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Sept ans après la parution du premier volet « Eclats » en français aux éditions de La pastèque au Canada, le deuxième volume est enfin publié chez Dupuis et réuni au premier grâce à une nouvelle maquette qui fait dialoguer les couvertures comme les protagonistes dans le récit.
Esther retrouve Victor le lendemain ; alors qu’elle lui avait dit la veille « je vais assez bien… j’ai survécu. Ne me demande pas comment », elle va finalement raconter. Un peu… car les « cicatrices » sont toujours vivaces. De brèves séquences reviennent également sur l’évolution de Victor et certaines des questions irrésolues dans le premier volet trouvent enfin leurs réponses dans la confrontation des points de vue.
Un diptyque en forme de puzzle
Ce deuxième opus fonctionne en écho avec le premier comme l’indiquait déjà la couverture. Si l’on pouvait éventuellement lire le premier seul, ce dernier ne peut se lire indépendamment. A eux deux, ils forment un tout et donne la pleine mesure au lecteur d’une réalité autrement parcellaire. Certaines énigmes (le sabotage du câble par exemple) s’en trouvent ainsi résolues. Certains événements prennent aussi davantage de profondeur en entrant en résonnance.
Pourtant ce tome apparaît plus convenu …
Un récit plutôt classique qui s’émancipe du modèle hollandais : « le Journal d’Anne Frank »
Sans doute parce que les parti-pris graphiques et narratifs ne surprennent plus voire deviennent redondants. Je dois avouer que j’ai été aussi davantage gênée dans ce tome par la ressemblance des personnages entre eux : Victor et le fermier présentent des traits similaires, Esther et Rose également. Cela nuit à a lisibilité de l’histoire. Ensuite, parce que les thèmes abordés sont finalement « classiques » dans la littérature d’occupation : la collaboration des uns, la résistance des autres, l’attentisme de beaucoup.
Enfin parce que le personnage principal de ce tome est Esther et que son récit est celui tristement classique d’une famille juive obligée de fuir, de se séparer, de trouver des lieux ou se cacher, des familles prêtes à les accueillir… Montrer une famille juive qui se cache c’est également une gageure pour s’affranchir de l’ombre écrasante du « Journal d’Anne Frank » mais aussi un moyen de rappeler que les abus dont ses membres ont été victimes n’ont pas tous été le fait des Allemands mais parfois de leurs compatriotes. Poursuivre sur l’après-guerre, c’est surtout dépeindre la difficile réinsertion dans un monde qui veut tourner la page et pour lequel ils sont un reproche vivant. On comprend ainsi mieux les interventions et les commentaires d’Esther qui, dans le premier tome, reprochait sans cesse à Victor l’inertie de ses camarades soldats. Elle est révoltée par l’attentisme de toute la population qui ne l’a pas protégée et qui ne la reconnaît pas non plus en tant que rescapée d’une tragédie. Erik de Graaf relate aussi le sentiment de culpabilité des survivants… Cela peut évoquer à la fois certaines des confidences de Simone Veil sur son retour des camps dans « Une vie » et le portrait de la mère d’Art Spiegelman dans « Maus ». Les souffrances des survivants de la Shoah constituent autant de blessures invisibles qui cicatriseront peut -être un jour comme le laisse à penser le dénouement …
Ce diptyque nous rappelle que la seconde guerre mondiale a fait peut-être bien plus de victimes collatérales que l’on peut se l’imaginer. Les personnages hollandais ou les réfugiés et même les soldats allemands paraissent tous très jeunes. C’est un moyen de souligner comment leur avenir qui aurait pu être radieux -le futur dot rêvait le couple en 1939 par exemple -, a volé en « éclats » et combien les « cicatrices » demeurent.
« Jeux de mémoire » paru en 2010 était un livre composé de trois recueils publiés auparavant en néerlandais en 2005 et remaniés pour ne former qu’un livre qui racontait les souvenirs d’enfance d’Erik de Graaf et en particulier des vacances qu’il passait chez ses grands-parents. C’est à nouveau sa famille qui est à la source d’« Eclats » : l’auteur s’appuie sur les souvenirs de guerre de son oncle et de son grand-père ainsi que le souligne le cahier en fin d’album « le vécu derrière la fiction » qui présente des fac-similés de lettres, de documents d’état-civil , des photos de famille et des objets du quotidien.
« Eclats » a connu sa première publication en langue française chez la Pastèque en 2013 et a été réuni avec le deuxième volet du diptyque en 2020 chez les éditions Dupuis dans une nouvelle maquette où les couvertures se répondent et se complètent telles les deux pièces d’un puzzle pour en former une troisième, très jolie, qui marque à la fois les retrouvailles du couple d’amoureux et souligne qui est le personnage principal de chacun des tomes.
Samedi 4 mai 1946, voici maintenant un an que la guerre est terminée en Hollande et six ans que Christian repose dans le cimetière où vient se recueillir son ami Victor. Ce dernier se remémore leurs derniers jours ensemble en mai 1940 alors que Christian ne rêvait que d’en découdre et de continuer le combat, après ce qu’il considérait comme une trahison de Willemine et la famille royale, persuadé qu’un sabotage des canons avaient eu lieu précipitant une honteuse capitulation de son pays. En sortant du cimetière, il croise Esther. Ils étaient pratiquement fiancés avant-guerre ; c’est d’ailleurs Christian qui les avait présentés l’un à l’autre. A son retour du front, Victor l’avait cherchée ; on lui avait dit qu’elle avait fui les persécutions car elle était juive. Il la croyait morte et ne pensait jamais la revoir ! Elle lui demande alors de lui raconter sa vie depuis le moment où tous leurs projets ont volé en « éclats » et de lui dire comment et pourquoi leur ami est mort.
Jeux de mémoires
Ce premier tome, comme le rappelle la couverture dans laquelle son visage apparaît en gros plan, s’intéresse donc davantage au personnage de Victor puisqu’il va raconter son histoire à son amie à la demande de celle-ci. On va avoir le récit en couleurs durant lequel Victor sera pratiquement « interviewé » par Esther qui oriente ses souvenirs par ses remarques et ses questions en 1946 et des flashbacks de deux ordres : les premiers sur la guerre sont couleur sépia comme des clichés d’époque et ceux plus anciens sur l’avant-guerre sont en noir et blanc. Ces codes chromatiques donnent une lisibilité au va et vient entre passé et présent et celle-ci se trouve même accentuée par l’inclusion de dates à chaque début de séquence présentées sous la forme de feuille d’une éphéméride.
Vies brisées
Erik de Graaf signe donc un livre « témoignage » sur l’invasion des Pays-Bas par l’Allemagne nazie et sur leur amère défaite lors de la blitzkrieg. On a l’impression, grâce au mode de la conversation, qu’il se confie directement à nous et l’on perçoit alors ses regrets d’une capitulation trop rapide, sa douleur devant la perte d’êtres chers, sa nostalgie du passé heureux et la difficulté d’abandonner ses rêves personnels. Il est question très allusivement de son entrée dans la résistance mais ce sera sans doute abordé davantage dans le deuxième volume. Dans celui-ci, Esther juge très sévèrement la non -rébellion de jeunes soldats qui n’ont rien pu faire contre « les Boches », puis ont fui ou se sont cachés. Ces réactions - qui trouveront également leurs explications dans le deuxième volume - pourraient être celles du lecteur frustré d’héroïsme … Or, il me semble que c’est justement une version anti-hollywoodienne que veut donner de Graff ici, et que les propos d’Esther soulignent finalement combien des jeunes gens ordinaires étaient plongés dans une situation qui ne l’était pas.
Le parti-pris de la sobriété
Le dessin très épuré contribue à cette volonté de ne pas glorifier ni faire « d’esbrouffe », il est très 1950, tenant de la ligne claire et du style atome qu’admire le dessinateur, et possède un côté rétro. Comme le monologue intérieur du début très succinct, les dialogues sont très lapidaires, et il n’y a pas de récitatifs hormis des notations temporelles. Toute la palette des sentiments est transcrite par les expressions des yeux et des bouches des personnages mis en valeur grâce aux cadrages resserrés. Le fait qu’il y ait une certaine réticence à exprimer le vécu montre de façon très efficace que les « cicatrices » (titre du second volume) sont loin d’être refermées. Cette pudeur permet aussi au lecteur d’essayer de combler les blancs et le rend actif tout en dotant le propos d’une sorte d’universalité.
C’est un livre intéressant parce qu’il aborde un sujet peu traité : l’occupation allemande en Hollande. Ici ce sont de anonymes, pas des héros, qui sont mis en scène. Le traitement de l’histoire avec de brèves allusions à l’Histoire et un va et vient permanent entre les époques pourra en décontenancer plus d’un tout comme les redites et la lenteur du rythme ; mais c’est emblématique des mots qui se cherchent, de souvenirs qu’on a voulu enfouir qui remontent à la surface, de jeux de [la] mémoire aussi et d’une certaine pudeur. Ce récit tout en sobriété n’en est finalement que plus émouvant.