Vous utilisez « Adblock » ou un autre logiciel qui bloque les zones publicitaires. Ces emplacements publicitaires sont une source de revenus indispensable à l'activité de notre site.
Depuis la création des site bdgest.com et bedetheque.com, nous nous sommes fait une règle de refuser tous les formats publicitaires dits "intrusifs". Notre conviction est qu'une publicité de qualité et bien intégrée dans le design du site sera beaucoup mieux perçue par nos visiteurs.
Pour continuer à apprécier notre contenu tout en gardant une bonne expérience de lecture, nous vous proposons soit :
Copyright © 1998-2024 Home Solutions
• CGU Site
• CGU Logiciel
• CGV
• Cookies
• Design by Home Solutions
Page générée le 25/11/2024 à 15:28:22 en 0.1134 sec
LOW est une série exigeante. De part les dessins très particuliers de l'illustrateur, par les sauts incessants dans le temps ou dans l'espace entre les volumes, par les bulles de narration qu'aucune indication ne rattache à un personnage en particulier... Le scénariste nous malmène dans un monde désespéré, entre des personnages torturés par la vie (au propre comme au figuré), affrontant les pires créatures de ces bas fonds. Cela car la ligne de force de ce comic est l'espoir dans un contexte d'apocalypse. Le trait est appuyé afin d'illustrer qu'au défi de toute rationalité, seul l'esprit peut maintenir cet espoir (comme l'explique le gourou de Stel dans le premier volume).
Ce (déjà) quatrième volume est un peu moins intéressant (à la fois graphiquement et quand à l'intrigue): il se résume en une poursuite diluée artificiellement par un premier chapitre en flash-back permettant un Deus-ex machina un peu facile. Probablement que Remender est allé un peu loin dans la destruction de toute possibilité et doit s'en remettre à cette facilité scénaristique pour retomber sur ses pieds (pas aberrante mais un peu grossière). Surtout, le fait de revenir à Salus enlève la richesse des découvertes d'univers que permettait la série à chaque volume. Du coup le tableau est celui d'une cité (déjà vue) en fin de décadence, avec une population s'adonnant au suicide dans le plaisir... Les teintes graphiques sont également un peu ternes et visuellement le chapitre 1 revenant dans l'arène de combat des pirates où Marik affrontait des Léviathan est le plus sympa. Il faut reconnaître que le fait de changer de personnage focus régulièrement dans la série ne facilite pas l'addiction du lecteur!
Pour ne pas noircir le tableau de ce qui reste un bon album, les points forts de la série demeurent: des séquences d'action vraiment talentueusement menées, des dialogues fins et qui apportent une vraie réflexion, enfin, last but not least, des fulgurances visuelles et conceptuelles sur des enchaînements découpés ou des pleines pages, qui nous font oublier les tics de Greg Tocchini avec ses déformations improbables.
Rick Remender fait généralement des séries courtes. L'histoire et le concept semblent arriver à leur terme et il est probable (souhaitable) que le prochain tome soit le dernier. Une série en 5 volume est un format raisonnable et la fin de ce volume laisse augurer un changement d'environnement qui devrait permettre un apothéose graphique à ce qui restera une très bonne série de SF.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/26/derriere-le-brouillard
Depuis quelques années Hermann travaille exclusivement avec son fils, souvent dans la collection Signé. Son style graphique en couleurs directes est reconnaissable et souvent très élégant. Côté scénarii c'est plus variable, notamment avec Yves H qui produit souvent des trames un peu alambiquées voir incompréhensibles. J'apprécie pourtant généralement les albums des deux Hermann... pourtant ici on a vraiment le minimum syndical et il est parfaitement incompréhensible de la part de l'éditeur de sortir un aussi petit album dans une collection jadis aussi prestigieuse. Pour faire vite on a l'idée d'un "The thing" mélangé à du paradoxe temporel envoyé à la va-vite et sans aucune explication. Ça ne fait pas peut, les dessins sont tout gris et il n'y a vraiment aucune originalité dans cet album. Je mets 1* pour l'idée de départ et le travail du papa. A éviter.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/27/albums-en-vrac
Pour ce projet vieux de 15 ans l'éditeur "participatif" Sandawe nous présente une sorte de Mad-Max rural dans une France de dégénérés au rouge qui tache... Le western à la mode France-profonde est assez décapant, entre la galerie de tronches toutes plus affreuses et édentées les unes que les autres et les Ragougna, sortes de monstres humanoïdes en guerre contre les habitants du "Comté" dirigé par un dictateur tout puissant. Sur un scénario de "sauvetage chez les indiens" assez linéaire, on découvre dans cet album un dessinateur vraiment intéressant, à la fois techniquement très maîtrisé et doté de son propre style (bien que se réclamant de Franquin). Il y a de la bouteille derrière ces crayons et notamment une colorisation et des textures vraiment chouettes. L'album comporte en outre à la fin un making of super intéressant. Une bonne découverte à laquelle je souhaite plein de succès et qui incite à regarder la suite avec attention.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/27/albums-en-vrac
J'avais beaucoup apprécié le premier tome lu il y a quelques semaines. Ce second opus (qui attend un troisième) a l'étrange particularité de commencer quelques planches avant un titre de "deuxième chapitre"... comme si le premier album avait été amputé de quelques pages. On enchaîne donc sur l'équipée des barbouzes pour récupérer les diamants en territoire sauvage... et le mot est faible. Même petite gène que sur le T1 à voir ces hordes de noirs en machettes semi-cannibales. La lecture est toujours plaisante, visuellement et pour les dialogues. Cette brochette d'ordures finies est amusante à regarder tant on ne s'attache à aucun, mais l'intrigue, plus action que sur le premier volume (étrange titre un peu trompeur d'ailleurs) est un peu réchauffée. Ça reste de la très bonne BD mais la recette de Vallée et Nury utilisée sur Il était une fois en France commence à tourner un peu en rond.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/27/albums-en-vrac
Après une énième charge Chesterfield se retrouve amnésique ou "courgette" selon les termes du toubib. Blutch a une semaine pour lui faire retrouver ses esprits... On capte vite l'idée de ce 60° album de Blutch et Chesterfield: faire revivre des moments passés de la série au prétexte d'une thérapie de choc. Autant le dernier album m'avait plutôt botté (sans y trouver une fraîcheur débordante) l'humour était rodé et efficace, autant ici je me suis un peu ennuyé. C'est cousu de fil blanc, les bon mots reviennent sans grande originalité (la fameuse "courgette" qui doit nous faire rire toute les 3 pages...) et il me semble bien que les auteurs ont déjà utilisé ce ressort pour d'autres albums. Vu le nombre de volumes que comporte la série, vous pouvez parfaitement oublier celui-là...
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/27/albums-en-vrac
Seth, dit "biquette" poursuit son apprentissage et cimente son groupe dans sa quête du Radiant. Je me suis marré au moins autant dans ce second volume, dont le dessin est toujours tip-top, les personnages grossiers à souhait (avec juste ce qu'il faut de scato-vomi...) et les combats hyper-dynamiques. L'idée du Fantasia comme incarnation de la magie permet de belles volutes dans les planches et le méchant du volume est charismatique et inquiétant à souhait. Les échanges verbaux sont tordants (mention spéciale pour le capitaine Konrad de Marbourg (référence quand tu nous tient...) totalement parano). Pour l'instant on a un sans faute avec une progression hyper rapide et 100 vannes par case. Chapeau l'auteur, moi je continue!
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/27/albums-en-vrac
Comme sur tous les albums de la série, l'intérieur de couverture comporte un extrait du dictionnaire des oiseaux du monde d'Azimut. L'illustration de ce quatrième tome est moins chatoyante que précédemment... mais je chipote. La maquette est toujours aussi élégante et prépare agréablement la lecture. En revanche le titre du volume est en tout petit sur la couverture et n'apparaît pas sur la tranche, ce qui est dommage. Beau travail éditorial néanmoins.
Azimut est depuis quelques années ma série préférée avec Servitude. A l'époque je connaissais le scénariste Lupano par sa première série Alim le tanneur mais je n'avais pas fait attention à sa présence (pourtant essentielle!) sur la série. Non, l'argument de vente a été l'univers fantastique absolument incroyable d'un adorable illustrateur à la modestie infinie: Jean-Baptiste Andreae. Pour les plus anciens, son premier ouvrage "Mangecoeur" avait fait parler de lui pour l'univers à la fois coloré et inquiétant qu'il proposait, un monde empli d'objets mécaniques improbables, de poupées aux dents pointues ou de visages déformés. Son monde peut s'approcher de celui d'un Tim Burton par un esprit doux-amer, mais en bien moins sombre cependant.
Azimut réussit le pari incroyable de mettre cet illustrateur de grand talent (et adepte des femmes charnues) au cœur même de son imaginaire graphique! Comme un enfant dans un bac à sable absolu, il peut laisser libre court à ses visions, au sein d'un scénario qui semble totalement fait pour lui, épousant, utilisant, tout en guidant son style. J'appelle cela l'alchimie parfaite entre le dessin et l'écrit. Avec un humour désormais connu de Wilfried Lupano, que demander d'autre que d'avoir l'une des plus importantes séries BD des vingt dernières années? (oui-oui, j'assume!).
L'histoire basée sur le temps (avec ses corollaires du paradoxe temporel, du retour en arrière et autres sauts tous azimuts...) est complexe, révélée progressivement. Pourtant chaque album reste rapidement et agréablement lu même si l'on ne se replonge pas au préalable dans l'intégralité de la série. Une série à plusieurs niveaux en somme: le premier empruntant aux créations passées d'Andreae (comme le mésestimé Terre mécanique) construite comme une poursuite perpétuelle entre un groupe de freaks mignons et des poursuivants très méchants, le second très sophistiqués articulé sur plusieurs époques entre lesquelles les personnages naviguent en laissant le lecteur soupçonner qu'untel est le passé ou le futur d'un autre ou que cette séquence se déroule dans l'esprit de celui-la... Très casse-gueule comme scénario mais jusqu'ici admirablement construit et pas un instant l'on peut soupçonner le scénariste de partir sans plan préconçu. Après tout Bajram sur Universal War 1 avait bien un plan entièrement ficelé qui lui a permis de boucler magistralement son histoire de paradoxes spatio-temporels.
Ce qui permet de fluidifier cela c'est donc le monde peint par l'illustrateur. Un monde aux oiseaux mécaniques, aux titans enchaînés dans un zoo côtoyants des poupées de chiffon animées et des tortues-cyborgs! Un enchevêtrement de tout de qui peut être amusant, joli, exotique... et le tout reste cohérent entre les mains de ces deux grands artistes que sont Andreae et Lupano, et surtout follement drôle. Fidèle à lui-même, le scénariste en profite même pour glisser quelques idées très politiques comme cette image muette après le passage des nuées noires, où les hommes ont été ensevelis et qu'il ne reste dans le royaume de Baba Musiir que des femmes hébétées.
Bon, je vais m'arrêter là pour ne pas vous saturer de louanges. Les fana de Lupano sauront de quoi je parle, pour les autres, laissez vous porter par la poésie de ces mondes où chaque image regorge de détails, où chaque nom évoque un tas d'idées et de références. Azimut est une grande BD, une très grande BD.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/28/nuees-noires-voile-blanc
Le volume 11 raccroche avec les thématiques précédentes: mélange de corruption, de traite des femmes et de baston mafieuse. On revient dans la ligne qui fait l’intérêt de Sun-Ken Rock. A noter que le trait évolue vers quelque chose de plus éthéré, noir, moins manga-déconne. Et plus esthétique que jamais!
Le volume 9 voit Ken engagé comme chauffeur d’une star de la chanson. Il se retrouve quasi-esclave du manager et soumis à la tentation de la jolie Sun. L’auteur semble avoir voulu explorer le monde des fans et du star-système coréen. Pas franchement convaincu par cet arc.
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/12/sun-ken-rock-8-11/
Dans le volume 10 un groupe de chanteuses est recruté et mis sous l’aile de Ken qui doit les protéger de l’appétit sexuels du manager et qui va être très tenté par les mœurs très très libérées des donzelles…
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/12/sun-ken-rock-8-11/
L’album est de belle facture, au format comics, que je trouve particulièrement pertinent du fait du découpage assez aéré des productions de Bilal (grandes cases). La couverture est très jolie, comme d’habitude chez l’auteur. Petite réticence (là encore désormais habituelle chez cet auteur) sur la typo très informatique des cases de narration… c’est moche et un côté carré qui rompt avec le dessin artisanal de l’illustrateur.
En 2041 un événement mondial fait disparaître toute donnée numérique, provoquant un cataclysme dont personne n’est en mesure de comprendre la portée… Dans la sidération totale, dans un monde déjà soumis aux soubresauts des évolutions géopolitiques voyant des califats et conglomérats économiques s’émanciper des États, dans un monde totalement dépendant de ses technologies, un père et sa fille vont se retrouver au cœur de toutes les convoitises, détenant peut-être la clé de cette crise historique.
Bilal et moi c’est une succession de déceptions et d’envies d’avoir envie… Je me suis éveillé à la BD avec notamment La Foire aux immortels, puis les Partie de chasse, Phalanges de l’ordre noir, etc. Son univers géopolitique et/ou SF m’a toujours parlé et, bien sur, les dessins, si particuliers! Si ses meilleurs scénarios sont ceux de Pierre Christin du temps de leur collaboration, Bilal reste un très bon scénariste, avec son style pas forcément grand public, mais une franchise et un politiquement incorrecte que j’aime. Pourtant son cycle du Monstre m’a énormément déçu. En partie du fait de l’attitude hautaine voir méprisante de l’illustrateur pour ses lecteurs, mais surtout par-ce que tout simplement ce n’était plus de la BD! Il y a eu tromperie sur la marchandise comme on dit. Voir même arnaque: le premier volume Le sommeil du monstre est l’un de ses meilleurs albums… puis progressivement une série prévue en 3 tomes devient 4 et se mue en un obscure objet pédant à cheval entre l’illustration libre et la philosophie de bazar. L’artiste dira qu’il est libre de sa création. Mais la BD reste un format balisé qui doit être intelligible. On n’achète pas une BD que pour son auteur… Bref, je m’étais promis que Bilal c’était fini.Image associée
Puis vint cet album au sujet compréhensible, d’actualité et un premier écho plutôt favorable dans la blogosphère (par-ce que dans la presse… Bilal c’est comme Woody Allen, c’est forcément bien…). La bibliothèque m’a permis de tenter l’objet sans risque… et je dois dire que j’ai été plutôt (re)conquis!
Bug (premier album d’une série) est même étonnamment didactique, prenant le temps de poser, d’expliquer, d’avancer. On est loin de l’obscure objet graphique qu’ont été beaucoup d’albums de l’auteur. La principale difficulté vient du dessin de Bilal, ses personnages (on en a l’habitude) ont tous la même tête et malgré des coiffures originales, on peine parfois à savoir qui est qui. Nouveauté en revanche, dans l’utilisation pour les décors de photographies retouchées. Ça peut être vu comme une facilité mais c’est très efficace et aide au côté « propre » et un peu moins fou-fou de l’album.
Le scénario classique de Science-fiction aurait presque pu être écrit par un Christophe Bec (Prométhée) ou un Fred Duval (Travis, Carmen Mac Callum, etc) et pour une fois c’est vraiment sage, presque trop. Car en 82 pages (cases larges aidant), on a plus une atmosphère qu’une véritable intrigue. Personnellement j’aime ses dialogues à l’emporte-pièce, ses jeux de mots vaseux et ses trouvailles toujours un peu punk et hyper-actuelles (comme ces journaux en mauvais français du fait de la disparition des correcteurs orthographiques…). Le plus intéressant dans Bug c’est bien les effets (montrés par l’absurde) de la disparition brutale de toute technologie numérique sur une société devenue dépendante. Les thèmes chers à Bilal sont eux aussi présents mais plus en sous-texte (la mémoire, l’obscurantisme, les conventions,…). Hormis quelques excentricités, on est assez loin du Bilal fou de ces dernières années. Pas de poissons volants ou d’animaux miniatures, seul le graphisme sort un peu de l’univers d’anticipation standard qu’il décrit. Un Bilal sage pour une BD de SF grand public aux thèmes hyper-actuels. Au risque de tendre vers la platitude si le dessinateur n’arrive pas à décoller dans les prochains albums. Un a priori plutôt positif qui me donne envie de lire la suite.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/14/bug/
Après l’épisode assez insoutenable du supplice du régicide la série revient aux habitudes du mangaka, avec visuels fantasmagoriques, sexualité ambiguë et mœurs violentes des puissants. Le manga s’articule rapidement autour de la relation (que l’on anticipe comme conflictuelle) entre Charles et sa jeune sœur torturée par une grand-mère sadique. Dans ce volume 6 le père et la grand-mère se sont retirés et l’on assiste en parallèle à la maturité de Charles et à l’émancipation de sa furie de sœur. Les liens avec l’histoire et les personnages importants de la Révolution à venir sont toujours soignés et la série avance très rapidement, d’une lecture agréable (plus légère donc) et l’on souhaiterais presque qu’elle se prolonge au-delà des 9 tomes tant sa richesse est grande. Ça tombe bien, la suite s’appelle « Innocent-rouge« .
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/14/manga-en-vrac/
Suite de l’évasion de Nagai. L’arrivée d’un chercheur excentrique travaillant pour les américains nous permet d’en apprendre plus sur les visées des différents protagonistes gouvernementaux et notamment le patron de la chasse aux Ajin. Nagai constate qu’il est manipulé et ne peut faire confiance qu’à ses amis. Pendant l’évasion il apprend à maîtriser son fantôme. À mesure que les enjeux et protagonistes sont révélés une ambiance à la Akira se met en place (sacrée référence!) et je dois dire qu’Ajin tient la comparaison haut la main. L’humour apparaît également avec le professeur Ikuya et les dessins sont toujours aussi acérés et efficaces.
On continue dans la foulée du premier volume sur un rythme effréné. L’introduction passée, nous découvrons les motivations des deux Ajin japonais, pas forcément toujours honnêtes: dans cette guerre occulte, personne n’est propre et les objectifs restent cachés. Lorsque le héros est capturé et soumis aux traitements inhumains réservés aux Ajin, l’on comprend que nous aurons affaire à un manga sombre où seule l’amitié présentée dans le volume 1 sera un fil auquel se raccrocher. Le tome 2 montre néanmoins que certaines personnes se préoccupent du sort des Ajin, ce qui permet d’introduire des sujets très actuels des liens entre gouvernements prêt à suspendre les libertés publiques et une société civile qui cherche sa responsabilité collective (Wikipedia apparaît et ce n’est pas anodin de la part de l’auteur). Nous apprenons également de nouvelles choses sur les deux espèces d’Ajin cohabitant et sur les effets des morts successives…
Le manga est toujours aussi bon, l’univers se développe, les séquences d’action sont redoutables d’efficacité, de nouveaux mystères apparaissent et certains se révèlent. On n’a qu’une envie: continuer.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/14/manga-en-vrac/
Excellente surprise (comme tout ce que publie Ankama…?) que ce manga français dont je n’avais pas entendu parler et trouvé par hasard à la bibliothèque. C’est le premier manga français publié au Japon (mais quand-même la sixième série de l’auteur, passé par l’école Arleston–Soleil et ça se sent!) et pour cause, les codes manga sont là et c’est vraiment très drôle et très maîtrisé (plus que City Hall). Ce très bon volume d’introduction présente un monde où ceux qui ont survécu au contacte d’un Némésis (monstres mystérieux) deviennent des sorciers. Seth part à la recherche de la source des monstres, le mythique Radiant…
Les lignes de ce manga sont l’humour à base de baffes, de personnages ridicules et de dialogues absurdes. Assez classiques du code manga mais vraiment efficace et soutenu par un dessin sans faute. J’adore l’idée d’un Harry Potter un peu grunge. Les personnages sont tous typés et sympa et les dialogues m’ont beaucoup fait rire.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/14/manga-en-vrac/
Ce troisième volume a toujours la même qualité de dessin artisanal au crayon et permet de découvrir les beaux paysages de l’Himalaya. L’humour est présent avec quelques scènes de poursuite rigolotes mais surtout, la philosophie de Papy Tenzin donne une belle leçon de vie aux jeunes lecteurs dans un esprit animisme écologique où tout revient à la Nature et tout part de la Nature en un cycle éternel…
Au-delà du message, si la lecture reste toujours aussi sympa, l’harmonie de la série est difficile à saisir (ce que je signalais déjà dans la critique des premiers albums): dans les deux précédents albums la série semblait partir sur une thématique artistique en présentant un nouvel artiste majeur à chaque album, ici ce n’est plus le cas, non plus que la géographie puisque le cirque traverse différentes régions sans particulièrement décrire un lieu en spécifique. Difficile alors de s’accrocher aux personnages ou à une thématique. La série Violette est un joli moment mais qui semble mal défini et par les auteurs et par l’éditeur. Le jeune public pourra se perdre dans des thématiques un peu compliquées et les personnages typiques et rigolos ne sont pas assez mis en avant. Il est peut-être temps que la série s’arrête…
Lire sur le blog
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/20/en-route-pour-lhimalaya/
Avec les aventures de cette forte femme, Yann et Hugault nous plongent dans les soubresauts de cette guerre, entre sabotages, missions de sauvetage de pilotes éjectés et attaques ennemies. Pour ceux qui ne connaissent pas, Romain Hugault est un superbe dessinateur passionné d’aviation et pilote hors de la planche à dessin. Il est ainsi le chef de file d’une école de BD d’aviation et à moins que vous ne soyez allergiques à ce qui à des ailes et des hélices, il faut dire que l’ensemble de ses albums regorge d’illustrations de voltige et de batailles aériennes absolument magistrales de virtuosité et de précision documentaire. Il faut voir le dessin de chaque vis et rivet pour imaginer le travail de documentation et la passion du détail qui anime l’illustrateur.
J’ai découvert Hugault sur son premier album et premier succès, le Dernier envol, recueil de quatre histoires, de quatre vies liées aux avions, pendant la seconde guerre mondiale. Si cette période occupe la quasi-totalité de son œuvre (hormis une escapade sur la première guerre mondiale dans Le pilote à l’Edelweiss) ce n’est pas uniquement par-ce qu’elle lui permet de dessiner des avions de guerre mais bien par-ce que les années 1940 le fascinent. Dans Angel wings plus que dans ses autres séries, le scénario de Yann insiste particulièrement sur le sort réservé aux femmes dans une Amérique machiste, qui plus est lorsqu’elle est en guerre. Cette BD que l’on pourrait presque qualifier de féministe a l’intelligence de ne pas être anachronique comme le sont souvent les histories contestant une situation historique. Angela est révoltée bien sur, mais femme de son époque, elle accepte en partie sa condition qui ne changera que dans le regard que lui portent les hommes de la base en constatant son courage. L’on en sait très peu sur cette étrange aviatrice sachant se battre, manier un fusil et survivre dans la jungle birmane, qui est étonnamment assez peu présente dans les cases hormis dans la trame générale du scénario qui semble tourner autour du décès de sa sœur, aviatrice comme elle. Et pour cause, il faut le reconnaître, l’histoire est assez anecdotique et plus un prétexte à illustrer des séquences d’aviation via le personnage du pilote de chasse Rob, des paysages et des séquences de bataille. C’est la recette de tous les albums de ce dessinateur (ses autres séries sont peut-être un peu plus consistantes), mais cela n’en fait pas moins de magnifiques BD bien au-dessus de la moyenne des albums grand-public historiques.
A la documentation visuelle de l’illustrateur répond une précision historique concernant une foule de détails sur les bases militaires en Asie, le quotidien d’un soldat sur le Front oriental ou la politique de déstabilisation radio du Japon (méthode certainement coutumière de tous les régimes en période de guerre mais saisissante ici: insidieusement on insinue que les médicaments donnés par l’armée US rendent impuissants, que les femmes restées au pays trompent les soldats, etc)… Je disais que l’histoire était un décors. Cela n’est pas une critique: la force de ces albums est documentaire et sur ce point c’est une grande réussite. Personnellement j’ai moins apprécié ce décors birman que les précédents albums du tandem Yann-Hugault en Europe, mais cela reste passionnant de réalisme, que ce soit les dialogues, les poses, les coiffures, on sent l’envie de cartes postales les plus précises et on apprend plein de choses. Bien sur on reste du côté hollywoodien, c’est clair, coloré, plein de bons mots. Cela n’empêche pas des drames, mais la dureté de la guerre reste au loin, comme dans l’esprit d’un aviateur perché sur son aigle d’acier au-dessus des combats.
Pour résumer, si vous aimez les avions, les belles images colorisées au numérique, la précision historique, les femmes (côté émancipation et côté rondeurs…), les années 40… foncez, au risque de découvrir un auteur que vous ne pourrez plus lâcher.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/21/angel-wings/
Critique de l'édition française intégrale, chez Glénat comics:
Le première surprise de ce très bon comic vient des dessins. Zach Howard a commencé à publier dans les années 2000 et n’a pas une biblio très fournie, hormis The cape sorti en France et doté d’une bonne réputation. Son style me fait penser à un mélange de Vatine et de Travis Charest (excusez du peu!). Avec sa propre originalité (notamment une étonnante utilisation des trames pour ombrer ses dessins, un peu comme dans les Manga), il propose un dessin très encré, parfois sales, au découpage serré et toujours très propre techniquement. J’adore! Son design des engins est de style post-apocalyptique type Mad-Max. On a vu plus inspiré concernant les engins, mais l’atmosphère générale de la BD est réussie et décrit un univers classique du genre, crasseux, à la fois technologique et bricolo. Les films de George Miller sont clairement la première inspiration de cet ouvrage qui met en opposition un groupe idéaliste (incarné par le formidable personnage de Cola, super-pilote éternelle optimiste dont la foi en l’homme est indestructible) et un autre, militarisé, hyper-hierarchisé derrière le Juge, chef nihiliste qui tente de réunir une élite devant recréer l’humanité avant l’élimination du reste de l’humanité… J’ai aimé outre la maîtrise graphique et la vraie personnalité de ce dessinateur, une cohérence et une implication dans un projet personnel, non issu d’une grosse machinerie.
Comme tous les post-apo la différence joue à peu de choses et ici à un relationnel original entre les personnages: le cœur de l’équipage de l’Aurore repose sur une famille (la mère commandante, le père ancien pilote et la fille, héroïne de l’histoire) confrontée aux nécessités militaires de la survie face aux attaques du Juge. Peut-on être mère quand tout un équipage compte sur vous? La fille pilote peut-elle vivre avec une mère qui refuse de se comporter comme telle? Peut-on encore avoir confiance en un étranger et croire en l’amour dans ce monde sans espoir? Wild Blue Yonder est un peu la BD que Vatine aurait dû faire depuis longtemps (au vu de ses nombreuses illustrations de ce style) et donc une surprise inespérée.
Les séquences d’action aériennes sont nombreuses et très bien menées, assez crasseuses et souvent barbares avec le génial personnage de Scram, sorte de furie indestructible équipée d’un Jetpack, sautant d’avion en navire volant, échappant aux balles et emmenant les têtes de ses adversaires avec sa hache… Le format one-shot en quelques 200 pages ne permet malheureusement pas de développer beaucoup plus les personnages, l’univers ou de prendre plus de temps dans les séquences aériennes. Mais les auteurs proposent néanmoins un remarquable équilibre entre les scènes de dialogues, les intérieurs métalliques des navires et les plans larges aériens. Avec comme petite cerise qui semble anodine mais apporte une touche d’humanité, un cœur à cet album: le chien aviateur (que le dessinateur explique être inspiré de son propre chien disparu). Un toutou craquant qui fait de ce comic indépendant une œuvre efficace et touchante, une belle respiration dans la BD américaine.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/19/wild-blue-yonder/
Innocent et sa suite Innocent-rouge sont les dernières productions de Shin'ichi Sakamoto que j'avais découvert avec l’excellent manga sur l'alpinisme Ascension. Les grandes qualités graphiques de cette dernière se retrouvent ici dans une série courte qui tient son lecteur en haleine tout au long d'un récit qui ne nous épargne pas émotionnellement.
La précision technique et documentaire sont particulièrement impressionnantes chez Sakamoto et son équipe. Le réalisme quasi-photographique de la plupart des décors permet l'immersion dans une histoire réellement éprouvante de par son sujet et la crudité de son traitement. Avec la même maestria que sur les éléments techniques d'escalade sur Ascension, le mangaka a tenu à la plus grande précision dans les costumes, lieux et mœurs de l'époque. Car Innocent est autant un brutal plaidoyer contre la peine de mort (pour rappel le Japon fait partie des dernières démocraties à pratiquer encore régulièrement la peine de mort) qu'une description sociologique des dernières années de l'Ancien Régime français, de sa violence, sa corruption et son inégalité criante. C'est aussi (comme pour beaucoup de manga) l'émancipation d'un être sensible et fragile contraint par la pression familiale et sociale aux pires sévices, vers une utilisation de sa charge pour accompagner à sa façon une Révolution qui gronde. Là encore le miroir trouvé avec une société japonaise très conservatrice est très clair et prouve la maturité et l'ambition de ce grand mangaka.La dynastie des Sanson destine chacun de ses enfants à être le Bourreau du roi ou un bourreau de province. Tenue d'une main de fer par une grand-mère totalement abominable de cruauté et d'archaïsmes (elle va jusqu'à torturer sa petite fille pour lui faire comprendre le rôle de génitrices des femmes de l'époque...), la famille enseigne autant la médecine que les arts de la torture: dans une vision scientifique, le bourreau doit savoir comment donner la mort (mais aussi soigner pour maintenir en vie!) avec précision. La description des scènes est froide, cynique, clinique et seuls le visage à la pureté virginale du personnage principal et les allégories graphiques intercalées (technique propre à Sakamoto sur tous ses manga) permettent de soulager une tension de lecture parfois insoutenable. L'auteur prolonge les séquences, sans voyeurisme mais avec la même démarche que la plupart des militants de l'abolition: montrer froidement la réalité de cet acte barbare, de l'humanité des suppliciés, pour faire comprendre dans une démarche des Lumières que la civilisation ne peut plus autoriser cela.
Au-delà de ce plaidoyer la description historique est vraiment réussie. Le poids de la figure royale d'essence divine écrase une société apeurée qui doit comprendre au travers du supplice du régicide Damiens que personne ne peut prendre ce risque... Le tome 4 décrivant l’écartèlement est rude, mais cela ne doit pas atténuer l'intérêt du manga sur les dernières années avant la Grande Révolution, via une multitude de détails de la cour comme dans le peuple.
Graphiquement Sakamoto reprends ses personnages au visage d'ange, à androgynie appuyée jusque dans une sexualité refrénée aux penchants homosexuels. Chacun des personnages est très différent et reconnaissable et la maîtrise technique, anatomique notamment (par exemple sur les chevaux) est remarquable. Les planches sont toutes magnifiques, sans défaut, même sur les images de rêverie ou de cauchemars très sombres.
Innocent est un très grand manga qui dépasse très largement le seul loisir culturel par l'ambition politique de son auteur. On pourra suspecter une insistance morbide sur certains détails mais à mon sens cela appuie vraiment le propos de fonds. Jamais l'on n'a vécu le règne de Louis XV avec une telle précision documentaire. Ce n'est bien entendu pas une série à mettre entre toutes les mains, la cruauté étant présentée sans détours. Mais l'effort en vaut la peine.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/26/innocent-1
Une édition spéciale enrichie d'un cahier historique de 22 pages est également disponible. Format compact de l'excellente collection "Mirages" de Delcourt (celle de des albums de Cruchaudet, Un océan d'amour et Endurance par exemple). La couverture (qui ne reflète pas vraiment l'album mais participe à l'implication du lecteur pour ce pauvre singe) est très belle et inspirée.
En 1814 alors que la haine réciproque entre français et anglais est plus forte que jamais, un navire de l'Empire fait naufrage sur les côtes de la perfide Albion. En réchappent un jeune mousse élevé par une nourrice anglaise et un singe. Cela va déclencher dans ce petit village de pécheurs bouseux une réaction de haine absurde contre ce "français"... de singe!
Attention, chez Lupano s'il y a toujours de l'humour, il peut être féroce, voir très noir. C'est le cas avec cette fable issue d'une légende anglaise (expliquée par une post-face de l'auteur) qui illustre le mécanisme de haine collective qui peut se déclencher lorsque le nationalisme exacerbé tombe sur des enclaves isolées. Les affreux sont des anglais, ils auraient pu être français ou malgaches... Car le propos est le même que dans toute fable, dans tous récit absurde (genre souvent exploité chez Lupano comme récemment avec son Cheval de bois, cheval de vent): explorer les mécanismes collectifs qui dépassant la raison et dévoilent les noires pulsions humaines et leur ridicule.
La mise en scène est très proche du théâtre, avec une presque unité d'action et un singe qui aurait pu être totalement absent (cela aurait pu renforcer le côté absurde). Mais les auteurs tentent par moment de nous présenter ce regard incrédule du Chimpanzé pour toucher notre humanité justement. Pourtant le propos n'est pas le tragique de sa situation (puisqu'on fréquente peu le singe) mais le côté ubuesque de cette population désirant utiliser cette présence "française" pour dépasser l'insignifiance de ce village trou du cul de l'Angleterre. Ainsi, si l'identité du français ne pose de problème à personne, tout l'enjeu des villageois, à travers un procès fidèle aux valeurs démocratiques de la grande Nation et des glorieux sujets de sa majesté est de prouver que l'espion attrapé préparait une invasion du Royaume par les troupes napoléoniennes... Le scénariste a tout bon lorsqu'il s'abstient, même avec le personnage témoin du médecin, de comparer les bons personnages des mauvais et de toute mièvrerie. La scène ne mérite pas de commentaire et Lupano laisse le lecteur-spectateur seul face à sa sidération. Tout est compris, il n'y a plus rien à dire.
Graphiquement Moreau croque ses pécheurs de façon atroce, comme ce vieux vétéran des guerres américaines, sorte de morceau de barbaque sur un charriot (il a perdu ses jambes) ou le maire, plus simiesque que le singe. Les couleurs sont très jolies et participent à l'ambiance très théâtrale de la BD (le rouge sanglant du ciel lors du procès). Mais soyons clair: dans cette comédie humaine le dessinateur nous croque une farce, sorte de florilège de toutes les pires expressions et visages de l'humanité haineuse. On retrouve par moment l'esprit de Masbou sur De capes et de crocs lorsqu'il dessine des scènes de panique générale avec forces caricatures.
Le Singe de Hartlepoole est une BD cruelle. Lupano laisse peu de place à la compréhension dans la connerie humaine qui concerne à peu près tout le monde (sa série des Vieux Fourneaux est bien plus optimiste si l'on peut dire) et fait feu de tout bois, avec intelligence, subtilité, radicalité. Un grand scénariste.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/28/le-singe-de-hartlepool
Je n'ai jamais été un super-fana de Régis Loisel et de la Quête (série avec laquelle est née à l'héroïque-fantasy toute une génération des années 70) mais j'ai appris à apprécier le monde d'Akbar et le style cracra-réaliste insufflé par Loisel. J'avais pourtant pris le train en marche d'Avant la quête et apprécié la série malgré un étirement de publication qui mine de rien joue en défaveur d'une implication du lecteur. Il faudra probablement attendre le dénouement (au prochain tome on l'espère) pour vraiment apprécier la valeur de ce projet dans une lecture intégrale et chronologique des aventures de Bragon.
Ici Etien remplace un Mallié qui avait suscité l'espoir d'être le dernier dessinateur de la série. Ce dernier avait su trouver un style à la fois respectueux du graphisme de Loisel et possédant son caractère et rehaussant un niveau fragilisé par l'album moyen (graphiquement) d'Aouamri. Comme beaucoup l'ont dit, l'un des intérêt de cet album est donc plutôt graphique, le nouveau venu s'en tirant vraiment bien et Loisel assurant (comme Yslaire sur Sambre) une direction artistique redoutable mais vraiment justifiée lorsque l'on voit l'homogénéité que recouvre cette saga.
Pour le reste, on se demande tous le pourquoi de cet album... La Quête formait une quadrilogie, l'Avant aurait pu se clôturer au bout de cinq. D'autant que l'essentiel de la genèse du chevalier Bragon a déjà été racontée à ce stade et les pistes vers l'évolution de Mara déjà posées. Les principaux piliers ont été abordés: si l'ami Javin pouvait être une introduction originale, le grimoire, le Rige et la formation du chevalier ont été traités chacun dans un album. Quel est le thème de L'emprise? Outre un piétinement sur l'intrigue générale, la ficelle scénaristique (l'amnésie de Bragon et l'emprise) de l'album est vraiment faible. Alors ce tome se lit bien, est visuellement très agréable, mais l'on a un désagréable sentiment d'un tome 5.1. Surtout que le ton utilisé est étonnamment grand public (venant d'un Loisel dont l'érotisme et la violence marque le style...) et perd un peu le côté "sérieux" de la saga. Ce qui m'inquiète c'est que la seule justification à cela serait la volonté de prolonger commercialement la série sur un long court. Si le prochain est le dernier je fais confiance à la troupe pour clôturer cela de façon classieuse et ce tome 6 n'aura été qu'un semi-loupé. Sinon je risque fortement d'arrêter les frais avant d'être allé trop loin.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/02/lemprise
Le couple d'auteurs BD Brugeas/Toulhoat est l'un des mes favoris depuis pas mal d'années maintenant, après la découverte uchronique Block 109... et toutes leurs autres séries que j'ai lu avec grand plaisir malgré quelques défauts parfois. Après un échec sur la (pourtant excellente) série SF Chaos Team qui a remis en question pas mal de choses chez eux, ils ont été acclamés par la critique et le public avec leur polar mafieux médiéval Le Roy des Ribauds. Ronan Toulhoat ayant une productivité proprement hallucinante (il doit en être à une moyenne de 2-3 albums par an avec des paginations d'environ 100 pages par album...), il remets le couvert cette année avec un premier opus d'une nouvelle série médiévale (le second arrive en fin d'année il me semble) avant la sortie d'un album sur l'univers de Conan le Barbare cet été chez Glénat.
En l'an Mille la Méditerranée est au carrefour des peuples et de l'Histoire: l'empire Byzantin encore puissant occupe les îles italiennes face aux seigneurs occidentaux et aux musulmans. En Sicile le siège d'une cité stratégique va permettre au seigneur Normand Tancrède de fomenter sa vengeance contre un ennemi mystérieux, dans une alliance trouble avec l'Eglise...
J'avais laissé le premier cycle du Roy des Ribauds sur une note mitigée. La sortie d'un nouvel album ne m'a guère surpris, en revanche, qu'il se situe encore au Moyen-Age et la description de l'éditeur ne m'avaient pas donné envie, pour la première fois concernant ce duo! J'étais donc assez sceptique et pas du tout sur d'acheter l'album. Quelques visites sur le forum bdgest et des retours assez positifs, mais surtout le fait que la série s'articule sur des cycles de 2 albums m'a convaincu de me laisser tenter, notamment pour la graphisme toujours aussi classe de Ronan Toulhoat. Et donc?
Je dirais que si le style scénaristique et graphique ressemblent au Roy, le côté ouvert, la structure en aller-retours entre passé et présent, les couleurs de la Sicile rendent la série suffisamment attrayante pour distinguer Ira Dei. Il est d'ailleurs surprenant que l'éditeur des séries historiques (Glénat) ne se soit pas laissé tenter tant le travail documentaire est sérieux (Brugeas a une formation d'historien pour ceux qui en doutaient). le principal défaut de la série est donc bien d'arriver après Le Roy des Ribauds, ce qui en atténue la fraicheur. Cela contentera parfaitement les fans d'action et d'aventure médiévale, ceux qui attendaient de la nouveauté seront un peu déçus.
Pour ne pas faire un faux procès et critiquer cette BD pour ce qu'elle est et non pour ce qui était attendu, elle reste un excellent moment de lecture, doté de plans très forts comme Toulhoat sait les faire, notamment lors des scènes de siège et de bataille. Les ombres et lumière sont toujours aussi beaux et si les arrières-plans sont un peu délaissés (rapidité de production oblige), le niveau reste très élevé. Personnellement j'aime toujours autant le graphisme de cet artiste. Ce qui me plait dans ses dessins publiés sur Facebook et dans ses premiers album c'est le côté barbare que l'on perd un peu à mesure que le lectorat s'agrandit je pense. L'incursion chez Conan me démentira peut-être. Cet album permettra (je l'espère) à de nouveaux lecteurs de découvrir ce duo talentueux et pour les familiers il se lira un peu comme le nouvel opus d'un XIII ou d'un Largo Winch: sans surprise mais avec plaisir. Comme je l'ai dit dans un précédent billet, un lecteur n'attend pas la même chose de tous les auteurs. Aux très bons on peut demander de l'excellence.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/06/ira-dei
Pour rassurer tout le monde, cet ultime (et épais) volume est probablement l'un des meilleurs de la Guerre des Sambre. Non qu'il soit parfait, les graphismes très inégaux sur l'ensemble des 80 pages (un double album...) n'étant pas toujours à la hauteur de la qualité de Sambre. Il semble que les deux auteurs aient eu du mal à organiser cette histoire entre les trois albums et aient été contraints de grossir le dernier tome après un retard à l'allumage, les deux premiers volumes s'étant un peu trop étendus sur la jeunesse tourmentée de Maxime. Boidin qui avait remarquablement collé à l'esprit général de la saga sur le deuxième Cycle, donne une partition mi figue mi raisin, certains visages étant vraiment grossiers avec des effets de crayonné dont il a coutume mais qu'il avait abandonné sur Werner & Charlotte et qui ne collent pas avec la "ligne" Sambre. D'autres cases sont remarquables de composition, d'expression. Certains décors sont vraiment vides et plats quand d'autres sont très puissants d'évocation de la Terreur révolutionnaire... Personnellement j'ai le sentiment que Boidin a eu du mal à produire la quantité astronomique de cases demandées par un scénario extrêmement verbeux et découpé en petites images...
Si la partition graphique reste donc loin de ce qui a été fait sur les autres cycles, la conclusion dramatique de la série atteinte en revanche une maîtrise à la fois littéraire, thématique et passionnelle de très grande qualité. Ce qui m'avait lassé sur les deux premiers tomes c'était l'insistance un peu lourde sur le traitement fait à Maxime, le sadisme permanent, l'absence totale de lumière et de personnage positif auquel se raccrocher. Au commencement de ce troisième volume la situation est installée et l'on peut entrer dans le cœur du sujet (qui nous intéresse): la période révolutionnaire et comment dans cette tourmente historique un orphelin issu d'une noblesse tardive va épouser la grande vague de l'Histoire et fabriquer la génération bourgeoise que nous connaissons dans la série mère. C'est donc bien le moment qui est passionnant et Yslaire fait le choix un peu perturbant d'utiliser la femme de haute lignée de Maxime comme narratrice, nous laissant tout au long du volume lire une description toute orientée (version noblesse revancharde) de la Révolution. L'auteur adopte t-il ce pointe de vue? Rien ne permet de le savoir mais si les abus de la Terreur peuvent être condamnés par tous, le point de vue pro-noblesse est sommes toutes assez perturbant. Il permet néanmoins de comprendre l'attitude d'anguille de Maxime, dont l'unique raison d'être est son ambition et sa propre survie. Nous l'avions déjà vu dans Hugo & Iris, ce personnage est très certainement le plus détestable de l'ensemble de la série! Yslaire ne permet absolument aucune compassion pour ce personnage, ce qui rend là encore la lecture à la fois complexe et éreintante. Et si Constance est la harpie manipulatrice présente dans chacun des albums Sambre, Etienne, le jeune et innocent fils de Maxime et Josepha, sa sœur, donnent une lueur de naïveté et d'idéalisme qui corrigent la noirceur du scénario.
L’œuvre de l'auteur belge atteint avec cet ouvrage, (je pense le plus ambigu) une ambition rarement vue en BD, comme pyramidion un peu bancal mais qui structure l'ensemble de la saga. En raccrochant Sambre au basculement révolutionnaire, il brise un peu la structure familiale qui organise ses récits mais s'appuie sur un bouleversement absolu, ressenti par chaque être au quotidien, pour hisser plus haut que jamais la saga des Sambre.
lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/07/le-regard-de-la-veuve
Comme beaucoup la couverture tape à l’œil du tome 1 m'a fait de l’œil justement, avant de voir les noms des auteurs de ce comics publié en France (je ne sais pas comment il faut l'appeler du coup vu que le scénariste est français et les codes franco-belges mais le dessinateur américain avec un style comics...) et quels noms: l'un des tout meilleurs scénaristes depuis pas mal d'années maintenant et un auteur chevronné (que je ne connaissais pas) au style très proche du grand maître Frank Cho et sa Liberty Meadows, excusez du peu.
Il s'agit donc bien d'une BD de super-héros (moderne= sans pouvoirs): dans les années 80 Red Skin est une espionne envoyée en Amérique pour décrédibiliser une candidate à la Maison-Blanche qui risque de faire de ce pays une théocratie de fondamentalistes chrétiens. Outre ses capacités de combat hors norme, elle va surtout aider la production d'un remake porno du film de chevet des bigots de l'Amérique de la Bible-belt...
Alors certains ont trouvé une malhonnêteté dans des couvertures (Dodson se fait plaisir en mode Pin-Up) et un pitch qui pouvaient laisser imaginer une BD sexy. En réalité on reste très comics-compatible dans cette BD (la série est publiée aux Etats-Unis) et c'est surtout l'environnement (le porno californien) et les courbes divines de l'espionne qui pimentent cette BD au demeurant pas plus chaude qu'un Largo Winch. En revanche l'esprit très frais, les réparties drôles entre la donzelle et son hébergeur-réalisateur porno ronchon et les scènes d'action en font une BD plaisir vraiment sympatoche. Outre une histoire qui parvient à nous accrocher malgré un côté dérisoire (la maîtrise de Dorison se ressent), la grande force de Red Skin c'est le personnage principal, absolument craquante à chacune de ses apparitions. Le talent de Dodson y est pour beaucoup, si bien qu'on a envie de passer plein de temps avec cette drôle de nana à la fois désarmante de naïveté et forte comme le roc. Surement une incarnation du fantasme masculin auquel les auteurs répondent intelligemment sans verser dans le nu inutile (le reproche que je faisais à Boichi sur Sun-ken Rock justement).
Une bonne BD rafraîchissante qui se poursuivra sur un troisième volume.
lire sur le blog
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/03/08/red-skin
L’édition originale comporte deux volumes, ensuite rassemblés en une intégrale très joliment fabriquée en grand format (comme pour Shangri-la). Vu que la césure n’a pas d’intérêt scénaristique, l’édition intégrale peut être considérée comme la seule intéressante.
L’homme est immortel. Il a vu tomber sa cité, son peuple, sa famille. Il ne se souvient plus. Errant à travers la Grèce antique, il cherche à comprendre le pourquoi de son immortalité, jusqu’à défier les dieux de l’Olympe.
C’est étonnant, j’ai lu la série Heraklès et cet album de Mathieu Bablet dans la foulée et les deux ont a peu près le même questionnement: comment un être immortel peut-il cohabiter avec les hommes alors qu’il est semblable à un dieu? Comment peut-il s’intégrer, être accepté alors qu’il est « anormal ». Si l’album d’Edouard Cour est plus axé action et humour, celui de Bablet est clairement contemplatif et philosophique. Pourtant c’est la même envie qui a visiblement lancé ces deux jeunes auteurs sur leur album qui comprennent d’ailleurs tous deux un lexique des personnages en fin de volume.
Bablet m’avait soufflé avec son Shangri-la, salué unanimement malgré un dessin des personnages qui a entraîné des débats. Je dois dire que dès son deuxième album (Adrastée, publié avant Shangri-la donc…) son style est installé, avec ses forces et ses faiblesses: oui ses personnages sont plats, sans expression, peu esthétiques. Ses décors en revanche… quelle virtuosité, quelle ambition! Bablet cisèle ses planches avec une minutie extrême et une prédilection pour les architectures rectilignes, les pavages à perte de vue, par ailleurs déstructurés en des amoncellements cyclopéens envahis par la nature. Les points de vue vertigineux sont impressionnants et gonflés. Il y a du « level design » dans ses albums, cette envie de construire un tableau dans lequel ses personnages statiques pourront se déplacer (l’intérieur de couverture représente d’ailleurs le périple du héros en mode jeu vidéo sprité). Les détails semblent prévus pour annoncer le cheminement du personnage, descendant un escalier puis passant sous une arche, etc. Vous m’excuserez l’analogie mais on peut retrouver l’esprit des albums « où est Charlie » dans cette profusion… Clairement chaque album de Mathieu Bablet est une claque.
L’histoire en revanche m’a laissé sur ma faim. Peut-être n’étais-je pas assez concentré (l’album est contemplatif, énormément de passages voient des successions de cheminements muets dans des paysages grandioses), mais je n’ai pas été accroché par cette histoire hormis le côté visuel. Pour revenir à Heraklès, moins précis graphiquement mais autrement plus maîtrisé sur le plan de la BD, j’ai pris bien plus de plaisir sur l’album d’Edouard Cour. Adrastée se savourera néanmoins en grand format pour ses planches, mais là où les thématiques SF de Shangri-la avaient fait mouche et permis de dépasser ses lacunes, Adrastée est un peu court niveau intrigue et dialogues. Pour un second album cela reste diablement ambitieux et bien construit. Mais je le conseille pour les fans de mythologie grecque et ceux que les personnages de Bablet n’ont pas gêné.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/06/adrastee/
Album recueil des chapitres courts parus dans la revue Fluide glacial en 2017. Une édition luxe grand format dos toilé avec cahier graphique de 8 pages est disponible en édition limitée.
L’ouest sauvage, magnifique, éblouissant, poussiéreux. Ses despéradettes, ses hordes d’indiennes sanguinaires, ses saloons gorgés de prostitués… Hein? Quoi??!!… Oui les amis, on est chez Fluide glacial et on renverse tout: dans ce western les hommes sont des femmes et les femmes sont des hommes. Et inversement… bref…
Donc on est chez fluide, donc c’est de l’humour, gras, poilu, odorant, lourd. Si c’est pas votre tasse de thé ou que vous êtes un peu prude, passez votre chemin visage pâle! Sinon… bienvenue dans une bonne tranche de rigolade qui retourne les neurones et fait (un peu) réfléchir quand même! Au premier abord je m’étais dis ouais bof, des garçons en robe et des filles en pantalon on a déjà vu ça… Mais ce qui est très réussi dans Mondo Reverso c’est que les auteurs jouent sans arrêt sur nos références sociales imprimées profondément dans nos cerveaux reptiliens. Aucun détail n’est épargné: la cheffe des bandits pisse comme le ferait un pistolero mais… comme une fille, les filles rotent, pètent et jurent. Les hommes (barbus, poilus et moustachus comme à l’époque) sont des chochottes qu’il faut protéger ou troncher… On est dans les codes du western, manichéens, macho… en inversé. Et ça fonctionne! Le comique de situation habituel (… à la sauce Fluide quand même, c’est a dire « bite-couille-nichon-prout-caca » avec une once de tronches éclatées et de cervelles répandues) est franchement rehaussé par ces inversions de codes qui nous fait (les garçons en tout cas) réfléchir à des choses tellement grosses qu’elles étaient devenues invisibles. Du coup il va être dur de lire ou regarder un western normalement après ça! La féminisation des noms joue également ce rôle de perturbateur de lecture (vous savez, on ne lit qu’une partie du texte, on devine l’essentiel). La Christe s’appelle Jesuse et l’on se confesse à sa mère,… On atteint le summum des nœuds lorsque bien entendu la femme doit se déguiser en… femme et l’homme en homme… Les auteurs s’en sont donné à cœur joie dans cet embrouillamini et personnellement j’adore!
Niveau dessin c’est du Bertail: lavis sépia dont il a l’habitude, décors magnifiques et gueules tordues. J’avais découvert cet auteur sur l’excellente série d’anticipation Ghost Money (scénarisée par Smolderen), sur des tons plus bleutés mais également au pinceau. Il est vraiment fort et semble produire avec facilité. Sa technique ne donne pas des dessins très techniques mais vraiment esthétiques (la section dans les Rocheuses est magnifique). Je regrette qu’il abuse un peu de tronches à la fluide glacial (on est parfois pas loin d’Edika…), mais c’est sans doute le genre qui veut ça. L’esthétique du western est superbe et par moment on aimerait qu’il redevienne sérieux et nous propose une vraie histoire de l’ouest, de sang et de fureur…
Mondo reverso est une excellente surprise, pas loin de l’esprit « n’importe quoi » de la série Infinity 8 (dont le premier volume est signé… Bertail) qui paraît en ce moment. Pas loin du 5 Calvin que j’aurais peut-être mis si j’avais eu l’édition collector entre les mains en place de la version numérique.
Comme beaucoup, Spirou a fait partie de mes professeurs en BD… enfin pas le même Spirou, moi ce fut celui de Tom et Janry, qui sont les seuls à avoir véritablement refondés le héros après les années Franquin et ses successeurs. Avec eux Spirou est devenu un héros moderne, une sorte d’Indiana Jones appuyé par un dessin à la fois « gros nez » et réaliste. Bref, après leur passation de pouvoir suite à Machine qui rêve (le meilleur album de Spirou toute époque confondue et véritable ovni très gonflé) je n’ai jamais pris le temps de tenter à nouveau l’aventure. L’arrivée de ce Triomphe de Zorglub m’a attiré par un graphisme qui m’a rappelé celui de Janry… mais laissé sceptique par une communication assez calamiteuse de Dupuis qui le présente comme lié à la sortie du film. Alors oui le timing est le même et l’histoire est celle d’un film tourné sur Spirou et Fantasio… mais une fois ce pitch passé, on est surtout dans une vraie histoire de Spirou, drôle, pleine de mises en abymes et d’action débridée. Je n’ai absolument pas envie de voir le film, pourtant je me suis régalé à la lecture de la BD. C’est iconoclaste, un peu scato sur les bords et vraiment percutant.
Les dessins sont très correctes, un peu plus réalistes que d’habitude et la mise en couleur très vive et agréable. On saute du coq à l’âne par des ellipses temporelles et géographiques vertigineuses, mais cela n’a aucune importance: on a du Zorglub (le vrai… bien qu’un peu faiblard), du Champignac, du Slip (… pardon, Spip..), Sécotine et un Fantasio que j’ai rarement vu si drôle avec sa tignasse qui a du beaucoup inspirer les auteurs. L’histoire du film permet une immersion dans le monde du cinéma et des commentaires sur le statut de héros. Le découpage propose quelques séquences qui vont vous faire pleurer de rire… Une vraiment belle surprise humour que je n’attendais pas et qui montre que l’on peut allier démarche commerciale et réussite artistique.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/08/le-triomphe-de-zorglub/
New-York, période de la Prohibition. Alors que les gangs s’affrontent pour le contrôle de la ville, des meurtres atrocement sanglants sont perpétrés. La fille d’un antiquaire autrefois assassiné se retrouve au centre d’une poursuite qui va voir s’affronter différentes visions de la réalité et dont d’étranges indiens arrivés de leur Nevada pourraient avoir la clé.
Paru il y a 24 ans alors que Ledroit venait de clôturer sa participation aux Chroniques de la Lune noire (dont il continuera à réaliser les superbes couvertures jusqu’à aujourd’hui), Xoco lui permettait de partir dans un registre à la fois plus réaliste (des crimes pendant la Prohibition) et collant à son univers noir et gothique en illustrant une histoire fortement inspirée de l’univers de HP Lovecraft. Certainement sa meilleure œuvre (tant graphique que scénaristique), le double album adopte une technique en peinture directe (son premier il me semble) et aux traits beaucoup plus sérieux que ses albums d’Heroïc-Fantasy. Le film Seven, sorti en même temps que le second volume Notre seigneur l’écorché adoptait une esthétique très proche: une ville sombre, poisseuse, humide où la lumière semble fuir. le lien entre les deux ne s’arrête pas là car la mise en scène de la BD est extrêmement cinématographique, avec travelings, zooms et dézooms, textes hors-champ etc. L’esthétique art-déco irradie des décors très fouillés et surtout, Ledroit développe ce qui a fait sa marche de fabrique: la destruction de pages par un savant jeu de cases rompant totalement avec les codes de la narration franco-belge et entièrement fusionnées avec ses nécessités graphiques. L’inspiration vient probablement du Manga puisque même Sin City de Frank Miller (qui a lui aussi révolutionné la construction des planches) sort à peu près en même temps.
Thomas Mosdi n’est sans doute pas pour rien dans cette évolution plus cadrée de l’art de Ledroit, puisqu’il avait produit le scénario de la première série de Guillaume Sorel, également très teintée de Lovecraft (l’Ile des morts) et très travaillée en matière de découpage. Toutes les autres BD d’Olivier Ledroit ont le gros défaut d’être basées sur des scénarios de jeu de rôle, sans grande ambition, laissant libre court à la furie des pinceaux de l’illustrateur. Xoco est d’abord une histoire sur le voile des réalités, des démons d’entre les mondes et des pouvoirs des esprits (les chamans navajo). Une histoire solide, à la progression construite et laissant la place aux séquences dialoguées, aux atmosphères (dès l’intérieur de couverture un rapport de police nous immerge dans l’histoire). Probablement que Ledroit s’amuse plus en envoyant des légions de millions de dragons se fracasser sur des murailles titanesques… mais ses albums en pâtissent. Ainsi hormis la fin apocalyptique et très noire, la plus grande partie du récit est une enquête policière relativement classique. Ça reste sombre, violent, mais c’est de la très bonne BD, de l’excellent scénario: en clair, un film sur papier.
J’hésite souvent à penser qu’Olivier Ledroit gâche son talent et ne choisit pas vraiment les bons scénaristes qui le bousculeront… Sa tentative de scénario sur le très bon Les irradiés (jamais poursuivi faute de succès) m’incite à penser que cela aurait pu l’amener à diversifier ses histoires et sa technique. Il y a plein de raisons de ne pas aimer les BD de Ledroit, malgré des planches objectivement magnifiques… Si vous êtes de ceux-ci, lisez Les deux tomes de Xoco et savourez un artiste ambitieux, travailleur, exigeant.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/09/xocco/
J’ai découvert le mangaka Boichi très récemment et notamment son œuvre phare (et la plus longue): Sun-ken Rock. C’est clairement en parcourant les recherches d’image Google que j’ai flashé sur ces cases dont certaines sont réellement sidérantes. Wallman étant en seulement trois volumes à ce jour (probablement un premier cycle) je me suis laissé tenter. Et donc qu’est-ce que ça vaut?
Et bien je dirais plutôt très bien et plutôt mieux que Sun-Ken Rock. D’abord, la série étant plus récente, son dessin est déjà à pleine maturité (les premiers tomes de Sun-Ken Rock étaient « à améliorer ») et son style également.
Les fondamentaux sont là: on est dans un manga d’action effrénée où l’humour vaguement scato ou sexuel et les (très) jolies filles (très) aérées ont une place sinon centrale, disons régulière. Boichi adore les plans osés sur les petites culottes. L’insistance est un peu lourdingue mais question virtuosité cela permet des plans assez incroyables dans les scènes d’action. De même, les filles ont une fâcheuse tendance à oublier de mettre des pantalons/des soutifs… bref. L’artiste un peu Otaku sur les bords se fait plaisir et finalement il n’est pas le seul dans l’univers de la BD à aimer dessiner les filles…
Passons donc au cœur du manga: l’action. Là-dessus on entre directement dans le vif du sujet avec des acrobaties câblées de Maître Ku et sa charmante disciple (format oblige: on est sur trois volumes dans une histoire finie quand Sun-Ken Rock se clôt en 25 volumes avec quelques longueurs) dès les premières pages. Ça va même un peu vite pour du manga et on est un peu frustré de passer si rapidement sur ces affrontements qui virent dès le second volume en mode jeu vidéo (inspiration claire de Boichi) avec boss successifs avant d’atteindre la fin du « level ». L’originalité des combats câblés est réelle et permet à la fois une scénarisation des combats et des innovations graphiques franchement chouettes. Le design et concept des adversaires est également hissé vers le haut et l’on pense parfois aux inventions du jeu vidéo Metal Gear Solid avec ces boss aux qualités très spécifiques. Niveau dialogues ça ne vole pas haut mais on n’est pas là pour philosopher…
Ce qui fonctionne très bien dans ce manga c’est l’articulation du trio Maitre Ku (le héros +/- assexué)/Nami (la bombe anatomique qui voit en lui un père/amant)/Kubota (l’ami mangaka rigolo). Kubota apporte un vrai plus niveau humour, ce petit gros expert en grand écart sauté avec fusil à pompe est très drôle et tempère le caractère ténébreux du héros. Il permet également d’introduire le thème des armes à feu, comme sur le tome 3 où l’auteur nous explique les subtilités des calibres des fusils antichar des soviétiques et des finlandais… Le côté technique est très sympa dans cette série et me rappelle un peu Appleseed.
En trois tomes sur les chapeaux de roue on n’a pas vraiment le temps d’installer une histoire, mais le troisième volume (clairement le mieux) commence à détailler l’univers des agences d’espionnage et des organisations occultes qui embauchent les Wallmen. Ça semble bien plus touffu et avec un plus gros potentiel que Sun-Ken Rock… auquel Wallman est lié puisque Nami apparaît dans la grande série de Boichi et que Wallman nous parle du Gang que Ken (qu’on voit apparaître à la fin) a décimé.
Le mangaka est pour l’instant parti sur une nouvelle série (Origin, à paraître en France en juin chez Pika), ce qui reporte la suite des aventures de maitre Ku, mais il est certain que l’assassin câblé va voir de nombreux tomes dans le futur, pour notre plus grand plaisir!
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/12/wallman/
A sa sortie cet album m’avait intrigué par sa couverture rigolote. Les illustrations regardant le lecteur dans les yeux (ça me fait penser à La folle du sacré-cœur de Jodo et Moebius) c’est toujours efficace/dérangeant. Mais pour la même raison que je n’avais pas tenté Jazz Maynard (couleurs ternes de Roger peu attirantes), j’avais continué mon chemin. Ayant vu cet album dans plusieurs des sélections de la BD de la semaine et ayant depuis totalement flashé sur le dessin de l’espagnol Roger, j’ai sauté à pieds joints sur cette BD… pour une excellente surprise!
Tout d’abord précisons une chose: ce long titre est une fausse bonne idée. D’abord par-ce que cet album n’est pas franchement ironique comme cela pourrait le suggérer et par-ce que niveau com’ c’est quand-même long à retenir. Un peu comme pour « il faut sauver le soldat Ryan« , parfois les auteurs devraient consulter avant de choisir un mauvais titre… Ce roi de Prusse c’est Michel, esprit d’enfant dans un corps de géant et dont la vieille mère s’occupe quotidiennement. C’est elle qui « reprise les chaussettes ». Sauf qu’ici il n’est aucunement histoire de Geste héroïque ni de guerre mais bien du combat d’une mère fatiguée mais éternelle optimiste pour gérer les sautes d’humeur et les paniques subites de son fils handicapé mental.
Zidrou nous offre une très belle histoire. Belle par-ce que franche mais sans pathos. Le sujet n’est pas le handicape mais bien l’amour maternel et la difficulté à gérer ce qui n’est pas gérable, dans une inversion des rôles néanmoins tragique. Le trait en encrages puissants de Roger participe beaucoup de cette tendresse, dans des regards et des visages par moment pas loin du cartoon. L’album se découpe en plusieurs séquences vaguement thématiques qui voient progresser notre compréhension de la situation de cette famille brisée par la mort du père puis par l’accident du fils Michel. Le lieu n’est pas connu (c’est dommage, l’atmosphère nocturne de Barcelone était très forte dans Jazz Maynard) et l’on plonge surtout dans l’univers étroit de ce colosse enfantin fait de caprices, d’activités cycliques et de la tendresse de son entourage. L’album est dédié à cette héroïne moderne, minuscule bonne femme capable de déplacer des montagnes et que rien ne fait capituler. Concernant le dessin, donc, Roger est pour moi l’un des tout meilleurs dessinateurs actuels (j’en ai parlé ici), mais sa colorisation très monochrome me fait me demander s’il ne ferait pas bien de prendre un coloriste… Son style s’accommoderait parfaitement du noir et blanc et ses couleurs n’apportent pas grand chose à ses planches. Pas sur que des couleurs vives n’écrasent pas ses encrages mais pour une BD de la sorte je pense que ça collerait plus avec l’atmosphère recherchée.
Il n’en demeure pas moins que ce « Roi de Prusse… » est un très beau petit album. Pas de ceux qui vous transportent ailleurs mais un moment de calme à partager avec cette belle personne à admirer les coups de pinceaux d’un grand artiste.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/13/pendant-que-le-roi-de-prusse-faisait-la-guerre-qui-donc-lui-reprisait-ses-chaussettes/
Magnifique album, comme toujours chez Futuropolis (peut-être l’éditeur le plus attaché à ses maquettes avec la collection Metamorphose), les couvertures de la série sont chaque fois à tomber. La couverture est un peu trompeuse puisqu’il n’est (presque) pas question d’aviation… Ce quatrième tome forme un second cycle entamé avec le 3 sur le Front populaire et se poursuivra au moins sur un cinquième tome pour clôturer le cycle. On aurait aimé un cahier graphique…
Je suis (comme beaucoup) Gibrat depuis son grand succès Le Sursis, superbe diptyque sur l’amour, l’attente, la guerre… Chacun de ses albums est très bien accueilli malgré des répétitions que l’on ne peut nier (toutes ses filles ont le même – magnifique! – visage…) et cela pour une simple et bonne raison: il est pour moi l’illustrateur BD qui a probablement la plume la plus virtuose du circuit. Rares sont les grands illustrateurs dont les textes sont presque plus puissants que les images et c’est le cas avec Gibrat. Pourtant on part de très haut et il n’est pas besoin d’appuyer beaucoup sur les qualités des dessins et notamment des couleurs directes.
"Les grandes idées ne se claironnent plus, elles se chuchotent. L’idéal dévalué, la peur restait une valeur refuge"
Pour rappel, après la première guerre mondiale dans le tome 1, la révolution russe de 1917 dans le 2 et le front populaire dans le 3, Mattéo se retrouve (comme la fin du précédent le laissait entendre) embarqué dans la révolution espagnole (ou plutôt catalane) contre les phalanges franquistes. Une situation politique qui représente le personnage: idéaliste et désabusé. Ce thème permet à l’auteur de s’étendre sur ces grandes pages sur les magnifiques paysages semi-arides de l’Espagne, les petites ruelles du sud qu’il aime tant dessiner, ces bleus qui irriguent le ciel… C’est beau, très beau, on a l’habitude avec lui. Ce qui est plaisant dans la série Mattéo, plus que dans ses autres, c’est cependant son effort sur les visages ou plutôt les tronches. Mattéo d’abord, vraiment caractérisé, avec son nez cassé et son regard sombre, mais aussi les camarades vociférants. On est pas loin des gueules de Bourgeon mais en plus délicat.
"Je vois que l’activité politique bat son plein… toujours sur la même ligne… celle du petit blanc"
Image associéeMattéo est une série flamboyante par-ce qu’elle propose une traversée de la première moitié du siècle et se ses soubresauts politiques. C’est la série la plus engagée de Gibrat et sa longueur semble indiquer qu’il s’y fait plaisir, à la fois graphiquement et intellectuellement. Je n’ai pas relu récemment les précédents tomes (la série a 10 ans) mais je dois dire que ce volume est celui qui m’a le plus marqué au niveau des textes. Il y a une vraie inspiration dans les commentaires du narrateur sur la situation de ces pieds nickelés alcooliques engagés pour l’aventure ou pour la démocratie (on ne sait pas trop…) et sur les réparties à la fois drôles, vives, acerbes. Une vraie ambition littéraire qui fait relire plusieurs fois certaines bulles pour s’en imprégner, pour les savourer, comme on savoure ces aquarelles superbes.
"… nous ne faisions guère mieux que des iceberg, on se fabrique sous un climat, on s’en détache, et on dérive le nez au raz des vagues."
Niveau scénario il y a bien une petite difficulté quand à la disparition soudaine des personnages entre les albums de la série et au sein d’un même album. C’est perturbant car cela brouille un peu la simplicité du récit. Probablement car Mattéo est l’axe de ses récits, le reste, comme l’histoire, comme la guerre, étant dérisoire à ses yeux. Il y a pourtant de l’aventure dans cette série (je ne dirais pas de l’action, qui n’est peut-être pas le fort de Gibrat) et l’on aime suivre les pérégrinations tant amoureuses que militaires de notre gueule cassée préférée.
Mine de rien Mattéo est en train de devenir une référence dans la BD historique et sans doute la meilleure série de son auteur. Une série qui peut se prolonger sans soucis et pour notre plus grand plaisir encore sur de nombreux albums, tant que le siècle a encore des horreurs à montrer.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/14/matteo-4-epoque/
Édition très propre de Glénat reprenant exactement l’élégante maquette japonaise. En intro chaque volume comprend un mot du dessinateur et en fin quelques pages bonus.
Après la fin du tournoi entre les champions des univers (#1 et 2), l’on découvre qu’un double maléfique de Goku a ravagé le futur et pratiquement exterminé l’humanité. Commence une enquête autour de Beerus le dieu de la destruction, les Kaïo Shin des différents univers et la bande de Goku pour éliminer ce danger.
On continue avec toujours autant de plaisir cette improbable résurrection de Dragon ball qui avait tout de la prolongation de trop alors qu’elle gagne à chaque volume et est pour moi, alors que je lis ce troisième tome, meilleure que DBZ, à cheval entre les délires du premier Dragon ball et les élucubrations SF de DBZ. Il y a étonnamment peu de combats ici, pas mal de dialogues, tous très drôles, décalés voir totalement délirants. Énormément de second degré (les noms des différentes formes de super Sayan ou la semi-débilité de Goku). L’intro du second chapitre où le dieu de la destruction joue à Mario kart avec la bande de Sangoku vaut ainsi son pesant de cacahuètes! La mythologie que continue de développer Toriyama est cohérente même si ça part toujours dans tous les sens et que les lois et hiérarchies qu’il a édictées sont sans cesse transgressées. C’est drôle, familier, rythmé et l’auteur parvient même à instiller une vraie curiosité en mode polar. Les intrigues sont nombreuses (autant que les personnages!) et sont résolues assez rapidement, évitant une histoire qui s’étirerait trop. On est dans des questions de voyage temporel et leurs paradoxes, expliqués de façon très pédagogique.
Sur le plan graphique, si le maître Toriyama (toujours au scénario et ça se ressent!) a passé les crayons à un jeune mangaka qui apprend au contacte de son mentor, ça reste de très bon niveau et hormis quelques approximations (mais les premiers DB étaient-ils tous nickel?) La traduction semble menée -rapidement- avec grand soin et sans censure: de nombreuses explications sur les noms « alimentaires » des personnages ou le langage de charretier de Vegeta…
DBS est vraiment une de mes meilleures lectures manga en ce moment et j’attends avec grand impatience la suite des aventures galactiques des sayans.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/19/dragon-ball-super-3/
Je n’ai jamais lu de Bob Morane que je ne connais que par la chanson d’Indochine… La reprise de la série avec le dessinateur du très réussi Sykes était l’occasion pour moi de découvrir ce personnage, aidé par une couverture du premier tome vraiment chouette.
Après avoir sauvé le futur président du Nigéria, Bob Morane, brillant idéaliste rompu aux zones de guerre devient son conseiller spécial, chargé de mettre en oeuvre un ambitieux plan d’éducation des populations nigérianes grâce à une technologie d’apprentissage neural. Mais alors que des attentats brutaux attisent les tensions, les motivations du président et de sociétés françaises deviennent plus troubles et obligent l’Aventurier à remettre ses convictions en question.
Malgré un a priori plutôt positif, j’ai été assez déçu par les deux premiers albums sensés former un premier cycle alors qu’ils ne clôturent rien mais ressemblent plutôt à une introduction au personnage. Le problème c’est que tout va beaucoup trop vite pour un album introductif à un personnage mythique. Je ne sais pas si Bob Morane à été modernisé ( il est ici un idéaliste archidiplomé et engagé pour des raisons humanitaires dans les casques bleus) mais si l’environnement géopolitique est assez contemporain, l’introduction d’une part non négligeable de SF ne prends pas vraiment. J’attendais plus de la BD d’aventure à la Largo winch et ici Bob Morane est totalement trimballé par le scénario sans aucune décision ni réflexion de sa part. Du coup, si l’on peut s’intéresser à une intrigue d’anticipation proche de ce que produit Fred Duval dans la collection Série B Delcourt, le personnage nous laisse assez distants. C’est dommage car le scénario est assez ambitieux, mais j’ai éprouvé du mal à identifier cette BD entre différents genres, ce qui empêche d’être véritablement happé. Sur un thème proche, le Katanga de Fabien Nury, plus faible niveau graphique, est beaucoup plus réussi dans le traitement de la relation politique entre Occident et pays africains.
Niveau dessin, si le trait très encré de Dimitri Armand collait parfaitement à l’ambiance western de Sykes, on alterne ici entre certaines cases très inspirées, notamment au niveau des visages et beaucoup d’autres assez lambda avec des arrière-plans délaissés. Je ne suis pas sur que l’on puisse reprocher grand chose à Armand (son travail reste plus que correcte) hormis que son style ne s’accommode pas vraiment avec des atmosphères futuristes. Les hésitations graphiques que je notais sur Sykes sont toujours d’actualité et la technique de l’illustrateur à peu progressé depuis, ce qui est étonnant. On dira que c’est inégal.
Du coup il est peu probable que je continue une série qui a mon avis aura du mal à attirer des lecteurs ignorants de la série originelle. Un coup dans l’eau pour le Lombard.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/20/bob-morane-renaissance/
Dans cette série Steampunk de style Manga, entre humour et action et caractérisée par un rythme effréné (qui peut parfois épuiser le lecteur!), Jules Verne accompagné d’Arthur Conan Doyle et d’une agent spéciale envoyée en Europe par par Eliott Ness se retrouvent à Paris à la recherche du texte descriptif du méchant Black Fowl afin de sauver son père. Le tome commence directement dans le Monde à l’Envers, de l’autre côté du Miroir (le monde d’Alice au pays des Merveilles) où le Chat de Cheshire soumet Houdini (envoyé là par son double maléfique) à des énigmes redoutables. L’histoire progresse ainsi en parallèle entre les mésaventures de Houdini qui rencontrera le créateur de ce monde parallèle, Lewis Caroll, et les héros qui sont eux recueillis par un Victor Hugo membre d’une résistance occulte comprenant rien de moins que Maupassant, Agatha Cristie, Edgar Poe, Tolkien et Maurice Leblanc (Arsène Lupin)… ouf!
Vous l’aurez compris, la grande force de cette série est l’extraordinaire imagination et le patchwork cohérent qu’ont réussi à créer les auteurs autour de ce monde où le papier permet de générer une réalité par sa simple description. Sortes de sorciers dotés de crayons à la place de baguettes, les personnages sont tous des figures de l’histoire littéraire (mais également Lincoln, Graham Bell, Malcolm X,…). Le concept est extrêmement audacieux et excitant et si les premiers volumes souffraient de quelques défauts de jeunesse, les auteurs atteignent ici pleine maturité de leur récit. On reste dans du manga ce qui implique une relation entre les personnages un peu manichéenne, des dialogues un peu ado et des découpages où le rythme est la vertu cardinale. Mais l’ensemble reste assez lisible et surtout le design général est vraiment alléchant. L’ambiance steampunk laisse le champ libre à toutes les possibilités scénaristiques concernant des innovations technologiques à vapeur (les auteurs s’inspirent des découvertes récentes… à la sauce Révolution industrielle). Les grande auteurs, tous dotés d’une créature imaginaire issue de leurs crayons sont dessinés de façon totalement libre et fantasmée, comme des héros de jeux-vidéo. Les conspirations, agences secrètes et histoire occulte foisonnent dans cet univers, si bien que malgré la grosse pagination, on trouverait presque que tout va trop vite et l’on souhaiterait que la série continue (elle s’achève au septième tome). Ce volume comporte plus de découvertes que d’action mais reste sur un très bon équilibre entre les dialogues too-much de Jules Verne, l’univers fantasmagorique de l’autre côté du miroir (même la Reine de cœur apparaît!) et la confrérie occulte de Victor Hugo.
C’est plein, ça déborde de cœur et d’envie de la part des auteurs (comme cette double illustration en transparence!) qui ont voulu mettre tout leur amour des imaginaires dans leur création et je vous invite vraiment à découvrir ce très bon manga français (surtout si vous n’êtes pas férus de manga) qui fait de la littérature classique un monde d’action, d’énigmes et d’aventure!
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/21/city-hall-5/
L’indépendance du Congo en 1960 attise les convoitises sur les matières premières d’un territoire encore mal contrôlé par un régime hautement corrompu. La Francafrique se mets en place à l’aide de conseiller de l’ombre et de barbouzes cherchant de l’activité après la fin des guerres coloniales. L’histoire ne sent pas bon et les hommes sont cupides. Bienvenue dans la réalité de la Francafrique…
Le duo d’il était une fois en France se reforme pour une série très ressemblante dans son traitement historico-realiste mais transposé dans la francafrique. Ce que j’aime chez Fabien Nury, comme chez Lupano, c’est que tout en restant dans de la vraie BD plaisir ils gardent toujours une part politique, polémique, grise.
J’avais lu avec réticence Il était une fois en France dont le thème ne m’attirait pas, avec des dessins que je trouvais assez grossiers… Et à la lecture j’avais été conquis par le talent d’écriture du scénariste et par une certaine expressivité des visages du dessinateur. Il en est de même ici. On part dans une BD d’aventure politique au sein des sales opération politico-economiques, à base de barbouseries les plus noires. Les héros sont de gros réac venus en Afrique pour buter du nègre et se remplir les poches… Pas vraiment de gentils chez Nury, mais comme il se place dans de la BD d’aventure cela n’est pas déprimant comme peuvent l’être certaines BD documentaires. La vision des africains pourrait même friser le racisme… si les blancs n’étaient pas tout aussi monstrueux.
La part graphique est étonnante, avec le trait presque cartoon ou BD jeunesse de Vallée qui s’avère (une fois qu’on s’y est habitué) très précis, lisible et particulièrement bien découpé. Si la version N&B de l’album permet d’apprécier les encrages du dessinateur, ce sont surtout les extraordinaires couleurs de Jean Bastide (pour moi le meilleur coloriste actuel) qui rehaussent ces dessins de façon impressionnante. Nous avons ici une vraie BD à trois mains où du scénariste au coloriste chacun participe à une partition graphique d’assez haut niveau.
Malgré son traitement vraiment sans détours et totalement pessimiste, Katanga réussit le pari d’allier l’action, l’exploration historique et la dénonciation d’une époque au sein d’un album de BD très grand public. Une réussite qui donnent envie de lire la suite.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/22/diamants/
J'avoue que j'ai décroché d'Astérix depuis Chez Rahazad qui reste pour moi un des meilleurs de toute la série. J'avais lu quelques albums suivant mais c'était franchement moins bon. A partir des sorties de faux albums (genre "la rentrée gauloise" ou "comment Obélix est tombé...") j'ai complètement laissé les gaulois de côté. Les plutôt bonnes critiques de la Transitalique et surtout l'excellente adaptation animée d'Astier m'ont donné envie de m'y remettre. Et du coup à la lecture de cet album je crois que je vais me faire un rétro sur les deux autres albums de la reprise.
Donc après une entrée en matière fort rapide, une course est organisée en Italie pour démontre la qualité des voies romaines. Différents équipages venus des quatre coins de l'Empire entrent en lice, à la poursuite de l'étrange champion romain doté d'un casque. Obélix s'avère être un excellent aurige (conducteur de char) et les péripéties permettent aux auteurs d'introduire moultes anachronismes et jeux de mots.
Franchement je me suis bien marré en retrouvant nos deux moustachus. Les noms des concurrents sont toujours aussi bien trouvés et les situations sont fidèles à ce à quoi la série nous a habitué (les deux numides parlant par hiéroglyphes sont très drôles). Rien de révolutionnaire et on pourra bien sur trouver quelques manques: peu de baffes aux romains, un Astérix pas si malin que d'habitude, peu de caricatures et surtout l'absence de la page traditionnelle présentant le village des irréductibles cerné par Babaorum, Petitbonum et laudanum (absence incompréhensible et qui a soulevé un début d'émeute parmi les fans...). Nombre d'albums oblige, on retrouve des éléments du Tour de Gaule ou d'Astérix légionnaire par exemple, mais l'humour est là. Pour moi le contrat est rempli. J'imagine que des puristes trouveront toujours un sacrilège à conspuer mais les nouveaux auteurs parviennent à conserver le plaisir. Tant que les lecteurs auront envie de lire de nouveaux albums, pourquoi pas?
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/30/asterix-la-transitalique
L'édition simple (à grosse pagination!) comprend une préface joliment écrite de l'auteur du roman, Alain Damasio, ainsi qu'un cahier graphique en fin d'album. Pas d'information sur l'auteur (biblio etc), c'est toujours dommage. Il existe une édition N&B... plus chère comme de coutume, pratique que je ne comprend pas hormis pour faire payer les fans. Franchement, même si le dessin d'Henninot est très bon, je pense que la version couleur reste meilleure. La couverture est un peu terne à mon goût et aurait mérité quelque chose de plus énigmatique, de plus poétique.
Sur une terre balayée par des vents continus et puissants, depuis huit siècles la cité d'Aberlaas forme la Horde, équipe de spécialistes de différents arts destinés depuis l'enfance à remonter la "bande de contre" à destination de l'extrême-amont, la source des vents. Huit siècles que le but n'a pas été atteint. Mais cette trente-quatrième Horde est certaine d'être la dernière.
Quelle surprise cet automne lorsque j'ai appris la publication d'une adaptation BD de ce chef d'oeuvre qu'est la Horde du contrevent! J'avais découvert le bouquin lors du projet de film d'animation il y a quelques années (projet avorté après échec du financement participatif). J'adore la SF et plutôt en one-shot. De bons souvenirs de romans SF avec Bordage et surtout un pitch très alléchant. L'ouvrage a été dévoré et j'ai été comme beaucoup fasciné par l'inventivité, les dialogues percutants, la dramaturgie aux petits oignons et la maîtrise de la langue de l'auteur avec notamment ce duel de palindromes qui restera dans les mémoires... Bref, l'adaptation d'un livre adoré est toujours dangereuse pour un lecteur. J'étais très sceptique, n'ayant en outre pas une très bonne image des BD de Henninot. Comme je suis curieux et que j'adore néanmoins voir ce que d'autres font d'une oeuvre, j'ai lu la Horde version BD.
Et bien c'est absolument excellent! D'abord les dessins, pas extraordinaires, pas d'une originalité folle, mais dotés d'une personnalité, d'une finesse dans les traits des visages notamment, qui le mettent dans la moyenne supérieure de ce qui se fait. Le design ensuite, risqué dans le cadre d'une adaptation, est réussi, même si je chipoterais en disant que sur un monde de vents la logique voudrait que les tenues ne soient pas amples... mais c'est moins graphique. Mais la très grande force du dessinateur repose sur le travail... des vents! Si les paysages montrés sont a peu près ceux que l'on imagine, comment dessiner les vents? La grande inventivité de Henninot a été d'associer des courbes omniprésentes à des effets de souffles (comme dans les manga ou les traînées d'avions à réaction) et d’onomatopées. De l'ensemble ressort un sentiment de bruit omniprésent, de mouvement, celui que l'on ressent en pleine bourrasque. Les images sont saturées visuellement, ce qui donne une impression de plein. L'atmosphère si importante est pleinement rendue et c'est un tour de force. Parmi les petits regrets je trouve dommage de ne pas avoir plus représenté l'effort permanent, l'horizontalité des hordiers, ainsi que la séquence du Furvent. Henninot a choisi la même voie que le livre: ce n'est pas représentable, donc ellipse. C'est son choix, respectable, mais cela aurait été tellement beau...
Je tiens à préciser la remarque de Damasio dans la préface: une adaptation est personnelle et il est illusoire de chercher à retrouver un livre dans une BD ou un film. L'adaptation est autre chose. Ce que l'on doit rechercher c'est un plaisir, un cœur. Et ce cœur y est! Eric Henninot a réalisé l'ouvrage seul et son scénario est très bon. Le découpage et surtout les dialogues, centraux dans l'oeuvre, dans l'articulation entre les personnages, sont vraiment réussis. Les personnalités sont là, les échanges vifs, percutants, permettent de cerner la psychologie de chacun dans cette situation extrême, aberrante. La BD commence en prologue, à la fin de la formation des hordiers à Aberlaas, soit avant le roman. C'est bien car cela permet de mieux situer le contexte. De même la présentation en plan du monde des vents, du trajet et des lieux à parcourir facilite l'immersion dans cet univers. En revanche, (dans le tome 1 tout au moins) la particularité du texte original d'utiliser la ponctuation pour décrire les vents et les symboles représentant les personnages ont disparu au format BD. Ça ne touchera que les fans mais je trouve que cela aurait pu être utilisé facilement. De même (je chipote) dans cet univers horizontal et avec un matériau si exceptionnel, pourquoi ne pas avoir opté pour des planches horizontales? Ce n'est pas le format classique de la BD mais d'autres expériences plus extrêmes ont déjà vu le jour en BD, à commencer par les destructions et retournements chers à Olivier Ledroit. Tout ça pour dire qu'un brin de folie aurait pu réhausser encore cette excellente BD.
Je tiens à finir en m'adressant à ceux, majoritaires qui n'ont pas lu le roman. D'abord pour dire que la BD ne le nécessite pas, elle est excellente toute seule, comme tome unique et comme démarrage de série (que j'imagine en 5 ou 6 parties au regard de la progression du tome 1 et de l'intrigue globale). Fans de SF ou novices (voir réticents), lisez la car il s'agit d'abord d'une aventure humaine, de relations au sein d'un groupe, de membres ayant chacun son univers, sa philosophie, sa morale (tiens du coup ça me rappelle une autre "expédition", celle de l'Endurance, chroniquée ici). Le but est illusoire, impossible, alors pourquoi passent-ils leur vie entière à remonter cette terre? Chacun pour des raisons qui lui sont propres, à la fois unité et partie d'un organe appelé la Horde. Il n'y a pas a proprement parler de fantastique dans la Horde et la seule part SF est celle de se situer sur un autre monde.
Laissez-vous porter par l'image, le son, par les mots. Un auteur totalement impliqué dans son projet ne laisse généralement personne de marbre. Surtout que le tome 2 devrait présenter ma séquence préférée du livre: le navire fréole.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/31/la-horde-du-contrevent
Lubin est un artiste, acrobate, un peu immature mais heureux dans sa vie. Puis il constate qu'un autre lui prends possession de son corps, d'abord un jour sur deux puis de plus en plus. Comment va-t'il gérer, admettre cela? Son entourage? Est-ce inéluctable et surtout, à mesure que cela évolue, ne risque-t'il pas à terme de disparaître complètement?
Gros album avec beaucoup de séquences muettes, illustrant le passage des jours, de plus en plus rapide, de plus en plus chaotique. Structure des cases assez rectilignes, assez classique, comme le dessin de l'auteur, très ligne claire avec des aplats de couleurs peu nuancés. Je reconnais la qualité de cette BD qui, malgré sa pagination importante se lit bien, rapidement, sans ennui. De même le traitement en mode thriller de cette relation à son moi invisible, bien mené. Je dirais que techniquement cet album est irréprochable.
Pourtant il ne m'a pas touché, que ce soit au niveau du dessin ou au niveau de l'histoire. D'abord par un côté très lisse du graphisme qui ne me parle pas. J'adore Juillard, les albums de Vivès, pourtant très épurés et parfois proches de Le Boucher, me touchent, j'y perçois une sensibilité qui ne me paraît pas ici. De même pour le scénario, trop linéaire, trop sombre (hormis les dernières planches qui, enfin, un peu tard, proposent une touche poétique). Cette couverture reflète bien cette impression lisse, informatique. En outre l'album est souvent présenté comme fantastique, ce qu'il n'est pas. C'est un roman graphique de forme thriller psychologique qui pourrait se rapprocher d'un Hitchcock et proche de ce qu'à fait Marietta Ren sur Phallaina, la BDfilée numérique sortie il y a quelques temps. Il y a une inquiétude inéluctable qui est assez désagréable pour le lecteur, une tension. On pourra aimer cela mais personnellement je n'ai pas eu grand plaisir à lire cet album. encore une fois c'est subjectif et je comprend que beaucoup aient pu l'apprécier. Timothée le Boucher est un vrai auteur et sait faire de la BD. Il progresse en outre graphiquement entre ses albums. Mais son style n'a pour moi pas assez de caractère et je ne comprend pas ce qu'il a voulu faire, dire, avec cet album. Bref, je suis resté à l'extérieur.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/01/ces-jours-qui-disparaissent
[...]
Probablement conscient de l'impasse dans laquelle il se trouvait vis a vis du public, Ledroit a entrepris un virage vers un graphisme beaucoup plus lumineux avec Wika, dont deux tomes sont parus (le troisième ne devrait plus tarder): série médiévale-fantastique, proche de l'univers visuel des Chroniques, mais qui a permis à Ledroit d'axer son travail sur la thématique des fées (sujet sur lequel il a toujours fait beaucoup d'illustrations et sur lequel il a produit un gros art-book). Le livre que je présente ici est issu de ce nouveau thème sur lequel il travaille visiblement depuis pas mal d'années (un certain nombre d'illustrations sont datées de 2010).
La fabrication est très sérieuse: ouvrage grand format avec jaquette plastifiée détachable (la couverture elle-même ne comporte aucune illustration). Le papier est de qualité et les impressions lumineuses. Ce livre est issu d'une exposition sur le thème des fées dans l'univers de Wika.
L'ouvrage prend la forme d'une sorte de carnet de voyage dans un XIX° siècle uchronique où après la découverte de l'Aether le monde des fées a fusionné avec le monde humain pour donner naissance à une civilisation steampunk où des créatures magiques sont omniprésentes. Plusieurs parties thématiques proposent de visiter Londres, New-York, Paris, Tokyo,... au travers de magnifiques pin-up-féériques. Il s'agit essentiellement pour Ledroit de variations sur le thème de la très pulpeuse fée, tantôt dotée d'ailes mécaniques (voir à vapeur), tantôt naturelles. Le travail des costumes et étoffes est formidable et certaines illustrations très poussées à la peinture sont véritablement magnifiques. Quelques erreurs d'édition (...pas forcément évitables) à regretter, comme cette magnifique peinture sur deux pages où la couture du livre arrive en pleine face... Un certain nombre d'illustrations ne sont pas colorisées ou ressemblent plus à des crayonnés poussés, ce qui me fait dire que l'on est plus dans le recueil d'illustrations sur une thématiques que dans un livre conçu par Ledroit à l'origine. On aurait aimé que toutes les images soient aussi abouties que les doubles pages: les albums de l'auteur sont parfois plus fouillés que certaines illustrations de ce art-book. Étant donné le prix relativement modeste pour un art-book on acceptera cela mais je reconnais que l'ouvrage entraîne une petite frustration.
Son grand intérêt reste cependant la cohérence thématique et surtout la technique récente de Ledroit d'utiliser des dentelles et pièces métalliques peintes en doré ou argenté qu'il colle sur ses illustrations. Cela a déjà été vu que les albums de Wika et donne un cachet très particulier, physique aux impressions. Il effectue également des collages de papiers différents. Je ne suis pas totalement convaincu de l'intérêt de cet effet patchwork, mais bon, cela participe d'un tout. Fées et amazones est à ranger dans la catégorie des "petits" art-book destiné à fructifier sur l'imaginaire développé autour de la série BD Wika. Pour un regard plus général sur l'art de Ledroit depuis ses débuts on préfèrera ses ouvrages chez Daniel Maghen.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/02/fees-et-amazones
L'arc Extraordinary X-men scénarisé par Jeff Lemire fait suite à celui de Brian Michael Bendis intitulé Uncanny X-men (je ne suis pas un spécialiste, c'est juste pour resituer). La série est récente puisque publiée en 2016 aux Etats-Unis. Panini nous a donc sorti un premier volume doté d'une superbe couverture d'Umberto Ramos (... comme d'habitude l'artiste en charge est ma première motivation sur la lecture d'un Comics), qui comprend la premère partie intitulée "Refuge-X":
Après la libération des brumes teratogènes (voir mon billet sur les Inhumains, situé dans la même chronologie) et les mystérieux mais terribles actes de Cyclope, les mutants sont menacés (à nouveau...) et persécutés par les humains. Storm, qui a repris les rênes de l'école du professeur Xavier, tente de rassembler les mutants tandis qu'un adversaire bien connu des X-men refait surface...
Comme je l'ai dit je me suis laissé tenter par cet album en raison de la présence d'Umberto Ramos, qui fait partie des meilleurs illustrateurs US. Là-dessus il n'y a pas d'arnaque: hormis une poignée d'épisodes dessinés (assez correctement) par Victor Ibanez toutes les planches sont dessinées par le mexicain. Ce n'est pas le travail le plus impressionnant qu'il ait donné mais il garde une patte qui rend tout de même la lecture bien agréable. Le point positif (un peu l'inverse de Inhuman) c'est donc que la force de cette première partie repose sur le scénario et surtout les dialogues, percutants, qui nous font retrouver ce qu'on avait adoré sur les premiers films X-men de Bryan Singer: des répliques cinglantes, des vannes à tour de bras entre Wolverine et les X-men, une focale sur les démons intérieurs des personnages et leurs relations plus que sur le grand spectacle. La question de l'identité et de l'acceptation de la différence est toujours centrale. C'est devenu un classique mais c'est toujours pertinent et un message politique dans une industrie dominée par l'entertainment il faut le saluer. J'ai eu grand plaisir à rencontrer des personnages plus ou moins connus (je ne connaissais pas la Magik, la sœur de Colossus, très chouette mutante extrêmement puissante avec son épée des âmes).
Le retour de Wolverine issu de l'arc Old-man Logan (futur alternatif qui voit Wolverine tuer tous les X-men et les vilains devenir maîtres de la Terre) est également très sympa tant le personnage est désormais familier de tous les amateurs (hardcore ou dilettantes comme moi) de super-héros.
Ce relativement court épisode voit donc une chasse pour récupérer Jean Grey, Diablo, Wolverine (qui a désormais un jeu à trois avec Jean Grey en relation père-fille et Iceberg un peu jaloux) et les retrouve confrontés à Sinister. Les cinq parties débouchent sur l'apparition d'Apocalypse et ses cavaliers (episodes 6 à 20, à paraître dans les volumes suivants chez Panini). Il y a globalement pas mal d'actions, les X-men comme les méchants sont toujours a peu près invincibles, mais encore une fois ce sont les dialogues qui font mouche. Cet arc est donc plutôt une bonne surprise et je continuerais probablement la série, curieux de voir les versions graphiques des personnages de l'univers X-men dessinés par Ramos. Et si vous aimez cet auteur, sachez que son grand oeuvre, Crimson est ressorti en Omnibus chez Glénat dans une très belle édition.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/02/05/extraordinary-x-men
Album grand format, couverture classique tout a fait dans l'ambiance western. Édition des années 80, sans qualité ni défaut particulier.
On m'avait offert cet album il y a fort longtemps et il a toujours été pour moi une étrangeté: depuis que je m'intéresse à la BD je n'ai jamais entendu parler de Sicomoro alors qu'à l'époque et encore aujourd'hui le graphisme de ces quatre histoires est totalement unique! Un peu comme les films maudits et uniques de leur auteurs qui sont entrés au panthéon comme des singularités.
Sicomoro (il s'agit d'un pseudo) est de l'école italienne et a participé à la formation de beaucoup d'auteurs de la péninsule. Très vite on reconnaît le trait comparable à celui de Manara, Serpieri, Liberatore,... Giraud avait également ce style sur certains Blueberry. C'est un style des années 70-80 qui sied parfaitement au noir et blanc. Un style entre l'hyperréalisme d'un Alex Ross et les contrastes d'un Hugo Pratt. D'ailleurs, récemment, seuls certains illustrateurs américains se rapprochent ce ce type de dessin. Un style totalement western, faisant ressentir l'épaisseur du cuir des vêtements, la texture de la poussière, la densité des chevelures en bataille et des moustaches touffues. Ça me rappelle les magnifiques illustrations de l'édition Folio junior du Seigneur des Anneaux des années 80 par Philippe Munch (pour ceux qui sont passé par là...).
Cet album totalement unique, comme si Sergio Leone avait été adapté en BD par Sicomoro, propose quatre histoires de l'Ouest:
Celle d'un vieux trappeur retiré des hommes et qui tombe sur une petite frappe qui l'obligera à renouer avec la morale, pour le pire...
Celle d'un tireur professionnel s'entraînant en prévision d'un duel qu'il attend de longue date pour venger son honneur,
Celle d'un desperados décidé à quitter sa vie de pillages et qui tombe sur une caravane de Mormons, pas si pacifiques lorsque surviennent les indiens...
Celle de la guerre d'indépendance américaine, histoire un peu particulière par sa construction et par le fait qu'elle ne se situe pas dans le thème du western.
Toutes ces histoires sont marquées par un pessimisme féroce, cette destinée noire qui ramène toute volonté humaine à la réalité de la violence de ses contemporains. Il n'y a pas d'espoir véritable dans l'Ouest. Seulement des personnages qui croient qu'ils vont surmonter leur destin. Sicomoro fait corps avec ces thématiques classiques du western. Les regards sont puissants dans ses dessins, ceux de la femme, de l'enfant, du père. Ces regards presque angéliques tombent sur une crasse, des peaux burinées par le soleil. Rarement un dessin aura autant incarné un style, une époque. Le Western est un thème on ne peut plus graphique. Ici, entre des séquences de vie quotidienne, de chevauchée et de quelques paysages, quelques fulgurances percutent le lecteur comme cette page de fusillade au dynamisme incroyable. Ce dessin est étonnant tant en quelques coups de hachures il donne à la fois un réalisme et un dessin totalement BD à la fois. La maîtrise de l'italien est impressionnante. Que ce soient les décors, les vêtements, les expressions, les séquences dynamiques, les cadrages, tout est maîtrisé à la perfection chez Sicomoro, ce qui fait revenir la question: comment un tel dessinateur peut-il être si peu connu dans notre pays alors que ceux cités plus haut sont reconnus comme des maîtres? Sans doute par l'absence de BD populaire dans sa biblio et par une atténuation de son style lorsqu'il est colorisé. Sicomoro n'aurait dû faire que du noir et blanc (comme un certain Alberto Varanda). En attendant cet album est un must-have à découvrir de toute urgence si vous aimez le western.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/19/rio-grande
Cette histoire se place dans la continuité de l'arc "Infinity" scénarisé par Jonathan Hickman et qui voit l'arrivée de Thanos sur Terre à la recherche de son fils. Un résumé introductif explique ces événements et leur conclusion: suite au duel de Thanos contre Flèche Noire (le roi des Inhumains) la cité d'Attilan, siège millénaire de la civilisation inhumaine, est détruite et révélée aux humains. Un nuage Teratogène se répand sur la Terre, révélant la nature génétique jusqu'ici cachée de milliers d'inhumains. Alors que les Avengers entrent en contact avec la reine Medusa et tentent de comprendre ce qu'il se passe, une ancienne faction inhumaine résidant en la cité d'Orollan cherche à rassembler les nouveaux inhumains qui découvrent soudainement leur nouvelle apparence et leurs pouvoirs...
Une galerie de couvertures originales des fascicules est présente entre les parties et à la fin (notamment une - assez moyenne - de Manara).
Je suis relativement novice en matière de chronologie de Super-héros et ai découvert assez tardivement le groupe des Inhumains (qui ne me semblent guère autre chose que de nouveaux Mutants à l'instar des X-men...). J'ai donc lu cet album avec un regard de novice, public cible de la collection Marvel NOW (destinée à proposer des reboot pour différents super-héros, ne nécessitant pas une connaissance approfondie de tous les arcs précédents). Tant mieux car les rares chroniques que j'ai trouvé concernant cet album critiquent justement le côté pédagogique et sur-place de l'intrigue. Personnellement je trouve que c'est pour une fois totalement adapté à un lectorat novice qui est souvent perdu dans la multitude de références aux événements précédents présentes dans les comics.
L'opération éditoriale semble donc plutôt réussie pour Marvel qui rassemble une équipe artistique relativement homogène graphiquement et un scénario très progressif et pédagogique expliquant de manière répétée qui sont les inhumains et quels sont les enjeux de l'explosion d'Attilan: cohabitation entre humains et mutants, administration d'une nouvelle Cité aux yeux de tous alors que les Inhumains ont toujours agi dans l'ombre, acquisition de nouvelles identités pour les Novhumains (nouveaux inhumains révélés par le nuage Teratogène), apparition de factions dans le monde Inhumain... On comprend que les fans hardcore de ces personnages soient peu intéressés par cette série mais elle est une véritable porte d'entrée dans l'univers des super-héros et des Inhumains, ce qui n'est pas si courant. Je suis cependant surpris que les Avengers (qui sont très présents dans la première section dessinée par l'excellent Olivier Coipel et qui permettent au lecteur familier des films de rentrer progressivement dans ce nouvel univers Marvel) disparaissent ensuite presque totalement.
Ce scénario ni révolutionnaire ni indigne pour un comics de super-héros est rehaussé par des illustrateurs qui proposent un niveau plus que correcte. L'industrie du comics nous a habitué à supporter des planches atroces à côté des illustrations des maîtres du dessin US alors pour une fois on ne va pas bouder son plaisir. Dans le comics je lis essentiellement des one-shot ou des arcs créés par des duos d'auteurs alors je dirais qu'ici c'est une agréable surprise.
Personnellement un nom m'a donné envie de lire ce récit: le trop rare Joe Madureira, auteur du mythique Battle Chasers et parti depuis de longues années dans le monde du jeu vidéo. Il est la star du récit, illustrant trois parties que j'ai savouré longuement. Que ce soit dans le pur graphisme (les ombres chinoises jouant sur la chevelure de Medusa) ou dans les scènes d'action (la bataille avec Cap' est courte mais vraiment excellente), Madureira est vraiment un des tous meilleurs illustrateurs actuels de comics (... et ce depuis longtemps!). Ceux qui le découvriront à l'occasion de cette BD pourront lire le fameux Battle Chasers et les déjà-fans seront ravis d'apprendre qu'il a annoncé (... depuis quelques temps maintenant...) travailler enfin à une suite après la sortie de son dernier jeu vidéo issu de l'univers de BC. Olivier Coipel n'illustre que la première section, pas très bien colorisée mais vraiment agréable au niveau du dessin. Enfin Ryan Stegman m'est totalement inconnu mais arrive à maintenir la barre derrière ces deux monstres. Une rapide recherche d'image sur internet montre un travail vraiment intéressant de cet artiste. J'aime bien découvrir de nouveaux auteurs, notamment via les comics et je crois que dorénavant je regarderais d'un peu plus près ses productions.
Au final on a une BD qui commence un cycle et a les défauts du système de l'édition BD US (multiplicité d'auteurs-tacherons, histoire à rallonge, schémas très manichéens) mais a le grand mérite d'être accessible aux lecteurs novices en matière de comics. Surtout, elle permet de savourer des planches magnifiques de Joe Madureira et d'Olivier Coipel. Plaisir des yeux comme on dit!
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/22/inhumans-inhumanity
Alors qu'ils patrouillent Blutch et Chesterfiels tombent sur un homme noir en fuite qu'ils sauvent des rebelles. En le ramenant au camp ce soldat Franklin s'avère bien mystérieux et déclenche une enquête du général...
Le tome 61 des tuniques bleues est loin d'être aussi mauvais que ne le disent un certain nombre de critiques sur le web. Inévitablement, après autant d'albums, on retombe sur des ch
oses connues, les scénarios ont du mal à surprendre. Mais pour une BD d'humour au long court, le plaisir de retrouver nos deux énergumènes Blutch et Chesterfiels est toujours entier. Il s'est installé une familiarité et un système de running-gag sur les formules de Blutch et l'éternelle amitié-répulsion. Stark est toujours là, toujours increvable, Stilman a toujours sa paille en bouche et Arabesque fait toujours aussi bien la morte... Personnellement je me marre toujours autant à leurs bêtises même si je reconnais qu'on est dans le plus grand confort (de l'auteur comme du lecteur). Mais ces séries familiales ne sont-elles pas justement là pour ça?
Niveau dessin je critiquerais plus la colorisation numérique (installée sur la série depuis quelques albums maintenant) que le trait qui a déjà été pire sur d'autres albums. On ne sent aucun laisser aller désabusé chez les auteurs qui semblent s'amuser comme au premier jour avec leurs personnages. Avec ce bel âge, la série passe selon moi bien mieux l'usure qu'un certain Thorgal par exemple...
L'histoire titille la curiosité avec efficacité et si elle manque peut-être un poil d'action pour accélérer la lecture très franchement je ne me suis pas ennuyé. L'étrange soldat Franklin n'est sans doute pas le plus percutant des albums des Tuniques, mais certainement pas le pire. Et on rigole en apprenant deux-trois trucs sur la période de la guerre de sécession, le cœur de la série. Que demander de plus?
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/23/letrange-soldat-franklin
Journal très grand format, noir et blanc, incluant une page de garde indiquant la nature du projet, une page d'interview avec Bourgeon détaillant son travail, les liens entre les trois cycles des Passagers du vent et une page d'historique sur la période du début de la III°République et des premières réformes de Jules Ferry. Passionnant, pour ne pas dire indispensable à la lecture de cette histoire touffue.
Suivant la tendance (que j'ai déjà salué) à publier des BD en format journal à épisodes, Delcourt se lance avec le rachat du catalogue Bourgeon (passé par Glénat puis Casterman, puis 12 bis puis Delcourt, ouf!) dans la prépublication en format gazette du nouveau tome (le huit) des Passagers du vent. Je suis très surpris car je n'en avais pas entendu parler et avec les déboires éditoriaux du maître et l'interminable parution du cycle de Cyann, je pensais que la retraite avait sonné. Heureusement pour nous, le chef fil de la BD historique reviens avec une vraie-fausse suite de sa série phare. Les deux derniers volumes sur la petite-fille d'Isa avaient un côté un peu artificiel et formaient aux dires de l'auteur un second cycle qui se poursuit ici avec un troisième et dernier cycle en deux albums.
L'éditeur au triangle rouge propose donc (un peu cher...) un album (le tome 1 donc) en quatre partie en noir et blanc. On est dans de la vraie prépubli comme à l'époque bénie de la revue (A suivre), avec du rédactionnel d'actualité, comme pour la gazette du Château des étoiles. Avant la pose des couleurs - Bourgeon est un excellent coloriste - on constate déjà que l'illustrateur a continué à travailler pendant ses années maigres: son trait à évolué et pris encore de la précision depuis Cyann. Mieux, les quelques défauts connus de son dessin (certains angles capricieux) semblent résolus et hormis une certains statique qui caractérisent depuis toujours ses BD, on touche la perfection, notamment au niveau des visages et expressions.
Ce premier épisode montre l'arrivée dans la capitale d'une jeune bretonne ne parlant pas français [attention, plusieurs dialogues sont en breton... non traduit, l'éditeur nous expliquant gentiment que les traductions seront incluses en fin de l'album à paraître en fin 2018... Ça s'appelle arnaquer le lecteur en l'obligeant à acheter les deux versions!]. Elle tombe sur le cortège des obsèques de Jules Vallès et sur Zabo, la petite fille d'Isa que l'on a découverte sur le précédent cycle en Louisiane (la petite fille bois-caïman). Cet épisode extrêmement documenté, comme toujours chez Bourgeon, montre dans ce très grand format les paysages du Paris de 1885, des dialogues en breton, en argot et surtout de magnifiques visages, tantôt de badauds, tantôt de personnages historiques. On a d'ailleurs un sourire en coin lorsque Bourgeon-le-rouge nous croque un certain Pierre Gattaz en bourgeois versaillais et sa greluche Anne Parisot, se prenant des cailloux de la foule. Il fallait oser et c'est l'un des meilleurs moments de l'épisode! Les expressions des visages sont extraordinaires et les trognes des parisiens (le curé!) toujours redoutables comme à la bonne heure des Compagnons du crépuscule.
On retrouve dans ces pages tout ce qui fait la qualité des albums de Bourgeon: la documentation graphique et historique très poussée, le réalisme cru des personnages, la langue,... Les habitués savent que ce n'est pas de la BD à la lecture facile. Les nombreuses références historiques nécessitent d'avoir une certaine culture, de se renseigner en parallèle... ou de passer outre. Personnellement j'adore quand un bouquin m'apprend des choses sur une période ou un évènement spécifique et m'incite à me documenter. Ici on est dans la même thématique que les albums de Tardi sur la Commune. C'est peu connu mais passionnant. En outre l'auteur s'est toujours impliqué du côté des sans grade face aux puissances, dans une histoire réelle, celle du terroirs, de la crasse, des dents cassées. C'est la France d'en bas authentique, violente, aux mauvaises mœurs, auxquelles Bourgeon ne cherche pas d'excuses. L'humanité est sombre, qu'elle soit populaire ou puissante. Seules ont grâce à ses yeux quelques femmes. Ses héroïnes sont anachroniques, modernes en diable, rebelles, libres. Ce sont d'ailleurs les seuls personnages beaux au milieu de hordes de gueules tordues. Il y a du Sergio Leone dans Bourgeon, dans ses gros plans de visages, dans cette réalité crasse.
Je me suis longuement étendu sur ce blog sur la série que je considère héritière de Bourgeon: Servitude. La proximité entre les dessins de Bourgier et de Bourgeon me semble évidente (l'influence tout au moins) et je suis ravis de lire à nouveau l'inventeur d'un certain type de BD adulte, historique, crue, politique. Cette première partie est une mise en place qui se lit bien, aérée, sans trop de textes malgré la profusion de dialogues sur lesquels il faut parfois s'accrocher pour les suivre. On comprend par ailleurs que la bretonne sera le fil narrateur de l'histoire puisqu'on la voit en 1953 raconter sa vie à ce qu'on suppose des journalistes, devant le mur des fédérés. Le message est clair et on n'aime jamais tant Bourgeon que lorsqu'il dénonce et assume. Je pensais n'acheter que les journaux, je crains de ne devoir passer par la case album, en espérant qu'une édition collector grand format avec des annexes soit prévue.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/24/le-sang-des-cerises-journal
Le nom de Zidrou est un peu partout en ce moment et ses BD jouissent de très bonnes critiques (ou mode...?). Par ailleurs je reconnais que les dessinateurs avec lesquels il travaille sont plutôt bons, notamment une sorte d'armada espagnole que Zidrou côtoie. J'avais feuilleté les albums de Jordi Lafebre et si le style proche du cartoon m'attirait moyennement, je lui reconnais une maîtrise technique vraiment intéressante. Du coup le diptyque La mondaine était dispo en bibliothèque et j'ai tenté le coup.
L'album suit un nouvel inspecteur à la bridage mondaine, chargée avant la seconde guerre mondiale de gérer la prostitution, autant les prostituées que les clients. Ils font office de bureau de renseignement, de cabinet noir du gouvernement, capable de donner des informations compromettantes sur des hommes de pouvoir fréquentant les charmes des demoiselles.
La série est inégale. Autant le premier volume est très bien mené, alliant exotisme du sujet et humour des situations, servi par le trait acéré (proche de la caricature, mais toujours précis) de Lafebre, autant le second volume m'a un peu perdu. En effet, l'histoire débute sur des thèmes fort intéressants: la brigade suit la vie souterraine d'une France encore sous le carcan de l’Église et d'une certaine pudibonderie que la réalité du sexe fait voler en éclat. Ces policiers voient la réalité de cette société, avec une certaine légèreté. Plein de détails mi amusants mi terrifiants (les méthodes connues de la police, le tabassage à l'annuaire ou les agents qui profitent des services des prostituées, y compris très jeunes) jalonnent l'album mais toujours avec un regard coquin des auteurs. Dans le second volume deux éléments font irruption, qui déstabilisent le récit, lui faisant prendre une tournure sombre que l'on attend pas et qui à mon sens fragilisent les thèmes proposés: la rafle du Vel d'Hiv et la folie du père d'Aimé. Le ton devient très sombre même s'il est enchâssé eu milieu de scènes burlesques. Idem pour l'histoire de la taïtienne qui paraît un peu en trop.
Je pense que le scénariste a trop voulu en mettre en seulement deux volumes. Ce qui était intéressant c'était bien le début de l'album, le paris souterrain, la dérision, le regard puceau d'Aimé et finalement, ce rôle politique de la Mondaine qui ne sera finalement presque pas exploité (... et que l'on retrouvera dans Shi du même scénariste). Le ton et le style de dessins ne collent pas vraiment avec les sujets sombres traités dans le second volume. Du coup on n'est pas vraiment dedans et l'on est frustrés avec une impression de "à quoi bon?". Le sujet des relations entre la police et la collaboration aurait mérité une série entière. L'excellent "Il était une fois en France" faisait bien ce travail. L'histoire familiale du héros pouvait à la rigueur s'insérer mais pas de manière aussi centrale. C'est vraiment dommage car j'ai par ailleurs vraiment apprécié l'ambiance générale, l'humour et le dessin, mais le sentiment que les auteurs n'ont pas bien défini leur sujet gâche un peu le plaisir. La Mondaine reste cependant une bonne série qu'on peut lire avec plaisir.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/25/la-mondaine
Les couvertures des albums (assez ternes mais très homogènes) m'avaient attiré l’œil et j'avais mis ce titre de côté (je lis peu de manga et j'essaye de sélectionner vraiment la qualité). A l'occasion d'une critique pour Iznéo j'ai sauté le pas et c'est une excellente surprise. D'abord par la rapidité de l'introduction: en moins de 10 pages l'on sait qu'il y a sur terre des Ajin, humains ressuscités que les Etats tentent de récupérer afin de les étudier. Le Japon en a trois et fait des expériences barbares sur eux. Un jeune lycéen perd la vie et se révèle un Ajin, désormais en fuite avec l'aide de son ami d'enfance...
Alors que nombre de BD et de Manga mettent plusieurs volumes à faire durer le suspens, rarement une série m'avait aussi rapidement et pédagogiquement immergé dans son background. Le premier volume nous a déjà installé dans une poursuite entre le héros, des agences gouvernementales, des factions d'Ajin, les pouvoirs que l'on découvre progressivement, etc. De même, les manga tournent souvent autour du seul japon; ici dès les premières pages l'on nous parle de cette course entre nations pour avoir ses Ajin et en découvrir les secrets. Le contexte de fonds est à la fois clairement révélé mais garde bien certains mystères évoqués. Le lecteur n'a pas la crainte d'une intrigue au long cours tant les événements et les informations s'enchaînent, sans aucune difficulté à les digérer. Je dois dire que par ce traitement à la fois frontal, conspirationniste et à la divulgation d'info maîtrisée me fait fortement penser à X-files. Les auteurs ne tournent pas autour du pot puisque le lecteur connaît le pitch. Celui-ci est donc balancé en quelques planches pour s'attaquer directement au développement de l'intrigue. Je trouve ça super agréable!
Ajin nous présente donc une intrigue classique mais que personnellement j'adore: certains humains ressuscitent et se trouvent dotés de pouvoirs. L'on comprend que loin d'être un petit nombre, beaucoup n'ont pas été repérés par les autorités et s'organisent dans l'ombre d'une guerre entre factions dans une guerre occulte. La réflexion sur l'attitude des humains qui ne cherchent que gloire et argent en "attrapant un Ajin" permet d'élever le manga au-dessus du simple fantastique. Très vite se pose la question de qui est humain et qui ne l'est pas, les actes rendent-ils humains, tout le monde n'est-il pas un Ajin en puissance?
Les dessins sont standards dans le genre manga mais plutôt de bon niveau, notamment au niveau des mouvements (peu étonnant vu le média). Je scrute régulièrement les séries manga à succès et suis rarement accroché par ce que j'en lis. Ici je comprends le succès de cette série qui sait se sortir de la masse des publications. Si vous aimez le fantastique et les conspirations cela devrait vous plaire.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/29/ajin-semi-humain-1
Présenté en deux volumes de 78 et 114 pages (soit une histoire de 200 pages pour un premier album, excusez du peu!), Brane Zéro illustre la politique du jeune éditeur Akileos de donner leur chance à de jeunes auteurs pour partie autodidactes, dans des formats adaptés à leurs désirs créatifs (comme le format comics des ouvrages de Ronan Toulhoat). La maquette est remarquablement efficace avec l'utilisation du logo (essentiel dans l'histoire) qui nous fait immanquablement penser à la référence majeure de Thonon : Akira. Une couverture tout a fait réussie, élégante et une continuité graphique entre les deux volumes (si l'on excepte un léger décalage de taille de caractère du texte de la quatrième entre les deux tomes... mais l'on est là dans le chipotage).
Brane zéro est un récit de SF "quantique", c'est à dire assez pointu en ce qu'il traite à la fois du voyage dans le temps et du principe du Multivers. Pour résumer sans déflorer une intrigue très bien ficelée malgré sa complexité, deux espaces-temps rentrent en résonance, mettant en danger notre réalité. Des personnages vont être envoyés dans l'autre dimension afin de trouver la source du problème, dimension où d'étranges créatures, les Langoliers, absorbent la couleur...
Il est peu de dire que le premier tour de force de l'auteur (aux dessins et au scénario!) est d'avoir construit une histoire s'inscrivant dans les concepts de la théorie des cordes, sans perdre le lecteur et en parvenant à retomber sur ses pieds. Très clairement, si Denis Bajram fait figure depuis des années et la sortie de la première Universal War de père de la BD SF, l'ouvrage de Mathieu Thonon peut aisément être comparé à son aîné dans sa construction et son originalité. Il est d'ailleurs dommage qu'il ne bénéficie pas du même succès que Block 109 (même éditeur), qui revêtait à sa sortie les mêmes qualités et les mêmes attentes: un scénario presque parfait sur des dessins très prometteurs mais en devenir. Je dirais à titre personnel que la technique de Thonon surpasse même celle de Toulhoat lorsqu'il commençait. Les pages de ville en ruine et certains plans fulgurants sont véritablement saisissants. A la première lecture la comparaison avec l’œuvre majeure de Katsuhiro Otomo (Akira) fait ressortir les défauts (ou la progression) des dessins. Mais il est injuste de comparer le premier ouvrage d'un auteur autodidacte et un monument de la BD mondiale... Cela illustre seulement le fait que Mathieu Thonon devra à l'avenir s'émanciper de son illustre modèle pour faire fleurir son talent comme il le mérite. Au final l'on a un quasi sans faute et l'une des meilleures (et intelligente) BD SF de ces dernières années. Avec quelques années de maturité (et d'ambition) graphique de plus Brane Zéro serait entré dans le cercle des BD de référence. Rencontré à Angoulême, Thonon dit travailler sur un nouveau projet SF. Excellente nouvelle!
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2016/09/05/brane-zero
Qui se souvient de Tonkam, le libraire-éditeur de la rue des Ecoles qui œuvra a peu près autant que le grand Glénat pour faire connaître le manga et son univers culturel aux français ? Aujourd'hui absorbé par Delcourt, Tonkam a permis la publication d'auteurs majeurs comme Masakazu Katsura et, donc, Andy Seto sur le manga chinois Cyberweapon Z.
Ce "Manhua" (manga chinois) au titre improbable est une singularité dans l'édition de mangas en France et n'est plus édité aujourd'hui (mais on peut trouver la collection des 10 volumes en occasion sur le Bon coin ou les sites spécialisés). Sa principale qualité (outre sa longueur très raisonnable) repose sur ses graphismes tout en couleur directe (peinture). L'histoire est totalement banale (un traitre attaque le Temple de Shaolin, où sont réunies toutes les connaissances sur l'humanité et défendues par les techniques martiales ultimes...) mais guère pire qu'un Dragonball par exemple. On est dans le manga d'arts martiaux classique où l'on attend plus de beaux combats chorégraphiés qu'un scénario à la Hitchcock...
Sur ce plan donc on en a pour son argent. Le type sait tenir ses pinceaux même si par moment la foison d'effets spéciaux et de couleurs peut gêner la compréhension des cases. Mais c'est flamboyant, ça castagne à coup d'attaques spéciales aux noms improbables et de méchants invincibles. Une très bonne lecture "plaisir des yeux" en somme, une curiosité y compris pour le travail de fabrication très particulier de Tonkam, assez luxueux (rabat souple, pages de papier transparent et plein d'illustrations bonus). Attention cependant, la série étant assez rare, des coquins spéculent et les 10 tomes peuvent atteindre plus de 200€...
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/06/30/cyber-weapon-z/
On rentre dans le vif du sujet de la série, avec le récit de Yumin: elle est la fille du chef Yakuza du japon qui veut mettre la main sur le monde de la pègre. C'est plus noir, plus de combats et les séquences avec le Corbeau sont des pics de virtuosité graphique et d'action. Chaque tome de Sun-ken rock (ou presque) semble pousser la barre un peu plus haut chaque fois. Cette série est étrangement peu chroniquée. Personnellement mon maître (Shirow) a été dépassé: Boichi est actuellement ce qui se fait de mieux en matière d'action sexy et chorégraphiée sur la planète BD. Tout simplement.
Lire le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/15/sun-ken-rock-3-7
Après avoir conquis l'Imperial Hotel, la bande de Ken part en Italie rencontrer un Parrain et fait la rencontre de "l'étalon" Benito, pas très fort mais membré comme un cheval (sic). Après un prologue en mode fantasme de Boichi (l'équipée se fait un barbec géant avec le sanglier rapporté par Kae-Lyn. Tout le monde se retrouve à poil avec projection de ketchup-mayo...
Comme pour les autres tomes, tout est ici pretexte à des scènes dénudées, à des coups de tatane ou à des scènes de cuisine. Cette série est grosse, bourrine, macho... mais qu'est-ce que c'est bien dessiné! La montée en puissance se poursuit mais ce volume n'est qu'un intermède.
Également une édition grand format de chaque tome de la série qui paraît généralement en juin. Autant la qualité du trait de Meyer est indéniable, autant les couvertures de la série Undertaker ne sont pas ce qu'on voit de plus attrayant. Pas grave vu le contenu.
Jeronimus Quint, l'ogre de Sutter camp, médecin génial et fou continue sa fuite en compagnie de Rose devant un Undertaker abimé physiquement et moralement. Quint a pris un véritable ascendant psychologique sur Jonas Crow en se faisant des alliés de tous ceux qu'il a soigné ou blesse en prévision de les sauver, dont Rose. Dans cette course poursuite sanglante, le héros doute: finalement n'a-t'il pas plus de morts sur la conscience que ce médecin qui marche allègrement sur le serment d'Hippocrate?
Lorsque la série Undertaker est sortie il y a de cela maintenant 4 ans avec grand renfort de com' de Dargaud j'avais passé mon tour. Non que je n'aime les auteurs (je considère Dorison comme un des tous meilleurs scénaristes et avait adoré le Berceuse assassine de Meyer) mais je n'ai jamais vraiment accroché avec les western en BD (hormis les deux albums 500 fusils et Adios Palomita du début du label Série B de Vatine) et le battage qui donne l'impression qu'on est obligé d'acheter la nouvelle pépite m'agace profondément. Je suis plus Spaghetti que classique et n'ai jamais accroché à Blueberry, présenté comme la référence d'Undertaker. Il est vrai que le dessin de Meyer est clairement de l'école Giraud et par moment plus poussé même (les fidèles de l'auteur de Blueberry me pardonneront cet affront). J'ai entre-temps découvert la série Asgard du même duo et qui m'a vraiment plu, tant graphiquement que dans la relation artistique entre les auteurs qui transparaît dans l'album. Du coup j'ai entrepris de découvrir l'Undertaker.
L'ombre d'Hippocrate est la clôture du diptyque entamé avec L'ogre de Sutter Camp (format de double album que je trouve idéal dans la BD et qui semble être adopté systématiquement sur Undertaker). Clairement cette histoire fait monter le niveau de la série par rapport au premier double album introductif, et cela pour une simple raison: Jeronimus Quint est pour moi le méchant le plus charismatique, le mieux "joué" et le plus intéressant depuis pas mal d'années dans la BD franco-belge. Si l'attelage improbable des personnages mis en place sur les deux premiers albums est très efficace (Dorison est un très bon technicien, tel Van Hamme, qui sait parfaitement ce qui fonctionne en matière de scénario), c'est bien les questionnements et problématiques posés par Quint qui passionnent. Il ne se déclare pas fou mais génial. Des morts il y en a tous les jours, ses expériences sur sujets vivants doivent-elles être continuées si elles permettent de sauver à l'avenir des milliers de gens? Quint torture, tue mais sauve, beaucoup. C'est le syndrome du savant fou reniant le serment d’Hippocrate. Jonas Crow, lui, est mis sur le grill par Lin avec ses méthodes expéditives. Dans le monde d'Undertaker personne n'est bon. Alors quand la morale devient le sujet central permettant de déterminer ce qui doit être fait, comment faire? Quint est utile, Crow est moral. Qui a raison? Le sujet est passionnant et si le lecteur humaniste a la réponse, l'album dérange et c'est formidable! Le tout est relevé par des situations et des dialogues souvent drôles dans le tragique. Les estocades verbales de la chinoise et de l'anti-héros sont très savoureuses.
Sur le plan graphique, quel plaisir de voir un artisan manuel (la référence à Giraud est vraiment pertinente) travailler ses noirs. Meyer est parfois un peu rapide sur les arrière-plans et les personnages de fonds (il fait partie de ces dessinateurs qui se dispensent de mettre un visage sur la foule, je trouve ça gênant), mais quelle facilité dans les visages et expressions! Je retrouve un peu le Guerineau des premières années du Chant des Stryges (il a d'ailleurs produit un très bon western pour ceux que cela intéresse). On est dans le vrai plaisir du dessin à l'ancienne que l'on savoure case par case. Les paysages sauvages de l'ouest sont épurés, dessinés en suggestions et en crêtes. L'ensemble rend très bien par-ce que la force de Meyer est sur ses premiers plans.
Undertaker est une série qui monte en puissance et les auteurs semblent avoir saisi la perle qu'ils avaient avec leur méchant qui devrait très certainement revenir dans d'autres albums voir de façon récurrente comme âme damnée du héros.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/09/lombre-dhypocrate
Album grand format. Un cahier final propose des croquis, photos de l'atelier et du scénario manuscrit de l'auteur. C'est moyennement intéressant et j'aurais aimé une préface expliquant le travail d'adaptation. La couverture est très réussie, mettant en avant le dessin de l'auteur et suffisamment intrigante pour donner envie d'ouvrir le livre.
Sur un paquebot partant pour l'Argentine en 1941, le champion du monde d'échec est à bord. Un groupe de passagers le convainc de participer à une partie, à laquelle se joint un mystérieux personnage qui parvient à ébranler le champion. Ce "Docteur B." relate alors son incarcération par les nazis et comment il s'est construit un univers mental totalement dédié aux échecs, jusqu'à fusionner avec sa propre personnalité.
Je suis les publications de David Sala comme illustrateur jeunesse depuis plusieurs années. Ses albums "le coffre enchanté", "folles saison" et "la colère de Banshee" sont magnifiques et j'étais intrigué de voir ce que son style pourrait donner en BD (je n'avais pas accroché à ses précédentes tentatives, notamment sur Nicolas Eymerich Inquisiteur) avec son utilisation des damiers et des juxtapositions d'aplats de motifs sur des dessins en volumes. L'auteur a choisi d'adapter une nouvelle posthume de Stephan Zweig très tournée sur la psychanalyse et la technique concentrationnaire des nazis.
L'album est volumineux mais pourtant très aéré. Beaucoup de planches sont sans bulles et il y a peu de cases par page avec une structure en damier reprenant l'idée du jeu d'échec. On est proche de l'illustration jeunesse par le format et c'est très agréable pour les yeux avec l'utilisation d'aquarelle sur un dessin de type rétro qui colle bien à l'époque. Ses visages sont caricaturaux comme d'habitude chez Sala, avec beaucoup de très gros plans sur les regards assez réussis. Le texte alterne entre quelques bulles et une narration issue de la nouvelle. Ce sont les atmosphères qu'essaye de rendre David Sala et il y réussit bien.
La tension dramatique tourne logiquement autour des parties d'échec (dans la première partie de l'histoire) et l'on est pris un peu comme un thriller avec cette énigme de savoir si le champion d'échec pourra être vaincu et ensuite qui est ce mystérieux personnage aux capacités hors du commun et qui confie n'avoir jamais appris les échecs ?
Dans une seconde partie (la plus intéressante), l'inconnu raconte comment il a été incarcéré par les nazis et a bâti sa survie psychologique en étudiant les grandes parties d'échec et en se confrontant mentalement à lui-même dans des parties interminables, devenant à la fois un parfait stratège et basculant dans la folie. Là, l'auteur parvient à rendre palpables graphiquement les méandres psychiques dans lesquels est enfermé le personnage tout en se faisant plaisir. Ce qui est intéressant dans cet album (outre un scénario parfaitement maîtrisé et très lisible évitant de tomber dans le conceptuel) c'est l'interaction entre l'univers visuel de David Sala et celui du jeu d'échec. L'on comprend pourquoi il a choisi ce sujet et la pertinence de ses illustrations.
Sa technique garantie 100% sans numérique a quelques ratés du fait de l'utilisation de l'aquarelle sur des crayonnés mais c'est l'essence de cette peinture et cela apporte un côté naturel et organique que j'apprécie.
Le joueur d'échec est contre toute attente une BD relativement grand public qui a le mérite de faire découvrir la nouvelle de Zweig et qui allie critique du système nazi et réflexion sur la psychologie du joueur d'échec. Il permet surtout à ceux qui ne le connaissaient pas de découvrir l'illustrateur David Sala et j'invite vivement ceux qui auront apprécié l'album à acheter ses ouvrages d'illustration jeunesse qui sont de véritables joyaux.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/10/le-joueur-dechec
Comme souvent en comics les couvertures sont très percutantes. Chaque chapitre (correspondant à un fascicule) est agrémenté d'une phrase descriptive.
Cela fait maintenant plusieurs années qu'ils ont atterri. Des "Arbres" gigantesques plantés sur le pourtour de la Terre. Depuis aucun contact, aucune réaction si ce n'est ces liquides destructeurs qui en sortent parfois, ravageant les abords. L'humanité vit cette attente en essayant d'étudier ce que les Arbres veulent bien laisser comprendre. La société a évolué à l'ombre de ces structures et chacun désormais essaye de trouver sa place dans ce monde qui a changé par cette seule présence.
Les publi Urban Indies m'intriguent souvent et l'éditeur français fait un remarquable boulot pour dénicher le meilleur du comics "indépendant" (c'est à dire sans super-héros) et surtout très rapidement (souvent moins d'un an après la sortie US). La parution de Trees et son pitch alléchant faisait partie de mes priorités en mode découverte.
Et bien las, énorme déception, d'abord graphique. Je ne connaissais pas le dessinateur Jason Howard mais très franchement il n'a pas le niveau professionnel. Tant dans la colorisation que dans le trait, très rares sont les planches intéressantes dans cet album. Le style hachuré et l'utilisation informatique peuvent toujours se justifier, mais pour cela il faut une certaine maîtrise. Ici on a un niveau de fanzine et je suis très surpris qu'Urban ait tenté la traduction de cette série. Des styles particuliers il y en a dans la BD indépendante (notamment Tocchini sur Low) et j'ai maintes fois maugréé ici sur le manque d'exigence graphique des éditeurs américains, notamment quand c'est dû aux rythmes de parution. On peut comprendre qu'un illustrateur délaisse certaines planches pour aller plus vite (même Jerôme Opena) et que l'éditeur insère des sections dessinées par un jeune illustrateur (sur Thor par exemple) comme souvent aux US. Mais quand c'est l'album entier ça fait mal! Pour clôturer le chapitre graphique, je n'ai pris aucun plaisir visuel à lire ce premier volume, ce qui est rare.
Passons au scénario, qui pourrait relever le tout. Alan Moore, je grand auteur, s'est fait une spécialité de prendre des illustrateurs disons, particuliers. Je n'ai jamais pu lire From Hell pour cela. Personnellement je peux lire une très belle BD dotée d'un mauvais scénario, j'ai plus de mal avec une très moche BD dotée d'un excellent scénario... mais j'y arrive en me forçant. Malheureusement ici le principal intérêt réside dans le pitch... qui ne va pas plus loin qu'un pitch. Alors oui, il y a cette base glaciaire où des fleurs poussent, ce président somalien qui décide d'armer son Arbre,... mais globalement les différents protagonistes ne sont guère intéressants et certaines thématiques assez centrales dans l'album semblent totalement décalées avec l'objet SF de départ (les transsexuels, les groupuscules fascistes, la condition de la femme). Les points d'intérêt des auteurs ne collent pas avec le point de départ et les rares éléments intrigants sont très mal exploités.
J'ai probablement été abusé par ce point de départ qui n'est pas le sujet de l'album, mais tout de même, le titre de la série, les couvertures, sont assez trompeurs. Si vous vous intéressez à des BD sociologiques d'anticipation, aux relations humaines interrogeant les archaïsmes sociaux, cette BD peut vous intéresser... si vous arrivez à accrocher aux dessins. Si vous vous attendez à une nouvelle saga SF passez votre chemin, vous allez être très décontenancés. L'impression qui m'a été laissée niveau scénario est un peu la même que sur le Black Science de Remender et Matteo Scalera (série très bien dessinée pour en revanche): un décalage entre le sujet et le traitement. Je crois que c'est le premier billet où je ne mets qu'un calvin et j'en suis désolé (par respect pour le travail des auteurs et par-ce que bien entendu j'essaie de lire des BD qui m'appellent) mais, ceci étant un blog, mon avis personnel est clairement de passer son chemin.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/15/trees
Déjà portée par une des plus belles couvertures de 2016, la série Nils fait encore plus fort avec cette illustration de couverture du T2 tout simplement à tomber! Pour le reste c'est la même qualité que le tome 1 avec vernis sélectif et 4° de couverture très soignée. Dommage que la tranche ne soit pas de la même couleur sur chaque album (on suppose un choix de dégradés de bleus). Six illustrations pleine page voir double page sont également présentes en fin d'album en plus de la double page de titre (comme pour le premier tome).
Le clan d'Alba est parti en guerre contre le royaume de Cyan et ses machines tandis que Nils est à la recherche de l'Yggdrasil, l'Arbre des 9 mondes situé loin dans le nord. Pendant ce temps les déesses continuent leurs observations et décident d'intervenir dans la destinée des hommes...
Le tome 1 de cette série était doté de beaucoup d'atouts: le dessin très élégant d'Antoine Carrion, des références à Myazaki assumées et passionnantes, un background esquissé très intriguant, des dieux, un lien entre science et magie chamanique... Beaucoup d'attentes étaient portées sur ce second volume qui devait développer tout cela. Et bien je dois dire que j'ai été assez, voir très déçu de constater que les petits défauts de l'ouverture se confirmaient et se renforçaient, avec pour problème central, justement, l'absence de fonds. Les arrières plans de Carrion, beaux mais relativement vides, étaient finalement symptomatiques d'un scénario qui recouvre le même problème. Le monde proposé est pourtant passionnant, mais les auteurs n'abordent presque rien, restent au premier plan de leur histoire. C'est frustrant et rend la compréhension de l'intrigue difficile, d'autant que Hamon utilise très étrangement des ellipses brutales en début d'album. L'articulation entre la fin du tome 1 et le début du 2 est totalement absente et le lecteur doit deviner seul ce qui est à peine suggéré dans l'album précédent. Les personnages ont été déplacés sans explication, des relations sont nouées hors champ, on passe d'une scène à l'autre sans transition et les combats sont là encore étonnamment écourtés. Je ne m'explique pas ces choix perturbants et qui enlèvent des atouts à cette, par ailleurs, excellente BD. Pourtant le scénariste sait amener des séquences très oniriques avec notamment cette articulation entre les déesses dissertant sur les actions des hommes et les incidences de leurs choix dans le monde physique. La cité de Cyan donne envie d'être découverte, de même que sa technologie. Mais l'on passe d'un personnage à un autre sans développement, avec trop d'induit pour avoir une lecture fluide.
Malgré ces difficultés, Nils reste une BD dans le haut du panier. D'abord grâce au dessin qui bien que très sombre (plus que dans le tome 1) et relativement monochrome (Cyan malgré son nom est très grise) reste totalement inspiré et globalement magnifique! J'ai d'ailleurs rarement vu autant de doubles pages contemplatives dans une série grand public (c'est assumé par les auteurs comme expliqué dans l'interview du scénariste), ce qui montre l'importance du graphisme pour les auteurs, au risque parfois de tomber dans la BD d'illustrations... Mais ne boudons pas notre plaisir visuel, qui permet de passer outre les problématiques citées plus haut.
D'ailleurs la seconde partie de l'album, plus posée, centrée sur les explications scientifiques de l'Ethernum et de la disparition de la vie, en un double débat des déesses et du conseil de Cyan, retrouve l'intérêt des interrogations scientifico-écologiques du premier album. On découvre alors que la technologie de Cyan est bien plus développée qu'on le pensait, jusqu'à rendre centrale dans la série l'éternelle problématique des pulsions démiurgiques des scientifiques: la science peut-elle contrôler la vie et la mort? Face à cela le pouvoir des êtres surnaturels peut-il lui-même être bloqué, voir contrôlé ? La fin de l'album, tout de bruit et de fureur nous laisse en haleine.
Nils est pour l'instant une série bancale mais jouissant d'une formidable aura, que je qualifierait d'hypnotique, qui permet (si vous êtes sensibles aux dessins et aux fortes thématiques de cette BD) de dépasser ces désagréments. Rares sont les séries aussi sombres et pessimistes (voir dépressives). Attention, ce n'est pas un défaut: cela change du mainstream et l'on n'a strictement aucune idée de comment peut bien s'achever la série, notamment à la lecture de la dernière page apocalyptique... Ressemblant à une œuvre de jeunesse, Nils vaut néanmoins le coup d'être découverte en espérant que le troisième volume comblera ces quelques lacunes.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/17/nils-2
Largo est la dernière grande série de Van Hamme à voir le maître quitter les commandes. C’est aussi sa série qui a le mieux traversé les années (par-ce que la plus récente? ou du fait du format très pertinent de cycles en deux albums?), le milliardaire en blue jeans ayant bien mieux vieilli que ses comparses Thorgal et Jason MacLane. Le risque était grand, surtout que Van Hamme a quitté le bateau sur un excellent diptyque et le premier véritable amour de son héros… Deux ans après (je crois que c’est la première « rallonge » de l’éditeur sur une série habituellement annuelle), que donne Eric Giacometti aux textes?
Bonne nouvelle, l’humour très percutant de la série est toujours présent, très proche de ce que faisait l’auteur originel. Les dessins sont toujours aussi acérés (mais là dessus je n’était pas inquiet) même si Frank devrait penser à diversifier ses blondes, que l’on a décidément bien du mal à distinguer…
L’histoire commence directement à la suite du précédent cycle, ce qui est nouveau il me semble et je pense un peu dangereux: la force des Largo est de prendre le temps de 92 planches pour nous raconter une histoire unique vaguement liée aux autres, ce qui nous fait échapper aux effets collatéraux des séries à rallonge et permet un véritable renouvellement à chaque cycle. Ici on voyage du Mexique altermondialiste à la Suisse en passant par le siège de Chicago et la Russie. Les sidekicks Simon et Freddy sont toujours fidèles au poste, les méchants très sanglants. On ne sais pas grand chose de l’intrigue après la dernière page mais on a l’habitude que tout se dénoue au deuxième volume. Business à usual en somme et la transition se passe remarquablement bien, c’est bien l’essentiel. Le petit bémol: je trouve que les élucubrations financières sont un peu moins légères et pédagogiques qu’avant, au risque de désintéresser le lecteur grand public habituel. Giacometti devra faire un petit effort d’assouplissement. Mais je dois dire qu’après la lecture de ce 21° tome, franchement rien n’incite le lecteur habituel à abandonner la série.
Akiléos privilégie les petits formats couverture souple, ce qui permet de grosses paginations, des cases au large format et un rabat de couverture. Des annexes en fin d’album (qu’il sera bon de consulter avant la lecture) indiquent une cartographie des travaux et le dramatis personae bien utile étant donné les noms toujours très particuliers de la mythologie grecque. La couverture des trois volumes de la série sont stylisées mais pas forcément ce qu’on a fait de plus engageant en matière de BD. Existe en intégrale cartonnée et intégrale collector cartonnée grand format.
Alcide, plus connu sous le nom d’Heraklès (« Gloire d’Héra ») est un demi dieu contraint d’assumer des travaux que son cousin Eurysthée lui impose sur ordre d’Héra. Géant bourru et pas très fin mais doté d’une force démesurée, il va parcourir les mythes de la Grèce avec une bonhomie déconcertante.
J’ai découvert Akiléos avec la saga Block 109 de Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas. A Angoulême j’ai tenté le Brane Zéro de Mathieu Thonon qui fut une tout aussi bonne découverte et m’a incité à m’intéresser plus en détail au catalogue d’Akiléos. Parmi les BD de l’éditeur cet Heraklès m’a intrigué, pas du tout pour sa couverture, mais par-ce que les mythes m’intéressent, les variations aussi et que le dessin semblait sympa.
Bien m’en a pris car cette adaptation relativement littérale (la fourchette de personnages décrite en Annexes des trois volumes est assez impressionnante et personnellement j’avoue m’y être perdu…) a le mérite tout à la fois d’être une vraie réussite graphique, d’être fort drôle et de nous replonger dans l’action d’une aventure connue de tous. Chez Edouard Cour Heraklès est une sorte de géant un peu bête, un peu primal, mais totalement invincible. Une sorte d’Obelix grec (si je peux me permettre cette inversion) qui colle des baffes et ne comprend pas pourquoi on est méchant avec lui. Un colosse au cœur tendre mais à la rage… « herculéenne » (certaines séquences de combat olympien peuvent rappeler un certain Dragon-ball avec ces mandales galactiques express). L’auteur utilise un humour d’anachronismes, dans les dialogues surtout. Ses quelques comparses et la muse qui l’accompagne permettent des échanges verbaux aux petits oignons
" je suis rassuré, j’avais un doute, mais ta stupidité est bel et bien sans limite. Manger un scorpion sans enlever le dard, si c’est pas con çà!"
Les chapitres représentent les travaux et permettent un jeu avec le lecteur sur une histoire connue… sauf d’Heraklès! On le voit alors dans des situations grotesques, doté d’une volonté infinie, courant une année après la biche aux sabots d’airains, nettoyant les écuries sans se rendre compte des étrons posés par les taureaux. Hercule continue sans se préoccuper des conséquences, tel un enfant. Heureusement que ses amis l’aident (pour l’histoire cachée)! Mais on a autant de plaisir à rigoler qu’à se rafraîchir les péripéties d’un mythe que peu connaissent en intégralité (les jeunes pourront même découvrir via cette BD… même si les dialogues sont parfois fleuris).
Graphiquement on est dans un dessin dépouillé drôle en lui-même (les membres d’Hercule sont des arbres), ne serait-ce que par les onomatopées (les petits « paf » quand il colle un ENORME coup de gourdin). On est dans le style Blain comme sur Quai d’Orsay et son art du mouvement, entre le comique de situation et le mime. Avec des dessins aérés, parfois très sombres en hachures sauvages, parfois très colorés les albums se lisent avec grand plaisir, sans effort et l’on peut apprécier les jolies couleurs et la pâte humoristique des crayons de l’auteur. Cette série est vraiment un agréable bonbon à lire à plusieurs et que vous pouvez offrir sans hésiter sous le sapin pour être sur de surprendre.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/22/herakles/
Comme d’habitude chez Urban, très gros boulot éditorial qui justifie les tarifs parfois un peu chers. L’unité de la ligne graphique (tranches noires avec le logo de la série/personnage) plait beaucoup aux amateurs de comics. Il y a donc l’ensemble des superbes couvertures originales faites par le regretté Michael Turner, un textes introductif à la continuité et aux personnages DC (… pas suffisant malheureusement étant donnée la complexité du DCverse), la fiche technique de chaque fascicule, trois histoires annexes en fin d’album (très très old school, perso je passe mon chemin) et une grosse analyse de l’histoire par les auteurs eux-même. Chez DC ces documents complémentaires sont totalement indispensables pour tout lecteur non habitué. On aimerait parfois en avoir autant dans les intégrales de BD franco-belge.
La femme d’Extensiman a été atrocement assassinée. La famille de la Justice League est en deuil. Mais ce n’est que le début: un mystérieux tueur qui déjoue tous les systèmes de sécurité s’attaque aux proches des héros, mettant en péril leur identité secrète et leur intimité. Des failles apparaissent sur les méthodes des différents héros alors que la tension monte…
JL crise d’identité jouit dans l’univers des comics d’une très forte réputation et apparaît très favorablement lorsque l’on cherche les « 10 comics de super-héros qu’il faut avoir lu ». Très rapidement lorsque l’on commence la lecture on comprend que l’on a affaire à quelque chose de différent de la narration habituelle issue du Comics Code authority: le stress est apparent chez ces êtres tout puissants, il y a de vrais morts, du sang, les méchants sont torturés… Je connais assez mal l’univers DC hormis les albums Batman mais j’ai trouvé une proximité avec le pilier du comic adulte qu’est Watchmen. D’abord le style de dessin qui fait assez années 80-90 (Dave Gibbons, l’illustrateur de Watchmen oeuvre sur un épisode de la série). Il est dommage que l’on ne puisse lire cet album en N&B car Morales a une certaine technique, classique de l’illustration américaine, qui rappelle le travail de Gary Gianni. Les couleurs peu subtiles et très informatiques n’apportent en revanche rien au dessin qui s’intéresse quasi uniquement aux visages, assez torturés, ce qui est inhabituel pour une BD de super-héros; les arrières plans et décors sont tout a fait industriels et sans intérêt. Pour résumer l’illustrateur est bon mais la colorisation et le design très rétro et (franchement ridicule par moments) n’aident pas à entrer dans cet univers. Dommage.
Pour revenir au scénario et au traitement, on est dans de la pure enquête policière, avec interrogatoire, autopsie et jeu sur les ombres. Les comics DC (qui signifient, pour rappel, « Detective comics« ) nous ont habitué à des filatures impuissantes de serial killer, du Silence de Jeph Loeb et Jim Lee au Long Halloween du même Loeb et Tim Sale ou encore (et ben oui), Watchmen. Par contre j’ai ressenti la même difficulté que sur Kingdome Come avec l’univers et les personnages DC qui me sont pour la plupart inconnus et que les auteurs (pour accentuer l’effet fan) nomment par leur patronyme au lieu de leur nom de héros… Du coup on a beaucoup de mal à rentrer dans l’histoire et comprendre qui parle (les fameuses narrations avec code couleur typiques des comics) avant le premier rebondissement. C’était la force de Watchmen que de recréer un panthéon de toute pièce en évitant de trier entre ses lecteurs familiers et les novices. L’univers DC demeure lui assez hermétique aux non-fans.
La seconde partie est plus aérée, linéaire, compréhensible et rehausse l’ensemble avec une chute totalement imprévisible. Le thème de la famille est central dans cet album et trouve des échos dans le Deuil de la famille (du cycle Snyder/Capullo sur le Dark Knight): quand les scénaristes osent des incidences radicales pour des personnages c’est toujours percutant. Du reste les auteurs mettent le focus sur des méchants et héros relativement mineurs; Superman, Batman, Wonder Woman ne font que des apparitions. Seul Flash occupe une position centrale en incarnant une certaine morale. Car ces évènements (c’est la deuxième force du récit) provoquent un véritable conflit interne à la JL quand aux méthodes (radicales?) à adopter face à des évènements extrêmes. Encore un fois c’est la rigueur morale des super-héros qui est questionnée. C’est intéressant mais on commence à en avoir l’habitude. Personnellement je préfère les histoires assumant justement une part sombre (depuis le Dark Knight de Miller au cycle de Snyder) des personnages. La face privée des héros est en revanche intéressants, notamment la relation de Robin avec son père.
Au final on a un comics plutôt haut du panier, avec un illustrateur classique mais qui mériterait que son travail soit mieux mis en valeur. La complexité inhérente aux histoires DC enchevêtrées et un design très daté empêchent ce comic d’être vraiment excellent et c’est dommage tant le traitement et les questionnements posés sont renouvellement plutôt le genre.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/25/justice-league-crise-didentite/
Bastien Vivès est un auteur qui prend de la place et Casterman la lui donne dans ce gros volume sobre et élégant. Rien de particulier à dire côté édition sinon que le titre (doté d’un vernis sélectif) et la couverture, pourtant simplissimes, touchent juste.
Antoine, 13 ans, va en vacances dans la maison de famille habituelle. Avec son petit frère Titi cela s’annonce calme comme chaque année. Mais apparaît Hélène, la fille d’amis de ses parents, 16 ans, qui va passer l’été avec eux. Commence une découverte entre sensibilité et tentations adolescentes, loin des parents, loin du frère. Une sœur?
J’ai découvert Bastien Vivès sur Polina (depuis adaptée au cinéma), fascinant croquis d’une apprenti danseuse, dont la subtilité du traitement m’a littéralement fasciné. Le dessin de Vivès, très épuré, n’est pourtant pas ce qui m’attire le plus en graphisme, mais la pertinence de sa technique et le sentiment général de profondeur restent assez uniques dans la BD actuelle. Polina jouit de la même force, sur un tout autre sujet. Il y a très peu de dialogues chez cet auteur et son style lui permet de nous toucher au plus profond de notre ressenti intime, de notre mémoire collective, lorsqu’en deux coups de feutre il croque un regard qui ne nécessite pas de dialogues, une expression complexe d’Hélène entre tentation et inquiétude. Le dessin est toujours un art fascinant quand il montre une image très précise en ne faisant que l’évoquer. On touche à l’impressionnisme…
Mais il n’y a pas que le dessin chez Vivès. Le personnage d’Hélène fascine autant le lecteur que le personnage principal. Consciemment ou pas, l’auteur lui donne des poses, des expressions, des silences issus du Lolita de Kubrick. Le lien entre les films est indéniable pour moi, hormis que le personnage masculin est totalement différent. La jeune fille a ce mystère divin, cette Eve à la fois intrigante, tentatrice, accompagnant, fidèle,… La subtilité des non-dits fait que tout le long on alterne comme Antoine, ne sachant pas si elle est avec lui, manipulatrice ou sincère? Une sœur ou une amoureuse? Une proche ou une aventure de vacances? La fragilité d’Antoine (tiens, dessinateur comme l’auteur…) est également très bien montrée, sur un rythme langoureux, estival.
Ce que j’avais beaucoup aimé sur Polina (que je vois comme un anti-Black Swan) c’est la capacité à intéresser par une véritable intrigue totalement dénuée de pathos. Il n’y a pas de mal dans le monde de Vivès, juste la vie, faite d’irrégularités, d’incompréhensions. Des personnages pures qui tentent d’entrer en contact, de jeunes gens qui apprennent la vie doucement. Deux-cent pages de beauté. Et un sacré trait.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/27/une-soeur/
Le premier volume nous avait laissé sous le choc: un énorme tatouage, les deux héroïnes soumises à une domination masculine atroce… Le second commence dans la même veine noire, mais contre toute attente les jeunes femmes ont pris les rennes de leur situation (qui n’en est pas rose pour autant). L’irruption de l’impératrice Victoria dans cet album fait entrer la politique et quelques fils liant les deux époques dans la narration. On est dans la directe continuité du fabuleux premier volume: aucune résolution mais des précisions sur les nombreux (et mystérieux) éléments qui nous ont été donnés jusqu’ici. Surtout, un grand méchant (juste entrevu en prologue du tome 1) apparaît et remplit parfaitement son rôle. Les personnages importants se précisent mais l’on se demande comment les auteurs vont pouvoir boucler en quelques volumes (il me semble que la série est prévue en 5) une intrigue qui ne fait que débuter. Enfin, le surnaturel que l’on subodorait intervient enfin…
Shi a véritablement pris de court toute la sphère BD: si Zidrou avait une solide réputation mais Homs était relativement méconnu et pourtant avec une histoire obscure, divisée en deux époques, touchant au marché de l’armement, d’un ton presque nihiliste… ils ont réussi avec deux albums la même année à hisser la série à un seuil que seul Blacksad ou plus récemment Undertaker sont parvenu à atteindre: le classique instantané. Les graphismes sont toujours aussi somptueux, le découpage hargneux et inventif, les personnages très bien caractérisés… Les mêmes qualités que le premier volume se retrouvent dans le second. Un immense plaisir de lecture avec la satisfaction de savoir que l’histoire est ficelée par les auteurs dès l’origine. On applaudit des deux mains et on se dit qu’avec le plaisir que prends Homs à croquer les aventures de Jennifer et Kita avec un peu de chances on aura droit à un troisième tome avant l’été(???).
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/28/le-roi-demon/
1929, la Prohibition. Un parrain de New-York envoie son homme de main Lou dans les Appalaches afin de convaincre Hiram Holt de lui vendre son exceptionnel alcool. Mais lorsque les jolis cœurs de la pègre newyorkaise débarquent avec voitures et mitraillette Thompson dans ce coin reculé et sauvage, les règles ne sont plus les mêmes et les cadavres atrocement mutilés qui apparaissent laissent penser que quelque-chose d’anormal se cache dans ces bois…
Urban continue son formidable travail pour dénicher le meilleur du comics américain dans son label Indies. Scénarisé par le vétéran Azzarello qui retrouve son comparse de 100 bullets (prix Eisner) l’argentin Eduardo Risso, Moonshine propose une histoire de loup-garou dans un contexte de Prohibition avec touts sa coloration habituelle des borsalino, berlines et mitraillettes à camembert.
Je découvre donc les deux auteurs (connaissant leur réputation) et cet album confirme leur maîtrise chevronnée. Découpages variés, jouant sur les plans et les noirs, scènes muettes très chouettes. Techniquement tout est en place, efficace. L’intrigue narrée à la première personne est là-aussi classique des histoires de gangsters 1920: désabusée, enchaînant les séquences en va et viens sans que l’on ne sache qui veut quoi hormis la bête que l’on découvre dès les premières planches. L’articulation entre fantastique et mafia tarde à venir. Ce n’est pas bien grave car on est bien pris dans l’ambiance, mais on sent un certain train-train dans le couple artistique qui a dû produire cette série assez rapidement, sans grande prise de risque.
Comme d’habitude dans le monde du comics la couverture est fort réussie… mais l’intérieur bien moins. L’illustrateur (que je ne connaissais pas) Risso n’est pas manchot, mais sa technique tout ordinateur avec des couleurs pas terribles produit un dessin pas mauvais mais franchement banal. On est à la croisée de Frank Miller (lorgnant parfois vers Sin city, parfois vers le Dark Knight), de Tim Sale et de Frank Quitely (pour le style de visages et la technique informatique). Plutôt de bonnes références mais je trouve que l’artiste aurait dû assumer un graphisme vraiment noire en jouant sur les ombres en noir et blanc. Du reste les ambiances sont là: la magie est présente, les créatures de la nuit, les trognes des malfrats en tailleur rayé: la Prohibition est une période aussi graphique que le Far-west et c’est toujours très sympa d’y lire des histoires. Quelques passages oniriques en peinture directe cette fois-ci montrent la qualité de l’illustrateur et un album entièrement dessiné de cette façon aurait grandement gagné graphiquement. Les rythmes (mensuels) imposés dans la BD américaine incitent souvent de très bons artistes à produire certaines planches à la va vite. C’est probablement le cas ici.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/01/01/moonshine/
Album au format large et à la pagination relativement importante, doté d’une postface de Roser Domenech, professeur d’histoire de l’art en catalogne et spécialiste du peintre Vidal Balaguer. L’éditeur a doté l’album d’une couverture toilée sur l’édition grand public. Très belle édition assez classieuse et qui renforce l’album.
Barcelone, 1930, atelier du peintre Joaquim Mir. Le vieil homme raconte à son jeune modèle l’étrange histoire de son ami, le peintre maudit Vidal Balaguer, l’un des plus talentueux membres de la Colla del Safra, un groupe d’artistes catalans. Une histoire liée à une toile et à sa muse disparue de façon mystérieuse…
Pour leur troisième collaboration Zidrou et Oriol (illustrateur espagnol dont le vrai nom est Hernández Sánchez) nous font entrer dans le monde de la peinture espagnole, au travers d’une histoire sur un mode policier teinté de fantastique. L’envie des auteurs était de rendre hommage à ce peintre inconnu à qui le postfacier tente de redonner ses lettre de noblesse en organisant des expositions. Le texte de cet historien de l’art est très intéressant et l’on y apprend qu’un certain Pablo Picasso avait déjà repéré Balaguer… Résultat de recherche d'images pour "natures mortes oriol"Zidrou (dont je découvre progressivement la bdgraphie) construit le récit en une court enquête sur la disparition de la muse que l’on peut voir en couverture: Balaguer l’aurait-il tué, comme il aurait fait disparaître d’autres personnes apparaissant sur ses peintures? Sous ce prétexte l’album nous introduit dans le milieu artistique de Barcelone à la fin du XIX° siècle. L’on a maintenant l’habitude de parcourir Montmartre dans des BD françaises, parfois aussi le milieu artistique américain, plus rarement l’espagnol. C’est chose faite et si ce n’est pas véritablement révolutionnaire, l’immersion picturale (grâce au trait et aux couleurs incroyables d’Oriol qui fait un travail impressionnant pour coller au style impressionniste) de l’album est fascinante. L’on a réellement le sentiment de pénétrer des peintures de l’époque et l’illustrateur espagnol intègre des productions originales du peintre afin de pousser encore plus loin l’entrelacement.
Résultat de recherche d'images pour "natures mortes oriol"Intéressé par cette histoire de peintre méconnu j’ai cherché quelques informations, d’abord sur les sites de BD, puis plus largement. L’absence de références au peintre m’a intrigué, alors j’ai poussé un peu… jusqu’à découvrir le fin mot de l’histoire. Non ce n’est pas un spoil (la BD reste vraiment excellente et se savoure pour elle-même), mais Victor Balaguer n’a jamais existé et ses peintures sont d’Oriol lui-même! L’espagnol souhaitait faire une BD rendant hommage au (vrai) peintre Joaquim Mir, peu connu en France et a proposé cette mystification à Zidrou. Les deux compères se sont alors associé à un vrai galeriste et un vrai chercheur espagnols pour pousser le projet. Ainsi une vraie exposition a vu le jour avec de vraies-fausses toiles de Balaguer, crées par Oriol. C’est un site espagnol qui vend la mèche et j’avoue que cette histoire m’a totalement bluffé. C’est la première fois que je vois un tel montage en BD et l’album mérite d’être lu rien que pour cela mais absolument pas que!
Résultat de recherche d'images pour "natures mortes oriol"Natures Mortes est une grande réussite, d’abord graphique, qui nous régale et m’a fait découvrir (encore…
Largo est la dernière grande série de Van Hamme à voir le maître quitter les commandes. C'est aussi sa série qui a le mieux traversé les années (par-ce que la plus récente? ou du fait du format très pertinent de cycles en deux albums?), le milliardaire en blue jeans ayant bien mieux vieilli que ses comparses Thorgal et Jason MacLane. Le risque était grand, surtout que Van Hamme a quitté le bateau sur un excellent diptyque et le premier véritable amour de son héros... Deux ans après (je crois que c'est la première "rallonge" de l'éditeur sur une série habituellement annuelle), que donne Eric Giacometti aux textes?
Bonne nouvelle, l'humour très percutant de la série est toujours présent, très proche de ce que faisait l'auteur originel. Les dessins sont toujours aussi acérés (mais là dessus je n’était pas inquiet) même si Frank devrait penser à diversifier ses blondes, que l'on a décidément bien du mal à distinguer...
L'histoire commence directement à la suite du précédent cycle, ce qui est nouveau il me semble et je pense un peu dangereux: la force des Largo est de prendre le temps de 92 planches pour nous raconter une histoire unique vaguement liée aux autres, ce qui nous fait échapper aux effets collatéraux des séries à rallonge et permet un véritable renouvellement à chaque cycle. Ici on voyage du Mexique altermondialiste à la Suisse en passant par le siège de Chicago et la Russie. Les sidekicks Simon et Freddy sont toujours fidèles au poste, les méchants très sanglants. On ne sais pas grand chose de l'intrigue après la dernière page mais on a l'habitude que tout se dénoue au deuxième volume. Business à usual en somme et la transition se passe remarquablement bien, c'est bien l'essentiel. Le petit bémol: je trouve que les élucubrations financières sont un peu moins légères et pédagogiques qu'avant, au risque de désintéresser le lecteur grand public habituel. Giacometti devra faire un petit effort d'assouplissement. Mais je dois dire qu'après la lecture de ce 21° tome, franchement rien n'incite le lecteur habituel à abandonner la série.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/21/letoile-du-matin
Ken est un jeune japonais parti en Corée pour suivre la fille qu'il aime, engagée dans la police de Séoul. Se retrouvant à la tête d'un gang local, il va gravir les échelons entre ses idéaux de justice et le pragmatisme de la vie de criminel...
Boichi est l'un des prodiges du manga asiatique. Contrairement à son personnage, il est coréen et vit au Japon. Sun-Ken Rock est l'un de ses premiers manga; sur le plan graphique le premier volume ne sort pas de l'ordinaire de la masse des BD japonaises... ce qui changera rapidement dès les tomes suivants, jusqu'à fournir certaines planches absolument sublimes et un niveau moyen très au-dessus des standards. Boichi est précis, ses personnages sont caractérisés et son dessin impulse une énergie propre au média Manga mais qui sort ici vraiment du lot. La maîtrise des anatomies (hum...), des plans et cadrages délirants, font de cette série un must du manga d'action.
Sur le plan de l'histoire, dans ce volume de démarrage on est vite dans le n'importe quoi, les scènes d'humour débile étant plus nombreuses que des scènes de combat improbables, assez rapidement menées et dotées d'un découpage parfois abrupte... Ce qui anime Boichi et ce manga ce sont la baston, les gags et les filles dénudées. Sun-Ken Rock n'est d'ailleurs pas à mettre entre toutes les mains car c'est assez cru et violent par moments. Les jeunes hommes sont des machines de combat et les filles de la chair fraîche à abuser ou à défendre: on est dans la psychologie et l'univers des mafia. On est néanmoins surpris de lire certains échanges assez intelligents (le débat sur le statut de l'Etat et celui du gang, la responsabilité de la Corée dans san participation à la guerre du Vietnam) et qui entraîne des réflexions que l'on ne s'attend pas à trouver au milieu de ces planches délirantes.
Je ne m'étendrais pas sur un scénario assez dérisoire sur le premier volume et qui va se poursuivre dans une ascension du héros au sein des guerres de gang, scénario linéaire, simple, permettant les successions d'affrontements verbaux ou aux poings. On reste dans l'esprit de beaucoup de Mangas: humour décalé et combats.
Je découvre juste cet auteur et en parcourant les planches de ses différentes œuvres (qui commencent à être nombreuses) je retrouve une maestria que je n'ai jamais retrouvé depuis le chef d’œuvre de Masamune Shirow: Appleseed 4, notamment dans les scènes de combat. C'est brut, c'est cru, c'est violent, c'est précis. C'est le Manga comme je l'aime! Boichi a en outre le mérite de réaliser des séries assez courtes, ce qui permet de garder l'intensité nécessaire à ces histoires de rage et de fureur. Je lis peu de manga car j'ai du mal à trouver (un peu comme dans le comics) autre chose que de la grande consommation reproductible. Parfois pourtant je déniche des auteurs, comme Shin'ichi Sakamoto sur Ascension et en général c'est la baffe. Boichi et le manga c'est un peu comme quand on compare un comics de Jerôme Opena ou de Travis Charest au commun des BD US... on voit la différence! Dans la foulée je vais me lire sa dernière publi en France: Wallman, série sur un assassin en 3 volumes qui s'annonce dantesque.
Lire sur le blog : https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/18/sun-ken-rock
Le petit éditeur Paquet nous a habitué à proposer de très beaux ouvrages, souvent en grand format, doté de couvertures attrayantes et au travail éditorial qualitatif. Essentiellement connu pour les (très bonnes) séries d'aviation de Huguault ou pour le manga best-seller Usagi Yojimbo, Paquet propose avec Gung-Ho de découvrir deux auteurs allemands pleins de talent, déjà créateurs de la série Chroniques immortelles. Les albums ont été publiés en deux sorties de 40 pages par tome puis en album de 80 pages grand format et enfin en édition deluxe (encore plus grand format). A 17€ l'album ce n'est pas une arnaque. Un court cahier graphique accompagne le premier tome. La maquette est fidèle à l'univers, prenant comme couverture un des personnages principaux à chaque tome. L'intérieur de couverture représente le cadre géographique de la colonie qui accueille l'intrigue. Du beau travail qui rehausse cette excellente BD.
Dans un futur proche, ce qu'il reste de l'humanité s'est réfugié dans des villes fortifiées et des colonies qui tentent de recoloniser le territoire en se protégeant du fléau blanc, les Rippers. Lorsque arrivent dans la communauté très règlementée de Fort Apache deux orphelins, Archer et Zack, ils se retrouvent confrontés à l'acceptation de ces règles, à leur transgression par leurs pulsions d'adolescents et au défi de se construire dans ce monde hostile.
Gung-Ho est une BD post-apocalyptique dans la veine de Walking Dead... sauf qu'ici pas de zombies. Le contexte préalable n'est que faiblement évoqué et si l'on apprend tardivement ce que sont les Rippers, l'on ne sait même pas s'ils sont à l'origine de la réduction de la population. Ce qui intéresse les deux auteurs ce sont les relations entre les personnages et notamment entre groupe des adolescents et des adultes. Cette mini société est absolument passionnante par ce qu'elle transpose en concentré les impératifs de toute société entre justice, liberté et ordre. Derrière ces concepts, les adultes et les adolescents n'ont pas les mêmes visions et vont souvent tester la réactivité de cette société expérimentale et communautaire. Les personnages sont vraiment nombreux et caractérisés à la fois graphiquement et par le scénario. Hormis quelques exceptions (le méchant corrompu), tous sont subtiles et crédibles, le lecteur comprenant leurs motivations qui ne sont jamais simples à condamner. Cela car le travail de contexte est important et la pagination permet de prendre le temps de soigner chaque figure. L'élément déclencheur de l'intrigue est l'arrivée des deux jeunes frères et notamment d'Archer, le joli rocker tête-brûlée (en préambule à chaque album les auteurs nous rappellent que Gung-Ho signifie "tête brulée"), qui ne respecte aucun code et va par ce fait mettre l'équilibre de la communauté et de ses lois en danger. Certaines personnalités sont plus alléchantes, comme la jeune asiatique experte en maniement du sabre ou le chef militaire du groupe. Mais tous semblent vivre leur vie entre les cases.
Ce qui a marché dans Walking dead (la transposition de la société dans une situation de crise extrême) fonctionne aussi ici avec l'accent mis sur l'adolescence et les thèmes qui lui sont liés (la transgression, la musique, le flirt, l'alcool, le passage au stade adulte,...). En revanche, si la série de Robert Kirkman est dotée de dessins loin d'être virtuoses, ici Thomas Van Kummant (passé par le design et l'infographie) fait des miracles avec sa palette graphique. Si vous êtes allergiques au dessin numérique vous pouvez passer votre chemin... pourtant vous aurez tort! Comme Miki Montllo sur la formidable série Warship Jolly Rogers (leur technique est proche, entre des formes plates et des textures et contrastes très sophistiqués) il parvient à donner une grande expressivité aux visages et une harmonie improbable quand on regarde les dessins à la loupe. Élément par élément on peut même trouver cela moche, mais l'ensemble est très léché, entre le photoréalisme des arrière-plans et les éclats de couleur des personnages. Comme Bastien Vivès, Van Kummant parvient à donner un réalisme à ses dessins en faisant appel à notre mémoire visuelle, transformant quelques traits ou touches de peinture en une anatomie et mouvement très parlant. Mais surtout les auteurs nous donnent un vrai plaisir à suivre tous ces personnages, pas seulement les héros. L'esprit est celui d'une bonne série TV que l'on veut voir durer des années. Ainsi sur un canevas simple ils parviennent à nous attraper, nous faire craindre pour untel, souhaiter un avenir à un autre, etc.
Gung-Ho est une vraie réussite et une très bonne surprise sur tous les plans, tant graphique que thématique. Deux auteurs inconnus arrivent à confirmer l'essai d'un projet montrant que l'on peut raconter mille fois la même histoire en intéressant toujours différemment. Par l'intelligence et la spécificité de chaque auteur tout simplement.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/20/gung-ho
L’annonce de la parution en co-édition Dargaud/DC d’un Batman par le grand Enrico Marini a créé un bouillonnement rare dans le milieu BD cet automne. Accompagné par une campagne promo (que l’on qualifiera d' »américaine »…) de Dargaud et de Marini lui-même, cet évènement a occulté pas mal d’autres très grosses sorties, à commencer par exemple par le premier Largo Winch post-Van Hamme…
J’avoue que j’étais assez méfiant, agacé par cette campagne rarement vue dans la BD franco-belge, trouvant les premières images un peu trop « claires » pour une BD du Dark Knight et la couverture pas plus excitante que ça (bon, les couvertures de Marini en général ne sont pas ce qu’il fait de mieux). En outre le format BD paraît étrange et je me demande s’il n’aurait pas fallu préférer un format comics éventuellement agrandi. Le Marini que j’ai adoré, celui du Gypsy, de Rapaces et du Scorpion m’a un peu laissé sur ma fin ces dernières années avec une série Les aigles de Rome qui ne m’a pas accroché…
Ce premier volume d’une histoire en deux parties présente une intrigue sommes toutes classique de Batman: le Joker a enlevé une petite fille qui pourrait être la fille de Bruce Wayne… Il s’agit d’une mise en place, avec les personnages principaux de la galaxie Batman: Harley Quinn, le commissaire Gordon, Killer Croc, Catwoman, Alfred et bien sur le Joker… qui est peut-être le personnage le plus réussi de l’album. L’histoire ne fait que commencer et devra être résolue en un seule volume, ce qui peut être court… Très clairement si certains plans sont particulièrement réussi (avec plusieurs doubles-pages du Batman en mode « sentinelle »), ce n’est pas la mise en scène qui marque dans cet album peut-être un peu trop sage et respectueux, mais bien les personnages. Étonnamment le Batman comme Bruce Wayne sont quasiment absents de cet album, pour laisser la part belle au Joker et sa dulcinée. Marini s’est visiblement fait plaisir sur la Némésis de la chauve-souris ainsi que sur sa réappropriation graphique, plus inspirée des films de Christopher Nolan que de ceux de Tim Burton. Ainsi la batmobile et la batcave sont très réussies (mais peu vues). Les plans larges de Gotham sont beaux mais pas très travaillés. Les costumes de Batman et de Catwoman en revanche ne m’ont pas paru très originaux. Il me semble que l’auteur a peut-être été impressionné par le personnage (il révèle dans une préface assez sympa qu’il réalise un rêve de gosse) et n’a pas osé surprendre, hormis avec une relation déjà assumée entre Wayne et Selina Kyle mais qui n’est pas réellement utilisée dans l’album. Encore une fois, l’intrigue n’est pas inintéressante mais n’est qu’ébauchée et aurait sans doute gagné à être publiée en un seul volume (d’autant que Marini est un dessinateur rapide). Je me demande au final si Marini n’a pas réalisé son album un peu vite…
Marini est un grand dessinateur populaire qui maîtrise son art (même s’il lui faudrait travailler ses perspectives et ses éléments techniques, mais ça on le savait déjà). Mais le Batman est l’un des personnages ayant le plus été illustrés et il passe après certains Jim Lee et les albums de Capullo/Snyder qui ont marqué un nouvel étalon en la matière (tant graphique que thématique). Il devient impératif d’adopter une patte graphique ou une idée radicale si l’on veut sortir du lot. Il faudra attendre le second volume pour être fixé et savoir si nous auront au final un bel album illustratif ou une vraie bonne histoire de Batman. Personnellement le White Knight que publie Sean Murphy m’excite pour l’heure beaucoup plus.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/11/batman-the-dark-prince-charming/
Ar-men est le phare le plus à l’ouest de la Bretagne. Un phare construit de main d’homme au milieu du XIX° siècle sur un rocher de quelques dizaines de mètres, au milieu des flots. De sa construction à sa dernière occupation, c’est le récit d’une partie de la Bretagne, d’une culture, d’une persévérance et d’un lien des hommes à la mer qui nous est relaté. C’est également le récit d’un homme et de ses fantômes.
Chaque nouvel album d’Emmanuel Lepage est désormais un événement dans la sphère bdphile. Auteur entier ne recherchant pas la facilité, doté d’une technique sans faille et d’une sensibilité esthétique qui ne fait pas de doute, il parvient livre après livre à parler de ses passions et questionnements très personnelles dans des œuvres passionnantes. Je le suis depuis la Terre sans mal, magnifique voyage ethnographique en terre d’Amazonie (pour moi son plus bel album) mais j’avais passé mon chemin sur ses carnets de voyages, genre qu‘il a entamé il y a quelques années et qu’il peaufine désormais en des albums à cheval entre la fiction et le reportage. La Lune est blanche, relatant l’expédition en Antarctique de l’Institut Polaire qu’il a suivie (à travers une BD agrémentée de photographies de son frère) m’avait littéralement passionné et j’ai entrepris de reprendre mon retard. Son dernier album inspiré des Voyages d’Ulysse m’avais laissé sur ma fin, trop réflexif. Ar-men est cette fois beaucoup plus classique et forme l’une de ses plus belles réussites.
Dès l’introduction, très cinématographique, Lepage laisse exploser son talent, sa maîtrise des plans aériens, de couleurs maritimes éclatantes en suivant une mouette progressant et nous emmenant de la pointe du raz à l’île de Sein et jusqu’au phare proprement dit. Là, deux hommes et une jeune fille résident dans un fut de dix-mètres de diamètre au milieu des flots… Chaque soir une grosse vague risque de briser la porte ou jusqu’aux vitres de la lanterne. Pourtant ils sont là pour sauver des vies, celles de marins au large qu’ils guident par leur lumière salutaire. La vie dans le phare est rapidement relatée avant d’entamer le récit à la jeune fille des légendes bretonnes de la ville d’Ys, de Dahut et de l’ensevelissement par les eaux, puis de la construction du phare il y a un siècle en creusant barre de fer à la main une roche battue par les flots. C’est une véritable aventure, du même souffle que celle de l’Endurance que j’ai chroniqué sur ce blog, qui nous est relatée via des planches toutes plus magnifiques, tantôt historiques, tantôt naturaliste (les flots, les oiseaux, le vent). Lepage est breton et fusionne avec sa terre, comme jamais dans cet album. L’on sent le lien aux éléments qui unit ces hommes simples de Sein, cette nécessité de vivre sur la mer, de la mer, pour la mer. Ironie de leur situation, ces marins vivaient des naufrages et vont vivre par et pour le phare destiné à éviter ces naufrages…
Lepage sait agencer l’histoire, le mythe, le contemplatif et le cheminement personnel de ses personnages en une alchimie parfaite, passionnante, graphiquement superbe et variée. Et ici l’album prend une dimension supérieure lorsqu’est révélé brutalement le passé du gardien. Tout en subtilité, en maîtrise Emmanuel Lepage réalise alors un grand album comme son talent, humain, sensible.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/13/ar-men/
C'est un jour important pour le roi: aujourd'hui c'est son anniversaire! Tout le royaume se presse pour le féliciter, le cajoler, pendant que le héraut récite l'interminable liste des cadeaux qui lui sont envoyés. Mais le roi n'en a que faire, ce qu'il veut c'est son gâteau et chevaucher son cheval de bois. Pendant ce temps deux jeunes miséreux parviennent à prendre l'encolure du mythique cheval de vent qui parcourt la campagne et emporte le gâteau du roi! Une course effrénée va alors s'engager entre ce deux chevaux improbables...
Le duo expérimenté Lupano/Smudja nous livre avec cette BD jeunesse une fable à la Ubu sur la puérilité du pouvoir et de la richesse face au rêve de l'enfance et aux inégalités. Du Lupano qu'on aime, qui rougit toujours un peu plus l'univers si peu politisé de la BD franco-belge! Cet album court est un véritable régal pour les yeux. La finesse des détails, la chatoyance des couleurs sur de grandes cases flattent les rétines. Smudja avait déjà montré sa technique et son amour des couleurs vives sur ses albums dans l'univers des impressionnistes (Van Gogh et Toulouse-Lautrec). Ici on est dans la grosse farce lue très vite, à l'intrigue simple (Lupano aurait pu développer quelque peu l'histoire du cheval de vent...), à la chute attendue. Rien de très original, mais une jolie histoire avec un brin de fantaisie qui plaira aux enfants (chevaucher un cheval de vent avec des masques d'animaux!) en leur parlant tout de même des méfaits du pouvoir absolu et des injustices. Pour les parents on se régalera visuellement et rigolera un peu aux situations grotesques du roi et ses gens.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/12/cheval-de-vent-cheval-de-bois
Dans l'Afrique des légendes, des fétiches et de la magie, la sorcière Hariti, stérile, va tout faire pour connaître l'amour maternel. Mais son pacte avec les puissances ancestrales est risqué. Si elle est prête à tous les sacrifices, les dieux l'entendent-ils ainsi?
La série de Ryser et Szalewa, injustement méconnue, propose d'entrer dans une Afrique entre croyances traditionnelles et vaste cosmogonie fondatrice. Car au travers du personnage archétypal de la sorcière Hariti (qui a des ressemblances avec Karaba, la sorcière de Kirikou, qui a pu influencer les auteurs ici) c'est bien le mythe originel de l'enfantement du monde, de l'Homme et du peuple africain qui est proposé. Les décors nous emmènent du pays de cocagne interdit aux hommes à l'arbre aux fruits défendus et le monde des esprits. Les sortilèges peuvent ôter la conscience aux rois et les corps fusionner avec les racines. Cet univers, bien que très coloré sous les pinceaux magnifiques de Nicolas Ryser (dont c'est la première BD) est sombre, rocailleux, fait d'épines et des traits torturés d'une Hariti vieillissante au travers des trois albums qui s'étirent sur une vingtaine d'années.
L'intrigue est par moment difficile à suivre (notamment dans le tome 1) en raison de sauts temporels ou d'action assez brutaux. Cela peut être vu comme une faille du scénario ou comme une volonté de s'inscrire dans le récit mythique où le temps n'a pas de valeur, pas de norme. La relation entre la fille et la marâtre, la jalousie exclusive et l’amour ambigu sont montrés avec subtilité derrière ces cases à la force tribale. Mais le personnage central demeure celui de la sorcière Hariti: rarement un anti-héros aussi sombre aura été assumé de la sorte et bien peu de choses permettent au lecteur de s'y attacher! Elle fait le mal, revancharde, puissante, tenant tête à des divinités décidément dures avec les hommes. Et si l'amour entre les Adam et Eve de l'histoire peut laisser un fil positif à cette légende, l'ensemble reste résolument pessimiste, comme dans la plupart des mythes de l'humanité...
Le trait de Ryser est volontairement exagéré, les corps déformés semblent chercher à reproduire les figures des fétiches de bois, créant une atmosphère propice à dérouler cette histoire. Dans Hariti pas de fausse pudeur d'ailleurs, les hommes sont le plus souvent nus et parés de quelques bijoux et bracelets, ce qui permet à l'auteur de travailler ses corps magnifiquement.
Les arrière-plans souvent en peinture directe sans encrages peuvent paraître parfois un peu brouillons en regard des superbes personnages. L'ensemble nous transporte pourtant dans un imaginaire africain, fait d'aridité, de villages de terre et de forêts piquantes et asséchées.
Hariti est une excellente surprise aux superbes graphismes chatoyants qui montrent un illustrateur de caractère et une grande lisibilité des cases. Histoire primordiale que l'on voit peu en BD (l'Asgard de Dorison et Meyer possédait également cet élément mythologique fascinant), Hariti est un projet qui mérite de s'y arrêter, œuvre d'un travail original, sincère, talentueux et qui m'a fait découvrir un illustrateur que je vais essayer de suivre sur sa série Les derniers Argonautes.
Lire sur le bloghttps://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/08/hariti
La célèbre actrice Sarah Bernhardt, "la divine", est victime de menaces de mort de la part d'un mystérieux personnage déguisé en Mante religieuse. Aussitôt les Spectaculaires sont appelés à la rescousse pour protéger la divine amante...
Lorsque le premier tome des Spectaculaires était sorti je reconnais avoir été un peu déçu par le scénario et un esprit gagesque un peu timide. Et bien rassurez-vous, une fois n'est pas coutume, le second est bien meilleur!
On assiste au même syndrome que pas mal de films de super-héros dont l'installation au cours du premier opus est souvent laborieuse par peur de trop en lâcher. Ici, outre la galerie de bras-cassés désormais connue et le systèmes de gags récurrents (la morve de Félix, les "absences" de Pipolet), on a une structure narrative bien plus solide même si elle reste très classique: une équipée de suspects potentiels part en voyage vers un lieu retiré en Bretagne, permettant tout un tas de scènes truculentes autour de tel duo ou de telle situation. Les nombreux affrontements avec la Mante sont tous plus poilants les uns que les autres et on savoure d'avance les prochaines rigolades que l'on voit venir aussi loin que l'horizon breton. Les scènes de voyage en mode "carte du trajet" rehaussée de dialogues super-clichés permettent même de balancer quelques piques au snobisme parisien face à une province "reculée et très typique"... On sent des auteurs beaucoup plus inspirés lâcher la bride d'une histoire sur des railles mais qui fait son office. Toujours une petite frustration cependant à ne voir que si peu les morceaux de bravoure des saltimbanques, leur jeunes cheffe étant la véritable héroïne de l'histoire.
On est désormais en terrain familier, comme avec les Vieux Fourneaux, on sait pourquoi on aime les Spectaculaires et on est servis. Clou du spectacle Hautière et Poitevin nous refont en bouquet final le Cluedo à leur sauce et on en redemande. Enfin, contrairement au premier album, La Divine amante me semble lisible par un public relativement jeune, disons 8-10 ans.
Niveau dessin Poitevin est dans la lignée du premier volume avec des personnages totalement cartoon (j'adore le nez péninsulaire de Pipolet, la face de lune de Sarah Bernhardt qui rappelle De Capes et de crocs et les sourcils ronds de Felix), un design général très drôle (les costumes sont totalement ridicules) et des couleurs pastelles fort agréables. En outre on sent déjà l'idée de faire évoluer ses personnages et leur aspect, ce qui serait une très bonne idée pour la suite.
Pour conclure, si j'étais un peu sur ma fin à la clôture du premier, ce second volume d'une série à lire en famille ma fortement remotivé et fait passer une bonne tranche de rigolade. En reprendre-vous avec moi?
4 Calvin/5
Jolie couverture intriguante, typo de titre originale, intérieur de couverture identique des deux côtés représentant une sorte de peinture rupestre avec des licornes. Imprimé en Belgique.
Cet album est un petit miracle sorti de nulle part! Réalisé par un scénariste chevronné mais peu connu et par un artiste espagnol dont c'est la première (et unique à ce jour) BD, il raconte l'itinéraire du chevalier Hospitalier Juan de la Heredia (personnage historique qui a bâti les remparts d'Avignon) après sa "mort" à la bataille de Crécy qui marque le début de la guerre de cent ans. Lors de cet événement d'une violence rare, le chevalier rencontre une licorne, animal légendaire, qui semble le ramener à la vie et le hante désormais pour le reste de son existence...
Les grands one-shot sont portés par l'ambition de leur projet autant que par la qualité de leur réalisation. Il est surprenant de trouver ce volume chez Soleil, plus habitué aux séries qu'aux projets d'auteurs. Ici le mythe surpasse très rapidement le cadre historique (pourtant si élégant). Le fil rouge est l'hypothétique folie de cet homme ramené d'entre les morts par un animal imaginaire. Tout au long de sa quête du sens de sa résurrection, Juan va s'interroger sur une impossibilité: les licornes sont imaginaires, et pourtant il est bien mort sur le champ de bataille de Crécy... Après sa fuite d'une prison anglaise il va errer en bordure du monde des hommes, bravant la mort dans unique but: rattraper la licorne qu'il voit au loin, pour comprendre. Boucher au début de l'ouvrage, ermite puis chevalier à nouveau, il s'agit autant de la quête du sens de son époque barbare que d'un parcours intérieur vers la civilisation.
Je reparle à nouveau de l'école espagnole, tant la qualité du trait et de la colorisation (que certains trouveront trop numérique) d'Escalada est rare. La rage qu'il met dans ses visages, l'esthétique et la poésie de ses plans larges constituent l'une des BD les plus impressionnante graphiquement des 10 dernières années. Le trait est dur mais précis, l'élégance de son style permettant de laisser la violence au contexte sans la reproduire graphiquement. Je n'ai trouvé aucune information biographique sur cet illustrateur bien trop rare. En espérant que ce projet totalement réussi lui donne envie de nous offrir à nouveau son talent.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/25/le-chevalier-a-la-licorne
Jolie couverture qui met en avant le style "ado" du trait de Reynes, belle typo de titre et maquette générale. Rien d'extraordinaire (on est chez Dupuis) mais c'est propre.
Harmony reprend le thème classique d'Akira ou des X-men à savoir la conspiration scientifico-politique faisant des expériences sur des enfants (thème également du récent Wonderball). Je ne détaillerais pas le déroulement des albums, beaucoup de l'intérêt de cette bonne série reposant sur le traitement d'une histoire archétypale. Le dessin est particulier (proche d'un style jeunesse avec des visages et corps exagérés, gros yeux, gros menton, gros nez,...) mais très maîtrisé et la colorisation joue un grand rôle dans l'aspect d'ensemble. Reynes produit, surtout, un découpage très cinématographique et une progression de la narration remarquablement dosée. Le premier cycle est prévu en 3 tomes dont le dernier vient de sortir. Après un prologue remontant aux temps antédiluviens, le premier volume présente une adolescente, Harmony, enfermée dans le sous-sol d'une cabane, sans souvenirs. Elle semble au coeur d'une conspiration gouvernementale autour de manipulations de pouvoirs paranormaux... Le tome 2 est un flashback montrant comment elle est arrivée là en décrivant les expériences scientifiques sur les enfants. Cet effet casse un peu le rythme donné par le très bon premier volume. Le mystère reste cependant bien mené et la progression remarquablement gérée, avec des militaires très méchants et sans scrupules reprenant un programme scientifique médical à l'origine ; si bien que l'on attend avec impatience la conclusion du tome 3 (que je n'ai pas lu mais dont la lecture est susceptible de remonter les Calvin). Le dessin progresse en outre à chaque tome vers plus de sibtilité dans le trait.
Les jeunes générations auront par cette BD une porte d'entrée sur cette thématique classique de la SF dans un traitement relativement soft. Je pense que le style de dessin plaira au public jeune et l'histoire pourra leur donner envie de s'attaquer à des séries SF plus ambitieuses ou plus adultes (l'Histoire de Siloë, Akira, Domu, Brane zéro voir le Chant des Stryges dans le style conspirationniste). L'approche scénaristique de Reynes, si elle n'a rien de révolutionnaire, est très carrée et laisse présager du bon voir du très bon si son histoire est prévue sur plusieurs cycle et ne se laisse pas aller aux sirènes du commerce infini.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/30/harmony
Les Shingouz ont encore frappé ! Alors que les agents spatio-temporels Valerian et Laureline sont à la recherche d'une Intelligence Artificielle criminelle, Monsieur Albert leur apprend que le trio d'extra-terrestres infernaux a commis l'irréparable: ils ont perdu la Terre au jeu...
La série "Valerian vu par..." entamée il y a déjà 6 ans par Manu Larcenet et son déglingue "Armure du Jakolass" revient avec un attelage improbable entre Lupano, (le scénariste très talentueux du moment) et maître Lauffray, chef d'une Ecole graphique, dont la rareté et l'irruption dans un registre humoristique attisent la curiosité. Et on peut dire que la réussite est complète si l'on en juge par le seul plaisir et la quantité de rires provoquée par cet album. Autant le Jakolass restait dans l'univers de Larcenet (gros pif, piliers de bar et antihéros), autant nous sommes ici totalement dans la thématique Valérian mais réinterprété par l'auteur des Vieux Fourneaux dont on retrouve ici toute l'énergie, les scènes improbables et surtout l'humour. Rarement je m'étais autant poilé en lisant une BD (peut-être devant Calvin et Hobbes...). La profusion d'inventions scientifico-n'importe quoi ne laisse pas deux cases de répit. Entre le Thon quantique, les Shingouz propriétaires de la Terre et l'IA corruptrice du compte retraite des agents de Galaxity (Lupano en profite pour nous glisser sa critique de la finance et du système libéral déjà connue des lecteurs des Fourneaux), on rit sans arrêt, entre deux bavements dus aux planches de Mathieu Lauffray.
Pour une fois on peut dire que les pinceaux de l'artiste ne sont pas le premier motif de lecture de cet album. Pourtant son arrivée dans l'univers de la SF se passe avec le même talent que sur ses habituelles lovecrafteries. C'est beau, élégant, précis et Laureline est plus belle que jamais. Les trognes des Shingouz donneraient presque envie de voir Lauffray bifurquer vers le cartoon et ressemblent étonnamment à leurs cousins du film de Luc Besson. Les similitudes ne s'arrêtent pas là puisque l'humour présent sur les deux oeuvres est très proches, du décors noix de coco-chemises à fleurs à la virée en yellow submarin. Entre 4-5 jeux de mots pourris mais diablement drôles (la Shingoozlooz ou la Walou & Fortunas), Lupano offre à son acolyte de magnifiques planches spatiales et planétaires (mention spéciale aux couleurs plus flashy qu'à l'accoutumée chez Lauffray mais magnifiques). Les deux se font plaisir et le communiquent. A lire absolument, que vous aimiez/connaissiez l'univers de Valérian ou pas.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/01/shingoulouz-inc/
Demi-loup a réchappé à ses poursuivants et fait "connaissance" avec le démon qui l'habite. Elle part en terres arcaniques où d'anciens amis de sa mère lui apprennent qu'elle peut en savoir plus sur son passé et sur le mystérieux masque en se rendant sur l'ile des os...
Monstress est un étonnant alliage du manga (les deux auteures sont d'origine asiatique) et du comics, exploitant un très large format (plus de 160 pages couleur par album) pour développer un univers de magie très original. Si le T1 demandait une grande concentration de part la quantité d'informations sur les factions et sur le monde présenté, le second volume suit une trame plus linéaire et donc plus lisible. Le design général des monstres comme des arcaniques est toujours aussi fascinant, l'illustratrice reprenant le thème des hommes-animaux, avec le plaquage de superbes textures informatiques qui fait la marque visuelle de cette série. Si les arrière-plans et décors sont un peu délaissés comme sur beaucoup de BD américaines et japonaises (du fait de la pagination très volumineuse), nombre de cases voir de pleines pages sont magnifiques, rappelant par moment la foison des BD d'Olivier Ledroit. L’ensemble demande du reste une attention particulière, tant visuelle qu'intellectuelle étant donné que le nombre de textes reste important. Ainsi Monstress s'adresse en priorité aux adultes, ne serait-ce que par la violence de certaines séquences. L'édition française suivant de près l'édition américaine il est probable que les aventures de Maïka demi-loup durent encore quelques années étant donnée la tournure prise par l'histoire à l'issue de ce second volume. Les amateurs de mondes complexes, des mythologies de fantômes et dieux-démons chinois adoreront.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/06/monstress-t2
Les éditions Urban produisent un travail remarquable en proposant l'intégralité des couvertures US, un résumé des épisodes précédents salutaire, des interviews et biographies des auteurs ainsi que quelques illustrations préparatoires. C'est très très complet, d'une maquette élégante et adaptée à chaque série. Le bouquin est au format américain en couverture mat avec la désormais traditionnelle tranche noire commune à tous les livres Urban (qui mériterait peut-être d'évoluer au moins dans les collections Indies...). Très classe.
Sur une terre à l'agonie, brûlée par son soleil devenu une géante rouge, l'humanité s'est réfugiée voici des millénaires au fond des océans, créant de nouvelles civilisations alors que des créatures mutantes apparaissaient.
L'héroïne est une scientifique d'un optimisme débordant (l'exacte opposé du Grant MacKay de Black Science, l'autre série de Rick Remender) qui a repéré le retour possible d'une des sondes envoyées il y a longtemps dans l'espace à la recherche d'une planète habitable. Dans son odyssée vers la surface elle va se retrouver confrontée au destin tragique de sa propre famille. Dans les deux premiers volumes (très différents), Stel naviguait entre espoir et désespoir, voyant sa famille éclatée puis réunie mais subissant les années et l'éloignement. Dans le volume trois elle aboutit enfin à la surface et y découvre une terre encore plus hostile que les océans.
Low est sans doute l'une des séries Urban dotée des couvertures les plus attrayantes. Coloriste incroyable utilisant des nuances très puissantes Greg Tocchini propose (comme souvent chez les illustrateurs américains) des mises en scènes qui ne donnent qu'une envie, celle de "plonger". A l'intérieur le choc peut être rude et son style mérite de le digérer avec attention.
L'illustrateur utilise des effets de loupe pouvant distordre les traits et ses dessins peuvent par moment paraître non finis (peut-être une mode, que l'on pourra trouver par exemple chez Bastien Vivès). Pourtant l'on ne peut pas dire qu'il abandonne ses arrière-plans tant ses cases fourmillent de détails (ce qui peut poser problème sur un format américain, asses compact). Sa maîtrise technique est pourtant impeccable et tant le design général qui a demandé un énorme travail de cohérence (inventer les civilisations qui existeront dans plusieurs millénaires!) que les corps des personnages, tout est in fine magnifique. C'est une histoire de goût et certains n'accrocheront pas, mais je vous assure que cela vaut la peine d'insister et de se plonger dans l'histoire shakespearienne de la famille Caine magnifiquement écrite par Rick Remender, l'un des scénaristes les plus intéressants du moment aux USA.
Ce drame joue au yoyo entre situations totalement désespérée et immense espoir porté par une héroïne très attachante en mère protectrice. Les auteurs présentent une panoplie de vaisseaux sous-marins, d'armements empruntant vaguement à l'Asie (le scaphandre aux allures d'Ange est une grande réussite et presque un personnage à lui seul). Les sociétés isolées sous des dômes ont chacune suivi un chemin différent, de l'hédonisme antique à une organisation collective stalinienne ou des clans pirates décadents... Les humains ont développé une technologie de l'eau mais ne sont que de frêles créatures face aux léviathans qui peuplent les fonds des mers. L'art de la rupture est consommé chez le scénariste et chaque album a une unité spécifique, ne serait-ce que par le temps qui sépare l'intrigue de chaque volume. Les séquences d'action sont en outre très bien menées, avec une mention spéciale à l'évasion du tome 2, séquence d'action parmi les plus impressionnantes qu'il m'ait été donné de voir en BD (que l'on peut même rapprocher de l'acmé du genre à savoir Appleseed de Shirow).
Cette série (que l'on espère en durée courte pour ne pas diluer cette densité) est une équipée d'auteurs pas vraiment grand-public mais d'une grande intelligence. Une BD qui se mérite mais qui vous le rend bien, comme pour Tokyo Ghost que j'ai chroniqué il y a quelques temps.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/08/low
Un cahier biographique sur les personnages historiques est présenté en fin d'album et je conseillerais de lire ce dernier avant la BD.
En 1901 la jeune Evelyne "Eve" Nesbit va devenir la première Pin-up, une célébrité que sa mère utilise comme la poule aux oeufs d'or permettant à sa famille de sortir de la misère en ne reculant devant aucun moyen, même de la livrer à un riche architecte consommateur de "chair fraiche". Partagée entre l'innocence de la jeunesse, la soumission à une mère perverse et la découverte de la perte de son enfante, Eve navigue dans le New York de la belle époque.
Ce "conte cruel de Manhattan" tient les promesses de son titre et de sa très belle couverture. Sur le plan graphique d'abord, le travail de ce gros ouvrage est énorme. On suppose l'utilisation de techniques mixtes papier/numérique, avec une très grosse maîtrise des brosses numériques par l'illustratrice. La pâte donnée est vraiment belle avec beaucoup d'effets de peinture différents que ne pourraient probablement pas permettre une seule technique artisanale. Les couleurs notamment m'ont beaucoup plu, ainsi que l'effet hachuré de la plupart des planches (le style rappelle celui de Gaël Henry sur Jacques Damour, en plus maîtrisé). Cet album illustre ainsi ce que peut apporter en bien le numérique chez des artistes d'aujourd'hui en embellissant l'art BD sans rien perdre du côté artisan. Certaines planches sont très inspirées et pourraient faire l'office de tirages affiche. Le style de Ferlut est simple pour ce qui est des personnages même si par moment le réalisme des cases montre la totale maîtrise de son art.
L'histoire est donc un conte, cruel, américain, celui d'une époque où des milliardaires de bonnes familles rivalisent de grandiloquence pour dépenser leurs vies futiles. Où les jeunes filles sont de la chaire pour de grands méchants loups, où les mœurs dissolues se confrontent à un puritanisme hypocrite. Le sujet est dur: une mère prostituant sa fille pour entrer dans le beau monde. Là-dessus le personnage d'Eve est surprenant, ne semblant que peu regretter cela même si elle provoque sa maman en lui disant ses vérités. Car comme le lui dit White l'architecte, est-elle prête à ne plus vivre cette vie de gloire et de richesses, quoi qu'il en coûte? Est-elle malheureuse? L'album ne réponds pas vraiment à cette question, laissant une certains ambigüité se dissoudre dans le procès dont la trame un peu artificielle guide le récit. J'aime bien les alternances temporelles sectionnant les récits et cette méthode est ici efficace. L'ouvrage aurait sans doute pu tenir sur un format plus classique de 60/80 pages, mais il reste un bel objet qui fait plaisir aux yeux. Les quelques critiques que j'ai lu de cet album (qui a quelques années maintenant) étaient plutôt mitigées, ce qui me surprend, notamment sur le scénario qui me semble plutôt réussi d'autant que le choix de rester près de l'histoire véridique pose une contrainte scénaristique réelle. Le style graphique n'est pas ce vers quoi je vais habituellement mais le ton général m'a plutôt plu et j'ai passé un agréable moment dans cette époque toujours fascinante.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/13/eve-sur-la-balancoire
Sur Belzagor, après la décolonisation des exoplanètes survenue une vingtaine d'années plus tôt, la cohabitation se passe paisiblement entre humains et peuples autochtones intelligents, les Nildoror, sortes de pachydermes vaguement anthropomorphes et les Sulidoror, géants simiesques mutiques. L'ancien responsable colonial Gundersen reviens de son "exil" sur Terre et semble désireux de régler des comptes avec des évènements survenus dans sa jeunesse sur ce qu'on appelait alors Terre de Holman. Embauché par des ethnologues il va diriger une expédition secrète vers le sanctuaire sacré de la "Renaissance" qui va dévoiler des secrets enfouis sur cette planète très particulière.
Ce que l'on peut dire de ce double album c'est que le choix de communication de l'éditeur est celui du moindre risque. Qu'il s'agisse du titre, du type de dessins et jusqu'à la typo de couverture, tout semble pensé pour attirer les nombreux lecteurs de la série iconique de SF planétaire, Aldébaran et ses suites (de l'auteur Léo). L'on peut comprendre ce parti pris puisque de vraies similitudes existent entre ces deux univers et que les ouvrages de Léo ont plutôt bonne réputation. Personnellement je n'ai jamais accroché... et pourtant, je dois dire que Belzegor m'a pleinement happé et est pour moi l'une des meilleures séries BD de SF depuis quelques années!
Il faut dire que le matériau d'origine est riche et a inspiré pas mal d'auteurs depuis les années 70 (et notamment le Piège sur Zarkass de Yann et Cassegrain, là aussi adaptation, de l'auteur français de SF Stephan Wul cette fois et antérieur à l'ouvrage de Silverberg - j'avais moyennement aimé). Les thèmes de la décolonisation, de la découverte ethnologique des peuplades autochtones, du respect de l'autre, des expériences mystiques ou encore de la communion avec la Nature, sont des thèmes classiques du Planet Opera (déjà dans le chef d’œuvre Dune). Ici les auteurs ont fait un remarquable travail préparatoire de développement crédible (visuellement et fonctionnellement) des créatures, flore et matériels du futur. Le design de Zuccheri parvient à éviter le ridicule que l'esthétique de la SF 70's a pu parfois développer. La planète qui se dévoile à nos yeux est fascinante et réaliste, imaginative sans que l'on se contente de simples extrapolations de créatures terriennes. C'est un véritable plaisir que de découvrir une planète fonctionnelle et originale, comme l'avait été la visite sur Pandora à la sortie d'Avatar. Je constate années après années combien l'existence d'un univers hors-champ complexe et développé fait énormément à la réussite d'une BD. C'est le principal intérêt et la grande force de cette série de "SF ethnologique".
Si la relation entre les deux ethnologues peut paraître un peu cliché (le couple en crise renouant les liens en expédition), l'ensemble des personnages est intéressant et le mystère du fonctionnement des indigènes dure tout au long des albums de façon très efficace. L'on progresse dans l'intrigue, lentement comme un voyage à dos d'éléphant, mais résolument, ce qui donne une vraie satisfaction de lecteur. Des bribes d'informations, parfois brutales, sont disséminées entre les aller-retours de l'histoire, ce qui maintient la tension. Dans une histoire linéaire (l'aboutissement connu est la cérémonie de la Renaissance) le dénouement est plus important que jamais. Ici les auteurs retombent sur leurs pieds... peut-être un peu rapidement, mais cela reste cohérent, intéressant, bien mené. L'éditeur mène une campagne de communication importante car il sait que cette série est de grande qualité. Elle aurait pu disposer d'un public encore plus large. Personnellement je suivrais ces deux auteurs qui sont une vraie découverte et notamment le cycle des épées de verre dont les quelques visuels que j'ai vu laissent entrevoir du très bon.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/15/retour-a-belzagor
Album au format classique Indies Urban, couverture attirante même si on a vu plus inspiré (Urban avait bossé sur Tokyo Ghost en présentant une couverture différente de l'édition américaine et une édition N&B, ici ils reprennent exactement la couve originale). Comme habituellement on a du contenu additionnel avec une postface très intéressants de Rick Remender qui parle du travail de création (comme sur Low et Tokyo), dix pages de croquis de Jerome Opena et 6 couvertures alternatives. Par contre on aurait aimé avoir les illustrations des fascicules originaux. Enfin, petit soucis sur l'étalonnage des couleurs d'impression, c'est un peu fade si l'on compare à la version numérique. Clairement Urban est un peu passé à coté niveau éditorial ce coup ci, ce qui est inhabituel. Peut-être la volonté de sortir très rapidement le bouquin (parution en février aux USA, en novembre en France). L'éditeur reproduit le même tarif à 10€ pour le premier volume que sur ses autres parutions Indies, c'est super intéressant et bon coup pour attirer le lecteur. Malin.
Je crois que je me suis encore fait prendre dans les filets de Rick Remender moi... Attiré par la couverture assez réussie (surtout en édition N/B chez Urban) j'ai pris l'album pour une critique sur Iznéo (en numérique donc). Assez sceptique sur les premières pages du fait d'un style graphique et de colorisation assez interchangeable sur pas mal de comics "industriels" et d'un monde de type Fantasy, au bout de quelques chapitres j'ai commencé à entrer dans un univers vraiment très original, subtile, à la fois en matière de design et sur les thématiques. Sur une trame classique (un tyran voit des rebels se liguer contre lui), l'apport de Remender est celui de l'intelligence: le grand méchant, le "Maître des murmures", n'a aucune force autre que celle de proposer à ses congénères d'assouvir leurs désir intimes. Lorsque ceux-ci acceptent ils deviennent des "capteurs" pour ce "Roi fange" qui peut ainsi voir, entendre, sentir au travers de millions d'individus. Quel pouvoir! Seven to eternity parle donc de la soumission volontaire et de la liberté individuelle (thème déjà central sur Tokyo Ghost). L'ensemble de l'intrigue repose sur ce concept de proposition, de torture intérieure que les personnages s'infligent seuls et qu'ils sont seuls à pouvoir résoudre... Le thème de la famille (et du père absent/défaillant) reste également central, véritable obsession et fil rouge du scénariste sur tous ses albums, de même que le pouvoir dictatorial qui soumet par la terreur, la délation, l'asservissement aliénant.
Il faut reconnaître que l'entrée en matière est ardue, l'histoire commençant par un long passage du journal du héros fourmillant de termes spécifiques à l'univers, puis enchaîne sur une situation déjà installée. L'univers visuel est très original, organique, poussiéreux, et mêle fantasy (la magie est partout, un peu comme dans Lanfeust) et technologie type post-apocalyptique (fusils, pièces mécaniques). Dès les premières pages le héros va mourir, les méchants gagnent avant que l'on ne sache sur quelle terre on a mis les pieds... Bref, on est perdu et il faut attendre la confrontation avec le Maître des murmures (tous les termes sont vraiment poétiques et évocateurs) et l'incroyable retournement de situation pour pleinement entrer dans l'univers et l'histoire. Le lecteur est souvent malmené chez Remender et Seven to eternity ne déroge pas à la règle. C'est touffu, rapide. Ce plein demande une concentration particulière sur les premières pages mais provoque un vrai sentiment de satisfaction esthétique et intellectuelle. Rapidement on sent que l'on n'a pas affaire qu'à une énième série fantastique.
Graphiquement Jerôme Opena (qui a déjà travaillé avec Remender sur la série parodique Fear Agent et dont le style me fait de plus en plus penser au grand Travis Charest) produit une partition assez impressionnants et le travail de création d'univers est sidérant! La Fantasy est souvent assez feignants avec ses nains, elfes et autres mages vaguement nécromants. Ici les marqueurs sont totalement détournés dans un sens jamais vu. Le joueur de flûte est à ce titre tout à fait marquant, de même que les acolyte d'Adam Osidis, chacun dotés de pouvoirs très recherchés. L'inventivité est de chaque instant, les auteurs ayant essayé d'innover à chaque objet, chaque pouvoir (comme ces flèches-serpent ou ces "clous" portant une partie de l'âme et du pouvoir des défunts).
Dans Seven to eternity le lecteur est surpris. Les premières pages montrent ainsi la défaite terrible des héros, les suivantes celle du maître des murmures... Pendant ces aventures l'on rencontrera des poulpes volants, des hiboux magiciens ou des dinosaures géants portant un portail quantique dans la gueule... Finalement cet ouvrage me fait penser au récent Jupiter Legacy de Mark Millar, qui mine de rien a renouvelé le genre super-héroïque avec la même intelligence et le même engagement que le mythique Watchmen. Seven to eternity pourrait suivre la même voie pour le domaine de la fantasy.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/20/seven-to-eternity
Gary Gianni est un illustrateur "classique": formé aux Beaux-arts, il a officié comme illustrateur de littérature d'aventure et fantastique (Jules Verne, ouvrages de Robert E. Howard,...) mais aussi sur pas mal de couvertures de Comics et de comics eux-même (Prince Valiant, Indiana Jones, ou encore Batman, que l'on peut trouver dans le recueil Black & White édité chez Urban).
L'éditeur Mosquito propose dans son Corpus Monstrum un recueil d'histoires des Monstermen, duo de chasseurs de spectres dont les aventures sont parues dans des épisodes spéciaux de Hellboy (Gianni et Mignola sont proches). Dark Horse a d'ailleurs sorti en juillet dernier aux Etats-Unis un album reprenant les aventures des Monstermen et d'autres histoires de fantômes, assorti d'une intéressante introduction. Il est dommage que Mosquito n'ait pas proposé d'éléments biographiques ou bibliographiques à l'instar de l'éditeur américain, permettant de comprendre le travail de Gianni. On remercie néanmoins l'éditeur isérois de proposer ainsi régulièrement des auteurs non traduits dans notre pays, avec toujours une ligne qui correspond bien à celle de ce blog: le graphisme.
L'ouvrage propose donc cinq histoires de Gianni dans la plus pure tradition des "short ghost stories" américaines (type Tales from the crypt). Dès la première page la maîtrise technique de l’illustrateur apparaît, mais aussi son univers baroque empruntant autant aux mythologies européennes qu'aux auteurs de de littérature fantastique américains (Poe, Lovecraft). Le style s'inspire beaucoup de la gravure et notamment de Gustave Doré, mais aussi par moment de l'Art déco. La précision des arrière-plans (perspectives et anatomies parfaites) contraste avec les premiers-plans en style hachuré. L'illustrateur s'amuse en outre dans des jeux d'image, utilisant des déformations ou par exemple cette pleine page reprenant une vue de haut d'une maison à la Cluedo...
L'ouvrage regroupe cinq histoires:
Silencieux comme une tombe (49 pages):gian_4
Une actrice de films d'épouvante disparaît alors qu'un démon est invoqué et sème la pagaille en ville. Le chasseur de fantômes Benedict et son acolyte St. George le cinéaste apparaissent pour la première fois ainsi que l'esprit grandiloquent de la série: le paquebot planté par la proue, le casque de Benedict,... La création artistique n'est jamais loin chez les Monstermen qui naviguent entre studio de cinéma et actrices du cinéma muet. Le déroulement est échevelé, plein d'action, sans queue ni tête mais permet à Gianni de se faire plaisir et nous avec.
Autopsie en si bémol (18 pages):
Cette fois Lawrence St George raconte ses mésaventures avec une bande de pirates à tête de poulpe. La courte histoire est emplie de références mais j'avoue ne pas avoir tout compris...
Un cadeau pour le vilain (12 pages):
Un riche seigneur convoque les Monstermen pour chasser des démons de son manoir. On comprend que les "explorateurs de l'étrange" du Corpus Monstrum (fraternité secrète) interviennent sur demande pour éliminer des spectres.
Le crâne et l'homme des neiges (24 pages):3
L'histoire la plus construite et la plus intéressants graphiquement comme scénaristiquement, qui s'ouvre sur ce qui est sans doute la plus belle planche du recueil: une lamasserie perchée sur un piton défiant les lois de la gravité. Le crâne d'un puissant nécromancien est depuis des lustres dans cet endroit reculé. Les Corpus Monstrum vont se rendre sur l'Everest pour le récupérer et y rencontreront le Yéti...
O pécheur, tombés bien bas (12 pages):
L'infâme Crulk (déjà vu dans la première séquence) tente d'attirer Benedict dans un piège dans les tréfonds de la terre.
Globalement s'agissant de "short stories" l'intrigue n'est que secondaire et souvent tarabiscotée. Ce qui intéresse l'auteur c'est de proposer des galeries monstrueuses, des illustrations fantastiques, d'illustrer le monde des fantômes. Entre surréalisme pour les jeux d'optique et de découpage de cases (qu'on peut trouver chez Ledroit par moment) et pandémonium médiéval à la Giotto. Les corps sont tordus, les lieux sont immenses (la lamasserie, le paquebot) et l'auteur n'oublie pas de convier des figures connues telles que l'abominable homme des neiges, le père noël ou la créature de Frankenstein. Corpus monstrum est une sorte de grand fantasme d'aventure, fantastique et surréaliste d'un maître de l'illustration à l'ancienne.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/27/corpus-monstrum
L'éditeur a fait un joli travail avec un cahier graphique décrivant le processus de création en fin d'album, une galerie d'illustrations d'Elric par différents auteurs et une préface désormais rituelle d'un des papes de la littérature geek (Neil Gaiman ce coup-ci). La couverture est bien plus réussie que sur le tome 2. L'indication du nombre de volumes sur le premier cycle (en quatrième de couverture) est louable.
Pas très fan des trucs de métalleux et gothiques je n'ai jamais lu leur bible, la saga de Michael Moorcock sur l'albinos et son épée buveuse d'âmes Stormbringer, même si la réputation de cette œuvre m'intriguait, notamment dans le milieu rôliste (Julien Blondel a commencé comme auteur de jeux de rôle, comme le scénariste de Servitude...). En revanche la dark fantasy me plaît par son côté graphique, via l'univers de Frazetta principalement (qu'on retrouve chez Esad Ribic), Conan et le travail graphique d'Alberto Varanda sur le jeu de rôle Bloodlust que je pratiquais quand j'étais plus jeune. En voyant arriver cette adaptation auréolée de la préface de l'auteur original et d'Alan Moore (sur le t2), étant grand admirateur du travail de Robin Recht et Jean Bastide je me suis laissé tenter.
Premier constat: c'est sombre, gothique, violent, barbare. Les trois volumes (sur les 4 du premier cycle) sont relativement différents. Le premier est clairement le plus impressionnant, par la puissance des planches portées par Bastide (qui n'officie malheureusement que comme coloriste sur les suivants), par la radicalité des scènes de sexe, de torture, de combat, par les pleines pages, le découpage, les décors, bref, on en prend plein la vue. L’œuvre et l'univers de Moorcock sont assumés sans aucune autocensure et c'est ce qui plait. Un univers païen, mélange du fruste minéral et de la flamboyance des architectures et des costumes orientaux. On retrouve le côté épique, foisonnant, gigantesque qu'Olivier Ledroit avait apporté aux premiers Chroniques de la Lune noire. Le second tome est en deçà, tant au niveau graphique que scénaristique. La quête d'Elric assisté d'élémentaires pour retrouver son impératrice Cymoril est assez linéaire. La violence reste présente (la scène du village est assez trash) ainsi que les démons. Mais le changement de dessinateur principal se ressent et le tout manque quelque peu d'inspiration.
Le Loup blanc marque une certains pause dans la virulence de la série. Elric est exilé dans les jeunes royaumes avec sa seule arme-dieu. Il va entamer une amitié avec un prince-marchand et accepter la mission d'une princesse souhaitant se rendre dans un autre plan de réalité lié à Elric et à sa généalogie. Les explications sur le passé de Melniboné alimentent la narration générale mais le tout reste assez sage. Les décors hivernaux sont très beaux et maîtrisés, les rues et plans larges de la cité sont très détaillés et inspirant. Les costumes sont toujours aussi travaillés et l'on sent que l'équipe s'est régalée visuellement sur ces éléments de décors. Niveau graphique on reste dans l'école Lauffray et c'est plus qu'honnête, avec quelques fulgurances sur certaines pages. La perte de Bastide est indéniable mais le niveau est maintenu par une méthode de travail collectif expliqué dans les annexes très intéressantes. Elric fait partie des quelques rares séries à parvenir à maintenir une homogénéité graphique malgré la multiplication des dessinateurs (comme Avant la Quête) et c'est louable. Niveau intrigue on revient à de l'assez classique en héroïc-fantasy, l'ambiguïté du personnage, de son épée et de sa relation avec le démon Arioch ne survenant que sur les toutes dernières cases de ce troisième tome. On reste dans de la très bonne fantasy mais j'espère que le quatrième opus renouera avec la radicalité et la grandiloquence du premier.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/28/elric-t-3-le-loup-blanc
Lewis vient de perdre sa mère et se retrouve propulsé à la tête d'une famille composée de trois sœurs et d'un patrimoine immobilier important. Dans cette Angleterre victorienne il n'aspire pourtant qu'à une chose: publier son premier roman. Retiré dans un manoir familial il va y faire la rencontre d'un fantôme, une âme en peine qu'il va s'efforcer d'aider grâce à ses connaissances occultes.
La collection Métamorphose fait toujours attention à proposer des couvertures attirantes, à l'esthétique rétro soignée. J'avais vu passer cette image et d'assez bonnes critiques m'ont poussé à lire ce premier Acte d'une série prévue en deux parties. J'avoue que j'ai été un peu déçu par cette intrigue assez faible malgré des dessins inspirés qui instillent une ambiance adéquate à l'histoire. Le visage de Lewis notamment est très réussi et l'on s'intéresse rapidement à ce jeune aristocrate à la tristesse prégnante et au regard lunaire. La vieille Angleterre florale transparaît dans ces décors sombres aux couleurs automnales. Le basculement vers le paranormal change le style de la BD pour introduire de l'humour et se centrer sur la relation entre ce fantôme improbable et l'écrivain sans inspiration. La multitude de type de spectres décrits par l'occultiste Lewis est amusante... pourtant quelque chose n'accroche pas. Peut-être la mélancolie du texte et des images empêche-t'elle de s'immerger. Le graphisme, pourtant bien maîtrisé, ne m'a pas non plus inspiré malgré quelques très bonnes idées (comme la double page sans dessus-dessous). Bref, je suis un peu passé à côté tout en reconnaissant le travail des auteurs. J'ai eu un peu la même impression que sur le cycle des Ogres-Dieux (également publié en Métamorphose). La BD n'est pas mauvaise mais n'attirera peut-être qu'un public très ciblé.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/12/01/lesprit-de-lewis
La maquette est toujours aussi élégante, avec pour la première fois de la série un personnage de dos. Également comme d’habitude un extrait de texte ancien introduisant le peuple Riddrak cette fois-ci. Pas de glossaire (peut-être dans le t6?). Comme expliqué sur le précédent article concernant Servitude, le tirage de tête à venir est vivement conseillé pour profiter pleinement de la finesse des extraordinaires dessins…
Après le siège d’Al Astan qui a vu la fuite des Fils de la terre, après l’exil des Drekkars accompagnant l’Hégémon Sekal d’Aegor et les esclaves Riddrak libérés, toutes ces factions semblent se diriger vers Shalin, la cité sortie des sables du désert. Là, alors que le navire Iccrin transportant F’lar et Kiriel atterrit en catastrophe, une rude négociation commence entre les différents peuples. Le félon Othar de Vériel commence le siège de Shalin et Sékal commence un intriguant voyage solitaire aux confins du désert…
Le cinquième tome de Servitude est là, tragiquement car ce devrait être le dernier (zut) et que c’est finalement l’avant-dernier (youpi): les auteurs expliquent en petite post-face qu’ils ont été contraints de scinder le dernier album en deux parties pour éviter de repousser la sortie d’un volume de 100 pages. Personnellement cela ne m’aurait pas gêné mais l’on peut imaginer que l’éditeur a souhaité une telle solution. Pas grave, on replonge dans le royaume des Fils de la terre et l’on ne va pas s’en plaindre. A la fermeture de l’album la frustration est immense. D’abord par-ce que cet album coupé en deux ne se clôt pas vraiment (logique). Mais surtout par-ce que le rythme reste celui adopté depuis le début: lent mais fourmillant de détails, mystérieux, soulevant autant de question qu’il en pose. Comment vont faire les auteurs pour boucler avec brio un tel monument? Personnellement je leur fais confiance étant donné le sans faute total de cette série.
Cet album est un peu différent des autres puisqu’il s’agit principalement de discussions entre seigneurs et chefs de guerre (Vériel et les Drekkars, les mercenaires qui l’accompagnent, le chef Riddrak et le roi Arkanor,… Peu de découverte ethnologiques cette fois hormis les magnifiques passages muets montrant des éléments de la vie pratique des gens de ce monde (cuisson des briques, marchands dans leur échoppe, gestion de l’eau). Car l’une des spécificités de cette série c’est l’intérêt tout particulier porté au détail et à la cohérence de chaque société. C’est en cela que je la comparais à l’œuvre de Bourgeon. Alors oui il y a des batailles toujours excellemment bien menées, il y a des paysages contemplatifs, un peu moins de décors (on est dans le désert) mais des trognes toujours incroyables (et très balafrées!). Tout est frustrant dans Servitude, avec des auteurs maîtres de l’ellipse, qui permet sans doute de tenir cette intrigue et cette ambiance si particulière. Le combat s’interrompt au premier coup d’épée, des personnages charismatiques disparaissent brutalement (là encore un peu de Game of Throne), des scènes muettes intrigantes restent sans explication, des personnages majeurs n’intervenant que sur une page… On voudrait le même espace que celui dont a joui Bablet sur Shangri-la, des volumes de 80 pages… mais le travail incroyable déjà accompli aurait sans-doute signifié des attentes de 5 ans par album.
Dans Shalin l’on comprend un peu mieux les intérêts des différentes factions et notamment les évènements du tome 3 (qu’éclairent pas mal les bonus intégrés au second tirage de tête rassemblant les tomes 3 et 4). Mais Servitude est un tout formidablement ficelé et plus qu’aucune autre série il est conseillé de lire l’ensemble des tomes depuis le premier. Une telle maîtrise scénaristique sur plus de deux-cent pages au total est vraiment un tour de force. Pas un plan, pas une phrase, pas un arrière-plan n’est inutile, tout se tient, tout se relie. Vous pouvez avoir une phrase ou une scène graphique illustrant ou expliquant une séquence du tome 1 ou 3 par exemple. Quel plaisir pour le lecteur que de voir une telle harmonie! Ce tome illustre également la complexité des personnages, sans aucun manichéisme. Toute décision s’explique, toute trahison est logique selon la morale du personnage. Hormis Othar de Vériel il n’y a pas réellement de méchant dans Servitude. Car l’objet de la série est bien la servitude volontaire de ces différents peuples auprès du Créateur dont l’intervention pointe enfin dans les toutes dernières cases…
Servitude, je ne le dirais jamais assez, est une lecture totalement indispensable à tout amateur de BD, quel que soit son genre de prédilection. Une lecture relativement exigeants, qui demande de s’immerger dans un monde total (je renvoie à mon précédent billet sur ce point). Je ne mets pas 6 Calvin par-ce que j’ai pas le droit mais bon…
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/22/servitude-shalin/
La couverture (sur le même modèle d'inspiration que Facteur pour femmes à savoir une femme énigmatique sur un paysage) est très classe et s'inspire probablement (comme beaucoup d'autres œuvres) de l'Ile des morts d'Arnold Böcklin. J'aurais aimé un vernis sélectif sur les oiseaux rouges, ce genre de détail participe à la qualité générale de l'objet et par incidence de la lecture... L'album au format assez large comprend une double page historique sur les bagnes français avec des illustrations originales de Morice. Une édition au dos toilé comportant des croquis est également disponible. L'édition normale est très correcte mais rien d'exceptionnel.
Alors que les crues diluviennes frappent les Cévennes, un médecin de campagne part vérifier que son vieux père gardien de chèvres est indemne. Le trouvant dans sa maison perchée sur une colline devenue une île, les deux hommes vont être contraints de cohabiter et d'échanger sur le passé d'une filiation, histoire liée à l'histoire coloniale française des années 1930 à 1950.
Mine de rien le duo Morice/Quella-Guyot est en train de devenir l'un des couples créatifs majeurs de la BD franco-belge. Leur précédent album, Facteur pour femmes avait marqué les esprits à la fois par l’élégance et la précision du trait tout autant que pour l'histoire, déjà fait d'aller-retours, de filiation, de secrets de famille et d'Histoire. Les marqueurs du scénariste sont là. Didier Quella-Guyot est un grand voyageur (selon les confidences de Sebastien Morice en dédicace cet automne) et il parvient à insérer dans les dessins de son compère une foule d'images lointaines qu'il parvient à raccrocher naturellement à l'histoire de ce père et de ce fils. La grosse pagination (un double album en gros) permet cela et c'est heureux. Ainsi, dans une intrigue assez linéaire découpée en chapitres très élégamment illustrés par un médaillon, l'on va se déplacer entre les décennies de cette France raciste et colonialiste, entre les Cévennes et l'outre-mer (Guyane, Indochine, Algérie,...). Le thème insulaire qui pourrait être artificiel, trouve sa pertinence ici, entre une île de circonstance (générée par les crues) obligeant à la résurgence du passé enfoui entre le père et le fils et les îles coloniales où le fils croit cacher son histoire fantôme et où il va au contraire se retrouver confronté à la réalité d'un système d'exploitation et de mensonge, la vérité du terrain qui oblige à affronter ses démons, ses dissimulations, ses lâchetés. L'album traite autant des secrets de famille dans une France métissée aux normes sociales rigides que du système colonial présenté comme un esclavage industriel (... qu'il était dans les faits!). La rencontre avec ce prisonnier annamite en Guyane, qui loin de parler petit nègre tient un discours élevé en expliquant qu'il est enseignant et exilé d'opinion est un moment fort de l'album et l'expressivité des visages de Morice fait beaucoup pour transmettre la force du propos. J'aime ces auteurs qui impriment une marque politique dans leurs BD, une radicalité assumée alliée au plaisir graphique, comme Lupano sur ses Vieux Fourneaux ou Zidrou sur Shi dernièrement. Le scénario de l’Ile aux remords est subtile et parvient à garder une lecture lisible et fluide malgré ce découpage fait de sauts temporels et géographiques. L'utilisation de deux personnages contre-nature interpelle le lecteur en inversant les rôles attendus, comme le fils qui ne cesse de voir ses a priori battus en brèche par la réalité de l'oppression et son ascendance qu'il découvre. Celui que nous croyons être le "héros" s'avère en réalité un spécimen typique de son époque, un réactionnaire naïf croyant en un monde simple fait de sauvages et de civilisés. Le papy moustachu enfermé dans sa ruralité est lui à l'inverse un républicain éclairé, lettré qui défend la mixité. L'on découvre ainsi une France réelle, faite autant d'intelligence progressiste que des archaïsmes violents et dominateurs d'antan.
Aux dessins Sebastien Morice progresse sans cesse, avec une modestie et une remise en question qui forcent l'admiration. L'évolution de son trait est très intéressante. Travaillant quasi exclusivement en numérique pour la colorisation, cette caractéristique s'estompe peu à peu au fil des albums pour parvenir à un mélange idéal que j'avais constaté sur Eve sur la balançoire (d'un autre auteur) par exemple: lorsque le numérique disparaît pour laisser croire à de la technique traditionnelle. Un exemple: pour la conception des éléments architecturaux il modélise en 3D avant de repasser à la main pour casser l'effet rectiligne et conserver l'harmonie de son style (...style très BD, qui ressemble par moment à celui de Virginie Augustin... D'ailleurs pour ceux qui connaissent on peut trouver en clin d’œil le personnage d'Alim le tanneur et sa fille dans l'album!). Si sa maîtrise des visages et des décors est techniquement irréprochable, personnellement je fonds pour ses couleurs qui donnent une touche de poésie à chaque case. Pointilleux sur les détails, Sebastien Morice insère une foule d'éléments qui créent de l'animation dans ses scènes et rendent plus crédible l'univers dépeint. L'Ile aux remords est au final une grande réussite du même niveau que le précédent et qui donne très envie de découvrir les précédentes œuvres du duo et de suivre les prochains. Morice travaille actuellement sur une adaptation de Marius de Pagnol, sans Quella-Guyot cette fois.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/29/lile-aux-remords
Roman graphique à grosse pagination (beaucoup de pages sans bulles) et format raccourci classique de la collection (qui édite de très bonnes BD comme Un Océan d'Amour, le singe de Hartlepool ou encore les albums de Chloé Cruchaudet Mauvais Genre et Groenland-Manhattan). Cahier biographique en début d'album et historique en forme d'épilogue en fin d'album. Du bon boulot avec une couverture simple mais intrigante, efficace.
Endurance relate la tentative de traversée de l'Antarctique par l'aventurier Shackleton en 1914, tentative qui se révèle vite un fiasco et une course contre la montre afin de sauver son équipage à des latitudes inhumaines... Une aventure qui va durer trois ans!
Dénichée lors d'une vente de bibliothèque (genre 1€ la BD) j'ai été attiré par la couverture de cette BD, le format, et tilté sur le dessinateur dont j'avais découvert le travail sur la Guerre des Sambres époque 2. 9782756013961_pgSa technique alliant un numérique discret et un aspect crayon gras m'avait beaucoup plu sur Sambre et me fait penser à celui de Cruchaudet sur Groenland-Manhattan. Cette simplicité du trait sur une histoire à la fois graphiquement monotone (peu de lumière, peu de couleurs, peu de reliefs en Antarctique) et nécessitant le dynamisme de l'aventure me semble à la fois pertinente et maîtrisée. Cela se confirme avec l’étonnante précision des traits des visages du grand nombre de personnages qui participent à l'expédition. Dans un environnement qui laisse peu de possibilités d'identification visuelle, le lecteur est rarement perdu, grâce aussi à l'articulation des dialogues.
Les auteurs nous font ainsi participer à une grande aventure bigger than life, telle qu'on les voit au cinéma et dont seule la véracité historique permet de ne pas sombrer dans l'incrédulité. Car très rapidement l'on sait que l'enjeu sera de rentrer vivant et non de traverser le continent! Des mois, des années à parcourir une banquise hostile à pied, avancer de quelques centaines de mètres en plusieurs jours à traîner des barques vitales, à surmonter les cinquantièmes hurlants à cinq dans un esquif, sans jamais capituler. 81gsqvpvaol.jpgLa tension dramatique est assez faible dans cet album qui reflète ce qui a probablement tenu ces hommes debout dans des conditions totalement incroyables: il faut avancer, ne pas réfléchir, un pied puis l'autre. Malgré les quelques informations de date, le temps n'existe plus, l'espace non plus. Tout est blanc, tout est pareil, de la glace, du vent. Seuls les évènements pratiques comptent: le soleil pointe pour permettre d'utiliser le sextant, monter un abri avant la tempête. Les blessures, la faim ne sont pas montrés, seulement certains coups de gueule... Cette BD se lit d'une traite, des préparatifs en Angleterre sans soutien de la société royale de géographie, alors que les navires sont réquisitionnés pour la Grande Guerre, au retour (chût je m'arrête la!).
Endurance (du nom du bateau qui les amena sur le continent vierge) est une vraie réussite qui fait penser dans un autre genre à La lune est blanche d'Emmanuel Lepage.
Lire sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/11/24/endurance/
Fabrication Urban comics standard, gros volume bien relié, cahier graphique et explicatif des auteurs conséquent en fin d’ouvrage. La maquette de la couverture est moins travaillée que sur les parutions récentes de l’éditeur mais néanmoins plus classe que l’édition originale. L’album est découpé en chapitres correspondant aux fascicules US, avec la couverture originale. Rien a redire.
Joe est un adolescent mal dans sa peau, immergé dans son univers imaginaire et ses dessins. Seul avec une mère très occupée, il rentre chez lui et subit une crise de diabète. Transporté dans un monde fantastique à cheval entre sa réalité et son imaginaire, il va entamer un parcours pour sauver la terre d’Hypoborée, mais également contre la mort s’il ne parvient pas à trouver rapidement du sucre…
Les préfaces de BD sont souvent plus des hommages qu’un apport pratique à la lecture. Ici le traducteur (médecin de son état) aborde la question du diabète du personnage principal, cause de son aventure et de l’album. C’est important car cela définit la construction et le découpage du récit, liant l’aventure fantasmagorique aux événements survenant dans le monde et sautant d’une scène à l’autre comme seul un rêve peut le faire sans soucis de vraisemblance. Cela peut perturber le lecteur mais se justifie pleinement. Ainsi l’album a la linéarité classique de ce type d’histoire, accompagnée comme toute bonne quête héroïque d’une carte illustrée suivant les pérégrinations du héros dans ce monde imaginaire, stage par stage comme dans un jeu vidéo. Heureusement car les dialogues touffus s’enchaînent difficilement avec accumulation de termes issus de cet univers (l’enfant-qui-meurt, haute-terre, guerrier de fer, le chateau-foyer, etc…) Cela participe de la construction mythologique de ce monde mais se succède trop rapidement pour que l’on essaye de comprendre la logique de tout ça. Probablement par-ce qu’il n’y a pas plus de logique que dans un rêve. Tout ceci est un vrai voyage dans l’imaginaire déluré et totalement graphique (et sombre!!!) de Joe (ou de Sean Murphy?) et c’est le plus intéressant dans l’album.
J’ai découvert Murphy sur Tokyo Ghost où derrière la radicalité crado d’un scénario hyper-violent l’on pouvait percevoir des fulgurances poétiques et de design. On retrouve cela ici et notamment la très grande précision du trait de l’artiste malgré un style qui paraît croqué au premier abord. Rares sont les BD où les fonds de case sont aussi travaillés et précis. Le look des personnages est vraiment réussi, les plans encore plus gonflés que sur Tokyo et tout ça sent le lâchage d’illustrateur dans un bac a sable infini (pour notre plus grand plaisir). Murphy se fait plaisir et insérant des rats-samuraï, batman et superman (l’éditeur est filiale de DC), Transformers ou Lobo (oui-oui!) dans les batailles épiques et l’on regrette presque que le scénariste ne lui ait pas plus simplement concocté une histoire héroïque classique au lieu de cette trame intéressante mais déprimante d’ado paumé entre deux mondes.
L’impression finale est entre une plénitude graphique, sorte d’orgie débridée, et le sentiment d’un décalage entre le sujet (intéressant et sérieux). Le projet est original et ambitieux, mais peut-être aurait-il fallu deux albums distincts, les envies du scénariste et celle du dessinateur n’étant peut-être pas exactement les mêmes… On garde cependant un bon album.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/09/18/joe/
Le travail d’édition (les Arènes n’est pas à l’origine un éditeur BD) est de très bonne qualité, avec un beau livre doté d’une maquette élégante et soignée jusqu’à la quatrième de couverture. Une préface de Leïla Slimani explique l’origine du projet et une biographie des personnes rencontrées clôt le livre.
Suite au succès de ses ouvrages, les éditions des Arènes ont demandé à la médiatique Leïla Slimani d’adapter son travail sur la sexualité des marocaines dans une version BD. Ce qui aurait pu n’être qu’une transposition commerciale aboutit à un très bel objet cohérent, une véritable BD et une belle réussite. Si la trame est celle du reportage BD, l’on sent le regard de l’illustratrice dans certains plans larges, paysages, vie de rue au Maroc et l’on reste bien dans un cadre BD avec son appropriation graphique. Les textes sont élégants, les dialogues très fluides et le tout s’enchaîne sans difficulté malgré la structure qui passe du récit de Slimani aux entretiens avec les autres personnages. L’album est découpé en chapitres qui aèrent le tout et jamais l’on ne sent la lourdeur que peuvent revêtir certains albums de reportage BD. L’illustration y est sans doute pour beaucoup. Ce sujet est passionnant, plein de découvertes, mené sans pathos, avec quelques révoltes et l’on sent la sincérité de la retranscription des témoignages. Le format BD apporte une légèreté qui permet de passer beaucoup d’informations sans plomber la lecture, si bien que Paroles d’honneur se parcoure d’une traite.
Laetitia Coryn a surtout travaillé dans la BD d’humour dans un style plutôt cartoon et la technique utilisée ici démontre une remarquable maîtrise technique dans un ton plus réaliste notamment dans les expressions des personnages que l’on distingue bien physiquement et qu’elle parvient à rentre touchantes. La colorisation (réalisée par une coloriste) est très agréable, l’effet crayonné ajoutant une texture très agréable. L’exercice n’est pas évident puisqu’il s’agit d’une succession de discussions entre deux personnages. Les planches sont pourtant très aérées avec des alternances de portraits, de paysages, de représentations de scènes familiales ou de cases façon strip. L’on est immergé dans les familles et les rues marocaines, avec quelques focus sur des costumes traditionnels, des échoppes, etc. C’est documenté, fait avec le plus grand sérieux, très chouette.
Au final nous avons un pari réussi qui fait le pont entre la BD classique et le reportage journalistique (souvent plus austère), sans oublier l’importance du graphisme dans ce média. Je recommande chaudement cet album, sur un sujet peu abordé dans les médias français et qui nous fait nous questionner y compris sur la place de la femme dans les familles françaises.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/09/29/paroles-dhonneur/
Jacques Damour est une nouvelle de Zola (1880) qui décrit l’itinéraire d’un pauvre homme, ouvrier embarqué dans la Commune, déporté en Nouvelle Calédonie, puis revenu après un tour du monde dans la France de la III° République où il n’a plus sa place. Retrouvé par un ami de l’époque révolutionnaire, il renoue avec sa fille, en couple avec Emile Zola qui entreprend de rédiger le récit de la vie de Jacques Damour…
La couverture est très soignée et donne envie d’ouvrir l’album, que ce soit par le thème graphique, la typographie du titre ou l’évident attrait du « d’après Zola« . Comme dans l’album, les couleurs sont vraiment réussies. Une couverture qui, ce n’est pas coutume en BD), reflète parfaitement l’ouvrage.
Les auteurs ont construit un véritable scénario de BD, faisant des allers-retours chronologiques par les différentes étapes du récit, ce qui donne beaucoup de rythme et intercale les tableaux naturalistes chers à Zola parfaitement recréés graphiquement par les crayons de Gaël Henry. Le gros point fort de l’album ce sont ces décors, souvent en plan large ou simplement rendus très lisibles par un cadrage très bien pensé. On reste dans le style « Blain », esquissé, mais la précision de l’évocation reste étonnante. Lorsque le style est réaliste cela impose une très grande précision technique. Ici l’on obtient la même précision en quelques traits et c’est très fort. Les couleurs y sont pour beaucoup, notamment dans les extérieurs. De même, les séquences muettes (par exemple le résumé de l’épopée dans l’ouest américain) sont vraiment réussies et très drôles. L’on retrouve les premiers Tintins par moments. En revanche les plans serrés sur les visages montrent les limites du trait de l’auteur, mais il y en a peux dans l’album. Globalement on est entre Tardi et Blain, deux aspects graphiques qui ne sont habituellement pas ma tasse de thé, mais cela colle ici parfaitement au sujet, est très maîtrisé et se lit aisément. Le dessinateur, relativement jeune, a une maîtrise assez consommée des codes de la BD.
Le scénario est tout aussi bien conçu. D’abord le matériau de base est passionnant et le reste au format BD. Ensuite l’on a une vraie fidélité avec les préoccupations de Zola (la vie des gens de peu, l’inéluctabilité du destin, les remous politiques, la grande et la petite histoire). Surtout, aucun pathos tout au long de l’album. Paradoxalement, ce récit d’une vie dramatique est porté par la joie, le bonheur de la fille et du père, par la bienveillance douteuse mais réelle de Béru. Il n’y a pas d’intrigue parce que ce n’est pas le sujet. Cette histoire est celle du récit d’une vie, récit simple, sans heurts, connus dès le début mais qui donne envie d’avancer dans l’album. L’idée de placer Zola lui-même comme interlocuteur crée par ailleurs une mise en abyme très bien pensée.
Jacques Damour est une vraie réussite après celle d’Alexandre Jacob, plus réussie graphiquement, à la fois agréable et fort intéressante par son sujet. Un beau couple d’auteurs à suivre résolument.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/02/jacques-damour/
Premier constat: Ankama fait partie de ces « petits » éditeurs qui mettent les moyens pour offrir des formats spécifiques voir d’exception à ses auteurs. Comme Akileos sur des bouquins comme le Roy des Ribauds ou Brane zéro, ici Bablet semble avoir eu « open-bar » niveau format et pagination. On a donc un énorme one-shot doté d’une très belle couverture qui fait son effet ainsi qu’une tranche toilée. Très propre.
Shangri-là est une dystopie. Dans le futur l’humanité s’est réfugiée sur une station orbitale où toute la vie est uniformisée et régentée par une multinationale furieusement inspirée d’une célèbre marque à la pomme et l’impératif de posséder le dernier modèle de terminal. Jamais la critique de l’Iphone n’a été aussi féroce… Pendant que le personnage principal enquête sur les agissements de scientifiques, une révolte gronde dans cet univers aseptisé, trop parfait.
Soyons clair, ce qui marque à la (longue) lecture de cet album c’est la radicalité du propos, résolument politique. On est ici en plein dans l’héritage de la SF de contestation qui a fleuri aux USA dans les années 60. Les habitués des lectures SF pourront sentir le classicisme mais les fondamentaux sont là et surtout, c’est honnête, impliqué, un véritable projet porté par l’auteur qui a effectué un très gros boulot pour structurer son univers. La construction du scénario est ainsi ambitieuse avec des aller-retours temporels qui brouillent la linéarité mais se retrouvent justifiés par la chute. Attention, comme souvent en dystopie, c’est sombre, froid, nihiliste. Même Bajram dont l’Universal War est l’icône d’une SF pessimiste passerait presque pour un béat… On sent le coup de gueule et même lorsque l’on a du recule par rapport à la société de consommation, la lecture de la BD est une épreuve. Mais le propos le nécessite et je dirais que Shangri-la rejoint sur ce plan les quelques œuvres (tout média confondu) qui parviennent à allier l’artistique/ludique et l’ambition intellectuelle.
Sur le plan graphique, Bablet a de la place et l’utilise. Le format de l’album (outre la pagination) est très grand et permet de magnifiques tableaux industriels aux perspectives démentielles (et minutieuses), des plans spatiaux très larges qui font ressentir le silence et l’hostilité ou encore des scènes contemplatives sur des planètes sauvages. Le trait de Mathieu Bablet n’est vraiment pas le style que je préfère en BD mais force est de reconnaître que sa technique et sa précision sont de qualité. Visiblement les visages de cet album ont dérangé un certain nombre de chroniqueurs, dont moi. Ce serait l’élément négatif de l’album (à relativiser puisque nous touchons ici au style de l’auteur, dont un ressenti forcément subjectif du lecteur) au sein d’une multitude de qualités. Shangri-la est une aventure qui se mérite, une sorte de fresque cinématographique de 4h au bout de laquelle l’on sort épuisé mais heureux. Seule la bonne SF permet cela et Shangri-la peut s’enorgueillir d’être de l’excellente SF à ranger dans vos étagères aux côtés de UW1 ou de la Guerre Eternelle… avant de vous reprendre un petit Valérian pour souffler un coup !
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/05/shangri-la/
Les Déchaînés nous emporte en Martinique quelques années après l’abolition de l’esclavage, alors que la vie entre propriétaires blancs et ouvriers noirs peine à sortir des traditions de propriété, de violence, de haine. Le fils du propriétaire, éduqué par un précepteur féru des Lumières passe son temps avec ses amis noirs et notamment Amélia. Au sortir de l’enfance les premiers émois sexuels tendent à changer leur relation d’amitié ainsi que le fragile équilibre entre les deux communautés.
La très jolie illustration de couverture masque quelque peu la dureté de cette histoire intéressante aux atmosphères des romans de Le Clezio. Il n’est pas question de voiliers ou de mer mais bien de relation entre noirs et blancs dans cet album. J’avoue que le dessin m’a laissé sur ma faim par une technique que l’on peut trouver dans des premiers albums et il est heureux que la colorisation et l’apposition de jolies textures (bien maîtrisées) donnent du corps à ces images. De même le découpage est par moment un peu rapide (mais la lecture sur écran a pu accentuer cela).
L’histoire en revanche est bien menée, intéressante et transcrit bien le mélange de violence latente et de torpeur lascive d’une vie chaude dans les îles. Certains dialogues peuvent sembler manichéens mais les thématiques (l’ouverture des Lumières, la liberté individuelle, l’émancipation des individus de leur condition, la jalousie des faibles,…) enrichissent cette histoire d’amitié enfantine. L’auteur aurait pu laisser plus de place aux aventures des gamins dans des paysages de terre et de feuilles.
Au final cet album laisse une impression mitigée d’ouvrage semi-amateur par un auteur qui a déjà presque 20 ans de métier. J’avais eu les mêmes difficultés avec le dessin de Bablet sur « Shangri-la« mais de l’ensemble ressortait une impression bien plus maîtrisée.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/09/les-dechaines/
Les plus grands sportifs sont réputés pour passer leur temps à s’entraîner. Il semble qu’il en soit de même avec certains illustrateurs. Ronan Toulhoat est de cette trempe, ne lâchant jamais son dessin et progressant visuellement à chacune de ses publications. Nombre de grands maîtres (Hermann pour ne pas le citer) ne bougent pas d’un pouce entre leurs débuts et leur crépuscule. D’autres évoluent, pas toujours dans le bon sens. Je ne me hasarderais pas à parler de facilités, mais plutôt de conception de l’art, qui est pour certains une prise de risques, une mise en difficulté. Ronan Toulhoat ne se mets pas a proprement parler dans cette situation, œuvrant depuis des années maintenant avec son compère Vincent Brugeas, fameux couple artistique qui se connaît par cœur. Ils se font plaisir en allant dans ce qu’ils aiment. Cela signifie pourtant des changements de registre (SF, médiéval, militaire,…) et il suffit de constater l’acquisition technique qu’a prise Ronan Toulhoat (qui est devenu pour moi l’un des plus impressionnant illustrateurs BD du circuit, ne serait-ce que par son côté prolifique) depuis Block 109. Il travaille sans arrêt, comme en témoigne sa page Facebook où il publie quotidiennement ses échauffements et expérimentations.
A ce titre, Le Roy des Ribauds volume II paru l’an dernier est sans doute ce qu’il a fait de mieux jusqu’ici. Non que le volume III tout juste sorti soit mauvais, très loin de là, mais on ne constate pas d’amélioration, ce qui est la première fois (qui aime bien châtie bien). Le jeu des couleurs (plus discutables que sur les deux premiers volumes) est sans doute en cause. Le parti pris de couleurs quasi-monochromes (quand les cases chatoyaient sur Chaos Team ou Les Divisions de fer) m’a surpris, tout comme le focus visuel sur le manteau bleu que l’on retrouve dans beaucoup de scènes et qui dilue a mon sens la très grande force de Toulhoat que sont les encrages. Depuis le premier tome je pense que cette série devrait connaître une édition NB et cette clôture de cycle confirme mon ressenti.
Le volume III est une résolution des intrigues ouvertes dans les deux premiers et peut paraître moins flamboyant à ce titre par une certaine linéarité et par le nombre de batailles qui laissent quelque peu de côté les intrigues de couloir qui faisaient la grande force du scénario. Idem pour les personnages charismatiques relativement absents. Enfin, l’ouverture finale préparant un cycle 2 conforte cette impression mitigée. Il est toujours plus difficile de terminer une histoire que de la commencer et le quasi sans faute des deux premiers volumes ne laissait pas droit à l’erreur. On était pas loin des 5 « Calvin »!
Ce volume III reste néanmoins d’un très bon niveau graphique, d’un dynamisme toujours aussi impressionnant et de séquences d’action aux plans uniques et d’un grand plaisir. Et le cycle dans son ensemble a apporté un grand renouvellement dans le monde de la BD en proposant un polar mafieux médiéval aux allures de blockbuster intelligent.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/10/le-roy-des-ribauds-iii/
Les albums des éditions Rue de sèvres sont toujours propres, bien finis. Indication du format one-shot, du nombre d’albums, couverture sympa dans l’esprit BD jeunesse. RAS.
J’ai déjà dit sur ce blog combien les BD scénarisées par des femmes se distinguent de celles de l’autre sexe (très majoritaires dans le métier). Un ton particulier, une finesse, l’attention à des détails, bref… Aliénor est de celles-ci. Sur un thème et un humour décalé très proche de la série Kaamelott ou d’Asterix, les auteurs nous emmènent en forêt de Broceliande (cœur de la Bretagne mythique), avec la fille de Merlin, dont le pouvoir vient d’apparaître: elle entend les mandragores, très prisées des mages et autres fées (dont la vilaine Morgane). Pas de bol, en tirant la plante, le cri tonitruant de la mandragore tue Merlin sur le coup! S’ensuivent des péripéties pour redonner vie au magicien, avec des figures telles que le jeune Lancelot, la godiche Viviane, dame du Lac, l’Ankou (incarnation de la mort dans le mythe breton)… et le fantôme de Merlin qui ne veut pas admettre sa propre mort…
On nage en plein troisième degré, moins appuyé que sur la série d’Alexandre Astier mais tout aussi déjanté. Les dialogues sont savoureux et le sens de la pause des auteurs vaut son lot de bons éclats de rire à la lecture (j’adoooore l’ermite!). Sur les deux premiers albums je dirais que le second est un ton en deçà, mais l’ambiance générale permet une série au long court, sachant que chaque tome peut se lire séparément.
Niveau dessin on retrouve un peu de Munera alliant traits fins très précis et style cartoon. Les décors et détails sont particulièrement clairs, bien plus que les personnages dont la silhouette est étrange par moment. Mais pas grave, c’est l’esprit général qui compte et là c’est très réussi. Aliénor, plutôt conçu pour un public ado, peut aisément se lire en famille et par un adulte.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/13/alienor-mandragore/
Casterman a choisi de donner une qualité très classieuse à une série qui se veut élégante, de par sa maquette, les numéros de page et son aspect général. Un vernis sélectif est utilisé en première et quatrième de couverture et (chose trop peu utilisée à mon goût), les 2° et 3° de couverture servent dans le cadre du récit: le début de l’ouvrage présente pour chaque album de la série la même image de la bibliothèque de Lors Shenbock avec les titres des ouvrages qui seront « parcourus » dans le volume. La fin présente un court résumé de chacun de ces ouvrages, illustrant l’ambition bibliophile et pédagogique des « aventures ahurissantes de Benjamin Blackstone« .
Benjamin Blackstone est un orphelin envoyé habiter chez sa tante anglaise. Il fait alors la rencontre du fantôme de Lord Shenbock, ancien propriétaire, bibliophile et aventurier devant l’éternel, qui détient le pouvoir de voyager avec qui il veut dans les livres de son immense bibliothèque. Le concept de la série propose alors de se promener en compagnie de Shenbock, le jeune Blackstone et de la « formidable Charmante », la très bavarde chienne du fantôme, dans des livres d’aventure du XIX° et du début du XX° siècle.
Le concept de la série est pour le moins original et intéressant, l’enjeu affiché de faire découvrir des livres classiques à la jeune génération (que ciblent ces albums) doit être salué. Les deux scénaristes sont pour l’un romancier passionné de romans d’aventure anciens, pour l’autre réalisateur et l’on sent bien l’envie de découverte qui peut amener les lecteurs à aller regarder du côté d’Homère, de Lovecraft ou de Rouletabille. Si le premier tome des « aventures ahurissantes » part un peu dans tous les sens sans ligne directrice, le second est bien plus réussi en introduisant le grand méchant (fort méchant!) dont la traque donne bien plus de corps et d’ambition à la série (suivant la formule de Hitchcock qui veut que toute bonne histoire doit avoir un bon méchant). Le concept (peu exploité pour l’heure) d' »emboitement » que l’on trouvait dans le film Inception laisse présager de grandes possibilités scénaristiques. La principale difficulté des auteurs repose cependant sur le concept même de la série : présenter 5 livres dans une aventure BD one-shot de 46 planches n’est pas chose aisée et le rythme est parfois un peu rapide, l’enjeu étant surtout de créer des scènes de combats et de suspens dans un décors différent toutes les 4 pages. Niveau dessin, Javi Casado réalise ici sa première BD et l’on sent déjà une évolution entre les deux tomes. C’est de style « naïf« , très coloré qui devrait plaire au public ciblé.
Outre des décors de romans classiques (permettant à Lord Shenbock, véritable héros des albums, d’apparaître chaque fois en costume typique), ce sont bien les personnages la réussite de la série. La chienne Charmante est délicieusement agaçante et les dialogues nombreux sont parsemés de blagues, anachronismes et de jeu avec le quatrième mur faisant le lien entre la BD et l’univers des livres. Lord Shenbock est graphiquement réussi, avec sa dose de mystère (la cicatrice), son panache, ses pouvoirs. Benjamin Blackstone est plus faire-valoir et sert comme dans tout bon ouvrage jeunesse à rattacher le lecteur aux personnages. Au final, cette série est dans la même veine que « Les aventures des spectaculaires« (chez Rue de Sèvres), à savoir une bonne idée qui doit être développée au fil des albums mais qui plaira à des adolescents.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/16/benjamin-blackstone/
Guillaume Sorel a une étrange carrière dans la BD. Illustrateur/peintre de grand talent doté d’un style très particulier, il avait débuté de manière remarquée avec le Lovecraftien « L’Ile des morts » mais n’a jamais depuis réellement été considéré parmi les grands. Ses choix, il est vrai (toujours tournés vers l’univers de la folie et du fantastique très proche de Lovecraft), ont été particuliers et pas franchement grand public. Personnellement ses one-shot (Mother, Typhaon) chez Casterman ont mes faveurs. Depuis quelques années il semble s’orienter vers l’adaptation littéraire et sa collaboration avec Serge Le Tendre sur « J’ai tué Abel » a été une grande réussite. Une critique pour Iznéo me donne l’occasion de me replonger dans son univers graphique si dérangeant et si beau, sur « Le Horla »… qui ne pouvait être illustré que par lui !
L’illustration de couverture, étonnamment très classique, incite peu à l’ouverture de l’album… Pourtant dès la première page, la pâte, la matière très caractéristiques de Guillaume Sorel fascinent. Prenant le temps d’installer ses ambiances, ses lumières campagnardes, l’auteur flatte les pupilles sur chaque case. Habitué des destructions de cadre sur le modèle d’Olivier Ledroit (tous deux sont passés entre les mains du scénariste Froideval coutumier de ces découpages), il crée ainsi des surgissements fantastiques dans un ensemble très sage. Tout cela est fort maîtrisé et Sorel dont les perspectives et anatomies n’ont jamais été le fort, livre ici probablement ses planches les plus techniquement maîtrisées. Probablement l’un des coloristes les plus talentueux de sa génération, il est étonnant qu’il n’ait jamais collaboré avec un autre dessinateur. Graphiquement dominé par les rouges et les ambres chers à Sorel, l’album est essentiellement contemplatif, comportant peu de textes, l’inquiétude reposant pour l’essentiel sur les ambiances, les visages et les paysages.
Le scénario suit fidèlement le récit de Maupassant mais fait le choix (du fait du rôle du visuel) de renforcer le côté fantastique. Qui n’aurait pas lu la nouvelle se trouverait devant un ouvrage entièrement fantastique, la représentation de l’être et son explication étant matérialisés ici quand le texte original n’était qu’un récit de l’esprit du narrateur. C’est habile, cohérent avec l’univers de Guillaume Sorel et donne à l’album un intérêt différent de la simple adaptation. Peu attiré par les adaptations littéraires en BD, j’ai été très agréablement surpris par cet album, au-delà de ma seule fascination graphique pour l’un de mes auteurs préférés.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/18/le-horla/
Pour sa première BD, Romain Baudy dispose chez Casterman d’un très large format avec une pagination de 113 pages et un cahier graphique de 9 pages en clôture, très intéressant par-ce qu’il montre les hypothèses graphiques en regard des choix finaux. L’album est séparé en plusieurs chapitres indiqués par une page de garde entière. La couverture est efficace.
Dans un coron du Nord de la France, c’est la lutte des classes entre mineurs syndiqués, patron capitaliste et porions. L’un d’eux va accepter de participer, pour l’argent, au test d’une machine révolutionnaire au fond de la mine. Embarqué avec une équipe « d’élite », ils vont découvrir un monde souterrain peuplé de créatures fantastiques…
Le pitch est clairement gonflé et c’est sans doute ce qui a plu à l’éditeur. Mélanger BD historico-politique, sociologie du monde des mineurs, voyage au centre de la terre et steampunk, tout ceci donne envie d’en savoir plus. Proche d’un Blake et Mortimer de par son univers et son traitement (y compris graphique) Souterrains jouit de belles idées et d’un bon découpage. Le prologue est réussi, en montrant d’emblée le versant fantastique et tire sur l’impatience avec une première partie plutôt historique, portant sur les questions de domination dans la mine. L’introduction du mystère technologique est bien amenée jusqu’à l’arrivée dans le sous-monde. La suite est assez linéaire, l’explication restant un peu décevante et l’auteur n’apporte aucune attention particulière à ses créatures pourtant graphiquement totalement fascinantes ! L’ambition de renouveler le mythe des nains est pourtant excellente, mais romain Baudy ne va pas au bout de son ambition SF steampunk et ne parvient pas vraiment à donner un souffle épique à cet album malgré la place dont il dispose. Aucune précision non plus sur la magie ni sur le robot ne sont données (peut-être l’idée d’une suite, bien que le format choisi soit plus celui du one-shot), ce qui est frustrant. Côté dessin c’est très correcte, avec couleurs un peu criardes (là encore proches de Blake et Mortimer), l’auteur semble hésiter entre deux styles: celui des gros nez et celui du réalisme. Du coup on a un peu les deux.
Dans un autre style, Mathieu Thonon, aussi débutant sur un gros diptyque one-shot (Brane zéro chez Akileos), avec les mêmes défauts inhérents à un début de carrière, était porté par une plus grande ambition (trop peut-être). Au final, Souterrains ressemble à une bonne idée de départ qui n’aurait pas sue être exploitée jusqu’au bout. Peut-être peut-on destiner cet album plutôt à de jeunes adolescents qui seront intéressés par des thématiques (politiques) auxquelles ils n’ont pas l’habitude et traitées de façon relativement simples. L’auteur mérite des encouragements pour avoir su trouver un thème a priori jamais abordé en BD et pour avoir mis une vraie implication dans son projet.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/20/souterrains/
City Hall est un manga européen, avec la qualité de fabrication attendue pour un manga; le sens de lecture est donc européen. Les couvertures des volumes sont attrayantes et les auteurs se sont éclaté sur la maquette, remplie d’engrenages et autres effets « Steampunk » qui immergent dans l’ambiance. Les chapitres sont entrecoupés de « character files » (description d’un personnage de l’histoire) issus du monde du jeu vidéo comme les japonais les adorent. Enfin, des phrases de lancement de l’épisode suivant sont insérées en dernière page afin de renforcer l’effet feuilleton. Le manga est découpé en deux cycles de 3 volumes puis 4 volumes reliés. Un boulot sérieux.
La grande force de cette série (qui n’a pas convaincue les premiers éditeurs contactés!) réside dans son idée principale, à savoir un monde où le papier a été banni car tout ce qui y est inscrit prends forme instantanément… La seconde idée est celle d’un univers steampunk où le niveau technologique proche du notre est basée sur la vapeur, la mécanique et la technique de la première révolution industrielle… et où les grands auteurs et personnages de la littérature fantastique et policière du XIX° siècle sont présents dans l’histoire. Cela fait longtemps que je n’avais lu une idée aussi forte, peut-être depuis la Ligue des Gentlemen extraordinaires d’Alan Moore à laquelle se réfèrent de façon évidente les auteurs. Ainsi les personnages principaux ne sont autres que Jules Verne, Arthur Conan Doyle, Marie Shelley ou encore Harry Houdini. C’est parfaitement assumé et les auteurs s’amusent à débarquer une nouvelle figure connue dans un jeu à la fois totalement libéré de toute contrainte et qui apporte une familiarité très efficace avec le lecteur.
Mais là où les idées fabuleuses d’un Alan Moore ont souvent buté sur le choix d’artistes aux qualités très discutables, le dessin de Guillaume Lapeyre est étonnant de précision et de souplesse. L’imagination et le bon goût graphiques immergent dans cet univers aux contrastes superbes. Le jeune auteur a une marge de progression dans certains plans fouillis et certaines anatomies, mais le tout est globalement très maîtrisé et surtout décomplexé. Le plaisir des deux auteurs transparaît à chaque planche, dans un style ado qui colle parfaitement au format manga et que les plus exigeants pardonneront. Sur le plan scénaristique, les mêmes défauts transparaissent, à savoir des sauts brutaux qui nuisent à la lecture et une difficulté à tenir la longueur de trois gros volumes même si l’intrigue dans son ensemble est de très bonne tenue.
Nous sommes donc en présence d’un manga plaisir qui remplit plutôt très bien son envie de départ. Une énergie communicative sort de ces centaines de pages. Et l’imagination du duo continuera puisque leur nouvelle série, Booksterz reste dans la même veine: un manga de baston mettant en confrontation les créatures et personnages des contes et classiques de la littérature…
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2016/09/26/city-hall/
Début du second cycle de City Hall, la très bonne surprise manga avec des petits frenchies derrière et une thématique super rafraichissante. Pour rappel, le premier cycle de 3 volumes lançait Jules Verne et son pote Arthur Conan Doyle à la poursuite du maléfique Black Fowl, dans un monde Steampunk où le papier est interdit car il a le pouvoir de matérialiser ce qui y est écrit…
Dans ce second cycle, retour des personnages habituels qui s’opposent cette fois à l’inventeur Joseph Bell et Mary Shelley pour éviter l’exécution de Pierre Verne, le père de Jules. C’est une intro qui les amène à Paris entre joutes verbales et action effrénée dans un humour manga. Le dessin est toujours aussi élégant et brouillon à la fois (pour les séquences d’action). Le scénario est un peu trop complexifié pour pas grand chose, ca déclenche sur les dernières pages qui donnent bien envie de lire la suite… retard à l’allumage dirons nous (les auteurs annoncent un cycle plus action que le premier, ce qui est plutôt souhaitable).
Même syndrome que sur Freak’s Squeele: d’abord pour cet univers vraiment passionnant, le dessin quand-même au dessus de la moyenne des Manga et puis bon, le manga c’est pas cher, ça peut se consommer plus aisément qu’une BD classique.
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/23/city-hall-4/
Jeune éditeur issue de l’École des loisirs (dont l’expérience en matière d’édition n’est plus à démontrer), Rue de Sèvres s’est déjà fait une place de choix en matière de qualité de ses albums avec des titres déjà devenus des classiques, notamment le Château des Étoiles, l’une des meilleures réussites de ces dernières années, via notamment la publication d’une gazette au format journal et de plusieurs formats d’édition pour l’album d’Alex Alice. Ceci illustre le côté artisanal, qualitatif de cet éditeur, qui assume par ailleurs la taille réduite de son catalogue.
Sur le cabaret des ombres cela se traduit par une belle maquette rétro belle époque, l’annonce d’une série en commencement dès le titre et (remarquable attention, unique chez les éditeurs BD à ce qu’il me semble) l’annonce systématique du nombre de volumes d’une série ou d’un one-shot. Ici nous sommes en présence d’une « histoire complète » au sein d’une série à développer. La couverture comporte un vernis sélectif désormais répandu, la tranche est claire avec un numéro de volume et la 2° de couverture est utilisée pour introduire les personnages. Beau travail d’édition qui mérite un "Calvin".
L’album proprement dit relate les aventures d’une troupe de cirque confrontée à un génie du mal dans la France des années 1920, en plein dans une veine « super-héroïque belle époque steampunk » assez en vogue (City Hall, Les Sentinelles ou encore le Monstre de Paris et Avril – le monde truqué en animation). Ces héros se révéleront de véritables loosers, des bras cassés que les inventions d’un professeur raté ambitionnent de transformer en champions de la lutte contre le Crime.
Si le dessin est clair, lisible, le découpage très efficace et original (j’adore la case qui « tremble »!) et les personnages intéressants, l’histoire chute un peu brutalement au milieu du gué, comme si le scénariste n’avait pas su comment terminer son introduction à l’univers des Spectaculaires ou en avait gardé trop sous le coude en prévision des futurs albums. Sensation peut-être caractéristique de l’auteur dont les albums manquent parfois d’un soupçon de souffle (sur Aquablue notamment). Attention, l’on reste en présence d’un excellent album qui remplit parfaitement le cahier des charges et se lit avec plaisir. Prenez garde toutefois à l’âge auquel il se destine. Comme pour le Château des Étoiles, le design général pourrait inciter les plus jeunes à tenter l’aventure… qui reste écrite pour des pré-ado au plus tôt (rien de dangereux pour les plus petits, simplement ils auront du mal à saisir l’humour et l’intrigue). Entre un méchant à la Moriarty, un savant fou, des inventions steampunk, une galerie d’anti-héros rigolo et une époque toujours agréable à découvrir en BD, tout est en place pour une série classique de la BD.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2016/09/01/le-cabaret-des-ombres/