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Pour vous donner seulement une idée, imaginez « Roméo et Juliette » joué dans un backroom de San Francisco, avec un black musclé hyper viril (Gronzo) dans le rôle de Roméo et un petit bonhomme attendrissant (Tom Poope) dans le rôle de Juliette…. Bien sûr, l’action est censée se dérouler à l’époque de Shakespeare, mais Ralf König joue beaucoup avec les anachronismes pour mieux démystifier le dramaturge anglais, pour lequel il s’est découvert une passion tardive. Comme il l’explique en annexe : « j’avais choisi d’acquérir ses œuvres complètes dans la Pléïade (…) je m’y suis plongé avec un délice extrême et j’ai presque tout lu… ».
Au risque de choquer les gardiens du temple, König a donc fait de Shakespeare un personnage de BD « à gros nez » : « A-t-on le droit de faire de l’humour avec un personnage comme Shakespeare ? Je l’ai fait, car je crois qu’il n’en manquait pas lui-même. » Certains crieront sans doute au sacrilège. Pour ma part, j’y vois davantage le travail de vulgarisation d’un passionné, ce qui est bien plus pertinent que de l’enfermer à double tour dans une bibliothèque poussiéreuse.
Et comme Kônig n’a peur de rien, il évoque également les inclinaisons homosexuelles du poète, en prenant soin toutefois d’éviter l’explicite, utilisant plutôt d’autres personnages, notamment les comédiens de sa troupe. Il est vrai que Shakespeare était marié et père de trois enfants, et une telle révélation aurait pu le conduire directement au bûcher à l’époque. Les seules preuves résident dans ses « Sonnets » enflammés qu’il a dédiés à un ami poète, ce qui fait dire à König que le mariage ne lui servait que de couverture, d’autant qu’il a quitté le foyer familial assez tôt pour s’installer à Londres et n’y revenir que bien des années plus tard. A cette époque, comme le souligne Ralf, il n’existait aucun front de libération homosexuel et la sodomie n’était pas particulièrement compatible avec la morale élisabéthaine.
Si je ne peux pas dire que j’ai vraiment ri, j’ai plutôt souri et ai été attendri aussi. Cette adaptation iconoclaste de Roméo et Juliette comporte des aspects attachants malgré l’enrobage « comique » de l’ouvrage, et pour un peu, ça sentirait presque le vécu... Le petit Tom Poope (j’y verrais bien le double de l’auteur) est craquant et comme à l’accoutumé, Ralf n’oublie pas d’exprimer son amour inconditionnel pour les mâles virils en slip hyper moulant, et il le fait très bien en dépit d’un style « Bidochon » plus adapté à la dérision et pas vraiment sexy à la base. Il faut bien le dire, c’est un peu foutraque (surtout au début) et assez érudit pour une BD de ce style, mais on finit tout de même par retomber sur ses pattes (on pourra toujours se référer à l’appendice en fin d’ouvrage pour obtenir citations et notes diverses), se laisser emmener par l’histoire et vibrer à l’unisson des deux principaux protagonistes.