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Brillant de A à Z. Profond, touchant, drôle, cette BD est juste un monument absolu que tout fan se doit d'avoir lu. Je ne comprends pas comment l'oeuvre de Tezuka n'est pas bien plus adulée que ce qu'elle n'est déjà tant le talent est évident.
Affirmons-le tout de go : les 200 dernières pages de la dramatique histoire de la famille Tengé font partie de ce que j'aurai lu de mieux dans la BD depuis des années, et permettent à quiconque se risquera dans cette lecture émotionnellement éprouvante de comprendre, peut-être encore mieux que dans ses autres livres, pourquoi Osamu Tezuka est considéré comme un génie absolu. La découverte du monde par Ayako, après 23 ans d'enfermement, permet à Tezuka de réinscrire sa tragédie familiale dans l'histoire du Japon, que ce soit grâce à un épisode de la guerre sanglante que se livrèrent deux gangs au début des années 70, ou par un retour façon James Ellroy sur les machinations des services américains et de leurs complices nippons dans l'après-guerre : si Tezuka ne propose pas de solution à la fameuse énigme des crimes du chemin de fer (Jiro disparaissant avant de pouvoir conclure son enquête), il confère toutefois une puissance remarquable à son thriller politique et historique, qui donnera forcément envie au lecteur d'en savoir plus sur cette époque confuse. Le retour final de Jiro et d'Ayako à la famille Tengé, et les conséquences terribles de ce "règlement de comptes" général resteront par contre un épisode atrocement inoubliable, d'une cruauté et d'une force exceptionnelles. A la limite, le récit de Tezuka aurait peut-être été encore plus magistral s'il l'avait clos sur le fondu au noir de la page 241, mais l'épilogue présente l'avantage d'offrir au lecteur une conclusion sans tomber pour autant dans le happy end, ce qui aurait été regrettable. Du point de vue formel, on soulignera l'ambition graphique croissante, la virtuosité de la narration, et en particulier certaines audaces formelles bien avance sur leur temps : admirez le très long plan fixe - façon Hou Hsiao Hsien - des pages 113 à 124, seulement interrompu une fois par 4 cases page 123, quand la pression du policier sur son fils nécessite un plan rapproché ! Admirable… "Quant à Ayako, on n'entendit plus jamais parler d'elle".
Centré sur les années de séquestration d'Ayako par sa famille, ce deuxième volume de l'un des chefs d'oeuvre de Tezuka abandonne progressivement la peinture de l'histoire du Japon post-Seconde Guerre Mondiale (non sans avoir clos le "thriller" des assassinats liés à la guerre politique autour des chemins de fer) pour se concentrer sur les turpitudes de la famille Tengé. Jiro disparu, Ayako devient le personnage central de la fiction, ou plutôt sa transformation progressive, au cours d'une vingtaine d'années d'un enfermement inhumain, en une superbe jeune femme (physiquement) logiquement incapable d'appréhender un monde extérieur dont la cupidité de sa famille l'a privée. Mais, comme dans le premier volume, Tezuka s'attache plutôt à décrire le comportement abject des hommes, frappant les femmes, les humiliant, les violant, avant de les faire disparaître d'une manière ou d'une autre lorsqu'elles deviennent encombrantes. L'évolution du personnage originellement positif de Shiro est à ce titre édifiant : sa révolte enfantine contre l'abjection familiale se teinte vite de résignation, puis de compromission, puis enfin de jouissance de la supériorité que sa position de mâle lui confère. Ambigu, son amour incestueux pour sa soeur démontre mieux que tout le reste de "Ayako" le pessimisme de Tezuka qui ne croit pas que la société traditionnelle japonaise puisse évoluer sans le choc de la modernité. Et ce sera en effet le grand chambardement de la propriété familiale provoqué par la construction d'une autoroute qui aura raison de l'enfermement de Ayako, certainement pas une quelconque prise de conscience de ces hommes dépassés luttant aveuglement pour la survie de leurs privilèges. Maintenant, cette "révolution" signifiera-t-elle une amélioration du sort des victimes, on le découvrira dans le troisième volume de ce conte social littéralement infernal...
On notera aussi comment le dessin stylisé et "enfantin" de Tezuka (en particulier lorsqu'il s'agit de décrire les nombreuses scènes sexuelles ou de violence du récit... peut-être pour échapper à la censure...?) s'enrichit et se complexifie pour peindre - parfois de manière plus contemplative, comme en une rupture dans le rythme emballé de la fiction - les cérémonies traditionnelles ou la froide splendeur de la nature.
Voici un livre absolument incroyable, un témoignage supplémentaire du génie de Tezuka : "Ayako" est d'abord une fiction passionnante, au rythme effréné, qui dépeint de manière impitoyable la déliquescence d'une famille japonaise puissante dans l'immédiate après-guerre, alors que l'envahisseur américain et les mutations sociales (en particulier le développement d'une gauche activiste, ainsi que la naissance des préoccupations féministes) font basculer brutalement le Japon dans la "modernité". Impossible au lecteur de même reposer ce livre (qui fonctionne comme un thriller psychologique), accablé qu'il est par l'accumulation de situations profondément perverses alimentées par les vices ou les lâchetés de chacun des protagonistes. C'est d'ailleurs la complexité et l'humanité (voire l'inhumanité) des personnages qui sidère le plus : impossible de s'identifier à aucun d'entre eux, en particulier à Jiro, que le récit suit de plus près, et qui sera le vecteur du bouleversement des destins de toute la famille Tengé, puisque Tezuka le dépouille progressivement de ses derniers oripeaux de conscience... mais impossible aussi de ne pas ressentir de l'empathie envers tous, monstres ou victimes. C'est cependant ce fameux panorama historique et social qui fait de "Ayako" une oeuvre essentielle, au souffle indéniable, évidemment passionnante pour quiconque veut mieux comprendre le Japon. A suivre... en redoutant le pire, bien entendu !
PS : à noter combien la première partie de "Billy Bat" d'Urasawa dialogue avec "Ayako", mettant en cène de manière assez similaire le même fait divers de la mort du responsable des chemins de fer.
Du grand, du bon, du 100% Tezuka. L'histoire est sombre et dure comme d'habitude mais il arrive à rendre le tout passionnant au point de ne pas en décrocher jusqu'à la fin. Les personnages une une psychologie tellement travaillée, réaliste qu'on finit presque par en oublier que l'on se trouve dans une bande dessinné. Le dessin est très épuré mais il fait ressortir davantage les émotions et de l'émotion il y en a ça va de la tristesse à l'horreur en passant par la colère mais très rarement la joie (peut être un début de soulagement et encore).
Bref un excellent moment proche du chef d'oeuvre.