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L'histoire est connue mais je la redécouvre dans cet album tout en sensibilité, en finesse, presque en douceur malgré les violences faites à ces femmes.
J'ai apprécié que l'histoire ne se limite pas à décrire ce qui se passait dans cet asile mais présente des tranches de vie des différentes protagonistes, la journaliste en tête.
C'est poignant, tendre aussi par moment dans la solidarité entre ces femmes. Le dessin sert parfaitement l'histoire.
A lire absolument!
Très belle histoire assez édifiante qui alterne entre la vie de Nellie Bly et son enquête au cœur même d’un asile d’aliénées où docteurs et infirmières n’ont jamais dû entendre parler du serment d’Hypocrate et prennent un plaisir malsain à maltraiter leurs patients.
Excellent scénario qui tient en haleine et très bel univers graphique, assez chaleureux ce qui contraste avec cette histoire et ce lieu sordide.
New York. 1887.
Comment rendre folles des femmes qui ne le sont pas ? La recette est simple : le froid d’abord, l’ennui ensuite ! Enfin la fatalité et l’obéissance. La faim et l’ennui ramollissent l’esprit. Si elles ne deviennent pas folles, elles peuvent toujours mourir du manque d’espoir ou sous les coups des infirmières, à moins que ce ne soit à cause de l’incompétence des médecins. Le manque de fruits frais affaiblit les malades et fragilise les femmes saines d’esprit. Voilà un régime qui n’a certainement pas pour but la guérison des patientes. Il faut dire que certains en vivent très bien à commencer par le directeur de l’institution…
Voilà ce qu’a découvert Nellie Bly en se faisant passer pour folle durant dix jours afin d’enquêter sur les traitements infligés sur l’île de Blackwell à ces dames dont beaucoup se trouvaient là pour des raisons qui n’avaient rien de médical : un fils voulant se débarrasser de sa mère pour ne pas avoir à la nourrir malgré qu’elle l’ait élevé ainsi que ses petits-enfants, un mari trouvant sa femme trop encombrante, un fiancé qui rompt ses fiançailles, une pauvre fille malade et sans le sou dont l’hôpital se débarrasse en l’expédiant à l’asile ou tout bêtement une femme qui ne parle pas anglais et qui n’arrive pas à se faire comprendre. Si elles ne sont pas encore folles, elles ne tarderont pas à le devenir…
Critique :
Nellie Bly voulait être journaliste. Comment ? Mais c’est un travail d’hommes, voyons ! Ils sont beaucoup plus polyvalents. Ah, bon ? Elle décide alors de faire ce qu’aucun homme n’a encore fait, se faire passer pour folle pour vivre dix jours en immersion, incognito, pour voir le fonctionnement de l’institution de l’intérieur et rapporter les faits à l’extérieur via la presse et tenter ainsi de modifier les choses. Elle a toutefois pris ses précautions avant de se lancer dans ce reportage car une fois entrée dans cet enfer aucune chance d’en sortir autrement.
Virginie Ollagnier et Carole Maurel ont su donner vie à Nellie Bly et leur roman graphique est un solide témoignage des conditions de vie des femmes au XIXe siècle aux Etats-Unis. Les flash-backs permettent de suivre l’existence de Nellie Bly depuis son enfance jusqu’à la fin de cette affaire de mauvais traitements et d’incompétence médicale qui abusait des deniers publics. Le moins qu’on puisse dire c’est que ses premières années furent celles d’une enfant choyée qui adorait son père qui lui donnait une éducation d’avant-garde favorisant son autonomie, sa curiosité et son esprit de découvertes. La mort de ce papa adoré, qui n’a pas su préserver juridiquement sa famille, va plonger sa femme et ses enfants dans une extrême pauvreté. Cette femme était exceptionnelle et ce livre lui rend hommage aussi fidèlement que possible. Les autrices ont fait un excellent travail qui rend cette lecture incontournable.
Avant même la lecture, les différentes chroniques vues ici avaient provoqué un coup de cœur pour le travail de Carole Maurel. Un coup de cœur ça ne s’explique pas…
J’ai beaucoup aimé cet album, lu d’une traite. L’histoire évidemment, contée par des flash-backs audacieux, celle d’une femme très attachante qui veut s’affranchir, s’exprimer, donner la voix à ceux qui ne l’ont pas, aider les plus fragiles, qui veut être libre. Celle aussi des autres femmes croisées, des histoires déchirantes et cruelles.
Mais je suis aussi touché par l’univers crée par Carole Maurel : les couleurs et surtout les personnages… ces yeux, ces regards, ces expressions, ces émotions si bien exprimées. Je suis conquis.
Quand on parle de l’invention du journalisme en immersion, on pense immédiatement à Albert Londres et on oublie que quelques décennies avant lui, il y eut une pionnière : la jeune Nellie Bly. Très connue dans son pays natal où elle est devenue sujet d’une comédie musicale, a bénéficié d’un timbre à son effigie et a donné son nom à un prix décerné chaque année pour distinguer une journaliste, elle l’est nettement moins en France. Le retard est en passe d’être rattrapé : mise une première fois à l’honneur par Pénélope Bagieu dans le tome 2 de « Culottées » en 2017, cette femme de tête se voit consacrer pas moins de trois biographies dessinées en dix mois ! Le dernier en date « Nellie Bly dans l’antre de la folie » de Virginie Ollagnier-Jouvray et Carole Maurel paraît dans la collection « Karma » aux éditions Glénat. En quoi réussit-il, lui, à transcender le simple biopic ?
Un renouvellement du genre du biopic
Cet album très fouillé qui a nécessité trois ans de travail n’est pas un biopic au sens classique du terme puisque comme l’indique le sous-titre, « dans l’antre de la folie » Virginie Ollagnier et Carole Maurel choisissent de se focaliser sur les dix jours qu’elle passa dans l’asile de Blackwell. C'est une idée de Pulitzer patron du célèbre journal newyorkais « The World » : pénétrer dans un asile et observer ce qui s'y déroule au plus près, en faisant passer sa journaliste pour une aliénée. Elle pose donc en 1887 sa valise dans une pension pour femmes, déclare qu’elle est perdue et que les autres pensionnaires lui veulent du mal puis qu’elle a « perdu ses troncs ». Elle finit par être emmenée dans un hôpital psychiatrique au large de Manhattan après un diagnostic express. Ce nid de coucou est un véritable Alcatraz: on ne quitte pas l’asile de Blackwell’s Island, où les pensionnaires les plus dangereuses marchent attachées par une longue corde, comme des bêtes traînées à l’abattoir. Nellie Bly découvre que des femmes saines d’esprit, des immigrées d’Allemagne, de France ou du Mexique, sont internées à tort…
Cette histoire fondée sur le récit « Dix jours dans un asile » que Bly fit paraître en feuilleton dans le « World » puis en volume est présenté ici avec du suspense. D’abord parce que si l’on ne connaît pas la vie de Nellie Bly, on peut aisément être dupé au début de l’album et croire que cette Nelly Brown (son identité d’emprunt) est vraiment folle. En effet, le flash-back explicatif sur Pulitzer et « The world » ne vient qu’après. Ensuite parce que le sous-titre choisi est plus énigmatique qu’une simple reprise du titre de l’article et laisse planer le doute : on ne sait pas si elle va en sortir. Les menaces sont nombreuses comme l’indique la couverture. On y voit Nellie Bly de profil, menton en avant et air déterminé. Elle est élégamment vêtue et arbore un chapeau « à panache rose » mais l’arrière-plan est inquiétant : les tons sont bleuâtres, le ciel est chargé et les nuages se muent en de mystérieuses tentacules qui l’enserrent et la rendent prisonnière. En surimpression on aperçoit les encordées, l’asile et des arbres morts.
La matérialisation de la folie et du danger est effectuée dans le corps de l’œuvre à travers la présence récurrente de monstres proches de Cthulhu tapis dans l’ombre, de tentacules qui envahissent l’espace et de silhouettes fluorescentes. Le jeu sur la lumière est aussi partie prenante. On a l’impression que le bâtiment de l’hôpital psychiatrique est malfaisant et crée une atmosphère à la Henry James. On a ainsi un glissement vers le film d’horreur (d’ailleurs hasard ou référence, « l’antre de la folie » est aussi le titre d’un film de Carpenter !) mais cela permet de mieux souligner l’horreur de la situation et de retranscrire l’engagement émotionnel de Nellie qu’on ressent si bien à la lecture de son article.
Une transposition efficace
Virginie Ollagnier et Carole Maurel optent donc pour un traitement fantastique paradoxal qui in fine permet une dénonciation naturaliste. On observe un réel aspect documentaire dans ce roman graphique. Comme la journaliste, les deux autrices « portent la plume (et la mine de plomb) dans la plaie » selon la formule d’Albert Londres. Virginie Ollagnier s’était déjà intéressée à la psychiatrie du début du XXe siècle dans son premier roman : « Toutes ces vies qu’on abandonne » en 2007 mais pousse ici son souci de documentation à l’extrême en s’appuyant notamment sur les actes authentiques d’un congrès de la société américaine de psychiatrie et sur les méthodes de traitements préconisées : bains glacés, camisole en tissu et chimique etc …
On y retrouve également des détails sordides qui transposent bien ceux du récit de la journaliste : aliments avariés, vermine, travail forcé, coups, humiliations psychiques … Les mêmes litotes sont présentes (les visites suspectes des médecins la nuit, la naissance puis la disparition d’enfants au sein de l’établissement). Certains passages, comme les visites de curieux qui viennent voir les folles comme ils se rendraient au zoo évoquent également le roman de « Le bal des folles » de Victoria Mas. Pas d’emphase, un simple constat. Le lecteur tire ses conclusions et s’en indigne lui-même.
Le dessin n’est jamais redondant. Il donne la part belle aux expressions des personnages, individualise chacune des pensionnaires et nous permet ainsi de nous attacher à elles. Maurel joue également sur les angles de prise de vue, les cadrages et les décors qui sont détaillés et signifiants. Elle varie le découpage et nous offre de superbes pleines pages. Pour dénoncer les conditions insalubres dans lesquelles évoluent ces femmes, les couleurs sont froides, bleutées avec un rendu un peu sali. La dessinatrice utilise également un encrage à la plume et à la mine grasse qui donne un côté très charbonneux parfois aux planches et s’accorde bien avec la noirceur du propos. L’héroïne, quand elle n’est pas encore internée, porte des tons roses (elle a longtemps été surnommée Pinky à cause de son goût pour cette couleur) mais une fois à Blackwell, elle est comme aspirée par le lieu et se fond dans le décor grisâtre.
Portrait d’une personnalité « exemplaire »
Des épisodes de l’album tranchent avec cette dominance, il s’agit des flash-backs car cet album c’est avant tout le portrait d’un personnalité hors-normes. Les flash-backs ne sont pas arbitraires mais montrent le cheminement de Nellie Bly et ses motivations. C’est une perpétuelle indignée, de son enfance déclassée et des violences envers sa mère dont elle a été le témoin, elle garde une rage et une colère. Elle lutte avant tout contre l’injustice et sa volonté de défendre les femmes pauvres en particulier c’est ce que montre fort bien la scénariste.
Ces retours en arrière sont amenés avec fluidité lors de la nuit de veille que s’impose Nellie à la pension afin de manquer de sommeil et de passer plus aisément pour folle puis lors de ses insomnies à l’asile. Ils ne constituent pas une digression mais prolongent le propos. La vie de Nelly Bly permet, en effet, comme ses écrits de dénoncer la maltraitance dont est victime la gente féminine. Le sort de sa mère d’abord « condamnée » à se remarier pour survivre à la mort de son père car spoliée par les enfants du premier lit puis par le notaire et surtout son exemple à elle. Nelly n’est ainsi jamais embauchée comme l’aurait été un homme mais demeure pigiste même après son coup d’éclat et quand elle dérange on tente de la remettre à sa place « de femme » et on veut lui confier la rubrique théâtre ou la page jardinage …On a ainsi un savant jeu d’échos entre le microcosme de l’asile et le macrocosme de la société de la fin du XIXe : certaines femmes sont envoyées là -bas parce qu’elles sont des poids pour leur famille qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins, parce qu’elles n’obéissent pas parce qu’elles ont trompé leur mari. On cherche à brimer les individualités et à faire entrer les femmes dans une norme…
C’est donc un magnifique album agrémenté comme toujours dans la collection Karma d’un beau cahier graphique final avec des recherches de personnages, des pleines pages inédites et surtout une passionnante interview des deux autrices menée de main de maître par le directeur de collection Aurélien Ducoudray. Virginie Ollagnier y décrète « Nellie est entrée dans ma vie lorsque j’ai cherché des modèles de femme à ma fille ». Au-delà de l’anecdote de Blackwell, cette aventure « dans l’antre de la folie » montre la dure condition féminine dans la société occidentale de la fin du XIXe et le rôle clé joué par la jeune femme « pour donner la parole à ceux qui en sont privés » et dénoncer les injustices. Nous quittons la journaliste juste après le succès et les retombées médiatiques, politiques et sanitaires de son premier gros coup et l’on se prend à rêver d’un nouvel album qui mettrait en exergue cette fois comment Nellie Bly a fait non seulement de ses écrits mais aussi de sa vie un combat émancipatoire et on aimerait que les autrices nous embarquent dans un tour du monde en soixante douze jours ou derrière les lignes …