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Lapa la nuit nous entraîne dans un quartier assez mal famé de Rio de Janeiro au Brésil. Je ne goûte guère à ces ambiances de drogue, de prostitution et de dépravation morale. C'est presque à la limite de l'obscène pour certaines scènes. Mais bon, cela existe et on ne peut en faire abstraction.
C'est comme un récit chorale avec divers personnages qui s'entrecroisent surtout la nuit dans ce quartier bohème. Il y a surtout cette touriste allemande qui semble être attirée par ce quartier pour d'obscures raisons. On s'attachera surtout à Fabio, le jeune garçon timide.
J'ai beaucoup aimé le dessin réaliste aux couleurs chaudes qui met en valeur une certaine ambiance propre à ces lieux. Pour autant, au niveau du scénario, je me suis ennuyé à cette lecture qui multiplie les sous-intrigues.
On peut découvrir à travers cet album une autre facette de Rio, loin de son carnaval et de ses belles plages, c'est à dire loin des clichés et de la carte postale.
"Lapa la nuit" bénéficie d’un super dessin, clair, lisible, expressif et détaillé. Ce n’est pas forcément mon genre car il est un peu lisse et impersonnel mais franchement, ce trait est propre, bien adapté à l’histoire et bien mis en couleur. Bon point.
2ème atout de l’album, la narration : une nuit à Rio…
Le lecteur suit différentes personnes n’ayant rien à voir les unes avec les autres, qui convergent par hasard vers un même lieu (Lapa) et vont s’y croiser sans s’en rendre compte, le temps d’une scène tendue et anxiogène. Le procédé, plutôt cinématographique, est bien connu mais il est clairement maitrisé et fonctionne à la perfection. Re-bon point.
Mais tout cela n’est hélas que de la poudre aux yeux. Pourquoi déployer un tel talent graphique et narratif pour ne rien dire du tout ? L’histoire est sympa, oui, mais complètement anecdotique, sans enjeu ni finalité. Bref on s’en tape un peu. Finalement, ni le lecteur ni les personnages n’auront appris quoi que ce soit à l’issue de cette nuit étrange, alors que des destins auraient (peut-être) pu basculer. Mauvais point.
J’exagérerais à peine en disant que c’est aussi alléchant, frais, sensuel et exotique qu’un bon caïpirinha mais que ce n’est que du sirop ;-)
La première page condense les représentations stéréotypées que l’on se fait de Rio : la plage d’Ipanema au sable fin encadrée de montagnes, un soleil de plomb, une fille gracieuse en bikini et des cocktails aux agrumes… Mais elle est déceptive : ce cliché est littéralement balayé : la jeune vacancière en maillot prend une photo de ce paysage de carte postale à l’aide de son instax mini et l’accroche sur le panneau d’entrée de son auberge de jeunesse : un tel tableau « pour touristes » ne sera pas celui que dressera pour le lecteur l’auteur franco brésilien Nicolaï Pinheiro.
Il se focalise sur Lapa, lieu frontière, à la jonction des quartiers Nord et Sud, et ses lieux emblématiques : l’aqueduc, les escaliers Selaron, la salle de concert du Circo Voador... Grâce à Joanna la jeune réceptionniste de l’auberge et à son ami Fabio, deux jeunes issus des quartiers sud, qui deviennent les guides d’un soir d’Erika la jeune allemande ; grâce aussi à Cacique, un jeune homme des quartiers nord qui se joint au trio, nous découvrons un Rio nocturne, plus interlope, plus menaçant, plus authentique et plus drôle parfois. La temporalité resserrée (la majorité de l’album se déroule le temps d’une soirée), et la multiplicité des intrigues créent une tension: on trouve à la fois le côté festif de la capitale dans l’emploi de couleurs chaudes notamment mais on éprouve aussi l’impression d’un danger qui rôde comme le souligne le personnage de Fabio sorte d’alter ego de l’auteur ( qui lui a d’ailleurs donné ses traits ) : « je sais pas, j’avais l’impression qu’il y avait tout le temps un… comme un danger qui rôdait, autour de nous […] t’as pas senti ça ? Comme si à tout instant ça pouvait basculer ». Cette dualité est d’ailleurs magnifiquement rendue sur la couverture où se détache à la fois le trio des jeunes gens insouciants descendant les escaliers en couleurs vives et des silhouettes inquiétantes, dans les tons noirs, démesurées par le cadrage en contre-plongée au premier plan et démultipliées à l‘arrière-plan.
Au début de son ouvrage précédent, « La drôle de vie de Bibow Bradley », Pinheiro mettait une playlist pour accompagner la lecture de l’ouvrage. Ici, pas besoin de titres de samba, la bande son est extrêmement travaillée : on entend au fil des cases du Pagode et les percussions des concerts en plein air près des escaliers Selaron, mais aussi la musique électro du Circo Voador, les dialogues de télénovelas, les paroles machistes des titres de funk qui cartonnent à la radio, et les sirènes stridentes de la police.
Tout cela participe à réelle une immersion dans l’atmosphère de la ville en en rendant le côté trépidant mais sert également de lien entre les différentes scènes et saynètes. En effet, le livre est véritablement orchestré : à la manière d’un Arthur Schnitzler dans « La Ronde » (ou d’un Max Ophuls dans le film qui en a été adapté), l’auteur met en scène le quatuor et une douzaine de seconds rôles croisés au fil de leurs pérégrinations.
Les histoires et les perspectives se font écho, se déploient, se croisent, se précisent l’une et l’autre (on entend ainsi des dialogues téléphoniques « des deux côtés »). Une simple silhouette figurante d’une saynète (la mystérieuse femme au tatouage au serpent par exemple) est mise soudainement en lumière pendant quelques pages grâce à un art consommé du montage parallèle, de la variation, et de la rupture de construction. On découvre, de cette façon, différentes facettes des personnages et de la ville. Certains thèmes graves (la montée de l’extrémisme et la nostalgie de la dictature militaire) sont ainsi abordés mais sans dogmatisme ; même les personnages les plus caricaturaux tels les malfrats d’opérette et le policier militaire sont à la fois grotesques et profondément humains parce qu’ils incarnent la bêtise mais aussi la solitude et sont finalement victimes du déterminisme social. Tous les personnages sont plus complexes qu’ils ne paraissent. On ressent à la fois l’énergie des protagonistes mais aussi leurs failles et leurs hésitations, tout particulièrement dans les gros plans des visages. L’album acquiert ainsi une réelle densité et rend justice à la fois à la complexité de la mégalopole mais également à celle de ses habitants. Une fois, l’album refermé, on a envie de s’y replonger pour tenter d’en repérer toutes les subtilités.