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Les larmes du seigneur afghan est une BD sur l’Afghanistan, ce pays qui connait des troubles depuis plus d’une décennie. Après le 11 septembre 2001, il y a eu une riposte américaine qui a chassé les talibans et qui a détruit le commanditaire de cet affreux attentat.
Cependant, cette BD va plus loin. Elle apporte un autre regard sur les conséquences de l’intervention américaine. L’OTAN est restée près de 10 ans dans ce pays. Une journaliste qui connait bien la région est sous la protection d’un vieux sage qui a combattu les russes, puis les talibans. Cependant, même dans sa propre famille, l’idéologie de ce mouvement religieux a gagné du terrain. Ils reviennent plus forts que jamais. Il s’agira de comprendre les causes de cet affreux mécanisme.
On s’aperçoit finalement que les forces occidentales auraient mieux fait de rester chez soi sans se mêler des affaires internes de ce pays en proie à la guerre civile. Les bavures comme dans toutes les guerres sont légions. Elles ont contribué à l’augmentation des rancœurs contre l’Occident. Ce retour en arrière a des conséquences certaines sur la place de la femme dans la société afghane sans vouloir créer de polémique.
Le regard de l’auteure est celui d’une journaliste qui nous livre des faits ainsi qu’une interprétation. C’est du bon travail puisque cela se situe jusqu’au moment où j’écris ces lignes. C’est d’actualité la plus fraîche. On va comprendre les larmes de ce seigneur afghan.
En 2012 la grand-reporter belge Pascale Bourgaux sort son documentaire sur un seigneur de guerre afghan, compagnon d'arme du commandant Massoud et baron local du nord de l'Afghanistan. Tournant depuis dix ans dans ce territoire, la journaliste a connu les évolutions de la situation depuis l'intervention américaine de 2001. le documentaire témoigne de la nouvelle situation tragique qui voit une population désabusée et prête à rendre les rennes aux Talibans pour peu qu'ils garantissent la sécurité et l'éducation... En 2014 sort la BD du même titre: il s'agit d'une sorte de making-of, de transposition illustrée (certains plans sont repris du film), en bref ce qu'on appelle une adaptation.
"Les occidentaux, vous êtes obsédés par la Burqa! Si cela pouvait être le seul problème des afghanes je serais ravie, Pascale."
Il est probable que peu de personnes aient vu le film (diffusé une fois sur canal+) et la BD est l'occasion de s'immerger dans ce formidable récit, d'en ressentir la tension. Elle permet aussi de voir l'envers du décors. Les réactions de la journaliste quand elle craque, ses interrogations, les images tournées mais non retenues ou les séquences intégrales avant montage qui nous donnent à voir des discussions qui n'étaient pas montrables. Bien sur, il y a toujours une part de fiction (dans un film comme dans une BD) mais le projet d'adaptation, outre de très belles illustrations (et quelles couleurs!) est vraiment pertinent et donne à lire une oeuvre à part entière. Je trouve simplement regrettable qu'aucune information ne soit donnée sur l'origine du projet, sur le film, sur l'auteur. Plus que toute autre BD, une BD-docu nécessite à mon sens un avant propos et des annexes permettant d'élargir son périmètre, de mieux appréhender ce que l'on vient de lire et de faire la part des choses entre le réel et le récit. L'album y perd beaucoup, en se terminant brutalement sur une page blanche de garde, c'est dommage.
Après une entrée en matière classique qui m'a fait craindre un énième reportage illustré, j'ai été surpris par le stress ressenti dès lors que les personnages commencent leur voyage vers la région tribale de Mamour Hassan (le chef). Sans le son d'un reportage vidéo, sans le réel des images, le seul contexte rappelé, les dialogues des personnages, nous font ressentir à la fois l'urgence, le danger permanent et le fait d'être au bord du monde que l'on connaît. L'écart de culture, même chez cet ami puissant, respecté, adversaire radical des talibans, fait que l'incident peut survenir à tout moment. Un geste, une phrase déplacée peut jeter la honte sur un sage observé de tous, le contraindre par honneur à des gestes, des décisions qu'il ne souhaite pas et qui fragilisent l'équilibre entre la guerre civile et le retour à la civilisation de ce pays.
"Le chauffeur était prêt à nous trahir. Mais quand il réalise que le prix de cette trahison risque d'être plus élevé que prévu il renonce."
Sans appuyer, par le seul témoignage, l'on a le sentiment de comprendre la réalité du pays de 2014: un pays rural, pauvre, peuplé de personnes pour qui la seule éducation est celle des mollah. Là le rôle du seigneur de guerre Mamour Hassan devient plus fondamental encore que celui du gouvernement central: c'est lui qui construit les écoles, qui nomme les instituteurs. Des instituteurs qui ont pour partie basculé dans le camp des talibans alors qu'ils sont fonctionnaires de l'Etat... Car l'Etat est Mamour Hasan dans cette province reculée. Les Talibans sont déjà dans les têtes de populations qui ne voient pas arriver les milliards de l'aide occidentale, détournée par la corruption de Kaboul. Une population qui vit depuis des décennies dans une version obscurantiste de l'Islam. Et seule l'autorité morale de Hasan maintient sa ville sur le chemin des Lumières. Dans cet environnement insidieux, caché, collaborationniste, la journaliste occidentale n'est acceptée que par-ce qu'elle est l'invitée du chef. Elle et son cameraman savent qu'à l'instant où le chef est parti ils sont en danger de mort.
Les larmes du seigneur Afghan est une BD très forte pour qui s'intéresse à l'actualité, au difficile sujet de la cohabitation entre deux cultures, l'Islam et l'Occident, à un pays probablement unique dans l'histoire du monde. Un pays qui cristallise depuis si longtemps les soubresauts du monde et dans lequel des habitants ne demandent qu'à sortir des projecteurs.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/04/08/les-larmes-du-seigneur-afghan
Quand la BD se fait témoignage... La complexité de la situation est bien rendue (relire les magnifiques romans de Khaled Hosseini), le dessin est solide, évoquant les paysages avec douceur et les personnages avec réalisme, et surtout voici un regard original sur le travail des journalistes, femme de surcroit dans un pays difficile. A lire et à faire connaître.