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Dans les 3 aventures, dont deux longues d'une centaine de pages, rassemblées dans le second tome de cette belle anthologie, Astro Boy rencontrera la superbe Cléopâtre, reine d'Egypte, qui n'est bien entendu qu'un robot aux mains de vils manipulateurs qui convoitent le pouvoir. Il retrouvera - sans le reconnaître - son père, le professeur Tenma, dont le comportement pour le moins ambigu (sans parler du fameux chapeau / masque) ne nous est pas très sympathique. Il ira sur la Lune se frotter à un grand robot ridicule (portant un casque à cornes !) parfaitement crétin, mais tellement maternel. Et il se battra, pour finir, contre de dangereux évadés qui veulent s'emparer des réserves d'uranium du Japon, mais dont l'un est surtout obsédé par le rêve de terminer l'œuvre de sa vie : son fils-robot auquel il veut conférer des pouvoirs qui le distingueront de la masse des autres robots. On aura compris que rien ne freine l'imagination délirante d'Osamu Tezuka, mais aussi que, dans le fond, tout cela n'est guère que l'histoire du manque d'amour entre un père et son fils, et de la triste terreur qui saisit tous les enfants abandonnés et obligés de se frotter seuls à toute la méchanceté du monde…
Après un premier tome particulièrement séduisant, on était en droit de se demander comment Agi et Okimoto pouvaient tenir leurs lecteurs en haleine, tout en continuant à "les éduquer" sur les mystères du vin : ce second volume dessine plus clairement le projet derrière les "Gouttes de Dieu", en développant un certain nombre d'intrigues secondaires, et en multipliant les rencontres avec de nouveaux personnages - non centraux au récit - mais dont la destinée est influencée par le vin, la connaissance ou plutôt la méconnaissance qu'ils en ont. On appréciera particulièrement les notes très mélodramatiques de certaine aventure amoureuse, qui se conjuguent bien avec l'envol d'un grand Bourgogne, et le débat - qui est une vraie question pour les amateurs de vins - sur la capacité des vins français à se mesurer à leurs rivaux du monde entier (ici, les vins italiens) dès qu'on souhaite rester dans des niveaux de prix abordables. A consommer sans modération, donc…
Comme pour le tome 2 de "Palomar City", j'ai trouvé assez "ardu" de se replonger dans l'univers riche et complexe de "Locas", la multiplication de personnages (pas toujours reconnaissables d'ailleurs, le trait élégant de Jaime Hernandez ayant tendance à "uniformiser" quelque peu la beauté de ses héroïnes) et d'intrigues. Mais, même en n'étant pas sûr d'y comprendre grand chose, entre histoires de familles déchirées et de cœur pas en meilleur état, le charme a opéré quand même, peu à peu. Finalement, il s'agit plus ici de pénétrer un univers, d'y trouver peu à peu ses marques, (presque) de construire une relation avec des personnages qui nous deviennent infiniment proches et chers, au fil des trois ent pages et quelques de ce deuxième volume des "aventures" de Maggie (qui devient ici Perla) et de Hopey... qui sont cette fois séparées et galèrent rudement chacun ed leur côté... Jusqu'à ces retrouvailles romantiques et foudroyantes, dans les dernières pages, qui mettront les larmes aux yeux des plus radicalement punks d'entre nous.
Il faut avouer que la lecture de "Locas" désoriente d'abord : multiplicité des personnages, succession d'aventures ou de chroniques à la longueur et au rythme disparates, oscillation permanente entre la réalité de la jeunesse latino de Los Angeles, et un univers vaguement futuriste paradoxalement traité avec autant de réalisme... Jaime Hernandez frappe fort, et l'on comprend peu à peu pourquoi ces excitantes "Locas" sont aujourd'hui considérées comme un modèle du genre, voire l'exemple ultime de ce que la BD peut faire lorsqu'elle s'attèle à nous parler de nous, de nos désirs (même bisexuels, comme ici...) et de notre résistance à un monde absurde et pourtant enivrant. Au bout des 350 pages, Hope et Maggie sont devenues nos sœurs, nos amies, nos amantes. Vivement le deuxième tome...
2009 : Riad Sattouf est devenu un cinéaste à succès avec ses "Beaux Gosses", et ce n'est que justice. 2009 : les planches du troisième tome de Pascal Brutal sont publiées en avant-première dans les Inrocks, et ça nous gâche un peu le plaisir de la découverte de ce troisième tome (le "cube", en "édition chromium", s'il vous plaît !), pourtant le plus brillant à date, du plus bel héros post-moderne de la France ultra-libérale. Pourquoi le plus brillant ? Eh bien, lisez seulement les 8 pages de "Pascal Brutal d'Arabie", et imaginez ce que Ben Laden en pense, depuis sa grotte afghane, de ce petit salopard de Syrien de Riad Sattouf ! Ou savourez aussi les 4 pages muettes qui illustrent l'absolue "virilité" de Pascal Brutal, plus fort que Schwarzie et Stallone réunis, et avouez-le : ne rêvez-vous pas, monsieur, d'être un tel homme au moins une fois dans votre vie. Et vous madame, ne fantasmez-vous pas sur ce concentré extrême de masculinité ? Je suis sûr d'ailleurs que Sarko et Carla seraient d'accord avec moi… LOL, oui, LOL au cube !
Après la (encore légère) déception du 3ème tome des aventures noires et roses de notre "Vierge des Bordels", la descente aux enfers (enfin, pas tout-à-fait) de la belle série "Miss Pas Touche" continue avec ce "Jusqu'à ce que la Mort nous Sépare", qui conclut de manière peu convaincante le second cycle… Cela commence avec le dessin, qui n'a jamais été le point fort de la série, mais qui, en gagnant une clarté mal venue, dépouille le récit de cette ambiance un peu tordue qui y ajoutait un charme indéniable. Cela se poursuit avec le scénario, pour le moins léger, qui fait que toute cette histoire nous laisse finalement indifférents. Reste qu'il faut signaler un vrai - petit - coup de génie ici, puisque l'identification - stupide mais automatique - d'une héroïne présentée comme "moderne" en ce début de XXè siècle à des valeurs qui sont les nôtres, fait que nous n'encaissons que plus violemment le décalage final entre ses préjugés et ce que nous, lecteurs de 2009, ressentons viscéralement. Oui, il y a là une vraie belle idée, et l'on se dit après coup que cette idée a sans doute a été le moteur et la motivation profonde dans la construction de ce second récit. Du coup, on est prêts à pardonner beaucoup…
Est-ce le fait que je commence à m'habituer à "Soul Eater" au quatrième tome, après ce qui a peut-être été un "choc culturel" pour moi, qui n'était pas vraiment habitué à la lecture de mangas "pour ados" (je ne sais pas trop ce que ça signifie, malgré tout, ayant toujours considéré la BD comme un genre "trans-générationnel"…) ? Ou ce quatrième tome est-il vraiment supérieur aux trois premiers ? Toujours est-il que j'ai pris beaucoup de plaisir à l'hilarant épisode de "l'examen écrit de la mort" - un épisode sans baston, purement humoristique -, ainsi qu'à la délirante rencontre entre Kid (le dieu de la mort obsédé par la symétrie) et le Hollandais Errant : certaines images y atteignent une sorte de sublime par leur conjugaison d'une imagination plus que délirante (le Hollandais dont la tête a été tranchée dans les deux sens… Si, je vous jure que c'est délirant, et pas stupide !) et d'une technique graphique exceptionnelle. Dommage seulement que l'histoire centrale, celle du combat entre sorcières et Shibusen reste toujours aussi incompréhensible...
Quelle drôle d'idée que ce manga didactique, visant à éduquer le Japonais moyen au vaste sujet des vins, non ? Le Français arrogant en nous peut même facilement se sentir vaguement condescendant sur le sujet. Sauf que Agi et Okimoto placent d'emblée la barre très haut en dissertant brillamment sur le Romanée-Conti, éveillant d'emblée l'intérêt de n'importe quel passionné, de quelque nationalité qu'il soit. Force est donc de reconnaître qu'on dévorera (non, fausse image, qu'on dégustera) les 200 et quelques pages de ce premier tome, passionnés par les très pertinentes informations techniques (certaines discutables, mais le vin est aussi une question d'opinion, et un peu de mauvaise foi passionnée est toujours bienvenue) comme par le scénario construit autour de cette découverte organisée de l'univers des grands vins, certes un peu "alambiqué" (hi hi) mais non dénué de résonances émotionnelles. Pour le moment, "Les Gouttes de Dieu" est une belle réussite, avec de vrais moments de grâce quand il s'agit par exemple d'évoquer visuellement les sensations provoquées par un grand vin.
"Soul Eater 3", comme les deux tomes précédents, alterne les moments de franc délire, assez sympathiques - on appréciera particulièrement l'épisode "Excalibur" qui désacralise avec un humour potache du meilleur effet l'un de nos mythes -, et les scènes finalement assez conventionnelles : on reste en effet ici fidèle aux codes habituels des récits d'arts martiaux, même dissimulés au cœur d'un univers "gothique" occidental, et "Soul Eater" n'est bien, derrière son explosive audace formelle, qu'un manga pour adolescents comme les autres. Si l'on ajoute la difficulté que semble avoir Ohkubo à conférer de la cohérence à son univers original (n'est donc pas Tim Burton qui veut…), et à construire une vraie narration qui relie les différents épisodes, force est de constater que "Soul Eater", en dépit de son excellente réputation, risque bien de rater l'opportunité de devenir un manga qui marque vraiment son époque.
Avec ce superbe "Révolutions", Trondheim et Sfar prouvent que produire moins (le rythme de production des "Donjons" ayant sérieusement baissé ces derniers mois) leur permet de retrouver une inspiration bienvenue : si je n'avais pas peur d'être trop enthousiaste, "Révolutions" va chercher le souffle de l'aventure du côté du classicisme d'un Swift... Car, comme dans "Gulliver", Sfar et Trondheim conjuguent l'émerveillement (ou la terreur) de la découverte d'un monde aux règles fondamentalement différentes (ce morceau de planète dont la rotation accélérée oblige ses habitants à trouver des moyens originaux pour survivre), et la métaphore politique (car ici comme dans notre bonne vieille réalité, les conditions extrêmes sont parfaitement favorables à l'éclosion des tyrannies). On se régale donc ici de situations joliment délirantes, tout en réfléchissant à cette terrible nature humaine qui nous fait nous asservir volontairement aux désirs des politiques et des puissants, manipulateurs nés (y a-t-il quelque chose de Sarkozy chez l'ignoble Takmool ?). A la fin, il faut bien reconnaître que toutes ces révolutions n'ont amené nul progrès ("Meet the new boss, same as the old boss", comme chantait Townshend ?), mais on aura au moins eu en chemin notre content de baston gore et de sensualité paillarde (ah ! ces ourses plantureuses aux gros seins !)...
Bilal est l'un des plus grands illustrateurs de notre génération, et son dernier-né, "Animal'z" est un bonheur graphique de tous les instants : une nouvelle technique, de nouvelles textures, de la pure beauté. Mais, même si peu de gens osen le dire, Bilal est un piètre artiste de BD : scénarios incohérents, narration lourde, poncifs pontifiants au service d'une noirceur post-apocalyptique fatiguante... Il fait avouer que les livres de Bilal nous tombent des mains (et je ne parle pas de ses films, simplement atroces !). "Animal'z" ne fonctionne guère que lorsque Bilal abandonne ses épouvantables vélléités philosophiques (oh, les citations des duellistes, une sorte de summum dans la vacuité prétentieuse !) ou ses pénibles obsessions sci-fi (ici, l'osmose humain-animal) : un peu de plagiat de "Massacre à la Tronçonneuse", quelques souffles amoureux entre ses personnages-symboles indifférenciés, un tout petit peu de vie au sein d'une oeuvre imposante mais asphyxiée...
Avec ce superbe "Révolutions", Trondheim et Sfar prouvent que produire moins (le rythme de production des "Donjons" ayant sérieusement baissé ces derniers mois) leur permet de retrouver une inspiration bienvenue : si je n'avais pas peur d'être trop enthousiaste, "Révolutions" va chercher le souffle de l'aventure du côté du icisme d'un Swift... Car, comme dans "Gulliver", Sfar et Trondheim conjuguent l'émerveillement (ou la terreur) de la découverte d'un monde aux règles fondamentalement différentes (ce morceau de planète dont la rotation accélérée oblige ses habitants à trouver des moyens originaux pour survivre), et la métaphore politique (car ici comme dans notre bonne vieille réalité, les conditions extrêmes sont parfaitement favorables à l'éclosion des tyrannies). On se régale donc ici de situations joliment délirantes, tout en réfléchissant à cette terrible nature humaine qui nous fait nous asservir volontairement aux désirs des politiques et des puissants, manipulateurs nés (y a-t-il quelque chose de Sarkozy chez l'ignoble Takmool ?). A la fin, il faut bien reconnaître que toutes ces révolutions n'ont amené nul progrès ("Meet the new boss, same as the old boss", comme chantait Townshend ?), mais on aura au moins eu en chemin notre content de baston gore et de sensualité paillarde (ah ! ces ourses plantureuses aux gros seins !)...
Il suffit d'être clair : Tezuka est l'un des vrais génies de la BD et du dessin animé à la fois, au niveau des Disney, Miyazaki ou Hergé, et Astro Boy est son grand oeuvre. Il est aussi l'un des inventeurs du manga moderne, soit quand même l'une des formes de littérature dominantes en ce début de XXIè siècle. Tout cela est bien connu désormais, presque "institutionalisé", mais ne garantit pas pour autant notre plaisir à la découverte d'une oeuvre datant du début des années 50. Or, Astro Boy est tout simplement soufflant, entre le graphisme au dynamisme enthousiasmant - on remarque même ça et là un désir de transcender la rigidité de la case - et scénarios délirants, mêlant violence réaliste (oui, on meurt dans Astro Boy !) et surréalisme poétique. Ces 200 pages nous emmènent jusqu'au Cap - déchiré par les préjugés "raciaux" - et au Pôle Sud, nous font découvrir les beautés d'une promenade poétique dans les sous-bois tokyoïtes, nous expliquent que les robots souffrent aussi, nous rappellent que le meilleur endroit du monde, c'est les genoux d'une mère, sont tout simplement parfaites, et confirment ce qui n'avait pas besoin de l'être, que le génie transcende les époques.
"Megan" est une excellente surprise : après 4 tomes qui m'avaient laissé dubitatif, avec une créativité graphique qui jouait contre la lisibilité de l'histoire, et des scènarios hyper-ambitieux et confus, le cinquième volume de W.E.S.T. est tout simplement fascinant de bout en bout. En délaissant la fresque historique (même s'il reste - et c'est très bien comme ça - un contexte judicieux, celui du capitalisme (déjà) inhumain et barbare d'il y a un siècle) pour se recentrer sur le fantastique pur (une histoire de possession vraiment origianle, et il n'y a en plus tant que cela...), en travaillant les personnages qui semblent - enfin ! - transcender les stéréotypes - originaux certes, mais assez inhumains - qui les définissaient pour souffrir et aimer, en portant à une indéniable perfection formelle le graphisme, toujours aussi original, sans que celui-ci ne nuise à la tension du récit (il reste bien encore quelques enchaînements manquant de logique et de fluidité...), "W.E.S.T." atteint enfin à l'excellence. On attend la suite avec impatience.
Sans doute faut-il accepter que nous avons déjà lu le meilleur de Taniguchi, et que chaque nouveau livre du maître du manga "adulte" sera une légère déception par rapport à l'enchantement du "Journal de mon Père" ou de "Quartier Lointain". "Un Zoo en Hiver", auto-biographie des années de formation de Taniguchi comme mangakan commence de manière un tantinet plan plan, le icisme parfait du dessin de Taniguchi ne contrastant pas assez avec la relative banalité de son sujet. Et puis, et puis, dans les 70 dernières pages, Taniguchi nous sort un somptueux mélodrame en mode mineur, nous révélant que son Art n'a pu éclore que dans la chaleur d'un premier amour, pour s'épanouir dans la tristesse de la perspective de la perte définitive de l'être aimé. A la dernière page, on touche du doigt la tragédie intime d'un artiste qui peut sauver ses personnages dans son monde imaginaire mais sait qu'il ne pourra rien faire pour la femme qu'il aime, dans la "vraie vie". Un livre simple, donc, mais profond... Du Taniguchi, quoi !
Après la (très très) légère déception du second tome de "Gus", on attendait avec impatience la suite des très conceptuelles aventures de notre cow boy favori : eh oui ! Gus est passé dans notre cœur devant Lucky Luke et Blueberry, et ceux qui ne nous comprendrons pas n'ont tout simplement pas lu "Ernest"… Car "Ernest" n'est ni plus ni moins que ce que Blain a fait de mieux à date - mieux encore que certains tomes transcendants de "Issac le Pirate", c'est dire ! Car la merveilleuse surprise de ce troisième tome, c'est que Blain réintroduit le "vrai" western - à mi-chemin entre Eastwood (l'improbable massacre au saloon final qui renvoie directement à la conclusion de "Impitoyable") et Walsh - sans pour autant délaisser la complexité des états d'âme de ses outlaws perdus face à leurs propres pulsions, comme face à ces femmes mystérieuses et fortes qu'ils n'arrivent jamais à vraiment comprendre. Le premier récit, "Ernest" est proprement vertigineux, adressant de manière aussi subtile que hilarante le décalage entre l'image "publique" d'un homme - ici, des outlaws, mais qu'importe… - et son propre sentiment d'imposture. Quant au troisième, "Angie, Anita, Anton", sans doute le western le plus "classique" de Blain (éleveurs de bétail contre paysans du coin, on est en territoire connu), il y souffle un mélange d'humour et de profonde dépression régulièrement balayé par le souffle de l'aventure : une GRANDE BD !
Je ne loupe jamais un nouveau Vuillemin, et à chaque fois, après avoir bien ricané, rigolé, déliré (c'est selon les pages), j'en arrive à la même conclusion et aux mêmes questions existentielles : d'abord, d'où viennent ces histoires drôles qui semblent apparaître par génération spontanée en même temps partout sur la planète ? S'agit-il de la preuve ultime de l'existence de Dieu, qui assis sur son trône céleste (les gogues, d'après Vuillemin) nous défèque allègrement sur la tête ? Ensuite, qu'est-ce qui peut faire qu'un artiste doué comme Vuillemin ait choisi un jour de tout abandonner pour se consacrer à cette humble tâche de répertorier, d'illustrer et d'immortaliser ces pets et ces étrons divins ? Finalement, Vuillemin, c'est un peu l'austère moine copiste dédiant son existence aux déchets divins ! C'est beau, non ?
"Soul Eater 2" se révèle - malheureusement - sans surprise par rapport au premier volume : dessins remarquables d'inventivité - surtout dans l'alternance de styles, du plus sophistiqué ou plus "punk" - au risque quand même de l'illisibilité ; scénario on ne peut plus basique, réduit pour le moment à une succession de combats dont les enjeux sont d'autant plus troubles qu'il est peu clair comment les héros peuvent "perdre", les blessures les plus extrêmes semblant sans impact sur eux. Entre le manque de tension des affrontements qui sont plus des chorégraphies que de véritables duels, et l'abstraction totale du monde où ils se situent, "Soul Eater" est pour le moment un manga aussi formellement abouti que littéralement assommant.
Il y a donc, de toute évidence, derrière "Le groom Vert-de-Gris", l'idée (une fausse bonne idée, à mon avis) de capitaliser sur le coup de génie d'Emile Bravo, et de prolonger les aventures de Spirou et Fantasio "dans le monde réel", en tout cas dans un monde synchrone avec celui de leurs créateurs originels. Sauf qu'ici, Yann et Schwartz ont tout faux, et que le résultat, loin d'être stimulant et enchanteur comme "Le Journal d'un Ingénu" n'est pas loin d'être répugnant. C'est que nos "amis" sont visiblement passés à côté de l'approche conceptuelle, abstraite, nécessaire à la coexistence de personnages certes imaginaires mais au passé chargé et à la charge symbolique forte, et d'une réalité étouffante comme le nazisme et la seconde guerre mondiale. Il y a ici une erreur grave, qui est d'introduire dans la fantaisie, qui est l'essence du monde de Spirou, la cruauté et la laideur du monde de manière frontale, irréfléchie : ici on torture les résistants, on déporte les juifs, on mitraille les soldats, on baise avec les allemandes, on tond les femmes qui ont couché avec les boches, en même temps qu'on fait des blagues (vaseuses) et qu'on décline des gags (éculés). Il y a forcément un malaise dans un tel amalgame, qui manque terriblement, soit d'un vrai recul "théorique" - qui faisait la force étonnante du beau livre de Bravo -, soit au contraire d'un second degré brutal et potache (je pense au travail audacieux que fit un humoriste radical comme Vuillemin avec son "Hitler = SS"). Du coup, peu importent au final le dessin réussi de Schwartz, les références malignes à Hergé ou aux premiers albums de Spirou, toutes ces bonnes idées sombrent au milieu d'un océan de mauvais goût et d'irresponsabilité.
Première tentative pour ma part de me confronter au manga "ado", qui n'est pas forcément ma tasse de thé, évidemment, et j'ai choisi "Soul Eater", du fait de sa forte réputation en ce moment. Première impression : le style graphique incroyablement créatif et dynamique rend chaque page à la fois magnifique et difficilement lisible, jusqu'à ce que, naturellement, on s'habitue à sacrifier la compréhension "fine" pour n'en garder que l'impression de mouvement et d'imagination incessante. Seconde analyse : voici un univers curieux, à la fois hyper-violent (les "héros" ont pour but de tuer le maximum de gens pour "manger leur âme", et il n'y a nulle préoccupation éthique ou morale à l'œuvre ici), hyper-sexué (un petit côté érotisme ultra soft, pas désagréable, il faut l'avouer, même dans un contexte assez "ado boutonneux", quand même), et totalement puéril : l'histoire est - comme c'est la règle du genre, apparemment - réduite à une succession d'affrontements, et baignée d'un humour assez récessif pas désagréable. Bref, on a l'impression de faire le grand écart entre "art noble" (le dessin) et "sous-culture crétine" (le sujet), ce qui est assez perturbant. A suivre, quand même...
Lorsqu'une BD vous est présentée comme une sorte de "nec plus ultra" artistique, qu'elle a été classée par la presse anglo-saxone (pas la plus fûtée en matière de BD, mais bon…) comme l'une des œuvres en langue anglaise les plus importantes du XXe siècle, qu'elle est régulièrement traitée de "culte", le niveau d'attente est on ne plus élevé. Et ce d'autant que j'avais été très impressionné par le "From Hell" du même Alan Moore, scénariste dit "de génie". Et il faut bien dire que ce livre m'est régulièrement tombé des mains, au point qu'il m'a fallu près de 2 mois pour lire ses 416 pages, ce qui n'est pas bon signe. Oh oui, j'ai bien vu la modernité (même si le fait de faire passer le super héros au filtre du réalisme social et politique a depuis été largement copié), l'audace dans la double mise en abyme (l'histoire des pirates lues par un personnage secondaire, les intervalles en forme de collage de coupures de journaux et autres extraits de livres construisant un univers cohérent autour de l'histoire principale) ! Par contre, je n'ai pas été impressionné par les dessins et les couleurs, le tout d'une laideur insigne, qui m'ont, il faut l'avouer, découragé à de nombreuses reprises de poursuivre ma lecture. Au final, j'ai lu une œuvre à la fois très intelligente et un tantinet prétentieuse, et surtout inutilement complexe et baroque. Loin en tout cas de ce qui se fait de mieux dans la BD sur la planète, n'en déplaise à nos amis anglo-saxons !
S'il y a un univers "Schtroumpfs" indiscutable, et si, pour cela, la série ne peut pas être considérée comme négligeable, il faut bien dire que le "spin-off" que constituent ces Schtroumpferies, soit un simple catalogue de "gags" conventionnels, basés principalement sur la déclinaison pure et simple des étiquettes (paresseux, farceur, grognon, etc. comme chez les nains de Disney), nous laisse sceptiques ! On admettra que la douce rondeur des dessins, l'aspect gentiment bucolique de ce mini-univers encore aux prises avec la nature, l'expression rassurant d'une société communautaire affairée aux tâches essentielles de la vie, raviront les tous petits, mais il est quand même difficile de générer un véritable intérêt en étant aussi prévisible !
Je n'avais jamais été particulièrement attiré par "Boule & Bill", série grand public qui connaît une grande popularité, et ce depuis plusieurs décennies… A la découverte - bien tardive - de ces gags poussifs, jamais vraiment drôles, et de plus totalement dénués du moindre charme (je pense par exemple à "Modeste & Pompon", série équivalente du génial Franquin, un peu anodine, qui faisait la dernière page du Journal de Tintin à l'époque…) qu'on penserait trouver à voir ainsi évoquée la vie familiale et pavillonnaire du Français moyen (pardon, le Belge moyen !) d'une époque bien révolue, on ne peut que se dire que, finalement, "Titeuf", ce n'est pas si mal que ça ! Pas sûr donc que je persévère à explorer ce pan de l'histoire la BD, s'il recèle de tels pensums ! (A noter que ma fille de 10 ans n'a pas souri une seule fois non plus au long de ces longues 48 pages !)
Pour cette deuxième "saison" passée à Palomar, il me semble que Gilbert Hernandez a encore augmenté son niveau d'attente envers son lecteur : une bonne vingtaine de personnages centraux à une multitude de récits enchevêtrés, dont nous ne comprenons les tenants et aboutissants (ou pas) que a postériori, sans parler de l'implacable écoulement du temps, figuré par des ellipses saisissantes, qui nous obligent à régulièrement reconsidérer ce que nous savons de nos ami(e)s de Palomar et de leurs rapports. Le résultat est que, si on a souvent l'impression (qui peut être frustrante) d'être un témoin un peu dépassé de cette odyssée immobile mais baroque, articulant des micro-drames de la vie amoureuse, sexuelle et sociale des habitants (habitantes surtout) autour d'évènements littéralement extraordinaires (l'invasion des singes, l'apparition d'un serial killer, le tremblement de terre, etc.), on est aussi soufflé par la richesse thématique d'une telle œuvre : essentiel, "Palomar" est tout simplement essentiel !
A Palomar City, toutes les femmes sont superbes, et aussi complètement folles, mais de cette folie qui confine à une infinie sagesse. A Palomar City, tous les hommes ne sont guère que de misérables créatures condamnées à ramper aux pieds de ces femmes magnifiques. C'est dire combien Palomar City est la métaphore absolue d'une humanité aussi ballotée par ses désirs sexuels torrides que dévastée par son incapacité essentielle à aimer. Palomar City, au cœur d'un Mexique aussi primitif et miséreux qu'éternel, ressemble beaucoup à la Colombie magique et brûlante des "100 Ans de solitude" de Garcia Marquez (une référence explicitement citée, qui, assez incroyablement, n'écrase jamais l'inspiration de Hernandez, c'est dire à quelles hauteurs on se trouve ici). "Palomar City" a été écrit, dessiné en 1985, au sein de l'équipe "Love and Rockets", et la seule chose qui vienne à l'esprit en ressortant de cette épopée chorale aussi dérisoire que magnifique, aussi drôle que déchirante, c'est : "Comment a-t-on pu ignorer aussi longtemps un tel chef d'œuvre ?".
Il faut sans doute aimer autant le rock et les concerts de rock que Zep pour se prendre vraiment au jeu proposé par cette compilation gaguesque de situations visiblement vécues (ou alors à peine exagérées, si si, on vous jure...), soit se moquer autant des artistes que nous aimons (Dylan, les Stones, Neil Young, etc. beaucoup de beau monde ici...) que de nous-mêmes, fans pas toujours très fûtés ! J'ai d'ailleurs lu à droite et à gauche que Zep se perdait dans des stéréotypes ! Mais non, c'est bien comme ça que ça se passe... malheureusement ! Personnellement, j'ai été ravi de sentir que la super-star de la BD (dont je n'apprécie pas trop le Titeuf !) Zep était un rocker aussi passionné que moi - de longues minutes de bonheur à parcourir sa collection de billets d'entrée collés sur les pages de garde, pour voir les "expériences" que nous avons eues en commun... -, et je me suis délecté de l'élégance de ces petites vignettes, qui ont souvent une vraie beauté, au delà du gag. A quand la suite ? Cet album date de 1999, et il manque donc une bonne décennie de "live shows", sur laquelle il y aurait encore beaucoup à dire, non ?
Il faut sans doute aimer autant le rock et les concerts de rock que Zep pour se prendre vraiment au jeu proposé par cette compilation gaguesque de situations visiblement vécues (ou alors à peine exagérées, si si, on vous jure...), soit se moquer autant des artistes que nous aimons (Dylan, les Stones, Neil Young, etc. beaucoup de beau monde ici...) que de nous-mêmes, fans pas toujours très fûtés ! J'ai d'ailleurs lu à droite et à gauche que Zep se perdait dans des stéréotypes ! Mais non, c'est bien comme ça que ça se passe... malheureusement ! Personnellement, j'ai été ravi de sentir que la super-star de la BD (dont je n'apprécie pas trop le Titeuf !) Zep était un rocker aussi passionné que moi - de longues minutes de bonheur à parcourir sa collection de billets d'entrée collés sur les pages de garde, pour voir les "expériences" que nous avons eues en commun... -, et je me suis délecté de l'élégance de ces petites vignettes, qui ont souvent une vraie beauté, au delà du gag. A quand la suite ? Cet album date de 1999, et il manque donc une bonne décennie de "live shows", sur laquelle il y aurait encore beaucoup à dire, non ?
Il faut avouer que la lecture de "Locas" désoriente d'abord : multiplicité des personnages, succession d'aventures ou de chroniques à la longueur et au rythme disparates, oscillation permanente entre la réalité de la jeunesse latino de Los Angeles, et un univers vaguement futuriste paradoxalement traité avec autant de réalisme... Jaime Hernandez frappe fort, et l'on comprend peu à peu pourquoi ces excitantes "Locas" sont aujourd'hui considérées comme un modèle du genre, voire l'exemple ultime de ce que la BD peut faire lorsqu'elle s'attèle à nous parler de nous, de nos désirs (même bisexuels, comme ici...) et de notre résistance à un monde absurde et pourtant enivrant. Au bout des 350 pages, Hope et Maggie sont devenues nos sœurs, nos amies, nos amantes. Vivement le deuxième tome...
"Michel Vaillant" a été l'un de mes plus fidèles compagnons dans ma tendre enfance, l'un de mes héros préférés du journal TINTIN auquel j'étais abonné depuis mon plus jeune âge (ce fut "le Fantôme des 24 heures" qui m'initia !), même si je ne développai jamais la même passion pour la course automobile que mon cousin, par exemple. Relire 50 ans plus tard les premiers "Michel Vaillant" a donc tout de la "madeleine de Proust", mais il faut reconnaître qu'on a un peu de mal à dépasser le stade de la nostalgie : description minutieuse, mais ultra-conformiste dans ses valeurs comme dans sa prudence moraliste, d'une époque post-seconde guerre mondiale aujourd'hui disparue corps et bien, cette chronique un tantinet fastidieuse d'un sport qui en était encore à ses balbutiements n'a finalement rien d'un "classique". Du dessin figé et peu inspiré aux scénarios aussi insignifiants que fondamentalement déséquilibrés entre la passion pure de Graton pour le sport automobile et la nécessité d'intégrer des éléments "policiers" - largement ridicules - pour appâter le lecteur, il faut reconnaître tout cela ne "tient pas bien la route" !
Il y a une idée amusante dans ce 5ème tome du "Retour à la Terre" de Manu, c'est l'introduction d'une mise en abyme du récit, Manu (Larcenet) et son scénariste (Ferri) y apparaissant clairement comme travaillant ensemble sur cette BD, tout en se posant la question de la confusion créée dans l'esprit du lecteur : est-ce que le Manu du "Retour à la Terre" est le vrai Larcenet, ou non ? De la même manière, l'apparition régulière des Atalantes (style créatures du lagon noire) dans les mares et rivières de la région introduit un élément de fantastique décalé bien vu, soulignant la liberté de l'artiste par rapport à ce qui apparaît finalement trop, à la longue, comme une chronique un tantinet facile (j'ai lu quelque part le mot "poujadiste", c'est injuste pour Larcenet, mais je peux comprendre d'où vient cette impression) des idiosyncratie de la France profonde. En tout cas, même si l'on sourit encore largement à la lecture des "Révolutions", il faut admettre qu'on arrive un peu aux limites de l'idée sur laquelle la série a été construite. Attention au tome suivant !
Avec sa structure feuilletonesque et ses personnages semblant tous droit sortis de "Alias", "le Chant des Stryges" est une série tout à fait de son époque, pour le meilleur (la fascination pour les manipulations génétiques) et pour le pire (une certaine banalisation de la violence derrière le dénuement des décors crépusculaires). Comme dans tout feuilleton qui se respecte, les rebondissements inutiles et les nouveaux mcguffins aussitôt oubliés se succèdent, ce qui peut séduire ou irriter, en fonction de l'humeur du jour : comme il est bien peu probable que l'on se souvienne de ce qui s'est passé dans les 10 tomes précédents, édités sur plus de 10 ans, on se laisse balader avec une certaine indolence entre vraies trahisons et fausses révélations. On sera moins bienveillant envers un graphisme qui tend à la simplification, mais pas dans le bon sens.
"Le Chant des Stryges", série jadis un peu culte et aujourd'hui décriée par ses fans de la première heure, boucle donc avec ce 12ème tome sa seconde saison (la fascination pour les séries TV a encore frappé). Comme depuis 3 ou 4 ans, "Chutes" souffre toujours de sa nouvelle esthétique "allégée" (dessin simplifié, couleurs beaucoup plus "primaires"), mais, au moins, les scénaristes tentent-ils de redresser la barre par rapport à l'interminable dérive de leur histoire au cours de cette pauvre seconde saison. Ce tome est donc véritablement celui des "révélations", puisque tout le "mythe" des Stryges et le rôle des différents protagonistes y est expliqué d'un coup, et que tous les fils de l'histoire se voient - de gré ou de force - reliés. On ne peut évidemment pas s'empêcher de trouver artificiel (par trop commode) le "coup de théâtre" résolvant le face à face Crandl / Weltman, et expéditive la manière dont les comptes sont définitivement réglés entre "bons et méchants"... mais après tout, il n'est pas à la portée de tout le monde de créer un "mythe" comme s'y est courageusement employé Corbeyran ! S'il y a une déception particulière ici, c'est sans doute plus particulièrement la manière dont Corbeyan et Guerineau esquive le potentiel de fascination (érotique et dramatique) de la situation dans laquelle ils ont placé Debrah, leur fascinante héroïne. Au final, on hésite : seront-nous beaux joueurs, et renouvellerons-nous notre confiance pour la 3ème (et dernière) saison ?
"Le monde ne finira pas dans un bang, mais dans un soupir".. Qui disait ça, déjà ? En tout cas, Urasawa a retenu le conseil, et termine la redoutable "intrigue" de son chef d'oeuvre sur un dernier retour en arrière, lui permettant de résoudre bien entendu l'ultime défi d'Ami (pas le plus passionnant, nous l'avons déjà dit), mais surtout de donner à chacun cette chance de rachat qu'il mérite. Le mot-clé de cette conclusion, c'est donc la générosité, voire le pardon, ce qui n'est pas si évident que celà. C'est aussi le croyance en une deuxième chance, que ce soit dans le monde virtuel (Manjûme) ou dans le futur réel (jolie parabole sur les prochains défis de l'humanité que nos "héros" peuvent affronter). Nous ne finirons pas quant à nous ce 24ème commentaire sur l'oeuvre la plus marquante de notre année, toutes catégories confondues, sans nous étonner une fois encore du culot incroyable de Urasawa, qui ose ramener la résolution de l'énigme qui tient le plus à coeur à ses milliers de lecteurs de par le monde, à un simple dialogue anodin, comme en passant, sur le toit d'un immeuble baigné de soleil (on imagine) ! Ou plutôt à une simple question, naturellement sans réponse. Mais, bon dieu, qui est ce foutu Katsumata... !!?? Strike !
Après le désastre complet qu'avait constitué la reprise de la délicate franchise de Spirou par Morvan et Munuera, il y a eu une pause, que l'on imagine agitée et dédiée à des sessions de "brainstorm". "Aux sources du Z" est le résultat d'un travail de fond, dont on perçoit avec clarté les principes : allègement (salutaire) du mode de narration de Munuera, avec des cases plus grandes et plus de respiration dans l'action, et donc plus de lisibilité, scénario confié à un "pro", Yann, pour pallier aux incohérences ridicules des tomes précédents. Jusque là, tout va bien, sauf que Yann et Morvan ont visiblement décidé de s'inspirer du travail très second degré entrepris dans la série parallèle, "Une aventure de Spirou et Fantasio" et de travailler sur une re-visite conceptuelle des oeuvres-clé des premiers âges de Spirou, tout en la parsemant de transgressions actuelles : le baiser à Seccotine, l'ambiguité du triangle amoureux entre Zorglub, Pacôme et leur amour de jeunesse, d'ailleurs portée à un degré de perversion inédit puisque c'est Spirou lui-même qui consommera "l'inceste". Là où le bas blesse, c'est que l'hyper-intellectualisation de la série, loin de donner naissance à un chef d'oeuvre, comme "Machine qui Rêve" dont ce livre se rapproche par sa conclusion (Deux Spirou, l'un enchaîné à son destin "enfantin" de héros de BD, l'autre choisissant l'émancipation d'une vie "ordinaire", donc d'une vie amoureuse et sexuelle...), est vite fastidieuse, faute de rythme, d'humour, et surtout, d'enjeu. Allez. Messieurs, encore un effort !
"21st Century Boys" - Vol 1,... ou "20th Century Boys" - Vol 23 ?... La question se pose, car la nouvelle (et courte) saga s'ouvre quelques minutes seulement après (voire avant) le triomphe de Kenji sur la scène de l'Exposition Universelle permanente, et on réalise immédiatement que Urasawa n'avait clairement pas terminé son chef d'oeuvre avant son interruption forcée. Ce qui irrite ici, c'est le fait que le(s) scénariste(s) - Urasawa se fait aider, cette fois -, au lieu de se concentrer sur la résolution de la large part d'inconnu restant au coeur de l'histoire d'Ami, se sentent obligés de rajouter un suspense additionnel, pour le moins artificiel. Ceci dit, Urasawa a eu une illumination, celle d'introduire le concept de "la copie de la copie", version à chaque fois dégradée de l'original : si l'on imagine Fukube - et son second cahier de prédictions - comme une copie perverse et délirante de Kenji, nous voilà avec une fiction-spirale qui fait un tour de plus sur elle-même, et réussit non seulement le tour de force de dédoubler un personnage invisible (le très beau personnage de Sadakiyo), mais de faire de ce nouveau spectre une copie de Fukube, mais une pâle et débile copie, justifiant finalement les délires destructeurs de plus en plus ridicules du scénario d'Ami, tout en creusant cet univers de faux-semblants qui fascine irrémédiablement dans "20th Century Boys". A partir de là, on peut retourner errer à jamais entre souvenirs trompeurs (qui a été bon, qui a été mauvais ? qu'a-t-on vraiment fait que notre inconscient a effacé ? etc.) et réalité virtuellement reconstituée : ces séjours dans le simulateur d'Ami, entrecroisés avec les flashes de la mémoire des personnages restent la partie la plus magique peut-être du "concept" mis en place par Urasawa.
"Si on le veut vraiment, il y a toujours un truc qui lâche...". Et ce qui lâche, dès les premières pages du 22ème (et dernier) tome de "20th Century Boys", ce sont les barrières qui retenaient encore nos larmes. Comment lire un manga alors que nos yeux n'arrêtent pas de couler ? Heureusement, l'action et le suspense prennent ensuite le pas sur l'émotion (et le rock'n'roll, jusqu'à la scène finale, qui montre - si l'on avait un doute - que Urasawa est un frère pour nous, dans sa passion pour la musique et l'émotion qu'elle peut provoquer..) : les 200 dernières pages de la saga sont une décharge continuelle d'adrénaline, alors que se déploie la dernière machination du maître des marionnettes... Jusqu'au face à face (triangulaire, puisque le roi des masques a toujours été là, dans les coulisses, toujours ignoré, toujours invisible) entre Ami et Kenji, attendu depuis 4400 pages, forcément avorté puisqu'il ne peut exister une fin à une telle aventure. "20th Century Boys" peut se clore, en toute logique, et de manière finalement satisfaisante : nous avons été témoin de la "faute originelle" de Kenji, de ce micro-événement ridicule qui a donc mis en branle la machine destructrice, et nous avons compris encore une fois que l'enfant (et ses jeux) en nous ne meurt jamais. Bien sûr, la principale question, au centre de l'histoire, reste irrésolue. Bien sûr, il y a désormais chez Kenji l'indestructible, au delà de sa mélancolie noire, un élément insaisissable, qui nous échappe ("Je ne suis pas comme vous", crie-t-il sur la scène du néo-Woodstock... Frustration ? Non, il est seulement temps d'entamer "21st Century Boys"...
On peut trouver artificiel, exagéré, la manière dont Urasawa fait apparaître le personnage de Konji en 1970, au sein de la bande à Kenji, et d'ailleurs, le reste de la bande partage nos doutes (preuve de l'excellent second degré dont Urasawa est capable à l'occasion) : "Il en reste un à trouver", hurle Kenji dans une symbolique partie de cache-cache... "Qui c'est ?", répondent, interloqués, les autres... On ne peut nier par contre que le personnage de Konji en l'an 3 après Ami, DJ solitaire et déchaîné, ne manque pas de panache et offre une ouverture grandiose, cinématographique en diable, à ce 21ème tome de "20th Century Boys". Les 200 pages qui suivent nous offrent le lot désormais habituel de péripéties impressionnantes (la répétition de l'attaque des soucoupes volantes), de scènes hautement émotionnelles (Kanna et Yukiji pleurant leur amour de Kenji) ou hilarantes (tout ce qui tourne autour du bowling, de Dieu et de Koizumi), et surtout de personnages hauts en couleurs ou glaçants (Numéro 13 qui réapparaît ou la terrifiante Takamatsu dont l'heure est arrivée...). Comme souvent, on préfèrera peut-être le superbe flashback qui nous ramène à l'âge idyllique de l'enfance, avec la scène attendue de la destruction de la "base secrète", qui offre à Urasawa l'occasion de réfléchir sur les pièges de la mémoire (chacun se souvient de l'évènement en fonction de la manière dont il se juge lui-même, adulte)... Et nous voilà prêts, non sans angoisse, à entamer le dernier tome !
Plus on s'approche de la conclusion de "20th Century Boys", plus une certaine angoisse nous envahit : comment Urasawa bouclera-t-il son chef d'oeuvre (d'autant que l'on sait les problèmes de santé qui l'ont obligé à interrompre la saga, avant de la conclure quelques années plus tard) ? Comment éviter l'inévitable, la déception, le manque ? Urasawa dénoue peu à peu les fils de son écheveau de fictions et de personnages, démontrant son contrôle absolu sur sa construction, puisque chaque pièce, une fois révélée, tombe parfaitement à sa place : ici, on découvre le rôle de Croa Croa (très beau personnage, soit dit en passant, complexe et émouvant), et ce qui s'est passé à l'usine en feu, mais on retrouve aussi les diaboliques et hilarants jumeaux tortionnaires Y et M, et surtout on découvre la vie de jeune couple de Kiriko et Fukube. La partie la plus faible de ce tome est d'ailleurs tout ce qui a trait à Kiriko, dans la mesure où Urasawa n'est pas encore parvenu à (n'a pas encore voulu ?) rendre vraiment compréhensible, du point de vue humain, son rôle au sein des plans d'Ami... Ce qui fait que l'on peut se demander si les personnages féminins sont ce que Urasawa maîtrise le mieux. Par contre, le face à face entre Kanna et Ami (le même ? un autre ?), et surtout le flashback glaçant qui clôt le livre, avec l'abîme d'interrogation qu'ouvre le "double garçon masqué", montre qu'Urasawa, le scénariste comme le "metteur en scène", est toujours à des hauteurs inouïes.
Le 19ème tome de 20th Century Boys innove en déplaçant la résurrection de son héros vers un mode burlesque : une rupture de ton déstabilisante, mais pour le moins astucieuse. En désamorçant à la fois l'émotion du lecteur (suffisamment stimulée dans les 18 tomes précédents) et le spectaculaire de cette réapparition qu'il aurait été si facile de rendre mythique, Urasawa montre qu'il est un auteur ambitieux. Contre toute attente, voici donc une tragédie planétaire qui se mue en farce dérisoire, la révolte des gueux conduite par un cowboy japonais et un ex-amnésique sans illusions. Dommage que Urasawa nous impose un retour inutile sur un personnage secondaire qui n'a jamais présenté d'intérêt, mais il se rattrape superbement dans le genre ironie en concluant la scène par une phrase d'anthologie : "c'est super dur d'être le mal, c'est nettement plus cool d'être un justicier !". Lol, comme on dit !
D'où vient notre lassitude à la lecture de ce seizième tome des aventures de Largo Winch ? De la désinvolture avec laquelle est traitée une question fondamentale actuelle telle que celle de nos rapports avec la Chine (rapports économiques, culturels, sexuels...) ? On n'attend pas d'une BD aussi grand public une vraie profondeur, et après tout, Van Hamme a le mérite de poser les bonnes questions ! Alors, n'est-ce pas plutôt une certaine usure des mécaniques à l'oeuvre depuis les premiers tomes de la saga, et qui ne se renouvellent guère ? Aucune surprise en effet dans cette succession routinière de complots, faux semblants et chausse-trappes dans lesquelles tombe notre héros moderne, avant de s'en extirper par miracle, non sans y laisser quelques plumes (ces conséquences, physiques, morales ou financières, sont d'ailleurs ce qu'il y a de plus "original" dans la saga LW). Non, le vrai problème ici, c'est que, épuisement de l'imagination de Van Hamme ou pas, c'est la violence qui permet de résoudre l'inextricable, plutôt que l'intelligence et le calcul. Une indéniable régression pour la série...
Tome-charnière dans la saga "20th Century Boys", ce dix-huitième volume, nous replonge franchement, après les digressions du précédent, au coeur du sujet de la saga : le combat de la bande à Kenji, ou plutôt, de ce qu'il en reste en l'An 3 après Ami, contre ce dernier, et l'origine même de ce conflit aussi dérisoire - de par son point de départ, des frustrations enfantines - que titanesqque - de par son impact sur la planète toute entière. Mais derrière les habituelles péripéties sorties de l'imagination fertile de Naoki Urasawa, se dessine une question ô combien passionnante, celle de la croyance (plutôt que de la Foi, car les thèmes religieux, messianiques, sont finalement assez superficiels ici). Urasawa oppose frontalement ici une croyance "militante", dispensatrice de liberté et d'esprit critique, qu'il symbolise par la force universelle de la musique, ici d'une simple chanson rock, dont les "la la cha la la" de clôture déclenchent une révolution, à une croyance "aveugle", celle des foules en leurs leaders, leurs politiciens, qui ne sont d'après Urasawa que de sinistres manipulateurs usant de tours de magie ringards. On notera ainsi les deux scènes-clé du livre, celle qui oppose Joe Yabuki, guitare à la main, aux fusils de la milice, une scène aussi "ique" que sournoisement minée de l'intérieur (car comment Joe survit-il à la balle qui l'atteint ?), et celle, brillante, qui montre Ami, prestidigitateur ordinaire, rendant littéralement "aveugles" ses spectateurs, voire ses acolytes. Deux usages diamétralement opposés (... ou alors, pas tant que ça ?) de la croyance... qui provoquent en toute logique une furieuse mélancolie chez ceux, comme Manjûme, qui n'y succombent pas.
Si "Le Bonheur Inquiet' nous enchante moins que les précédents carnets de Trondheim, est-ce parce que le procédé commence à s'user ? Qu'il y a tout simplement une limite au nombre de fois que l'on peut rire ou même sourire aux mêmes micro-événements racontés avec la même distante légèreté ? Ou bien que, tout simplement, les derniers mois de la vie de Lewis ont été moins riches de ces instants hypocondriaques et paranoïaques qui sont la matière de son journal intime / public ? Toujours formellement impeccable, voici un travail qui, à force de devenir "systématique", à force de se concentrer sur l'anecdotique, frôle l'insignifiance, et mériterait une pause. Allez, Lewis, si tu revenais à des oeuvres plus grand public, au lieu de continuer à te replier sur toi et ta petite vie au bonheur inquiet ?
A chaque fois que "20th Century boys" change d'époque et - largement - de protagonistes, on a un peu de mal à s'y faire, tant Urasawa a réussi à nous faire aimer et vibrer avec ses personnages. Ce 17ème tome ne déroge pas à la règle, en nous faisant avant tout découvrir les horreurs du monde post-cataclysme : retour à un système féodal, barbarie des rapports (on n'oubliera pas de sitôt les scènes terribles d'une humanité renonçant à toute compassion, toute fraternité, pour s'entretuer pour quelques fioles de virus), le monde de demain tel qu'Urasawa le décrit est accablant. Et puis, et puis, à son habitude, 10 pages magiques suffisent à Urasawa pour nous bouleverser : à partir de l'inépuisable mythe "rock'n'rollien" de crossroads, Urasawa invente une légende moderne, nous rassure : oui, le rock'n'roll peut encore sauver le monde ! La dernière page du tome 17, pourtant logique, a tout du tsunami.
Les 6 premiers chapitres du 16e tome de "20th Century Boys" voient Urasawa lever complètement (enfin, apparemment, car on ne sait jamais...) le voile sur les événements de 1971, et nous offrir une autre perspective - celle des comploteurs - que celle des témoins du complot (fragmentaire et impressionnée) ou celle de la re-création virtuelle (idéalisée) : c'est évidemment décevant (on n'avait pas envie que ça s'arrête, c'est forcément "choquant" de connaître la vérité), mais aussi fascinant... puisque cette "vérité" est à la fois une synthèse logique et une construction improbable à partir des points de vue précédents. Le plus beau, le plus Urasawaïen, est que la machination de Fukube le prestidigitateur ne pourra subsister que grâce au manque d'attention de Kenji et de sa bande, qui ne voient - littéralement - pas ce qu'il y a "derrière le masque", alors que le visage de son Ami / ennemi est totalement exposé : derrière cette parabole de la prestidigitation, il y a l'indicible horreur de cette fatalité d'un tel aveuglement, aussi anodin - sur le coup - que définitif. A partir de là, peut commencer un nouvel "acte" (le dernier ?) de la tragédie, qu'introduisent les 5 derniers chapitres. A suivre, évidemment...
Aucun fléchissement dans "20th Century Boys" alors qu'on atteint le cap des 3000 pages, au contraire : ce diable d'Urasawa semble toujours avoir de nouvelles idées géniales dans son sac. Ce 15ème tome est un suspense insoutenable de 200 pages, qu'on dévorera encore plus vite que d'habitude, et qui conduit, ô rage ô désespoir à la révélation d'un nouveau triomphe des plans enfantins et diaboliques d'Ami. Entre-temps, on aura littéralement versé des larmes lors du sommet d'émotion que représente la rencontre du pape et du yakuza dans l'arrière pays chinois balayé par la tempête (encore un flashback inattendu, encore une digression magnifique !), et on aura assisté "au plus grand spectacle de tous les temps", la naissance de Dieu. On aura aussi pu constater une nouvelle fois la profonde complexité des modes de narration utilisés par Urasawa, qu'il relativise les expériences de ses personnages (ce qu'ils voient est-il vrai ?), ou combine au contraire des points de vue divergents dans une "mise en scène" ultra-cinématographique."Tout ça pour 8,95€ !
Aider un troll gardien de pont à s'en trouver un nouveau parce que le sien a été détruit. Lécher les seins d'une femme paralysée par un sort. Etre amoureux d'une reine invisible que l'on comble de cadeaux imaginaires. Retrouver son père mort noyé dans les douves d'un château. Posséder le secret oublié qui déclenche l'auto-combustion des trolls sylvestres. Et surtout se glisser la nuit pour trancher la gorge de ses ennemis endormis, laissant derrière soi une traînée de sang qui s'étend à travers le royaume. L'univers du Donjon, morbide, magnifique, cruel, hilarant. Pourvu que ça continue encore longtemps.
Le 14è tome de "20th Century Boys" renferme l'une des scènes les plus impressionnantes de la série (la fameuse scène originelle - de la naissance d'Ami ? - dans le laboratoire de biologie en 1971 -), qui permet une fois de plus de constater la force unique de la mise en page et du dessin de Urasawa, qui pétrifie son lecteur en une petite dizaine de pages aussi parfaites que terrifiantes. Mais, Urasawa ne serait pas Urasawa s'il ne minait pas immédiatement cette découverte essentielle du doute qui ronge en profondeur son oeuvre : pouvons-nous croire ce que nous avons vu, puisqu'il ne s'agit que de la récréation scientifique (dans le simulateur d'Ami) de souvenirs ? Pouvons-nous croire notre propre mémoire, lorsqu'elle nous renvoie les échos - enchanteurs (l'odeur de l'air estival quand on court dans les champs) ou cauchemardesques (l'obscurité des couloirs d'un collège qui abrite bien pire que des fantômes) - de notre enfance, de nos premières amitiés, de nos premiers serments et de nos premières trahisons ? Et "20th Century Boys" poursuit son chemin dévastateur dans notre conscience, thriller incomparable - quel suspens ! - autant que roman inégalable d'initiation et de désillusion.
Ami est mort, mais la marche vers l'annihilation totale : car, pour Urasawa, même la mort du rêveur ne peut interrompre le rêve, et les histoires inventées par les enfants sont toujours les plus fortes. Ce 13ème tome alterne superbement flashbacks éclairant certaines zones d"ombre des 20 années précédentes (le rôle réel joué par Kiriko au sein de l'organisation d'Ami, la parenthèse rock'n'roll de la vie de Kenji et la trahison commerciale de Namio Haru) tout en continuant à poser une question qui parait fondamentale : qu'est-ce qui peut expliquer l'absence de Fukube dans les souvenirs de la bande à Kenji ? Mais Urasawa, en pleine maitrise de son art, relance aussi une nouvelle intrigue sur un rythme affolant de thriller, qui nourrira certainement les prochains tomes de la saga, tout en ménageant ces passages de respiration - les plus émotionnels de son oeuvre, comme la parenthèse allemande - qui en font le prix. Un dernier mot sur le génie (de la narration, de la "mise en scène" de son récit) de Urasawa : regardez les deux pages sur la mort de Mitsuki, à la fin du chapitre 3. Qui peut faire mieux ?
A la dernière page de ce 12è tome, nous savons (enfin, après plus de 2400 pages ? Déjà, alors qu'il en reste presque autant ?) qui est "Ami" ! Et on réalise alors qu'on a tout simplement négligé de relier entre eux des fils de récit que Urasawa a laissé trainer à notre intention tout au long de son "grand oeuvre" (ce que Donkey a vu dans le laboratoire de Biologie, ce qui s'est vraiment passé la nuit du "bain de sang" sur le toit, ce que dissimule le numéro 606 et ses enfants affamés, que signifiait la soirée des retrouvailles des anciens écoliers, etc.). Alors on se retrouve en train de parcourir au pas de charge - il m'a fallu une heure et quart, quant à moi - les 11 tomes précédents, pour reconstituer la logique imparable qui mène à cette dernière page, et au masque qu'on retire du visage d'Ami. Et si on répétait que Urasawa a fait oeuvre de génie avec "20th Century Boys" ?
Voici donc un épisode quasi dépressif de 20th Century Boys, qui voit Kanna - qui n'a jamais été la plus excitante des personnages de ce manga (à mon humble avis, c'est au contraire le point faible du récit, tant elle tranche au milieu de la galerie de héros ou anti-héros hauts en couleurs qui le peuplent) - découvrir plus l'atroce vérité sur sa mère (personnage invisible, quasi "en creux" dans la première partie du manga)... Alors, évidemment, il y a une indéniable beauté dans ce triste périple dans un laboratoire en ruine, mais on ne peut s'empêcher de préférer l'autre fil conducteur du récit, celui qui nous rapproche de la révélation "suprême" (mais lequel de ces enfants de 1970 est-il Ami ?), tout en nous révélant la perspective d'une ultime apocalypse, si proche désormais. Et voilà le récit relancé, alors que nous n'en sommes qu'à la moitié de la série... Puissant !
Koike et Kamimura ont donc décidé d'offrir une seconde vie à leur personnage mythique de Lady Snowblood, après que sa vengeance ait été consommée et que le mot fin soit venu s'inscrire. Mais, en narrant sa réinsertion dans le siècle, ils font le choix de donner à son destin une perspective politique, en la transformant en défenseur (euh, -seuse ?) du socialisme naissant, traqué par l'impérialisme militaire qui allait mener le Japon à la catastrophe que l'on sait. Si l'on ajoute l'assimilation - farfelue pour nous, Occidentaux - de la gymnastique suédoise (!) à la lutte idéologique (il s'agit de libérer les corps des Japonais(es) autant que leurs esprits...), on a quand même un peu de mal à suivre nos auteurs sur ce terrain, d'autant que la perspective historique ne semble pas se doubler d'une pertinence particulière. Lady Snowblood, devenue pratiquement un super héros invincible (les balles d'un peloton de soldats ne l'atteignent pas...), a finalement effectué une métamorphose assez décevante.
Comment résister à l'attrait du nom de Richard Brautigan, "inspirateur" de ce "Big Foot" ? Grand choc de notre adolescence, la lecture de "Un Privé à Babylone" nous avait appris que l'on peut déconstruire un genre tout en le magnifiant. Et on retrouve bien ici ce même travail sur les codes, qui se voient allègrement retournés comme des gants, transpercés d'envolées poétiques intenses : n'ayant pas (encore) lu "Le Monstre des Hawkline", je ne sais pas ce qui appartient à Brautigan et ce qui est le résultat du travail de Dumontheuil, mais le tout est superbe d'intelligence, de profondeur et d'humour... même si l'on retrouve une angoisse existentielle noire derrière l'absurdité répétée de nombreuses scènes et dialogues... Un mot enfin sur le dessin ondulant, sensuel, dynamique, de Dumontheuil : c'est un pur et simple régal. Un seul bémol, une indéniable ressemblance entre le travail "intellectuel" fait ici sur le western et la série "Gus" de Blain, mais c'est certainement une simple coïncidence spatio-temporelle !
Presque Lynchien, tant il offre au lecteur une plongée totalement déstabilisante vers une autre réalité - derrière le terrifiant monde sous le contrôle d'Ami, se pourrait-il qu'on n'ait affaire qu'à un jeu débile de collectionneur désaxé et maniaque ? -, ce dixième tome de "20th Century Boys" donne encore un tour d'écrou à la complexité de la fiction, ainsi que, bien évidemment, à notre addiction ! Mais le plus fort, c'est que Urasawa enchaîne immédiatement avec un retour déchirant vers l'origine de son histoire, et transforme la fausse piste qu'il a construite depuis le début de la saga - jeu mental diabolique - en une histoire à enjeu émotionnel intense : car l'histoire de ce garçon "sans visage", qui n'existait pas ou si peu, même s'il n'est pas, contre toute attente, Ami, constitue finalement l'un des plus beaux moments de "20th Century Boys" à date. Comment ne pas tirer une fois de plus son chapeau à Urasawa, narrateur génial qui imbrique ainsi de superbes scènes de pure émotion au sein de son diabolique Rubik's Cub conceptuel ?
Le neuvième tome de "20th Century boys" commence brillamment en concluant l'extraordinaire périple de Kyôko et en lui faisant découvrir le visage d'Ami (enfant, mais bon !). Cette révélation nous est cependant épargnée : Urasawa est-il sadique (combien de temps nous faudra-t-il encore attendre ?) ou bienveillant (ceux qui voit le visage d'Ami ont une sérieuse tendance à se trancher les veines ensuite...) ? On enchaîne alors avec un retour à une narration plus classique, puisqu'on suit Kanna dans sa tentative de monter une action contre Ami en 2014. On peut ergoter sur la vraisemblance du recrutement de ses troupes, mais Urasawa nous fait vite oublier ces petits soucis très terre-à-terre en nous propulsant dans une autre de ces scènes intenses dont il a le secret, avec suspense insoutenable et action spectaculaire : ce sera l'occasion pour nous de remarquer que, enthousiasmés par la brillance du scénario et de la narration, on a tendance à oublier la beauté du dessin de Urasawa, sa capacité à figurer des actions souvent très complexes (de multiples personnages se déplaçant simultanément) sans jamais sacrifier la lisibilité.
Et si ce huitième tome était le meilleur de "20th Century Boys" ? En tout cas, voici l'ultime preuve du génie narratif de Urasawa : on se souvient du flashback - culotté car partagé par deux narrateurs simultanés - entamé dans le tome 7, on le voit déboucher ici sur une conclusion apportée par un troisième narrateur ! Plus fort encore, Urasawa nous propose ensuite un autre flashback à la fois réel et virtuel, puisque les souvenirs d'enfance de nos héros explorant la "maison de la côte de la pendue" se superposent exactement avec le monde imaginaire de l'attraction finale d'Ami-World, nous offrant le trouble d'aller et venir entre deux observateurs des mêmes événements - évidemment essentiels -, l'un dans le mode "réel" de 1971, l'autre prisonnier de sa re-création manipulatrice en 2014 ! Vous suivez toujours ? Mais tout cela ne serait rien sans la succession de suspenses insoutenables qui jalonnent le livre (le face à face Kenji - Ami alors que le monde tel que nous le connaissons prend fin à l'aube du nouveau millénaire ; la découverte par Koizumi du visage d'Ami - non, pas encore, là on vient de tourner la dernière page...). Littéralement tuant ! Absolument génial !
Le troisième volume des aventures de Blanche, la "Miss pas Touche" du bordel, commence par désarçonner le lecteur : impossible de ne pas regretter que Hubert et Kerascoët aient tenu à poursuivre un récit aussi mémorable, impeccablement bouclé par ailleurs dans les deux premiers tomes... Si grand avait été le plaisir de la découverte de cet univers original et complexe que la déception est inévitable : au romanesque feuilletonnant d'un beau roman (BD) policier sans âge succède ici une chronique dépressive et cruelle de la "vraie vie" d'une prostituée (même une qui ne couche pas, mais fouette et frappe !). Confrontée à la dureté d'un monde d'hommes, pire, de puissants (bourgeois et politiques, tous plus abjects les uns que les autres), Blanche souffre et paie désormais sa différence, sa légèreté. Lorsque le récit s'arrête après un viol (?) cauchemardesque, l'innocence passée semble bel et bien perdue à tout jamais, et on ne peut que craindre le pire pour la suite (et fin ?).
Le tome 2 de l'époustouflant roman noir de Kerascoët et Hubert ne décevra personne : la conclusion est d'une redoutable cruauté, mais également d'une grande "honnêteté" par rapport au sujet - sans craindre d'enfreindre les codes habituels de la BD, puisque l'on verra notre héroïne trucider, couteau de boucher à la main, ses ennemis ! Il ne nous reste plus qu'à attendre une inévitable adaptation au cinéma, à nous demander comment Kerascoët et Hubert pourront donner suite à un tel diptyque, et à rêver longtemps des corps dénudés, lascifs, voire entravés entrevus au Pompadour....
"Miss Pas Touche" restera l'un des grands plaisirs de l'année BD, le genre de livre que l'on a envie de faire partager à tous ses amis et amies : le dessin de Kerascoet, assez proche de Sfar - sans peut-être l'élégance de ce dernier - dénude effrontément les corps et donne vie aux fantasmes les plus sensuels comme les plus noirs, tandis que le scénario de Hubert s'impose d'emblée comme l'un des meilleurs polars lus depuis longtemps, ni plus ni moins. On a d'ailleurs le droit de penser au fabuleux "Isaac le Pirate" de Blain, tant "Miss Pas Touche" travaille dans le même registre, miraculeux, de la double lecture, comme si le roman de genre (ici le polar) était ensemencé par sa relecture "moderne". On attends le tome 2 en se rongeant les sangs....
N'importe qui qui s'intéresse à la BD, surtout s'il a plus de 40 ans, sait que Robert Crumb est un génie, qui plus est un génie qui a eu une influence majeure sur la contre-culture US - donc mondiale - lors des années où celle-ci a le plus impacté la société, la fin des 60's. Je n'ai donc AUCUNE excuse pour ne pas avoir lu Crumb plus tôt. Mais je n'ai non plus aucun regret, tant il faut avoir sans doute atteint cette âge où l'on peut réfléchir avec une certaine sérénité sur son amour des femmes pour apprécier pleinement cette sublime - je pèse mes mots - compilations de réflexions de Crumb sur son obsession sexuelle (les gros culs et les jambes massives, c'est de notoriété commune), sa perversité et ses vices, sa culpabilité générée par son éducation juive (on a le droit de penser à Woody Allen, en plus hard évidemment). Le dessin est d'une beauté et d'une vigueur rares, l'humour permanent mais profondément désespéré (le plus bel humour, bien entendu !), même si les dernières pages viennent tempérer l'angoisse transie des récits - autobiographiques - précédents : après tout, nous dit Crumb, la vie est belle, quand on est vieux, avec tellement de belle musique à écouter, avec tant de souvenirs de femmes aimées, et une petite fille à élever et adorer. Qui pourrait le contredire ?
Après un long détour par 2014, qui n'a fait que faire croître notre impatience de savoir, le scénario diabolique de Naoki Urasawa nous ramène enfin à ce fameux trou noir de la fiction de "20th Century Boys", la nuit du "bain de sang" : va-t-on enfin savoir ? Il y a évidemment bien peu de chances, vu qu'on n'en est qu'au 7ème tome ! Le talent, le génie de Urasawa est évidemment qu'il continue, diabolique joueur de flûte de Hamelin, à nous faire danser comme des rats autour du cratère sans fond que sa fiction a creusé depuis plus de 1000 pages. A peine croit-on savoir qui est "Ami" que l'on comprend avoir affaire à un autre faux semblant défiant (apparemment) toute logique... Et, bien entendu, ce septième tome, magnifique de bout en bout - l'évasion grandiose du pénitencier, les flashbacks toujours aussi émouvants vers les années 70, ici l'Exposition Universelle d'Osaka, la réapparition sidérante de Dieu - finit sur un cliffhanger qui nous précipite, bavant littéralement, vers le tome 8.
Nous voilà donc décidément bien scotchés en 2014, sans flashbacks cette fois, à notre grande tristesse. Le défi, dans ce genre de circonstances, est évidemment de reconstruire sa relation avec de nouveaux personnages, qu'on a naturellement tendance à trouver moins fascinants que ceux des premiers tomes. C'est compter sans l'habileté narrative de Urasawa, qui a tôt fait de nous embarquer dans une nouvelle intrigue, et de reconstruire des liens avec le passé (réapparition habile de personnages secondaires, voire d'un personnage principal). Bref, ces 200 pages "de transition" deviennent vite bluffantes, entre nos deux travestis qui évoquent immanquablement "Tokyo Godfathers", un réquisitoire discret en faveur de la liberté d'expression des mangas, et une poignée de scènes stressantes dans une prison. Pas de relâche dans le monde obsédant d'Ami !
Ce cinquième volume de "20th Century Boys" fournit toutes les preuves du pur génie d'Urasawa, comme résumé en ces 200 pages brillantes. Il commence par retourner sur les chemins buissonniers de la mélancolie, prenant son temps pour nous narrer la reconstitution de la "petite bande" originale, finalement en piste pour "sauver le monde". Puis, le temps de l'action arrive, celui de la violence, du désespoir : la fin du monde va advenir - ou plutôt le grand bain de sang - sauf que... Et là, cut ! Urasawa nous refait le même coup que lorsqu'il nous avait privé du climax de 1997, et nous nous retrouvons 14 ans plus tard, à découvrir au sein de nouvelles micro-fictions de nouveaux personnages : incroyablement frustrante, et pourtant formidablement stimulante, cette ellipse sidérante consacre notre addiction. A partir de là, nous sommes comme des rescapés d'une catastrophe qui doivent réapprendre à vivre, dans un monde qui nous est devenu incompréhensible (la stupéfiante dernière page !), guettant au fil d'un récit "étranger" ce qui pourrait nous rassurer sur notre propre existence (enfin, celle de nos "héros", disparus dans ce trou temporel de 14 ans). Magistral me paraît un terme faible devant "20th Century Boys".
Le quatrième voulme de "20th Century Boys" nous emmène temporairement loin de Kenji, derrière un nouveau (et superbe) personnage, qui introduit une dimension plus classiquement "hollywoodienne" - donc un peu artificielle - dans le récit : Shôgun, "l'homme de Bangkok", est un héros beaucoup plus traditionnel, solitaire et froid, rompu aux Arts martiaux, vaguement invincible, et son combat contre les méchants proxénètes et trafiquants de drogue - pour plaisant qu'il soit - n'est pas exempt de sa dose de stéréotypes. Pourtant, cet élargissement narratif et géographique est indéniablement bénéfique à l'histoire, d'autant que Urasawa déploie en parallèle une narration éclatée temporellement (ces incessants va-et-vients entre présent, passé récent et passé lointain) qui oblige le lecteur à maintenir une attention permanente, et est pour beaucoup dans la fascination exercée par le manga. Et quand, dans les derniers chapitres, Urasawa fait se rejoindre Kenji et Shôgun, et rattache les fils (enfin, certains...) de son récit, c'est évidemment pour mieux nous plonger dans un nouvel abîme de machinations et de manipulation. Et si... Et si.. Mais lisons la suite !
Enfant-zombie sorti du ventre de sa mère enterrée et accompagné de son père réduit à un oeil qui parle, combats titanesques entre Dracula, le monstre de Frankenstein et Coton Volant, entité constituée par une bande de tissu, humains transformés par des mains invisibles en arbres desséchés,... "Kitaro le repoussant" est une oeuvre totalement déconcertante, mêlant tradition japonaise (les yokaï, comme dans le sublime "NonNonbâ") et modernité farfelue (à peu près tout le reste) au sein de récits largement frappés du sceau du grotesque. Même si l'on perçoit clairement la profondeur du conte, et ses différents niveaux de lecture qui en ont fait avec le temps l'un des "classiques" favoris du peuple japonais, il est pour le moins difficile de tirer du plaisir de la lecture de cette compilation de récits qui nous paraissent surtout incohérents et puérils. Il ne nous reste qu'à persévérer avec le tome 2...
Avec son troisième tome, "20th Century Boys" prend son rythme de croisière, et Urasawa déploie son impressionnant savoir-faire narratif, censé quand même nous tenir en haleine pendant 22 tomes... "20th Century Boys" perd un peu en opacité - les révélations commencent à être distillées, et, même si chacune génère son lot de nouvelles questions sans réponses, l'extraordinaire complexité des deux premiers tomes laisse place à une construction de thriller plus "classique" - et beaucoup en émotion - le jeu avec les souvenirs d'enfance, le bouleversement des retrouvailles avec soi-même laissent place à l'action (deux scènes remarquables, la rencontre entre Kenji et Ami au Budokan, et l'invasion du "convini" par les disciples d'Ami...) et aux coups de théâtre. Ah ! J'oubliais... la chanson de ce tome, c'est "Get Back" ("... to where you once belong" : bien vu, vraiment bien vu !), joué façon "sur les toits" (Beatles 1970) par un Kenji possédé, se déchirant les doigts et brisant ses cordes. Rock'n'Roll !
Wow ! C'est tout ce qui me vient à l'esprit après avoir lu - non, dévoré - les 200 pages suivantes de "20th Century Boys". Et puis, tout de suite après, l'inévitable question : pourquoi, comment ne pas avoir découvert ÇA plus tôt ? Une montagne russe émotionnelle, alternant de manière imparable des scènes d'une émotion subtile qui ont toujours été "l'exception" nippone (de Ozu à Taniguchi) et un thriller d'anticipation stupéfiant d'inventivité ! Le tout supporté par ce graphisme parfait, à la fois dépouillé et ultra-réaliste qui est la marque des grands mangaka modernes ! Dans ce deuxième tome, on tombe amoureux de nouveaux personnages renversants (Yukiji la gamine invincible qui découvre que les princes charmants existent, Dieu en clochard... céleste, passionné de bowling, Kiriko et sa bouleversante abnégation...), on se sent invincible une Telecaster en bandoulière, on est victime de trahisons particulièrement cruelles (l'épisode conventionnel mais efficace de l'inspecteur de police trop dévoué à son travail), et on se demande quand on va avoir le temps d'aller acheter le tome 3...
Pour tous ceux qui avaient adoré "It", pour le travail magique de Stephen King sur les souvenirs d'enfance et la manière dont ils fondent notre vie, Naoki Urasawa propose une version actualisée (avec secte tentaculaire et terreur millénariste remplaçant avantageusement le clown-araignée un peu grand guignol de King) de la même histoire. Le premier volume de "20th Century Boys" - clin d'oeil à la grande chanson de T. Rex, et hommage au rock comme déclencheur de notre éveil au monde - nous ballade avec une intelligence constante entre un présent trivial et menaçant (les piètres adultes que nous sommes devenus, face à un monde oscillant entre banalité insupportable et cruauté incompréhensible) et un passé - notre enfance, donc - pas si idyllique que cela, mais dans lequel tout était encore possible. Tout ceci est régulièrement bouleversant - on y retrouve facilement les échos, à peine déformés, de nos propres vies -, mais surtout incroyablement excitant, tant ces 200 premières pages d'un manga considéré au Japon comme "essentiel" débordent littéralement de potentiel imaginaire. Déjà addictif !
Dans sa seconde partie, la saga de la vengeance de Lady Snowblood s'élève au-dessus du systématisme de ses premiers épisodes (le cycle contrat-infiltration-manipulation-massacre) et semble partir sur des chemins de traverse qui nous réservent de sublimes moments de contemplation... et d'érotisme, puisque le schéma domination - viol est enfin dépassé, grâce, il faut l'avouer, à l'amour lesbien : est-ce dire que le phallus est la seule source du mal ? Sans doute... "Lady Snowblood" finit donc par nous bouleverser durablement, en particulier lors de la belle mise en abyme du récit effectuée via le personnage truculent de l'écrivain-escroc, enfin digne figure paternelle, et se conclut magnifiquement avec un épilogue qui sacrifie à la douceur sans tomber dans le moralisme à l'occidentale : la vengeance ne saurait souffrir d'exception, le pardon n'a pas sa place dans le monde, mais au moins la vie - une petite-fille qui a appris à mentir à son père - continue...
Tous ceux qui, comme moi, ont été élevés au biberon "Métal Hurlant", savent bien que suivre le Major Grubert (ou Jerry Cornelius) dans son Garage Hermétique est un voyage qu'on entame à ses risques et périls : combien d'entre nous n'en sont jamais revenus, à jamais perdus dans les dédales toujours changeants d'un univers aussi fascinant que fondamentalement inaccessible, le cerveau détruit par les drogues les plus extrêmes et l'écoute excessive d'Amon Düül II ? Moebius lui-même, si vous voulez mon avis, ne va pas très bien, et il est toujours incapable (à moins qu'il s'y refuse) de représenter le même personnage avec le même visage et les mêmes vêtements dans deux cases successives, sans parler de ces paysages oniriques dont les variations infinies paraissent surtout dûes au manque d'intérêt flagrant de son auteur pour le réalisme le plus élémentaire. On pourra trouver cela épuisant, à force d'incohérence délirante, ou follement amusant, tellement on est loin des codes de narration généralement admis un peu partout sur la planète. En tout cas, "Chasseur Déprime" chassera votre déprime et vous emportera loin de la France sarkozienne qui travaille plus pour gagner moins, pourvu que vous laissiez votre conscience s'ouvrir au GRAND TOUT. Bzzzzzzzzz.... (au secouuuuuuuuuurs !!!!!)
Bon, ce triste épisode au goût du jour (les J.O.) sera probablement la dernière BD de la série Trolls de Troy que j'achèterai, tant j'ai l'impression d'avoir ici affaire à un ressassage sans inspiration aucune, d'une mécanique (même pas bien huilée !) qui tourne à vide, entre scénario répétitif (encore une machination anti-trolls, encore des enchantements), plagiat systématique d'Astérix (pas besoin de revenir là-dessus, je crois) et gags de plus en plus lourds. Sans doute pas pire que certains des tomes précédents (je pense aux lamentables "Plume de Sage" et "Rock'n'Troll Attitude"...), "Trollympiades" laisse par instants entrevoir ce que pourrait donner la série si Arleston essayait au moins de conférer quelque profondeur à ses personnages, ou leur laissait la chance d'évoluer d'une manière ou d'une autre... Mais je suppose qu'au onzième tour de piste en surplace (un exploit !), mieux que nous, spectateurs, nous quittions le vélodrome.
J'ai un temps espéré que la série "Trolls de Troy", lorsqu'elle serait arrivée au zénith, deviendrait "l'Astérix" de notre époque : la similitude du thème (un petit village de guerriers invincibles qui résistent en rigolant et en ripaillant à toutes les agressions du monde extérieur) et les tentatives régulièrement couronnées de succès d'Arleston d'injecter un humour anachronique dans ses épopées, alliées à un joli sens de la BD populaire (ce qui n'est nullement péjoratif ici), faisaient que je retrouvais un peu ici la joie largement enfantine de mon enfance devant les aventures des irréductibles gaulois... avec le piment des excès d'aujourd'hui (violence et cruauté gore, héroïnes aussi peu vêtues que sauvagement dominatrices). Et puis, quelque part, entre le dessin confus, voire régulièrement illisible de Claude Mourier, et les histoires de moins en moins inspirées d'Arleston, qui cristallisent clairement les problèmes de l'heroic fantasy (dans un univers où, par définition, il n'est de limite que celle de l'imagination des auteurs, qu'est-ce qui peut surprendre, étonner, ravir ?), la petite magie s'est perdue. Lire le dernier album de "Trolls de Troy" est désormais une agréable routine, c'est tout !
L'"expérience" Trolls de Troy, c'est-à-dire d'un "spin-off" d'une série à grand succès populaire (Lanfeust) a depuis le début porté en elle plus de promesses que sa matrice : quelque chose d'une liberté, d'un ludisme que Lanfeust, sans doute dans son ambition de marquer l'Heroïc Fantasy en BD n'a jamais complètement su avoir. Ici, dans cet album qui bénéficie - enfin, dira-t-on - d'un scénario digne de ce nom, la mécanique humoristique de Arleston fonctionne enfin parfaitement. Sur un canevas qui n'est pas sans rappeler les aventures d'Astérix, nos héros nous régalent de leur habituel lot de brutalité gore, tout en distillant un humour plein de références bien senties sur notre époque (ici en particulier la Reality TV). Un petit sommet, dans son genre...
La deuxième tentative de redonner à Spirou une nouvelle vie (la troisième au moins...), alors que Morvan et Munuera auraient été apparemment débarqués par Dupuis suite à l'échec artistique et commercial de leur reprise du héros emblématique de Franquin, est tout aussi frustrante que la première (celle de Yoann), même si c'est pour des raisons bien différentes : si Le Gall a relativement bien réussi à actualiser les personnages et leurs idiosyncrasies - en particulier Fantasio, typiquement plus "intéressant" que Spirou lui-même -, il les a emmené dans un scénario trop loin de l'univers fantasque et dynamique qui a toujours fait leur charme pour que nous le suivions dans les glauques "Marais du Temps". De plus, si la pirouette finale sur le paradoxe temporel ne manque pas d'originalité, il faut bien admettre qu'il ne se passe pas grand chose dans cette histoire incohérente et quasi mort-née, dont le vrai héros serait, à la limite, un Spip assez mal croqué par Le Gall...
"Lady Snowblood" est donc l'un des grands "classiques" du manga, avec son personnage, devenu mythique, de femme-tueuse assoiffée de vengeance, sur lequel, par exemple, Tarantino construira son "Kill Bill". Reste quand que on lit, positivement sidéré, le manga, il est difficile de se réfugier derrière l'honorabilité de la culture japonaise moderne, tant on se délecte au long de ces 500 pages tantôt fiévreuses, tantôt contemplatives, de situations obscènes ou ignobles : car ce qui frappe ici, ce n'est pas la violence physique, le sang, tant les coups de sabre qui étripent et décapitent sont élégamment stylisés, épurés, réduits souvent à la simple dynamique d'un mouvement fulgurant ou d'un jet de sang, mais bien l'obstination du scénariste pervers à faire subir aux femmes - héroïne y compris - les derniers outrages : viols à répétition, bondage, flagellation, humiliations, tout est bon pour exciter le mâle pervers en nous, et les tentatives pour placer le récit dans un contexte historique (par ailleurs vraiment passionnant) ne sont finalement que pure façade. Car ce qui importe dans "Lady Snowblood", c'est bien la jouissance de l'avilissement, et une sorte de haine infinie de cette humanité bestiale qui ne mérite visiblement pour Kazuo Koike que la déchéance et la mort. Car ici, il n'y a ni foi ni innocence, mais manipulations immorales à répétition et raffinement d'une vengeance interminablement différée. Radical !
Que dire du 11è tome de "Death Note", bien plat après le retour d'une certaine excitation du volume précédent ? Qu'il s'agit clairement de 200 pages de transition, de préparation avant l'affrontement final, que l'on ne peut que supposer titanesque ? Nous assistons ici - sans y comprendre quoi que ce soit, bien entendu - à la construction, aussi bien par Light que par Near, du piège que chacun entend refermer sur l'autre, pour pouvoir définitivement triompher de son adversaire. Cela pourrait être fascinant, ce n'est souvent qu'ennuyeux, d'autant que c'est finalement la première fois que Ohba procède ainsi, lui qui avait préféré jusque là nous surprendre par le machiavélisme absolu de ses joueurs d'échecs (et c'était bien là l'un d'un charmes du manga...!) : alors on est saisi par la crainte que ce final, attendu depuis de longs mois, ne soit pas à la hauteur de nos attentes, inévitablement. En attendant, on déplorera encore une fois la fadeur générale des personnages, simples pions sur l'échiquier (un crèpage de chignon entre les deux amoureuses de Light constitue le seul réel amusement de ces pages !), et, tardivement on s'émerveillera sur 7 pages, entièrement muettes, qui décrivent élégamment et mystérieusement le temps qui s'écoule, et nous prouvent que, oui c'est clair, le principal défaut de "Death Note", c'est d'être trop bavard !
Le mélange des genres est certainement la tendance actuelle la plus féconde, et la jeune BD US, l'une des plus créatives sur la planète actuellement, nous ravit une fois encore avec ce "Life Sucks" (joli titre original, mais jeu de mot intraduisible) : à partir du principe établi par "Buffy" - plusieurs fois cité ici -, intégrer et rénover le genre "histoires de vampires" dans le soap adolescent, Abel et Soria poussent la logique un cran plus loin. Il s'agit ici de décrire la vie quotidienne du vampire moyen dans le L.A. actuel, et les conflits souvent cocasses, parfois déchirants entre le mode de vie forcément marginal d'un non-mort et ses aspirations les plus triviales : travailler pour payer son loyer, séduire la jeune fille qui passe tous les soirs au magasin où il travaille. "Ouvert la nuit" (bon, pas si mal, le titre français...) adopte logiquement la forme standard du feuilleton TV - jusqu'à ces nombreuses cases, où les personnages, cadrés en plan américain, parlent, parlent - et fait naître peu à peu un sentiment de familiarité, de compassion même, aussi singulier qu'excitant. Signalons aussi le beau dessin, simple et très lisible, de Warren Pleece, tout au service d'une narration élégante.
La BD humoristique "sociétale" est un genre difficile, mais aussi délétère (car qu'est-ce qui vieillit plus vite que le rire "aux dépends" de ses contemporains immédiats ?), que je n'ai personnellement jamais aimé, mais qui est - pourquoi, c'est un mystère pour moi - toujours éminemment populaire. Dupuy et Berbérian ne m'ont jamais non plus convaincus, sans doute du fait de leur attachement un peu trop sage aux codes de ce genre, qu'ils mêlent avec beaucoup de bon goût (bof !) à une mélancolie existentielle légère mais tenace. "Boboland" reproduit encore une fois le même principe, mais avec une virulence nouvelle qui élève clairement le livre : on aimera l'auto-dérision évidente (les Inrocks, les t-shirts Joy Division ou Sonic Youth portés par des êtres ignobles qui nous ressemblent...) et l'habileté coutumière du scénario "choral" derrière les courtes caricatures, même si l'on ressortira une fois encore avec un léger sentiment de futilité : comme si la "bobolanderie" avait gagné la partie de toute façon, mais que tout cela n'ait vraiment aucune importance. Un peu comme pour l'excellent cinéma français d'auteur, ou la (moins excellente) littérature française, on ne peut que déplorer que cette BD-là ne se confronte pas un peu plus courageusement au monde réel (au delà du Canal Saint-Martin !).
Surprise, délicieuse surprise, le Tome 10 de "Death Note" voit Tsugumi Ohba se ressaisir largement, abandonner plus ou moins les personnages ridicules de Near et Mello, ramener son scénario vers le passé en faisant tourner le suspense "analytique" autour d'un épisode central de la "première partie", introduire deux nouveaux personnages qui font avancer à nouveau l'action, tant au niveau de la réflexion "politique" (autour du beau personnage de Teru Mikami, Ohba interroge à nouveau les limites de l'utopie... Même si l'on me rétorquera que ces limites étaient franchies depuis longtemps par Kira... Et assimile franchement l'idéalisme à un dérèglement psychologique) que de la romance (Light serait-il amoureux ? ouahhh !). Bref, même s'il est indéniable que la fascination initiale de la saga ne reviendra plus, voici un épisode qui permet à la tension et la complexité de renaître, et qui, au moins, ne génère plus l'ennui profond des trois ou quatre tomes précédents.
Qu'est-il arrivé à la "petite" Lou ? Comme nos enfants, nous ne l'avons pas vue grandir. Et la voilà déjà à l'âge des premiers (vrais) amours - encore une petite hésitation, à 14 ans, c'est bien normal ! -, ses jambes sont longues et fines, et elle remplit son (petit) soutien-gorge. Dans "Idylles", Julien Neel convie Rohmer, ses chassés-croisés amoureux et ses jeux de dupes, mais fait le pari de la réconciliation et des bons sentiments, au risque de paraître fleur bleue (mais cela lui va si bien...). Après la mélancolie tenace du "Cimetière des Autobus", ce bain de soleil, de chaleur et de rire fait vraiment du bien, alors abandonnons notre cynisme à l'entrée de ce livre, tout en finesse et en non-dits... ce qui ne veut pas dire que Neel ne soit pas ambitieux : d'ailleurs, il y a indéniablement de la complexité dans le parcours géographique et émotionnel de cette petite troupe, entre un hommage à l'heroic fantasy et un clin d'oeil à la France, la vraie (celle des banlieues, des supermarchés, des petits villages où le portable ne capte pas, mais aussi celle des riches qui s'ennuient dans leurs villas d'architecte). Ne boudons pas notre plaisir !
Lou approche de l'adolescence, et le monde devient gris, gris, et les pastels enchanteurs de Julien Neel se teintent de violets et de marrons, et le monde enchanté de l'enfance a été remplacé par une amas de carcasses qui rouillent sous la pluie : l'amour ne semble jamais pouvoir advenir, l'amitié paraît un leurre, les parents les plus compréhensifs deviennent aussi révoltants que les autres. Banalités ? Evidences ? Certes, mais dans une série pour petites filles de 10-12 ans, pas anodin du tout ! Le troisième tome de la vie compliquée de Lou est le plus beau à date, qui semble complètement délaisser l'humour pour un spleen persistant, sans pour autant rien perdre de sa légèreté. Et si Julien Neel, en toute discrétion, était en train de construire l'une de ces BDs parfaitement en phase de son époque, en tout cas l'une de celles qui aident à comprendre le monde, à se comprendre et à grandir ? Dommage que je n'ai plus l'âge...
Je ne gardais pas forcément le meilleur souvenir de Chaland, moi, le fan absolu de "Métal Hurlant" : quelque part, j'avais dû louper la marche, entre l'hommage tendre et pourtant narquois aux poncifs de la BD Belge des années 50 (Tillieux - Franquin en ligne de mire), et des ambitions conceptuelles d'autant plus démesurées qu'elles pouvaient facilement passer pour du n'importe quoi au 40ème degré. La relecture, 20 ans après, des 3 premiers tomes des aventures de Freddy Lombard, réunis dans ce 1er tome d'une future intégrale, permet de remettre le talent du regretté Chaland à sa place, la toute première : dans la modernisation ébouriffante des "codes" (ce trio de héros sans un sou, toujours sur la corde raide entre amitié et amour : on est plus chez Rohmer que chez Hergé !), et, surtout, surtout, au fur et à mesure que la maturité vient, au fond de ces abîmes surréalistes et délirants que le scénario ouvre sous les pieds du lecteur, jusqu'au vertige sublime de "la Comète de Carthage" qui voit Flaubert télescopé de plein fouet par le mélodrame le plus torride, Chaland est "grand". Mort trop tôt, beaucoup trop tôt.
On a envie d'applaudir le concept de "Cité 14" (la publication mensuelle d'un livret d'une vingtaine de pages pour 1 Euro, la production de chaque année étant réunie en une "saison"), mais force est d'avouer d'une bonne idée de marketing plutôt que d'un défi "formel" : lire les douze livrets à la suite s'apparente tout-à-fait à la lecture d'un récit classique et on ne sent pas vraiment ce que le concept a pu apporter à la construction du récit... Finalement, ce qui "feuilletonne" le mieux dans "Cité 14", c'est l'aspect littéralement foisonnant des personnages et des situations, très proche, là oui, de ce à quoi la télévision américaine nous a habitué depuis une dizaine d'année (... D'où bien entendu le choix d'intituler ce premier volume "Saison 1" !). Sur ce point, force est de tirer son chapeau à Pierre Gabus, qui a su inventer un monde vraiment original (mélange d'humains, d'animaux et d'extra-terrestres), à la fois rétro (le New York du début du XXe siècle) et futuriste, tout-à-fait décalé et pourtant superbement familier (idée brillante de toujours ramener, derrière l'action débridée, les problèmes sentimentaux des personnages !), et qui a surtout réussi à nouer et dénouer tous les fils de sa fiction avec habileté, sans que pourtant son univers perde en profondeur et en mystère. Dommage finalement que le dessin, soigné mais peu enthousiasmant, tire le récit vers le bas : on peut aimer le côté cheap du Noir & Blanc et de l'impression (pour 1 Euro !), mais la force de la narration aurait mérité un plus beau support.
Devant le manque d'intérêt absolu de ce 9ème tome d'une série en complète perdition, essayons de comprendre ce qui ne fonctionne plus dans "Death Note"... Je vois 3 problèmes fondamentaux expliquant la déliquescence de ce manga qui nous enchantait littéralement à ses débuts : d'abord, Ohba a clairement - et depuis longtemps - épuisé les ressources dramatiques de son petit jeu, un peu enfantin, entre Light et ses adversaires... Alors il en complique les règles et en multiplie les protagonistes (plusieurs cahiers, une multitude d'ennemis et de camps) : or il y a longtemps que le lecteur ne comprend plus, ne suit plus, et les pièges logiques claquent désormais dans le vide de notre indifférence. Toujours haut, toujours plus fort, Ohba croit qu'il lui suffit de procéder à une escalade dans l'ampleur de l'affrontement (avant-hier le Japon, hier les USA, aujourd'hui le monde ! Rhaaa !) sans que son récit prenne pour autant la peine d'embrasser les conséquences (politiques, morales, sociales) de ce choix, le décrédibilisant complètement. Enfin, en sacrifiant ses personnages secondaires - au sens propre (en les tuant) comme figuré (en les excluant du récit) - Ohba a de plus en plus déréalisé le combat de Light, qui n'a plus de famille, plus d'amis, plus de petite amie (Misa, reviens !), et se débat désormais dans le néant absolu de son pouvoir (si c'était volontaire, ça pourrait être poignant, mais ça non plus, Ohba ne le traite pas). Faut-il continuer de lire "Death Note" ?
"Le Journal d'un Ingénu" est tout simplement un livre passionnant, loin, mais loin devant les 3 essais précédents de réactualisation du "mythe" Spirou. Tellement loin qu'on a du mal à le "ranger" dans la même collection. Ce qu'Emile Bravo nous propose ici, c'est à la fois un hommage très humble à la genèse d'un personnage essentiel de l'histoire de la BD belge (et donc française), sans doute autant que Tintin - auquel il est d'ailleurs magnifiquement fait allusion dans ces pages -, et une remise en perspective (im)pertinente de tout ce qui a été occulté par la fiction (infantilisante ?) de la série : les antagonismes politiques entre fascistes et communistes, la seconde guerre mondiale qui déferle sur l'Europe, la complexité mais aussi l'extrême puérilité des jeux de pouvoir... Et, plus près de notre héros chéri, la découverte de l'amour, de l'amitié, et en même temps de la cruauté du mensonge et de la trahison. On s'amusera bien sûr avec Bravo d'avoir trouvé ici une justification maligne à l'uniforme de groom et à l'intelligence de Spip, mais la tonalité générale est celle de la tragédie - toute en légèreté, rassurez-vous : les titres des 2 chapitres "Comment la Raison Vient aux Enfants" et "Comment la Raison Quitte les Hommes" disent tout ce qu'il y a savoir sur ce livre tout simplement indispensable, et par ailleurs graphiquement splendide (ce qui ne gâche rien !).
Je ne suis pas un grand fan de tous ces "guides humoristiques", a priori très populaires, qui foisonnent à notre époque en France, et qui me semblent surtout traduire la facilité avec laquelle le Français aime se gausser de son voisin, avec une méchanceté arrogante qui est la caractéristique la plus consternante de notre culture. Mais là, s'agissant de se moquer des "accros de rock", comme j'en fais clairement moi-même partie, je suis preneur. Bon, comme tous les ouvrages de ce genre, "Accros de Métal" est d'abord de la mauvaise BD, mal dessinée en plus - le meilleur se trouve incontestablement dans les textes... - et n'est drôle qu'une fois sur trois. Mais, quand on adore soit-même les rituels hilarants que le Rock génère (même si on n'aime pas le "metal", ce qui est mon cas"), il est impossible de ne pas éclater de rire devant certaines trouvailles particulièrement bien venues. Un point gênant, toutefois : je ne suis pas certain que, techniquement, les Gothiques fassent partie de la famille des Métalleux ! Mais, en écrivant cela, je me rends bien compte que je tombe moi-même dans l'un des travers soulignés par ce livre : la tendance très "anale" du fan à tout étiqueter, classifier, etc.
Peut-être parce qu'on avait été bouleversés par "NonNonBa", qui traitait de thèmes relativement similaires, "Neige Rouge" a été une légère déception : parmi les 10 récits ici compilés, un certain nombre nous sont finalement trop "étrangers" pour être vraiment compréhensibles (les rituels, mais aussi les us et les coutumes profondes de la campagne japonaise des années 50 ne sont pas si évidents que cela !), sans parler du choix, pertinent sans doute mais finalement déplaisant, de traduire le dialecte local par un patois bien appuyé de nos campagnes françaises ! On s'émerveillera toutefois de la grâce qui naît de certains dessins, conjuguant de manière étonnante simplification un peu maladroite des personnages et grande justesse "d'ambiance" ; on s'étonnera de la trivialité et de la paillardise des rapports (humains, amoureux et largement sexuels) décrits - cela semble une constante dans les chroniques japonaises de cette époque, je pense à "la Ballade de Narayama" ; et quand, d'un coup tout s'assemble, par magie, comme dans "Neige Rouge", le dernier récit, alors oui, on frôle le chef d'oeuvre.
Alors que tout indique que Moebius / Giraud a définitivement (?) clos avec "Dust" sa participation à la saga de Blueberry - l'un des héros de BD les plus emblématiques de l'âge d'or des années 70 -, voilà que surgit ce curieux "Apaches", exploitation un peu mercantile, donc douteuse, d'albums antérieurs. Plutôt que de nous intéresser à la justification pâteuse et intellectuellement malhonnête de Max Armanet en préface, qui ne fonctionne pas car, à ma connaissance, il n'y a jamais eu d'ambigüité dans l'esprit de quiconque sur le fait que Blueberry était un personnage de fiction, qui plus est complètement français, donc sur lequel il est artificiel de plaquer ainsi une thématique histoire / légende du type "Liberty Valance", soulignons l'exercice conceptuel, non dénué d'intérêt, que constitue la construction d'une "autre" histoire, souterraine, à partir de pages préexistantes, en y ajoutant simplement quelques planches de liaison et en en modifiant certains dialogues pour lui donner une certaine cohérence. On en regrette presque que Moebius (mais est-il vraiment l'instigateur de ce projet ?) n'ait pas poussé plus loin, pour nous offrir une version vraiment déjantée et iconoclaste des aventures de son héros ! Bon, j'ai oublié de préciser que, en l'état, et au-delà de ce que l'on peut penser de la démarche, "Apaches" est un très bon album de Blueberry.
La balle dum-dum de "Sin City" m'a atteint avec un certain retard. La lecture de "A Dame to Kill For" en Portugais (du Portugal) m'avait impressionné, mais pas tout-à-fait bouleversé. Aujourd'hui, la (re)découverte de l'univers cauchemardesque créé par Frank Miller, sublimé par un graphisme constamment inspiré - même si parfois difficilement lisible - m'a fait l'effet dévastateur que sa réputation auprès des aficionados de la série laissait entrevoir. Violent jusqu'au délire, cruel jusqu'à la folie, d'une noirceur absolue, "Sin City" ridiculise toutes les tentatives précédentes et suivantes de dessiner l'enfer urbain, lamine les codes du polar et du roman noir, franchit allègrement (?) toutes les bornes de la décence et de l'invraisemblance. Du grand grand Art.
La saga de "Sin City" continue, égale à elle-même (c'est-à-dire tout simplement au sommet du genre), barbare et - graphiquement - magnifique, remplie de visions dantesques, chantant la sourde malédiction d'une humanité condamnée au chaos et à la haine, à l'auto-destruction bestiale et cruelle. Maniériste, excessif, le style de Frank Miller transcende et prolonge l'univers traditionnel du film noir en lui conférant une profondeur quasi-mythologique (voir le splendide écho final de la Bataille des Thermophyles), comme seul l'Art de la BD peut sans doute le faire : quelques traits hachés sur une page noire, deux "arrêts sur image" tétanisants, suffisent à conférer à une scène de massacre une profondeur inédite, là où le désespoir absolu touche au sublime.
Même si l'extraordinaire scénario de ce quatrième épisode du monument "Sin City" avait été pour moi défloré par le film - tout à fait acceptable, répétons-le - de Robert Rodriguez, la lecture de "Cet Enfant de Salaud" reste une épreuve émotionnelle certaine, au point où l'on se demande s'il ne s'agit pas là du meilleur des 4 premiers livres : c'est qu'ici, la violence et la cruauté atroces, typiques de l'univers absurde et apocalyptique de Frank Miller, se doublent d'une douleur amoureuse et existentielle qui frôlent le vertige. Difficile d'imaginer une histoire plus éprouvante que celle du calvaire de Hartigan, auquel, comme à son habitude, Miller n'offre pas une seconde chance, mais une seconde occasion de souffrir le martyre et de se damner. Difficile aussi, encore une fois, de ne pas rester suspendu, bouche bée, devant la force de certaines pages, à la puissance évocatrice inoubliable. Reste que "Cet Enfant de Salaud" est à déconseiller fortement aux âmes sensibles.
Si la série "Monsters" de l'oeuvre-monde du "Donjon" a depuis longtemps changé de rôle - loin d'être comme prévu au départ, le récit des "aventures d'un personnage secondaire", elle est aujourd'hui au coeur même de la saga (12 tomes parus, bien plus que les autres !) et sert surtout à construire avec une richesse de détails absurde toute la mythologie et la topographie de cet univers polymorphe... Qui ressemble aujourd'hui de plus en plus, caché derrière l'humour et le second degré, à une oeuvre titanesque dans la droite descendance de celle de Tolkien. "Le Grimoire de l'Inventeur" continue donc à nous narrer l'histoire des automates de Vaucanson, qui semble de plus en plus centrale dans l'esprit de Sfar et Trondheim, et bénéficie du graphisme trés convaincant de Keramidas. D'où vient alors le relatif manque d'intérêt de ce dernier tome ? De la difficulté qu'on commence à avoir de s'y retrouver au milieu des sauts temporels inévitablement créés par cette narration "en désordre" des différentes séries qui s'interpénètrent et se font écho ? Ou du fait que la multiplication des personnages nuit finalement, de manière classique, à cette bonne vieille identification aux héros ? Ou encore, tout simplement, de ce que le scénario ici est bien inférieur á celui des derniers tomes parus ? De toute manière, il n'y a rien désormais qui puisse vraiment entamer notre passion pour cette création à la fois ambitieuse et dérisoire qu'est devenue le Donjon, au fil des années...
La bonne nouvelle derrière "Exit Wounds", c'est que la "nouvelle bande dessinée", ambitieuse, exigeante, sans tabous, auto-biographique ou romanesque, est en train de fleurir un peu partout, et même em Israël, pays qu'on imagine plus facilement en train de survivre entre terreur et répression. La mauvaise est que, au delà des attentats et de la vie qui ne vaut plus très cher, les pères sont partout les mêmes : mauvais (pères, donc), inconstants, infidèles, menteurs. Disparus. Invisibles. Et que leurs fils, partis à leur recherche, ne valent qu'un tout petit mieux. Mais il y a l'amour, le sexe, qui peut peut-être tout racheter. A condition que l'on ait quelqu'un d'assez solide en dessous de l'arbre pour nous rattraper quand on saute de la branche où l'on était perché. Y a-t-il une morale dans ces dessins encore plus "ligne claire" que la "ligne claire", au point d'en devenir évanescents ? Y a-t-il même un sens autre que celui que notre propre quête lui donnera ? "Exit wounds" est béant comme une blessure, donc, mais d'un vide accueillant, ce vide de corps et de vies qui ne demandent encore qu'à être remplis.
Le 4ème (et dernier) tome de ce "Combat Ordinaire" tant unanimement célébré se positionne clairement comme une sorte de postface au long récit qui l'a précédé (les 3 premiers tomes). De manière pas si courante en BD, Larcenet a laissé le temps s'écouler dans la vie de ses "héros", et, naturellement, la "fin de l'histoire" est advenue, et tous les jeux sont désormais joués : Marco est devenu père, et plutôt bon père, et on sent que, avec les kilos en plus, quelque chose comme de la sérénité est apparu en lui ; les chantiers navals sont cette fois bel et bien condamnés, et les combats politiques n'ont plus guère de sens - pire, alors que Sarko est élu (saisissant effet de proximité que ce soir d'élection où l'on contemple l'horreur du futur au milieu des cris de joie des imbéciles), les convictions sont-elles encore souhaitables ? Le voisin est mort sans qu'on s'en aperçoive... Le combat continue, mais quelque chose s'est passé chez Manu Larcenet, pardon, chez Marco, que l'on qualifiera un peu facilement de maturité, et qui oscille entre résignation et goût pour le bonheur le plus simple. Alors, "Planter des Clous", qui, comme les gens heureux - ou résignés - n'a pas d'histoire, oscille lui entre peinture flottante de micro-évènements (l'émerveillement devant son enfant, finalement le meilleur du livre) et ressassement quasi-terminal de désillusions : il n'est pas sûr que le long monologue dans l'obscurité - 6 pages quand même ! -, aussi pertinent soit-il dans sa manière de refermer toutes les portes de nos illusions politiques, soit ce que le livre a de plus intéressant. Pour finir, laissons la parole à la maman de Marco, un jour où elle était, elle, d'humeur particulièrement combattive (page 24, magnifique !) : "(les racines), c'est rien d'autre que la glorification de la tradition imbécile ! Ça nous cloue au sol... Ça nous empêche d'avancer... Les racines, c'est bon pour les ficus !"... Son "Combat Ordinaire" ainsi bouclé, on souhaite à Manu Larcenet de continuer à avancer !
Tous les lundi, Libé s'attaque à décrire les horreurs du monde du travail : exploitation cruelle, mesquineries entre employés, illégalités diverses et variées ou simple foutage de gueule, il y en a pour tous les goûts. Et Vuillemin illustre l'article, transcendant la plupart du temps la banale abomination du fait divers pour en extraire une sorte d'obscénité grotesque, qui en devient presque grandiose à force de laideur. Ce qui frappe, dans cette compilation malicieusement intitulée "Travail M'a Tuer" (remember Omar ?), c'est que, même sans l'article qu'ils accompagnaient, ces... euh gags gardent - pour la plupart - tout leur sens, toute leur hilarante cruauté. Et démontrent, s'il en était besoin, que, loin des facilités débilitantes de l'interminable saga des "Sales Blagues" (qu'on espère terminée !), Vuillemin a l'étoffe pour être le Reiser de notre génération. Si seulement il persévère dans cette voie, royale...
Rien à faire, le tome 8 de Death Note vient confirmer que la "seconde partie" de la saga n'arrive décidément pas à recréer la magie de la "première" : multiplication des personnages sans qu'aucun n'apporte de véritable supplément d'âme ou de fiction, affadissement du personnage de Light qui n'a plus guère d'ambigüité depuis son passage clair du "côté obscur", ridicule absolu de ses deux adversaires, N et M, ne faisant tous deux que prolonger absurdement les idiosyncracies de L, disparition de la perspective "morale" de l'impact sur la société de l'activité de Kira, "Death Note" est en pleine déroute. Mais la plus grande erreur de scénario réside bien dans le changement de perspective offert sur les machinations de Light, dont on voit désormais la construction, ce qui nous prive désormais de l'exquis plaisir de la surprise. Notre admiration pour la mécanique du mal disparue, où est maintenant l'intérêt de ces constructions absurdement alambiquées et improbables ?
Le deuxième tome de l'étonnante nouvelle série de Christophe Blain, Gus, poursuit et étend le travail de sape et de reconstruction à la fois du western entrepris dans "Nathalie". Le poursuit car l'on retrouve ici inchangées les obsessions amoureuses de nos outlaws lubriques, dans des récits principalement centrés cette fois sur le beau personnage de Clem, déchiré - mais pas tant que cela - entre sa passion charnelle pour la fantasque Isabella, qui se photographie nue sur les mesas désolées du Nouveau Mexique, et sa fidélité pour son épouse, auteur de best sellers narrant ses propres aventures sexuelles. L'étend en faisant la part belle à ces nouveaux personnages féminins, tous plus complexes et plus déterminés que leurs amants fantasques et dépenaillés. Reste que l'effet de surprise s'est naturellement un peu émoussé, et qu'il manque dans "Beau Bandit" ces moments enchanteurs de suspension du temps où nos outlaws se laissaient doucement dériver au fil de parenthèses contemplatives. On attend le tome 3 avec impatience, en espérant que Blain nous emmène vers des narrations encore plus originales.
Avec "Gus", Christophe Blain poursuit son remarquable travail de modernisation des genres entrepris avec "Isaac le Pirate" : ses cow-boys évoquent sans doute le jeune Lucky Luke, mais leurs préoccupations sont avant tout celles de l'homme amoureux du XXIè siècle ! Relégués en "off", les attaques de banques, de trains et les duels au soleil, place aux doutes sur la fidélité de l'aimée, sur son propre pouvoir de séduction, voire sur sa puissance sexuelle. Blain crée ici un univers aussi familier - celui des codes éternels du western, mais aussi celui de notre psyché contemporaine - qu'étrange - leur rencontre inattendue. On attends la suite avec impatience, pour voir si ce "concept" audacieux peut vivre au delà de 80 pages...
Le second tome du "combat ordinaire" de Lou (c'est moi qui fait le parallèle, mais quelque chose m'a sauté aux yeux cette fois, un lien fort entre la lucidité dépressive de Manu Larcenet et la pré-adolescente triste de ces pages...) voit Julien Neel passer la vitese supérieure : entre un graphisme, souvent superbe, qui "décolle" sans rien perdre de sa fraîcheur, et une attention approfondie, loin des clichés de la littérature "enfantine", Lou est une série qui a mûri. On aimera ici la jolie chronique, jamais naïve, souvent juste, de la découverte de la campagne - les incontournables vacances chez grand-mère -, et la manière très sûre dont Julien Neel laisse ses personnages respirer, exister pleinement sous nos yeux, sans céder à la facilité asphyxiante du gag à tout prix. Décidément, ma fille a bien de la chance d'avoir Lou pour lui tenir compagnie...
Je dois avouer que je ressens peu de sympathie pour les losers bobos qui peuplent l'univers complaisant de Jean-Claude Denis, et, malgré le dessin élégant (mais un tantinet clean et "pub", finalement, tant leur style est devenu une sorte de cliché pour illustrer notre quotidien) de Dupuy-Berberian, j'ai souvent été irrité par cette nouvelle peinture douce-amère de la démission du Parisien trentenaire (quadragénaire ici ?) devant les responsabilités. Si je dois reconnaître que la peur du changement est bien l'une des caractéristiques de mes compatriotes que je déplore le plus violemment, et que cette fuite perpétuelle est ici joliment brocardée, sans doute manque-t-il ici soit assez d'humour, soit assez de recul, pour que quelque chose naisse vraiment de ce récit si prévisible... Jusqu'au petit retournement scénaristique final, bien vu, qui nous prend joliment à contre-pied, et nous réconcilie in extremis avec ce livre trop convenu.
Quand on a une fille de 8 ans, on a bien encore le droit de se pencher par dessus son épaule pour vérifier ce qu'elle lit, non ? C'est peut-être un peu moins "correct" de lui piquer sa nouvelle BD pour la lire en cachette, au lit, le soir, mais il faut bien dire que "Lou !" est en train de devenir un phénomène... Sorte de "Titeuf" pour les filles, c'est à dire sans la vulgarité de son illustre modèle (?), "Lou !" propose, en lieu et place des questions machos sur le zizi, une douce angoisse, bien féminine (on vérifie, non, l'auteur paraît pourtant bien être un garçon !) sur l'amour et sur les apparences. Tout en fragilité, mais jamais dépourvu de courage, voici une BD qui frôle encore parfois l'anecdotique - l'humour n'y est pas très original -, mais dont l'ambiance en demi-teinte, alliée au très beau graphisme, en fait une petite réussite notable.