aime dans Batman sans les constructions cryptiques auxquelles se croient obligés de s’adonner les habituels scénaristes de la saga. Une histoire simple, un album simple et des planches où le plaisir communicatif de l’artiste suffit à nous enchanter.
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Il me tardait de voir le duo Brugeas-Toulhoat revenir à des BD modernes et SF qu’ils avaient abandonné après le psychodrame de l’inachevé Chaos Team. Depuis dix ans ils parcourent l’Histoire avec une nette prédominance pour les chroniques médiévales et une productivité qui en fait un des duos les plus riches et prolifiques du circuit. Associé depuis peu à un coloriste qui agrémente avantageusement la redoutable technique du dessinateur, Ronan Toulhoat continue de nous régaler malgré ses tics graphiques qui peuvent agacer mais une générosité sans faille et un amour de la BD évident.
Le genre série B promu par la boite à Vatine est souvent une bouffée d’oxygène décomplexée, au risque de se transformer en machine à belles images. Avec un scénariste solide comme Vincent Brugeas on pouvait être rassuré. Malheureusement cette ouverture a tout de la fausse bonne idée qui tombe dans le gros bordel annoncé en post-face: peut-on faire une BD en mettant sur un gros bac à sable un viking équipé d’un walkman, un astronaute naïf, et des guerriers de toutes époques? A la lecture de ce tome la réponse est non. Ou du moins pas avant d’avoir réfléchi à une histoire, ici totalement absente… Pour faire clair, Bomb X se contente de nous montrer la découverte d’un nouvel univers par un personnage naïf totalement insignifiant et prétexte à des actes de bravoure verbale ou musclée de l’inévitable viking que l’on trouve dans tout album de Toulhoat. Le design est sympa, les décors post-apo impactants, la technique graphique de grande classe… mais cela ne fait toujours pas une histoire. On a bien quelques débats scientifico-probabilistes sur le pourquoi et le comment mais l’album manque de toute structure, à commencer par une adversité créée ex-nihilo sans que l’on comprenne bien pourquoi, et l’on referme l’album les yeux certes enjoués mais avec le sentiment d’avoir assisté à une sécession de séquences d’action découplées et un à quoi bon bien frustrant. Le cliffhanger conclusif est certes efficace mais lui aussi envoyé comme une taloche sans coup férir.
Une récréation ne justifie pas d’oublier son histoire et hormis un très gros sursaut dès l’ouverture du prochain tome j’ai bien peur que ce Bomb X ne tombe très rapidement dans les bacs d’occasion des grossistes BD. Dommage.
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Après une première très étonnante série il y a maintenant dix ans, les deux auteurs de Lord Gravestone reviennent pour une nouvelle trilogie, moins originale que la Renaissance uchronique d’Horacio d’Alba puisqu’on nous propose une pure et simple aventure de chasse au vampire dans l’Angleterre gothiquissime du XIX° siècle. Ce qui marque immédiatement ce sont les planches d’une noirceur profonde et qui restent très lisibles malgré la quantité de noir qui occupe le champ. Durant ces années à produire de superbes couvertures peintes Nicolas Siner a probablement rongé son frein de ne pouvoir lâcher ses encrages, toujours aussi proches de Dimitri Armand et en sacré progrès depuis sa première série. Les quelques défauts techniques aperçus jadis n’ont plus lieu et on bascule dans le grand spectacle luxueux pour qui aime les arbres noueux, les chandeliers baveux et le souffle glacial des manoirs en ruine.
Si l’intrigue vampirique vue mille fois inquiète légèrement sur les premières pages, on constate rapidement que Jérôme Le Gris sait construire sa narration et apporter une touche qui donne envie de continuer. Si le passé dramatique de ce jeune héritier d’une lignée d’inquisiteurs fait cliché, si son caractère en fait plus une victime qu’un héros lors de ce premier volume, l’histoire qui nous est contée, cette romance dramatique entre un vampire et une belle bourgeoise, nous prend pourtant dans ses filets sans difficultés. Avec ses personnages archétypaux le scénariste développe son univers par un background évoqué suffisamment pour titiller notre curiosité et aller au-delà de la seule action et des poses graphiques des vampires et chevaliers.
Dans un très grand classicisme (et malgré une couverture étrange de banalité pour un artiste d’un tel talent), ce premier tome de la trilogie Lord Gravestone montre comme tout bon album de série B que ce n’est pas toujours le fond qui détermine la qualité mais parfois l’habillage, la mécanique. Les deux auteurs dotés d’une très solides maîtrise proposent donc un fort agréable album dont la suite mériterait un peu de prise de risque pour se hisser au niveau des toutes meilleures BD.
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En éditant le débutant Olivier Lubrano di Ciccone (LDC), Clair de Lune fait mouche et propose un plus qu’honnête récit de SF qui concurrence avantageusement les plus grandes saga de Delcourt-Soleil.
Ce qui claque dès la première planche c’est la qualité des dessins et la précision technique de l’auteur. Dans un style entre Bedouel, Araujo et Darrow, on est clairement dans le haut niveau dans le trait comme dans la mise en couleur, appuyé sur une mise en scène ultra-cinématographique qui nous place dans d’excellentes dispositions. Mais l’on sait malheureusement que nombre de BD fort jolies s’effondrent assez vite dans les méandres de scénarii tarabiscotés. « LDC » évite cet écueil en ne cherchant pas la complexité narrative et en assumant une linéarité totalement pédagogique qui sait s’appuyer sur des dialogues qui évitent également la platitude. Soyons clair: on est dans de la grosse série B avec un héros badass et des personnages absolument archétypaux. On est venu pour des gros engins SF, de la baston trash, des bons mots et des grosses pétoires. [...]
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Voilà le duo impérial Duval/Cassegrain qui nous emmènent à la Réunion quatre ans après leur magnifique adaptation des Nymphéas noirs de Michel Bussi et un intermède récréatif du dessinateur chez ses potes du ComixBuro sur Sa majesté des Ours. On ne change pas une équipe qui gagne et pour ne pas vous laisser dans l’attente plus longtemps, oui ce nouvel album est tout aussi réussi que le précédent… si vous aimez les polar.
Car comme souvent dans le genre, après de longues pages de manipulation visuelle et mentale (où l’on voit l’apport indéniable du format BD) on reste un peu frustré par une chute toujours critiquable: trop de deus ex machina par-ci, trop précipité par-là, « je le savais » à droite, « trop policé » à gauche. Bref, une fois admis les limites du genre, avez-vous envie d’y plonger? Parce qu’avec un équipage aussi rodé et talentueux, vous voilà embarqué dans un décors à la fois familier et dépaysant, dans une intrigue machiavélique qui avance au rythme langoureux des tropiques. Jouant de l’image et du cadrage pour tromper et influencer le lecteur, les auteurs nous laissent témoins de la fuite du très froid Martial dont la fille est de plus en plus convaincu qu’il a tué maman. Trop facile, trop évident, pourquoi nous fait-on suivre de si près un assassin? Pourtant les faits sont là comme l’observent la capitaine et son fort sympathique collègue par qui on s’immerge dans la vie locale de cette pas-tout-à-fait-France. Un peu d’anthropologie de la fonction publique par-ci, un peu de tourisme nature par-là, on est si transporté qu’on imagine régulièrement quels acteurs pourraient jouer ces personnages forts et les splendides panoramas de l’ile.
Graphiquement on ne sera pas surpris, le style Cassegrain, toujours artisanal, évolue peu. On pourra noter des couleurs plus plates que sur les Nympéas mais cela colle à la lumière locale et pour le coup je rangerais mes reproches habituels sur une vivacité colorimétrique écrasée. L’artiste est en tout cas toujours aussi à l’aise dans la mise en scène, les décors sont superbes et l’on se surprend à enchaîner les très nombreux dialogues où la plume si facile de Fred Duval compense les limites physionomiques de son compère.
On achève ce one-shot conquis, avec une petite envie de sauter dans un avion pour l’océan indien, et prêt à relire pour recoller le puzzle, en attendant le prochain opus.
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Cet album respire la passion des débutants chargés de références ciné et de pop-culture américaine. Cet univers parallèle issu des séries télé et d’une Amérique fantasmée où l’on croise des sérial-killer mythiques, des agents fédéraux iconiques et où le fantastique s’immisce sans explication comme dans un bon John Carpenter. Sous des dessins caricaturaux proches du trait d’un Jorge Corona, les auteurs s’éclatent de ce road movie improbable, de cet anti-héros en recherche de rédemption familiale épaulé par un duo tordant d’acteurs porno débiles et héroïques. Dans un monde où la folie se mélange à la réalité, que ce soit sous acide ou pas, on adore se faire balloter tout en rythme dans cet hommage rétro d’un remarquable équilibre et peuplé de redoutables personnages secondaires qui font un peu oublié la passivité du personnage principal. Un excellent délire pulp et pop décomplexé et un sacré coup pour un premier album.
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La conclusion des aventures de l’agent Sac-à-merde montrent que la structure ternaire était tout à fait voulue dès l’origine par Remender et que c’est plutot l’alternance des dessinateurs qui a brouillé l’esprit du projet et brisant sa cohérence. Bonne nouvelle, Roland Boschi revient avec son coloriste sur la totalité des planches et s’il n’est pas le plus impressionnant de l’escouade de Rick Remender il propose, notamment sur les séquences années 50, une atmosphère ravissante et un excellent travail.
Jouissant des mêmes qualités et défauts que les deux précédents, ce volume a l’avantage d’agir comme conclusion et de simplifier l’intrigue en forme de course poursuite sur l’essentiel de l’album. Si le scénariste ne s’encombre pas de vraisemblance et de facilités, il assume une réflexion basique mais musclée sur l’état de son pays où la guerre civile semble plus proche que jamais entre deux sociétés (pour caricaturer les écolo-iel californiens face aux néo-facho du middle-west). Utilisant la science-fiction avec ce qu’elle permet, Remender ne s’encombre pas trop de complexité mais on ne peut s’empêcher de tiquer encore une fois lorsque Sac à merde se met à professer une morale humaniste à ses adversaires. Hésitant depuis le début à assumer totalement l’esprit trash de son anti-héros, Remender se retrouve ainsi toujours un peu encombré entre le besoin de happy-end et une idée de départ complètement barrée.
Comme dit précédemment, Rick Remender a un immense talent et se laisse parfois aller sur des projets récréatifs. Il est assez dommage qu’il n’ait pas su condenser ce projet plus intéressant politiquement qu’il n’y paraît en travaillant plus le mélange entre le vernis et le fond. Concluant sa trilogie de la meilleure des manières (et avec une étonnante dramaturgie), il nous aura tout de même offert de belles rigolades et des saillies punk dont il a le secret mais sans parvenir à se positionner tout à fait entre la farce et la critique politique des Etats-Unis. Un Remender moyen restant toujours un bon album, la trilogue Scumbag reste tout à fait honnête dans la production des comics indé.
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On ne compte plus les tentatives d’adaptation et de poursuite fantasmée de l’ouvre de Jules Verne qui impulsa chez nombre d’auteurs l’envie de raconter (et dessiner) des histoires. Si la plus réussie des mises en image du Nautilus et de son célèbre capitaine revient sans aucun doute à Richard Fleischer sur son film de 1954, un récent projet tombé à l’eau a attisé des envies chez nombres d’auteurs de BD… Le film de Christophe Gans sur lequel a travaillé le chef de file d’une génération d’artistes, Mathieu Lauffray, a créé une immense frustration et remis une pièce dans la machine à idée… on ne va pas s’en plaindre! Et après bien peu de projets aboutis, l’auteur de l’excellent Blue note et le débutant Guenaël Grabowski (lancé par Thimothée Montaigne… coloriste lui-même de Lauffray sur Long John Silver) nous offre sur ce premier tome un espoir au souffle d’aventure et de magie que l’on n’attendait plus!
La grande idée de Mariolle est d’avoir principalement prolongé un roman méconnu de l’auteur du Livre de la Jungle, auquel il a interfacé une suite de l’île mystérieuse. Ainsi il évite les attendus et une familiarité en nous maintenant tout le long de l’album un certain mystère tant sur le personnage de Némo que sur le héros lui-même, découvert en pleine opération. Hormis ceux qui auront lu le livre de Kipling, les lecteurs découvriront ainsi progressivement au fil d’échanges avec ses interlocuteurs (et chasseurs!) qui est ce personnage aux airs d’Indiana Jones mâtiné de Corto Maltese. Si l’introduction est un peu brutale et déstabilisante, cette longue chasse dans les superbes paysages indiens puis le blanc de Russie nous happe comme un grand film d’aventure en cochant tout ce que l’on aime: une cheffe de la police qui a un contentieux ancien avec Kim (que l’on ne nous révèle pas encore), une prison monumentale et poisseuse aux fins-fonds de l’empire russe, des trains indiens sur des itinéraires vertigineux, un fils à retrouver et un mystérieux prisonnier… Le vent de Dumas et de tous les romans d’aventure de l’âge classique soufflent sur cet album qui revêt quelques petites fautes graphiques mais sait nous emporter dans ses cadrages et ses encrages de grande qualité. Sachant maintenir beaucoup de mystère en révélant juste ce qu’il faut pour nous titiller, le scénariste pose une structure quasi-parfaite sur son histoire, se payant le luxe d’une grande variété de décors, d’ambiances et nous abandonne juste quand il faut: sur la découverte du fantastique vaisseau…
Le théâtre des ombres est une entrée en matière quasi-parfaite qui laisse entrevoir une série magnifique avec toutes les clés en main, y compris un dessinateur débutant déjà fort doué et qui risque de progresser dans les années à venir!
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Le premier Nautilus avait été une des excellentes surprises du printemps. Seulement quelques mois plus tard Mariolle et Grabowski (pour sa première BD!) ne nous laissent pas moisir comme le capitaine Némo et dévoilent enfin le mythique Nautilus! Et quel design les enfants! Le cahier graphique final laisse à ce sujet quelques points de frustration tant le dessinateur s’est régalé à créer l’intérieur du célèbre vaisseau sous-marin, dont on ne voit finalement que quelques éléments mécaniques (peut-être pour le grand final?) mais dont la coque est remarquablement élégante. Si l’intrigue de ce second volume peut paraître plus linéaire et moins surprenante que l’ouverture (en se résumant à une chasse avec pour but de découvrir le traître à bord…) on profite néanmoins de belles joutes verbales entre le héros et le sombre capitaine, pas aussi flamboyant qu’attendu mais parfaitement construit psychologiquement. Moins surprenant que le premier volume, cette suite semble aussi légèrement moins solide graphiquement, avec des décors intérieurs et sous-marins qui n’aident pas forcément. On reste cependant dans de la BD de grande qualité, de la grande aventure que l’on aimerait voir plus souvent dans le neuvième art. Vite la conclusion!
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Quand on a promis beaucoup il est souvent compliqué de satisfaire le partenaire… Le premier tome de la trilogie m’avait conquis avec son esprit d’aventure et son grand spectacle qui jouait juste ce qu’il faut du mystère attendu du vaisseau mythique. S’il nous ravissait par un design presque parfait du Nautilus, le tome deux redescendait en revanche d’un cran dans l’originalité du scénario même si le suspens restait présent. Ce troisième et dernier volume continue sur la lancée du précédent en gardant une grande cohérence mais en confirmant que la petite magie de l’ouverture avait été perdue.
En miroir d’un dessin qui montre quelques lacunes un peu dérangeantes sur des cases techniques, le narratif est par moments un peu précipité, nous transportant dans des lieux connus sans vraiment nous les montrer (la base en Antarctique, l’Ile) et en générant de la frustration dans des batailles où hormis la stratégie des empires russe et britannique, l’immense supériorité du vaisseau de Némo ne laisse pas vraiment la place à une tension dramatique. Du coup on délaisse un peu le sous-marin (pourtant bien au cœur du déroulé qui consiste en une longue poursuite avec les sous-marins russes) pour les échanges entre les personnages. Sur ce plan le scénariste maitrise son sujet et l’on prend plaisir à suivre les manigances militaires et les coups tordus.
Heureusement conclu par une chute osée et très ouverte, ce tome laisse une drôle d’impression. Bien équipé en dialogues, en action, en drame, il manque pourtant quelque chose, sans doute un rêve de l’adaptation parfaite. En se permettant assez clairement une suite les auteurs se donnent une deuxième cartouche pour confirmer l’essai. Ils auront réussi à allumer une flamme dans nos petits cœurs d’enfants nostalgiques. A eux de la raviver dans quelques années.
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A ceux qui ont vécu la lecture du premier tome de cet ambitieux triptyque dans la frustration d'un récit touffu et par trop cryptique je les rassurerais sur le déroulé beaucoup plus linéaire de cette suite. Le mode d'expression de Sylvain Ferret n'est pas devenu soudainement accessible pour autant: comme expliqué précédemment son grand sens du cadrage cinématographique très créatif demande beaucoup d'interprétation au lecteur. La réduction du nombre de personnages (l'Opus I s'était terminé dans de belles effusions de sang...) et la concentration de la focale sur le duo central font pourtant beaucoup de bien et logiquement aident à s'immerger dans ce monde poisseux et désespéré.
Le worldbuilding et l'esthétique générale vaguement inspirés des design Wahammer 40K et des jeux vidéos convainquent parfaitement et frôlent parfois l'épique attendu. Les limites techniques pour une telle démesure empêchent des délires à la Ledroit qui demandent une grande lisibilité mais on ne peut que saluer le courage d'un si jeune auteur qui n'a pas attendu d'avoir dix ans de bouteille pour donner libre court à ses envies.
L'évolution du scénario intègre le très tendance concept de transhumanisme ainsi que les plus classiques camps d'esclaves dans un néoféodalisme vu précédemment. Si le premier tome était centré sur Billie, ce second développe plus largement le passé du très mystérieux et charismatique Tadeus qui apparaît plus clairement comme le personnage principal. A la fois surpuissant, sombre, dramatique, il a tous les attraits du héros de BD que l'on a envie de voir vaincre l'injustice!
Avec un final qui assume un gros cliffhanger en mode veillée de bataille, on a la promesse d'une montée en puissance qui, libérée des scories d'un démarrage un peu poussif par l'envie de trop bien faire a tout pour proposer une conclusion grandiose, pour peu que l'auteur ailles là où il est le meilleur: un montage dément pour des batailles épurées et rageuses. La sophistication des concepts SF ne nécessite pas de brouillages narratifs. Si l'Opus III pousse dans la direction du II on devrait avoir du très bon l'année prochaine...
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Sylvain ferret avait marqué les esprits sur sa première série des Métamorphoses 1858. Malgré des lacunes techniques (notamment anatomiques) et un usage appuyé du numérique, le dessinateur y démontrait une science du cadrage et une ambition très importante quand à la mise en forme de l’histoire. Très communiquant sur les réseaux sociaux, Ferret a commencé à diffuser assez tôt les premiers travaux de son projet solo dont la couverture et le design général de la maquette impressionne. Si ce n’est pas forcément la couverture de l’année on peut être surpris que ce projet n’ait pas vu le jour dans la collection Métamorphoses… bref.
De l’ambition il y en a dans ce premier tome de la trilogie Talion. Un peu trop peut-être… Alors que le dessinateur s’appuyait sur une comparse pour le scénario dans sa précédente série, on sent à la lecture de l’album qu’il est peut-être un peu tôt pour partir en solo tant la complexité de sa narration (renforcée par un amour des encadrés narratifs décalés de l’image, qui ne facilitent pas la compréhension de ce qui se passe) rend la lecture un peu ardue. On pourra comparer son profile à celui d’un Mathieu Bablet dont l’envie et la minutie compensent des projets très exigeants et difficiles d’accès.
On ne peut pourtant pas dire que le concept soit extraordinairement original. La cité d’en haut et la cité d’en bas, l’environnement pollué et la néoféodalité ont déjà été largement abordés en BD. La construction graphique est chirurgicale avec des décors impressionnants tout le long. Les cadrages j’en ai déjà parlé, c’est bien évidemment un des points forts de Sylvain Ferret… en même temps qu’un péché mignon pas très facilitant pour le lecteur. Les séquences d’action sont très bien menées et l’aspect organique toujours présent dans le corpus de l’auteur plaira à certains, moins à d’autres.
Talion est donc un projet très solidement construit, très beau à regarder, mais par trop cryptique dans le déroulé de son introduction. Défaut majeur des dessinateurs en solo, on peut espérer que l’auteur saura revenir à plus de simplicité dans sa narration pour la suite de son grand œuvre.
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Plein de mangaka ont publié de grandes séries sur leurs débuts, aussi il n’est pas totalement incongru de voir Yasuda construire un projet d’une grande ambition et d’une maîtrise très assurée pour sa première œuvre. Sans revenir sur les excellents dessins, à cheval entre le manga et la franco-belge (ou plutôt le style italien) et qui installent une atsmosphère de polar redoutable dans les ombres et lumières, ce tome marque une forme de pause permettant le développement après la grande violence et l’action du précédent.
Le meurtrier disparu, l’équipe de l’Institut de transfloraison semble éliminer ses querelles pour affronter les conséquences des évènements: mis au pas par les forces de police, ils vont devoir enquêter pour comprendre qui était cet enfant devenu sanctiflore animé, ce qui va les amener à explorer l’univers des transflorés qui restait en coulisses jusqu’ici. Étirant un peu les relations entre Toshiro et Yomiko, l’auteur installe une situation insurrectionnelle alors que les anti-transfloraison multiplient les manifestations et agressions contre les tenants du système. Pas vraiment d’intrigue politique mais une tension qui élargit la focale qui restait jusqu’ici un peu interne au héros et à l’Institut. Et c’est une excellente chose qui donne une respiration en nous faisant voir du pays et de nouveaux protagonistes en généralisant des problématiques plus complexes que ce que l’Etat veut bien montrer.
Franchement novateur, ce manga s’installe comme une valeur sure de SF sociale tirant sur le polar. Kasumi Yasuda semble avoir énormément de choses à dire et à montrer dans sa besace et il est fort probable que l’on ne soit qu’au début d’une grande saga tant les potentialités ouvertes par son hypothèse sont grandes. Une des séries majeures à suivre actuellement, mon petit doigt me dit que cette série restera marquante…
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Les bonnes impressions ressenties à la lecture du premier tome l’an dernier se confirment amplement sur cette suite qui ne perd pas de temps en palabres puisque la série est prévue en seulement trois tomes. Généreux, Michael Sanlaville propose ici un gros changement de modalité sans se prendre les pieds dans le tapis puisque tout le volume est centré sur la formation d’Helena et sa découverte d’autres très talentueux compétiteurs, dont cet étonnant Soni, gringalet aussi rapide qu’intelligent et qui lui dame le pion comme star de l’Ecole.
Entrant de plein pied dans la force Shonen qu’il voulait régaler, l’auteur n’oublie pas d’équilibrer son récit par de courtes incursions de la bande à Helena et les affres d’un amour impossible, quand il ne rappelle pas périodiquement le décidément très mystérieux paternel. Adoptant tous les codes du récit sportif mais en vernis BiggerthanLife, Sanlaville se fait plaisir et nous fait plaisir en parvenant à nous surprendre avec ce sport totalement barré où les super-pouvoirs ne sont jamais loin. Le rôle de l’émotion est joué par les copains de l’héroïne qui cartonnent en tronches de cartoon. La maîtrise des subtilités des niveaux de gris et des ombres est remarquable en donnant par moment une sacrée esthétique avec deux coups de crayons suggérés.
Pour ceux qui connaissent le travail de l’auteur lyonnais la technique de l’animation se reconnait à chaque instant avec ce sens du mouvement que génère une touffe de cheveu, une onde de choc ou un cadrage. Avec une économie de moyens, le dessinateur nous en met plein la vue dans ce blockbuster dont on attend la suite avec impatience. Un nouvel exemple que « manga » ou « BD » importent peu, les auteurs talentueux savent depuis longtemps briser les lignes et prendre ce qu’il y a de meilleur dans tous les genres pour proposer des albums populaires et redoutablement efficaces.
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Le Tueur à plus de vingt ans et dix que la première série est terminée, en trois cycles (soit douze tomes et trois intégrales). Lorsque les auteurs ont remis le couvert il y a trois ans pour une série-suite destinée à mettre l’assassin dans la main du pouvoir politique on pouvait légitimement se demander si c’était une bonne idée. Après une trilogie plutôt réussie sur un présidentiable machiavélique, nous voici parti sur un nouveau cycle de la nouvelle série (soit le cinquième cycle… vous suivez?).
Malheureusement, si la routine réflexive, les décors sans bulles et la facilité d’écriture de Matz nous placent désormais en terrain familier, on subit de même la lassitude d’une recette qui peine à se renouveler. Sur un tome introductif qui s’achève un peu nulle part on voit notre héros exécuter un nouveau contrat sans poser de questions alors qu’il assiste dans la vallée jouxtant son repaire à l’étrange manège de ce qui ressemble fort à un trafic de migrants… Résumé à deux personnages (le tueur et sa commanditaire), l’album nous laisse ainsi passif, presque déprimé, en ne voyant aucun réel soubresaut, aucune tension autre que de savoir quel outil le personnage va choisir pour exécuter sa tache. L’arrivée de deux enfants nous fait même craindre de tomber dans une sensiblerie décalée par rapport au ton du personnage depuis l’origine. Le passage aux Affaires d’Etat aurait permis justement de s’engouffrer dans les arcanes des opérations illégales des services de renseignement et politiser un peu la machine, au risque de briser le style de la série. C’était un risque que les auteurs ne semblent pas totalement avoir assumé. Dommage.
Alors que le grand David Fincher adapte la série cette année sur Netflix, on craint que les auteurs n’aient pas su s’arrêter sur un titre qui vend bien. Éternel sujet d’auteurs ayant du métier et sachant proposer une lecture agréable sur des séries infinies sans motif réel à réinventer leur concept, je crains que l’assassin-philosophe n’ait fini par devenir un Mème du neuvième art.
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Belle découverte que cet album qui s’intègre parfaitement dans une ligne éditoriale des éditions Grand Angle faite d’histoires intimes et de visions décalées de l’Histoire. Totalement étranger à la culture de l’opéra et à cet élitisme culturel germanique, j’ai pris grand plaisir à découvrir cet univers pour lequel l’auteur de L’étoile du Desert et le Scorpion s’est quelque peu émancipé de la véracité historique pour créer une histoire d’amour impossible qui illustre l’ouverture de la société à la modernité des années soixante en même temps qu’elle questionne la dénazification toute relative de l’Allemagne après 1945.
S’ouvrant sur une très dure séquence d’une marche de la mort (qui rappelle que ce volume conclut une trilogie des auteurs sur la période de la seconde Guerre mondiale), l’album nous laisse tout le long dans l’expectative de savoir si l’amour de l’héroïne et du créateur est sincère ou s’inscrit dans son plan de carrière pour intégrer le Saint des saints. Maitrisant parfaitement sons scénario, Desberg parvient à équilibrer les nombreux éléments qu’il veut mettre dans son histoire, sans nécessairement de lien entre eux. Il enrichit ainsi sa ligne proche du thriller de contexte historique et culturel. Si le lien avec la Shoah peur paraître un brin hors sujet, il permet néanmoins de rappeler la proximité permanente de la famille Wagner avec le nazisme. Il est ainsi remarquable de parvenir à complexifier un projet sans perdre sa lisibilité, sans vouloir choisir entre la romance, le drame historique et la reconstitution culturelle. Créant une galerie de personnages jamais manichéens, on remercie l’auteur pour la finesse de son traitement qui choisit de ne pas délivrer de condamnation facile.
Sous la ligne claire très moderne d’Emilio Van der Zuiden, l’album propose un découpage cinématographique où la maîtrise technique de l’artiste permet d’éviter justement des planches dont le dessin classique aurait pu trop correspondre au sujet poussiéreux. S’intégrant parfaitement dans l’idée d’un Wieland Wagner cherchant à moderniser la mise en scène du répertoire de Bayreuth le dessinateur croque une superbe blonde pulpeuse en osant des scènes sexy entre deux décors très tradi et sait percuter l’action par des cadrages dynamiques. Une sorte d’alliance parfaite entre la lisibilité de la ligne claire et la puissance du dessin moderne.
Très bien construit, documenté, cet Héritage Wagner est une réussite qui parviendra à toucher un grand public. Pari pour un sujet a priori orienté vers un public de niche, cet album montre qu’avec de l’exigence narrative on peut rendre intéressant toute thématique. De quoi donner envie de reprendre les deux autres albums de la trilogie, a priori construits comme des one-shot dédiés à la Shoah (Les Anges d’Auschwits), sur l’Occupation (Aimer pour deux) et cet après-guerre.
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Le désormais célèbre Black Label de DC qui réunit les grands noms des comics sur des formats one-shot hors continuité, avec une ambition de qualité et de création sur le modèle franco-belge, nait en 2018 sous les brumes de cet album de Batman et sur l’affaire du Bat-zizi. Poursuivant leur vision ultra-réaliste des héros DC après Luthor et l’excellent Joker, Azzarello et Bermejo ne marquent pas que des points avec ce volume presque carré que beaucoup de lecteurs accusent d’être par trop cryptique et ésotérique.
Pourtant il n’y a pas d’arnaque dans cette histoire relativement linéaire narrée par le héros de Hellblazer (retour aux sources pour les deux auteurs) puisque l’idée de confronter le plus rationnel des héros DC aux forces magiques n’est pas nouvelle et clairement annoncée. En outre le scénariste convoque des êtres relativement mainstream comme l’Enchantresse (vue dans le premier film Suicide Squad), la Créature du marais ou le démon Etrigan. Ce bestiaire permet ainsi de plonger par alternance dans la psyché du jeune Wayne en brouillant cauchemar et passé comme une sorte de multivers Batman.
Si les passages à Gotham se résument comme souvent à une chasse au fantôme alternant les baston, le grand intérêt de cet album réside dans les hypothèses concernant la fameuse nuit où les parents sont morts. Grace à ce brouillage général, on propose ainsi que l’Enchantresse ait été impliquée, ce qui expliquerait l’amnésie de Batman. Ou que Bruce ait été tué en même temps qu’eux, ce qui laisse penser que les aventures de Batman seraient un cauchemar. Ou que Thomas Wayne ais quitté sa femme… Autant de propositions plutôt nouvelles (Snyder avait tenté une telle hypothèse finalement foirée dans son Last Knight on earth), très sombres et assez alléchantes du point du vue du lecteur.
Graphiquement on pourra reprocher le traitement numérique aux textures floues de Bermejo mais il est incontestable que les planches sont superbes dans cette ambiance glauque et humide. Le style bien connu pourrait donner lieu à un film tant il s’éloigne grandement (et paradoxalement au regard du thème mystique) de tout aspect super-héroïque en collant. Souvent on soupçonne un retraitement de photos avant de se rappeler les immenses qualités de dessinateur de l’artiste, flagrantes sur certaines planches.
Au final ce Damned est une grande réussite à la lecture relativement facile et qui innove dans un Batverse si formaté. Un album dans la continuité de leur Joker et qui devrait atteindre également le statut de classique avec le temps.
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Tom Taylor sait y faire pour proposer de chouettes aventures qui se lisent facilement. Tout à sa recette (et sa commande…), le voilà dans un elseworld alléchant sur le papier mais assez trompeur dans son déroulement. Attiré par un tas de design steampunk le lecteur en sera pour sa faim puisque une fois le pitch lancé et l’efficace introduction déployée, on trouve les auteurs assez démunis en ne semblant pas trop savoir que faire de leur disruption. Hormis l’intéressante (et politique) idée qu’une apocalypse n’est pas forcément un enfer, Taylor tombe dans le piège d’un des méchants les plus surfaits de la galaxie marvel, Apocalypse et envoie un contexte où finalement l’absence d’électricité n’est quasiment pas traitée et pour cause: a part Iron man et le Shield, l’essentiel des héros n’ont que faire de cette panne géante. On se retrouve alors avec une sorte de pétard mouillé qui pousse la facilité à dérouler un récit presque entièrement narré en dispensant l’auteur d’un véritable travail scénaristique. Très lisible mais très dispensable.
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J’avais bien accroché au trait de l’américain Dan Panosian sur Slots et voulais voir ce qu’il aurait pu proposer sur cette adaptation qui fait référence à la théorie du chaos. Malheureusement son album nous laisse face à une intrigue sans orientation ni fin, avec un dialogue conclusif qui semble avoir laissé pas mal de monde sur le carreau. Assez nihiliste, l’intrigue suit un scientifique yougoslave qui poursuit des points mobiles sur le Globe, dont l’activation (selon sa théorie) devrait provoquer un brouillard empêchant toute poursuite de la guerre de l’ancienne République de Tito. L’idée est classique et le contexte aurait dû être original, sans que cette dernière guerre de la Guerre Froide n’apporte grand chose à l’idée SF. Pire, on ne comprend pas le lien entre cet aspect géopolitique de fond et ce quichotisme d’un personnage que l’on n’a pas eu le temps de comprendre. On lis donc cet album passivement, en attendant une évolution pour ne voir que drame et progression sans fin. On reste donc sur le carreau, pas vraiment dans la SF, pas vraiment dans la politique historique ni le drame, avec trop peu de clés pour pénétrer le projet de Panosian. L’inverse de ce que proposait l’excellent Ere des anges.
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L’intrigue commence comme beaucoup d’apocalypses en science-fiction et chez Liu Cixin, par l’arrivée d’un astre extra-terrestre dont la gravitation provoque l’aspiration d’une colonne d’eau plus haute que l’Everest, que va entreprendre de « grimper » un géologue-alpiniste traumatisé par l’accident qui a coûté la vie à sa cordée. Mais c’est bien au-delà du pitch classique que l’intérêt de l’album se trouve puisque une fois arrivé en haut, le personnage principal va se voir relater la fantastique odyssée d’une civilisation d’androides auto-créés dans un univers minéral fermé. Commence alors un très intéressant récit d’une hypothèse de l’Evolution dans un paradigme totalement différent du notre et qui permet une réflexion profonde sur le type de Développement exotique qui pourrait avoir lieu ailleurs dans l’univers. Tout à son approche scientiste, Liu Cixin imagine ainsi que des charges électriques pourraient allumer des entités minérales semblables à nos amibes primitives, que le Plein peut développer une certaine forme de raisonnement à l’opposé d’un environnement libre ou nous rappelle que la science progresse en réaction à son environnement physique et non sur de seules hypothèses. Tout cela est parfaitement attrayant même si la très grande linéarité de l’album (qui consiste ainsi pour l’essentiel en un récit directe) et l’inadaptation du trait de Ruben Pellejo à ce type d’univers laissent la coquille de l’album assez pauvre. C’est dommage mais montre que la cohérence entre trait et histoire restent centrales en BD.
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Inspiré d’une tradition toute américaine dont le coquinou Frank Cho fut le parangon avec son Liberty Meadows, Labrosse met ainsi en scène un crane complètement barré (le fameux Charlie) qui cumule les catastrophes dans sa recherche d’amusement et de jolies filles, sous les regards mi-désabusés mi courroucés de sa femme, la sublime Baronne. Vous l’aurez compris, on nage bien en absurdie totale dans ces quelques pages NB qui font honneur au dessin et aux formes féminines dans des séquences en pleine page qui n’ont ni queue ni tête. L’auteur propose néanmoins dans ce troisième volume une simili histoire de confrontation spatiale « so-pulp » pour récupérer le chéri prisonnier d’amazones de Venus bien entendu d’une sexualité dévorante et extrêmement sexy.
Disponible en stock très limité, espérons que l’auteur propose prochainement des versions PDF pour permettre au plus grand nombre de profiter de son talent, en attendant, peut-être un nouveau projet BD un de ces quatre.
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En arrivant à six tomes on peut qualifier Les Spectaculaires de série classique de la BD franco-belge. Avec une qualité moyenne remarquable et deux excellents dernières aventures, voilà nos héros partis sur les traces de Jules Verne dans une enquête plutôt sage en gags et poursuites. C’est peut-être l’habitude qui demande toujours plus de renouvellement mais si les personnages et passages obligés sont toujours drôles, l’histoire en elle-même sur un schéma « whodonit » est un peu découse en reposant sur les explications attendues aux phénomènes paranormaux. En dressant une galerie de personnage importante dans une pension qui nous fait attendre un Cluedo, les auteurs utilisent finalement peu ce qu’ils mettent en place et ce déplacement géographique permanent empêche la linéarité nécessaire à la légèreté d’une aventure d’humour populaire. Ainsi le jumeau du Seraphin Lampion d’Hergé reste inutilisé après être apparu et nos héros, même s’ils ne sont pas des génies, n’ont jamais une piste à suivre avant que survienne l’action de résolution.
On referme donc l’album un peu déçu par une aventure qui semble s’être un peu trop occupé de l’habillage Jules Verne et ses gadgets en perdant de vue l’utilisation pertinente des personnages. Dans cet album les Spectaculaires tournent ainsi en circuit fermé transposable d’une histoire à l’autre. Un problème qu’il faudra penser à résoudre puisque l’on constate depuis maintenant trois tomes que les personnages récurrents créés en restent à l’état de possibilité tout occupés que sont Hautière et Poitevin à garder un format one-shot. Les grandes séries tissent des liens entre albums et il est temps pour les Spectaculaires d’assumer cette maturité pour grandir. La sixième aventure de nos bras cassés préférés reste d’une lecture agréable sur des planches toujours sympa de finesse mais ne restera pas comme le meilleur album de la série.
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Depuis le tristement célèbre naufrage de Lampedusa en 2013, la société civile s’est substituée aux Etats réticents à assumer leur rôle légal de sauvetage en mer par crainte d’alimenter les tensions xénophobes concernant une « submersion migratoire ». Medecins sans Frontières fait partie de ces grandes ONG qui arment des navires. Convaincue que la communication est une arme redoutable pour contraindre les gouvernements, si ce n’est à les aider, du moins à les laisser réaliser leur mission, MSF a proposé à l’éditeur La boite à bulle d’embarquer deux artistes-témoins pour raconter une mission de l’été 2022.
Une des conséquences des hypermédias est de nous habituer aux drames, à la banalité de la perte de vies humaines. L’immense mérite de ce carnet de sauvetage est de nous mettre face à face avec ces sauveteurs, ces migrants, ces êtres humains, dans une urgence qui obère toute velléité de réflexion sur les « appels d’air », sur l' »irresponsabilité », sur l’entretien d’une vague migratoire que certains dénoncent. Jamais il n’est question ici de politique mais simplement d’humanité, de ces valeurs universelles qui proclament dans le Droit de la mer l’obligation de secourir les personnes en danger prioritairement à toute autre mission.
Nous suivons ainsi la mission du Geo Barents au travers des yeux du photographe Michael Bunel et du dessinateur Lucas Vallerie, au travers d’un code couleur qui nous permet de suivre les textes que ce dernier a publié au cours des deux semaines de navigation sur son compte Instagram. Reprenant ainsi le très réussi jonglage des frères Lepage entre photographie et dessin sur leur expédition en Antarctique, cet album utilise la force de chaque média pour décrire de façon expressive (sur le dessin) et en prise sur le vif.
Truffé d’informations documentaires sur le fonctionnement des sauvetages, sur l’intérieur du navire autant que de rencontres avec les membres de la mission, Rescapé.e.s surprend par l’émotion qui nous submerge alors que survient la première embarcation à la dérive. Car contrairement à un froid papier de presse on saisit le ressenti des auteurs dans une vérité crue, celle de gens perdus sur l’immensité, pour qui l’arrivé du Géo Barents est la fin d’un cauchemar. Ils savent que la suite, après débarquement, ne sera pas une partie de plaisir mais ces difficultés paraissent dérisoires face à la peur permanente depuis qu’ils ont quitté leur maison dans les mains des passeurs. Sans s’appesantir sur le contexte politique qui verra les néo-fascistes revenir au pouvoir en septembre 2022, on sent à la fois l’existence d’un droit que les autorités sont contraintes d’appliquer, et le système sécuritaire européen se mettre en place dès les migrants débarqués à port.
Constamment pressé par le temps, le dessinateur alterne croquis rapides et dessins plus travaillés lorsqu’il a quelques heures devant lui. Témoignage directe d’une réalité que la plupart ne veulent pas voir, cet immense cimetière invisible qu’est la méditerranée, documentaire passionnant sur l’organisation et le professionnalisme impressionnants de ces humanitaires dévoués à une évidence, Rescapé.e.s est un album précieux et susceptible de sortir nos populations de leur torpeur et des infâmes concurrences répressives des politiques de droite.
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Alors que se profile en juin le quatrième et dernier épisode de cette seconde saison de l’anthologie fantastique PUNCH!, les éditions Kinaye dénichent une nouvelle pépite en la personne d’Anaïs Maamar, jeune autrice venue du cinéma d’animation et dont c’est la première publication. Et pour une première on peut dire sans hésiter que techniquement ça dépoté! Sous la schéma d’une historiette de fantasy autour de l’adoption et de la différence (un ex-paladin-lapin adopte un bébé dragon qui ne sais pas dans quelles conditions il est venu au monde), l’autrice assume un format compact concentrant pratiquement son récit en unité de temps et d’action, simplement aéré par un récit du passé du lapin. Cela permet de ne pas se disperser et de développer l’univers visuel avec cette très chouette maison qui semble conçue comme dans un jeu vidéo (point commun avec plusieurs artistes de la collection Punch!) et un chara-design où Anaïs Maamar se fait plaisir. Dans le même esprit graphique que le précédent épisode de Valentin Seiche, Coriandre et Estragon est autrement plus lisible et jouit d’une colorisation simple mais terriblement efficace.
Il est toujours aussi agréable de découvrir de jeunes talents pour lesquels Kinaye apparaît désormais comme une pépinière reconnue et mérite toute l’attention des amoureux du dessin. Avec une coloration plus fantasy et plus classique que la précédente saison, Punch! propose toujours des plaisir de lecture simple avec l’envie de suivre ces auteurs dans leurs prochains projets. Et il est certain qu’Anaïs Maamar fait partie des talents qui risquent d’exploser dans les prochaines années.
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Aussitôt paru cet album a fait parler de lui pour des raisons toutes autres qu’artistiques. Dans ce qui ressemble fort à un gros couac éditorial, les éditions Grand Angle ont opté pour une parution en deux albums (dont le premier est sorti en janvier dernier et auréolé de très bons échos) avant de faire machine arrière et de publier cette intégrale au lieu du second volume attendu. Un certain nombre de lecteurs s’en sont émus, craignant de devoir racheter le premier tome pour pouvoir lire la fin. Comme les éditions Delcourt l’avaient fait il y a quelques temps pour la publication tardive de l’intégrale de l’Histoire de Siloë, l’éditeur a pourtant proposé un remboursement du premier tome à l’achat de l’intégrale. Pas de malhonnêteté donc pour le coup mais une fort mauvaise pub dans une décision assez incompréhensible malgré le texte d’explication du scénariste qui ressemble plus à une rustine qu’à une vraie stratégie. Passons.
Le scénariste Mark Eacersall a fait une entrée en matière remarquée dans le neuvième art en utilisant sa grande technique narrative acquise dans l’audiovisuel pour proposer deux excellents policiers (Gost111 et Cristal 417) et le primé Tananarive. Comme souvent il s’associe à un co-scénariste, pour l’occasion un spécialiste de la Grèce antique, pour proposer un étonnant récit d’apprentissage dont les dessins doux d’Amélie Causse pour son second album ne cachent pas la rudesse de l’itinéraire. Car si ce n’est pas une descente aux enfers qui nous est narrée, c’est tout de même un sacré mur de la réalité contre lequel s’écrase le jeune Philoklès. Apparaissant très sur de lui, jusqu’à tenir tête à des nobles de sa communauté, son odyssée (pour laquelle les auteurs s’amusent à tisser des références plus ou moins évidentes avec les récits d’Homère) va le ramener au quotidien violent et très terre à terre des grecs du cinquième siècle avant JC. Blessé, mis en esclavage, il va devoir tester ses talents de conteurs pour atteindre le statut qu’il visait. Mais son destin sera cruel, comme les mythes de l’Olympe.
Au travers de ce personnage plus passif que sympathique, les auteurs cherchent à déconstruire les mythes, ceux d’un Age d’or où les humains étaient finalement logés à la même enseigne que leurs homologues des siècles précédents et suivants: cultiver la terre, éviter les bandits, se fondre dans un ordre social immuable. Bien peu glamour pour celui qui a la tête dans les récits épiques. En suivant un fil que l’on n’attend pas, Eacersall et ses comparses parviennent à entourer cette froide réalité par un pont entre les mondes: celui des légendes narrées par les aèdes et qui propulsent un pécheur sur les flots, celui des rois pirates qui ne pourront échapper à leur destin mortel que par le récit de leurs exploits. Une fiction sur le pouvoir du récit dans un univers terrestre qui fait peu rêver. Une jolie mise en abyme pour une BD élégante et intelligemment bâtie.
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Forgotten Blade est une petite pépite que l’on n’attendait pas et que seule le comic indé sait proposer. Écrite par le propre patron et fondateur d’un des derniers éditeurs de comics indépendant outre-atlantique déjà à l’œuvre sur Seven deadly sins, cette épopée fantastique semi SF est surtout l’occasion d’un énorme révélation graphique en la personne de Toni Fejzula. Entre la démesure architecturale d’un Druillet et la spontanéité d’un Olivier Pont, le serbe nous enivre dans un univers visuel unique où la magie et le fantastique adoptent l’esthétique de la haute science-fiction pour mieux troubler les lignes. La science du cadrage et la justesse des dessins permettent au dessinateur de coller des figures tantôt très classiques, tantôt estompées en des touches évocatrices et une colorisation très douce et incertaine. Le tout réussit l’incroyable pari de proposer des planches très lisibles correspondant à la thématique classique de l’odyssée punitive contre une Eglise inquisitoriale (registre action) et une dimension ésotérique avec des décors et magie géométriques. [...]
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