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    Yovo Le 21/12/2024 à 11:43:57

    Cela fait des jours que j’essaye d’écrire en vain un avis sur « LE cas David Zimmerman ». C’est dire si j’ai été déconcerté par ce roman graphique dans lequel tout est bizarre : le sujet, le dessin, l’ambiance générale.

    Commençons par le sujet.
    David Zimmerman, un photographe parisien, se réveille un matin dans le corps de l’inconnue avec laquelle il avait fait l’amour la veille, comme sous hypnose.
    Même si le thème de l’échange de corps est loin d’être nouveau, ce postulat de départ est déjà dur à accepter. Mais ce n’est que le début, et ce que va découvrir David par la suite sera de plus en plus étrange...
    Dans la première moitié du récit, l’enquête méthodique qu’il va mener pour comprendre ce qui lui arrive prend des airs de thriller. Elle s’avère bien écrite et rythmée, malgré l’invraisemblance de la situation. Invraisemblance accentuée par le background 100% réaliste, qui fait qu’en dehors du cas David Zimmerman, tout est parfaitement normal à Paris en cette année 2023.
    Le dernier tiers de l’ouvrage est en revanche beaucoup plus sombre. Le propos se fait plus cérébral, le peu d’action cesse, toute lueur s’éteint. Au fur et à mesure que les protagonistes voient leurs chances leur échapper et qu’ils se font happer dans un abyme existentiel, un désespoir tenace finit par empoisser le scenario.

    Le dessin, lui, s’est affiné depuis « L’aimant » et « La dernière rose de l’été ». Il est encore plus élégant mais toujours aussi figé, dans un style qui peut rappeler par moment celui de Daniel Clowes.
    On sait Lucas Harari féru d’architecture. Pourtant, son goût du détail et de la perspective ne sert ici qu’à reproduire l’environnement banal des rues parisiennes, sans que rien ne soit visuellement percutant, contrairement à ses deux ouvrages précédents. Heureusement, quelques pleines pages bienvenues offrent à l’œil de belles respirations, et de savants cadrages viennent dynamiser des planches ternies par une colorisation, certes pertinente, mais assez pauvre.

    L’ambiance générale, enfin, est passablement dépressive. Les décors sont froids. Les personnages sont presque statiques, peu expressifs, et semblent engourdis, frappés de névroses.
    Les auteurs ont construit leur récit sur des sujets d’actualité comme le genre, l’identité, la judéité. Toutefois, ils ne font que les explorer en restant à la surface des choses. Ils n’apportent aucune réponse, ne proposent aucun approfondissement, aucune réflexion. Comme si ces problématiques sociétales n’étaient que de simples éléments narratifs. Les frères Harari se placent volontairement dans une sphère intimiste, intériorisée, distanciée, où leurs personnages éprouvent leur expérience sans renvoyer d’émotions. Personnellement, je n’ai ressenti que très peu d’empathie pour eux.
    Il n’y a pas de légèreté non plus. D’où la tonalité neurasthénique. Pas d’humour, pas de joie, pas de trivialité. Pas de sexe non plus d’ailleurs ! Admettons qu’une aventure pareille m’arrive, je passerais à coup sûr un certain temps à « découvrir » mon nouveau corps et ses potentialités... Comme tout le monde, je crois. Il aurait donc été intéressant de le voir en image. Mais cette dimension sexuelle est étrangement absente. Ou, quand elle intervient, elle est subie, vectrice de souffrance et de peine infinie.
    Cette pesanteur maussade donne à l’ensemble un aspect terriblement pessimiste. Renforcé par le fait que de nombreuses questions soulevées par l’intrigue resteront non résolues à l’issue des 360 pages. Ça, c’est malheureusement l’une des signatures de Lucas Harari, que j’avais déjà dénoncée dans « La dernière rose de l’été ». J’ai vraiment du mal à cautionner ce choix délibéré de laisser ainsi les choses en suspens, surtout quand on construit un scenario aussi complexe et élaboré.
    Pour autant, la chute est soignée. Et cette fin, quoique difficile à comprendre, est assez réussie. Elle décontenance à sa façon mais permet d’ouvrir silencieusement de nouvelles perspectives.

    En conclusion, je ne peux certainement pas dire avoir eu un coup de cœur pour cette histoire kafkaïenne, troublante, dérangeante et clivante. J’en suis ressorti perplexe et légèrement frustré par un arrière-goût d’inachevé.

    Cependant, je reconnais que c’est un album particulièrement marquant que j’ai envie de défendre. Il confirme Lucas Harari comme un auteur de premier plan, en passe de devenir un maitre dans ce genre polar fantastique dont il contribue à remodeler les contours. « Le cas David Zimmerman » en est un exemple singulier. Je suis content de l’avoir dans ma bédéthèque et je le garderai précieusement. Bien que certains aspects m’aient dérangé, je l'ai dit, je pense objectivement que c’est une excellente BD, bénéficiant d’un beau travail éditorial de Sarbacane (par contre le faux dos toilé, qui est en réalité en papier, n'est pas du meilleur effet). Elle a tout pour devenir un classique. Elle est, dans tous les cas, à lire absolument. Pour ma part, je suis d’ores et déjà certain de la relire un jour, et je l’espère, de l’apprécier davantage avec le temps. Elle valait bien mon plus long avis jamais publié sur ce site !