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Je commence par le dépit que m’inspire l’allure de ce livre : couverture fine et si fragile que j’ai eu du mal à en trouver un potable chez mon libraire ; papier recyclé, rugueux et beigeâtre… Tout ça fait vraiment bas de gamme. Il faut dire que la 1ère de couv n’est pas terrible non plus, ce qui n’aide pas à donner une meilleure image de l’objet. Quand on pense que « Blankets », publié dans l’irréprochable collection Écritures, avec 130 pages de plus, est exactement au même prix (27 €), ça mérite un léger coup de gueule.
Dommage, car le travail de Craig Thompson sur ce nouvel opus est tout à fait remarquable. Il use d’un trait affiné – voire raffiné – pour nous livrer des planches au style chargé, étonnamment détaillées, parfois très réalistes. Le soin apporté aux décors témoigne de sa documentation et de son implication totale à finaliser ce roman graphique d’un autre genre.
En revanche, le choix de la monochromie est discutable. Certes, l’omniprésence de ce rose-rouge peut éventuellement servir le récit, mais il provoque bien plus souvent une gêne visuelle. Une teinte plus profonde, saturée, aurait eu un effet différent. Mais cette palette terne donne une résonnance étrange à l’ouvrage, pas forcément agréable, particulièrement quand la typographie devient elle aussi rouge sur fond blanc. La forme est donc surprenante. On adhère ou pas.
S’agissant du fond, là encore, je serai plutôt mesuré. Si je parlais plus haut d’un roman graphique d’un autre genre, cela signifie qu’on ne sait pas vraiment ce qu’on est en train de lire. Autobiographie ? Oui. BD documentaire ? Oui aussi... C’est pourquoi « Ginseng roots » donne l’impression bizarre de comporter plusieurs couches. D’abord, la couche autobiographique donc, dans la droite ligne de « Blankets » (titre évoqué à plusieurs reprises au fil des pages). Ensuite, la couche strictement documentaire sur la racine de ginseng en tant que végétal, ainsi que toute sa riche histoire. Enfin, une couche politico-sociale qui éclaire sur la réalité de l’Amérique du nord à travers son modèle d’agriculture intensive et son idéologie capitaliste. Tout cela est intéressant, souvent passionnant, parfois émouvant. Il en émane beaucoup de sincérité et une grande justesse.
Le souci est que ces différentes couches ne semblent pas toujours bien imbriquées pour former une narration fluide. Elles donnent parfois l’air d’être juste superposées l’une sur l’autre.
Craig Thompson a récolté du ginseng dans son enfance ; tout part de là. Et, à l'image de la plante, son récit se ramifie en tous sens. On devine sa volonté d’embrasser son sujet dans son entièreté et d’essayer de tout faire rentrer dans 450 pages en bouclant sa boucle. Mais l’exercice est bigrement compliqué. Ou bien l’on parle de soi, ou bien d’un sujet X de façon objective et didactique. Il est difficile d’entremêler les deux. Ici, le côté botanique, quoique étonnant, est très présent et peut sembler un poil long et moyennement raccord avec le reste.
Ce qui ne m’a pas empêché de m’y replonger avec impatience à chaque fois que je faisais une pause dans ma lecture, preuve que le scenario est véritablement prenant.
« Ginseng roots » reste donc un incroyable voyage au cœur de ce petit tubercule méconnu, presque insignifiant, à partir duquel Craig Thompson échafaude, avec une minutie peu commune, un récit-fleuve protéiforme et multidirectionnel à la portée universelle. On ne peut qu’être estomaqué par le travail que cela a représenté pour lui.
Attention toutefois, la lecture est relativement exigeante.
Par conséquent, je doute que « Ginseng roots » puisse trouver un aussi large public que le désormais culte « Blankets ». Mais qui sait ?