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Pereira prétend, c’est l’histoire d’un journaliste sans histoire ni grand intérêt. Il a beau être passionné de littérature, parler un paquet de langues, traduire avec talent de grands auteurs français et diriger la page culture du Lisboa, il n’est pas vraiment passionnant. Sa vie est plutôt morne, il est obèse et pas très en forme, seul, et plutôt indifférent à ce qui l’entoure.
Et pourtant, ce qui l’entoure, c’est un pays victime d’un régime autoritaire, voisin d’une Espagne en pleine guerre civile, d’une Europe qui subit la montée du fascisme, le tout à l’approche d’une deuxième guerre mondiale. De quoi être préoccupé, même quand la politique ne vous intéresse pas. Et pourtant, Pereira continue de refuser de voir toute cette réalité. Jusqu’au jour ou il rencontre Francesco Monteiro Rossi.
Rossi, c’est un jeune homme avide de liberté, un tête pleine d’idées révolutionnaires, une plume pleine de promesses, en bref, un élément perturbateur dans la vie bien réglée de Pereira. Et pour perturber, il va perturber Rossi, il va même bouleverser, transformer, et redonner vie à Pereira.
Parce que Pereira prétend, ça n’est pas vraiment un album qui parle de politique, ni tout à fait un album qui parle d’Histoire, ni un album qui parle d’engagement et de liberté, ni un album qui parle d’amour perdu, de littérature ou de philosophie, c’est un album qui parle de tout ça, et qui fait graviter toutes ces choses autour du personnage principal, du presque héros.
Ce presque héros, définissons-le ainsi, est un homme dont on a un peu pitié au début, sa solitude et son absence de contrôle sur sa vie font peine à voir. On ne lui en veut pas de refuser de s’impliquer, de voir la réalité dans laquelle il surnage, au contraire, on le comprend un peu. Il a souffert, il n’a plus l’âge ou la santé, il a peut-être peur, mais ça n’est pas grave, parce que l’objectif n’est pas de le juger, et ça n’est pas ce vers quoi nous emmène l’auteur. Au contraire, il nous laisse observer sans vraiment nous expliquer ni le contexte politique, ni les raisons profondes de son personnage qu’on saisit peu à peu.
Et finalement, un processus se met en place chez Pereira, qu’il ne comprend pas jusqu’au moment ou son docteur le lui explique. Même s’il n’y croit pas vraiment, à cette histoire d’âmes multiples qui essaient de prendre le dessus, il ne peut que constater, peu à peu, que lui-même change, devient un autre. Et petitement, à sa façon à lui, il oppose une discrète résistance. Une résistance politique, philosophique, une résistance contre lui-même, cet homme un peu lâche et solitaire qui s’efface doucement.
À travers les errances et les questionnements de ce personnage, on fait le tour de bon nombre de questions. Des questions que l’on aurait peut-être pas entendues, pas posées si l’histoire avait été plus politique, plus révolutionnaire. C’est justement le fait de centrer la trame autour de ce personnage et d’y ajouter de la politique par ci, de la révolution par là, un peu de religion aussi et quelques brins de philosophie qui fait de cet album une histoire ouverte qui interroge à la fois sur la place et le rôle de l’homme dans la société, mais aussi sur le sens que l’on donne à sa vie.
Et au milieu de tout ça, il ne faut pas oublier que cette bande dessinée est inspirée à l’origine d’un roman italien. On ne peut donc pas couvrir de compliments l’auteur, Pierre-Henry Gomont pour son scénario original. N’ayant pas lu le roman qui a inspiré de cet album, je me garderai bien de commenter son adaptation en BD. Mais il est évident que, quelle que soit la qualité de l’adaptation par rapport au roman de départ, le récit livré par Gomont est très beau et très subtil, à la fois nostalgique et déterminé. Exactement comme son dessin, son trait et sa maitrise des couleurs.
Et sur tout ça, il y a beaucoup à dire. D’abord, le dessin est splendide, j’ai rarement passé autant de temps à scruter les pages, à admirer les couleurs, les ombres et la lumière, les lignes parfois nettes et marquées, parfois absentes, que l’on doit deviner. Le trait est fluide, brut et sincère. Il est aussi tantôt dynamique et vivant, mouvementé, tantôt serein et plus statique.
Puis il y a les personnages et les visages, parfois détaillés dans leurs expressions, sur lesquels ont peut lire le désarroi, la peur, l’enthousiasme, et parfois à peine dessinés, laissés neutres pour donner de l’espace à un autre visage, un autre détail. Et les décors. Ce ciel d’un bleu limpide et pur, à l’opposé de la conscience du personnage qui l’observe parfois. Puis ces monuments détaillés et fouillis qui nous plongent avec tellement de force et de réalité dans Lisbonne. Et Lisbonne on la retrouve totalement dans ces dessins, les ruelles, les bâtiments, les escaliers, tout est là.
Et puis surtout, surtout il y a les couleurs. Le travail sur les couleurs dans cet album est incroyable, splendide, parfaitement maîtrisé. Les couleurs sont Lisbonne. L’été, le soleil et la chaleur, encore une fois en opposition avec la morosité et les angoisses du personnage. Et pourtant, parfois les couleurs sont à l’image de son désespoir, sombres, des silhouettes noires sur fond bleu, gris, la nuit. Mais jamais de tristesse dans ces couleurs, toujours la pureté et toujours cette force et cette justesse.
Et il faut le dire, si ces couleurs si franches, si vraies nous plongent autant dans Lisbonne, c’est aussi parce qu’elles nous rappellent ces merveilleux azulejos qu’on voit ici et là, sur les façades, dans les recoins des ruelles. Un peu de nostalgie pour nous aussi, qui avons vu Lisbonne, cette ville magique et tellement vivante. Vivante comme ces pages dessinées par Gomont, cet auteur joliment talentueux qui nous donne une sublime interprétation d’un roman, qu’un jour peut-être je lirai…