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Il existe un tas de pays sur la planète où la liberté d’expression peut conduire des individus bien intentionnés en prison. Même un dessinateur de bd pour enfant ne peut parfois y échapper. Il suffit par exemple de dessiner un cafard et d’employer un mot qui dans un autre langage aurait une connotation négative. En l’occurrence, un groupe ethnique vivant en Iran et ayant des liens culturels avec la Turquie et l’Azerbaïdjan se sont servis d’une méprise pour manifester dans la violence leur mécontentement. En gros, ce sont des gens bien susceptibles qui se sentent persécutés.
Atteinte à la sécurité de l’Etat et voilà notre auteur emprisonné et privé de liberté. S’il faut ajouter un système politique et judiciaire assez corrompu, voilà le triste résultat. Cela me fait penser que même des soutiens modérés à ce régime peuvent être à un moment donné dans leur collimateur. Cela crée un réfugié politique de plus.
A la lecture récente de L'Araignée de Mashhad qui m’avait fort bien séduit, j’avais décidé de découvrir les œuvres antérieures de cet auteur assez étonnant. Après le Petit manuel du parfait réfugié politique, j’ai décidé de lire l’œuvre qui l’a fait connaitre. Il est clair qu’on ne pouvait s’attendre à mieux sur un sujet aussi délicat. C’est également une épreuve personnelle qu’a subi de plein fouet Mana Neyestani aussi bien dans son arrestation, son emprisonnement ou sa fuite dans différents pays pour échapper à la répression du pouvoir des Ayatollahs. Tout est intéressant pour peu qu’on puisse considérer tout cela comme un tout. Compartimenter n’a d’ailleurs aucun sens.
J’aime toujours le trait graphique qui colle à merveille pour ce type de récit. En même temps, c’est très lisible car c’est tout en rondeur. Je n’ai absolument pas eu de mal à rentrer dans cette histoire. C’est agréable à la lecture. Si on ajoute une narration bien réalisée, nous avons une œuvre complète. Certes, cela peut foutre le cafard pour ne pas dire le bordel. Chez nous aussi, il y a des gens susceptibles mais on ne termine pas en prison pour autant.
Tout commence par un simple cafard, un petit cafard que Mana Neyestani dessine un jour, dans une rubrique pour enfants, sans penser que, par ce dessin innocent, il allait voir sa vie bouleversée. Mal interprété, diffusé avec un faux texte, son dessin servira à attiser la haine des Turcs iraniens et ira jusqu’à provoquer des émeutes réprimées sévèrement. Neyestani, lui, est vu comme un fauteur de troubles et jeté dans les geôles de la prison d’Evin. D’où la métamorphose du titre, qui fait passer l’auteur d’un état d’homme relativement heureux, malgré le lourd climat de la dictature, à celui de paria condamné, spolié, et contraint à la fuite. De fait, si le clin d’oeil à la Métamorphose de Kafka est affirmé, c’est plutôt avec Le Procès qu’il faudrait établir un parallèle. Les deux livres montrent la même absurdité : celle de l’innocent en cellule qui doit répondre d’actes inconnus, celle des jugements abscons et d’une justice qui se nie elle-même.
Mana Neyestani est un important dessinateur de presse iranien, mais pas un grand dessinateur de bande dessinée, car son trait a des failles perceptibles. Pourtant, on ne peut décrocher le regard à la lecture de ce témoignage édifiant. Pyongyang avait scotché des milliers de lecteurs en donnant une vision pourtant toute extérieure et assez tranquille d’un des régimes les plus fermés du monde. Ici, c’est tout autre chose puisque nous suivons un prisonnier du régime jusque dans les salles de tortures. Est-ce alors sombrer dans le voyeurisme ? La limite est toujours floue dans les récits de témoignages, et l’auteur sait parfaitement éviter cela. Si tout ce qui lui arrive est totalement sidérant, il ne cherche pas à se plaindre ni à attirer la compassion mais à montrer l’impunité incroyable de ce pays où faire un dessin humoristique sans aucune visée politique peut vous mener en prison.
À la suite d’un périple rocambolesque, Mana Neyestani a réussi à fuir l’Iran et s’est installé à Paris grâce à un programme de soutien à la liberté d’expression. Il y a onze ans, Marjane Satrapi nous racontait l’Iran de sa jeunesse et son glissement progressif vers le totalitarisme. Dans Une métamorphose iranienne, l’auteur transcrit l’Iran d’aujourd’hui et sa tragique évolution, avec l’énergie folle de sa liberté retrouvée. Une prise de parole rare et nécessaire qui se doit d’être saisie par tous.
Une histoire très forte que celle de ce dessinateur iranien dont un dessin provoque des troubles et lui vaut la prison et l'exil. Très bien raconté au niveau de l'homme sans explication ou alibi politique, cela donne toute sa force à l'aspect kafkaïen de ce récit. Le dessin centré sur les personnes traduit très bien leurs sentiments ou leur caractère.
Au total une lecture très prenante et assez terrifiante, mais indispensable pour comprendre les affres des réfugiés et le désespoir des personnes qui ne sont que des pions dans un système totalitaire.
Mais est-on si exemplaire que ça chez nous? Une histoire écrite par des sans-papiers en France ne serait pas très différente.