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Il est certain que le dessin d'Antonio Lapone ne fera pas l'unanimité. Il est exagérément anguleux et extrêmement chargé. Il s'en dégage parfois une impression de fouillis visuel pas toujours agréable.
La mise en couleur plutôt terreuse - hormis les rouges - est utilisée comme un simple élément graphique. Elle est belle mais n'aide pas à distinguer convenablement les différents plans des cases.
En clair, la lisibilité a été délibérément négligée et c'est un choix assumé de l'auteur. On adhère ou pas.
Pour autant le rythme et l'énergie débordent des pages et donnent un souffle certain au récit. Cette densité permet de restituer les ambiances effervescentes des rédactions de presse périodique de cette époque, de l'après-guerre au milieu des 70's. C'est ce que nous montre le scénariste, l'excellent Juan Diaz Canales : même les magazines de divertissement comme "Gentlemind" n'ont pu ignorer les douloureux bouleversements sociaux qui ont agité les Etats-Unis. On le voit à travers les nombreuses couvertures qui jalonnent l'album et résument à elles seules ces 3 décennies bouillonnantes qui auront emporté avec elles les restes d'un monde masculin, blanc, conservateur et bien pensant. L'amorce du changement à venir se dessine (littéralement) à la une de toutes ces revues ; jusqu'à la conclusion que j'ai trouvé efficace et réussie. C'est un travail d'écriture très fin, ambitieux et intelligent.
Cela dit je reconnais que je n'ai pas retrouvé le même plaisir que pour l'épisode 1, surtout à cause de certains personnages, devenus aigris et antipathiques, que je ne suis pas arrivé à cerner.
Il me semble malgré tout que les qualités l'emportent sur les défauts. C'est une BD au thème singulier, traité de façon très originale, qui mérite largement qu'on s'y attarde.
Cette histoire de success-story d'une business-woman dans le New York des années 40 ne m'a pas vraiment emballé, voire m'a même profondément ennuyé par moments. Seul le dessin très typé d'Antonio Lapone, avec son trait anguleux aux accents rétro si caractéristique qui personnellement me plaît beaucoup, m'a vraiment plu.
J’ai mis un peu de temps à découvrir Gentlemind. J’étais à priori décontenancé par le dessin… mais tenté par l’histoire, j’ai fini par me lancer.
Je confirme mon emballement pour le scénario. Cette couv très réussie annonce la couleur, une femme, Navit, va se hisser, s’émanciper ! Elle va pour y parvenir devoir faire face aux égos machos en faisant preuve d’imagination et d’intelligence afin de faire vivre un magazine désuet.
« Si Esquire veut des Pin-up, qu’ils les gardent. Nous, nous leur donnerons de la réalité. »
Le dessin des personnages taillé à la serpe continue de me bousculer mais je suis impressionné par l’univers graphique des années 40-50 inspiré des publicités et magazines de modes. C’est foisonnant, peut-être trop parfois mais c’est très vivant et dynamique grâce aussi à un découpage très libre !
L’histoire prend un tournant diablement intéressant sur la fin de ce premier tome et laisse pas mal de questions …. Vivement la suite et fin de ce dyptique !
J'ai découvert Lapone avec Adam Clarks (2014) et franchement son travail sur Gentlemind est encore plus percutant. Les décors années 50 sont particulièrement soignés et paraissent réels. Les unes de la presse américaines font partie intégrante de l'intrigue rondement menée par les scénaristes.
Un joli cocktail dans lequel une héroïne à forte personnalité dame le pion à ces messieurs condescendants.
En sera-t'il de même dans le T2 ?
« Gentlemind » se distingue d'abord par une grande liberté formelle : le découpage en cases très variées (sans cadres, rondes, étroites, pleine pages…), les couleurs fanées - parfois parsemées d’éclats plus vifs - et les textures tramées donnent une atmosphère vintage et une énergie folle à cet album.
Le dessin anguleux et chargé peut sembler brouillon mais il est parfaitement maitrisé. Les lumières travaillées à l’aquarelle lui apportent profondeur et vivacité. C’est vraiment très beau.
Et c’est aussi par le scenario que brille « Gentlemind ». Il faut être attentif car l'ensemble est dense, mais l'écriture est précise et ciselée. Ne vous fiez pas à la preview ; passées les 1ères pages un peu déroutantes, le récit est porté par des personnages charismatiques et touchants qui gagnent en intensité au fil des pages.
Franchement je n’aurais jamais pensé que la simple histoire d’un magazine puisse autant me passionner… Il faut dire que le contexte historique (1940), les relations complexes entre les protagonistes et les enjeux qui se dessinent au fur et à mesure nimbent ce 1er tome d’émotions inattendues et le hissent au dessus du lot.
Une excellente BD, très originale, intelligente et particulièrement bien réalisée. Bravo !
A lire absolument.
Absolument indispensable ! Graphisme hors de tous standards, humour grinçant, l'Amérique comme on ne la connaît plus. Du grand art, vraiment !
Gentlemind », c’était un peu l’arlésienne de la bande-dessinée : cela faisait tellement longtemps qu’on entendait parler de ce projet et qu’on l’attendait sans rien voir venir, qu’on s’était peu à peu résignés à ce qu’il n’aboutisse pas…. Et puis finalement, délicieuse surprise l’annonce tomba en plein Covid : Diaz Canales scénariste espagnol de l’incontournable « Blacksad » et du nouveau « Corto Maltese » et sa compagne Teresa Valero connue pour la belle trilogie « Curiosity shop » s’alliaient à Antonio Lapone spécialiste ès-fifties pour nous concocter une histoire d’émancipation et un hommage à la presse américaine.
L’envers du décor
Le New-York décrit par le trio apparaît comme une ville impitoyable dans laquelle les artistes n’ont d’autre choix pour survivre que de se compromettre tandis que des avocats sans scrupules défendent les intérêts de grandes multinationales au détriment des droits des plus faibles, même quand ils sont eux-aussi des immigrés de fraîche date…
C’est donc une ville où l’on perd facilement sa dignité et ses amours … Durant ces 88 pages, les personnages ne cessent d’évoluer et acquièrent une réelle profondeur.
Un récit d’émancipation
Comme le montre la splendide couverture de l’édition standard, on a affaire à un récit d’émancipation : Navit, la belle jeune femme issue d’une famille juive traditionnelle part à la conquête de New-York. Cherchant à fuir la misère (tout aussi bien peut-être que le racisme ambiant), elle se rebaptise Gina Majolie et devient célèbre. Par sa liaison scandaleuse d’abord qui fait la une des journaux people puis par sa photo sur la couverture des magazines ensuite. Mais les auteurs la font se servir de son corps dans une société machiste et patriarcale comme d’une arme pour mieux lutter contre cette dernière. En effet, l’épisode 1 montre son affranchissement progressif.
Lorsqu’elle hérite, elle refuse de perpétuer la tradition des Powell Follies et ne veut pas du théâtre : elle ne se place donc pas du côté de l’exploitation du corps des femmes. De même, après sa « une » spectaculaire, elle bannit les pin-ups de ses couvertures. En revanche, elle agit comme un diffuseur, via son magazine, de l’intelligence féminine : elle fait intervenir des femmes pour bousculer le côté stéréotypé et daté du journal et elle embauche une jeune immigrée photographe de talent pour des reportages sociétaux. Grâce aux femmes donc, la revue « Gentlemind » perd de sa frivolité, acquiert de la dignité et prend un nouveau départ La réciproque est vraie : grâce à la revue, Navit trouve une raison d’être (Trigo aussi d’ailleurs) et la jeune reporter également. En effet, ce personnage secondaire demeure encore assez mystérieux mais il apparait comme un double de l’héroïne (bien que douée, elle doit se résoudre à faire des photos de touristes sur Coney Island pour survivre avec son enfant et elle semble avoir dû fuir l’Europe donc elle est peut-être juive elle aussi). C’est donc une ode à cette presse qui fit découvrir des romanciers talentueux, tels Fitzgerald ou Hemingway, des illustrateurs et de grands reporters photographes, mais c’est aussi et surtout une ode à la femme.
Un dessin au diapason
Qui d’autre qu’Antonio Lapone pouvait donner vie à ce passionnant récit à la « Mad Men » ? Cet héritier d’Yves Chaland, de Serge Clerc et du style atome affectionne depuis toujours l’imagerie américaine des années 1950. On l’a vu dans « Adams Clark » et son artbook « The New Frontier » notamment. Comme il le déclare lui-même : ses « racines graphiques plongent dans le monde de la création publicitaire, les portfolios d’affichistes ou les croquis de mode. Nombre de pages de magazines des années ‘50 et ‘60, un univers fait d’élégance et de compositions graphiques, sont une source intarissable d’inspiration ». On retrouve ainsi l’influence de Marcello Dudovich, un des pères de l’affiche publicitaire italienne moderne ou encore d’Achille Luciano Mauzan et Leonetto Cappiello, avec leurs jeux de contrastes entre le noir et le rouge dès la couverture et leur palette de couleurs. On peut même dire que le héros Arch est comme une mise en abyme du dessinateur car il utilise le même astérisque en guise de point pour sa signature et que ses affiches, dans un savant jeu de miroirs, rappellent la composition des tableaux de Lapone.
Les planches sont extrêmement variées tant dans le format des cases - illustrations pleines pages qui reproduisent de vraies-fausses couvertures de magazines ; doubles pages montrant les kiosques de journaux débordants ou la rédaction du journal – que dans leur disposition et leur palette de couleurs. Le dessinateur crée constamment des ambiances différentes ; on a une impression d’urgence, de profusion et de mouvement grâce au crayonné apparent qui retranscrit bien également le rythme de la grande ville. Certains diront que le dessin en devient parfois peu lisible, je préfére penser qu’il est emporté par l’élan qui anime les protagonistes et que ce côté virevoltant mime l’exaltation et le dynamisme des héros.
Ce tome introductif est réussi tant au niveau du scénario que de sa mise en images. Il embrasse brillamment plusieurs genres et les transcende. On ne sait si l’on est devant une évocation historique des années 1940, une satire du rêve américain, une saga entrepreneuriale à la « Largo Winch » en jupons, une comédie dramatique ou romantique avec des triangles amoureux qui se démultiplient. Tout cela donne une œuvre riche dont l’humour est loin d’être exclu (ah, la scène du brainstorming au champagne !). C’est une fiction enlevée avec un Lapone inspiré. On a envie d’adresser aux auteurs les propos si joliment tournés qu’ils ont mis en exergue. En effet, grâce à cette femme et ces deux « hommes créateurs de fiction (…) à leurs mots et à leurs images, nous voyons à chaque fois le monde avec des yeux neufs ». Vivement la suite (et la fin) !