Lortac est connu des spécialistes de l'animation, mais est quasiment ignoré du grand public. Pourtant il occupe une place de choix parmi les pionniers du dessin animé, et mérite d'être redécouvert. Sa production est quantitativement la plus importante de toute l'histoire de l'animation en France. "Je suis né le 19 Novembre 1884, à Cherbourg (Manche). Je ne peux pas dire :"J'ai vu le jour", étant venu au monde pendant la nuit". Son père le destinait à une carrière militaire mais, à 16 ans, son tempérament indiscipliné le fit renvoyer opportunément du Prytanée de la Flèche. Il commença alors des études de peinture dans un atelier des Beaux-Arts de Paris. De 1906 à 1914, il collabora à des journaux comme dessinateur-caricaturiste. Il croquait sur le vif les acteurs, pour illustrer les comptes-rendus de pièces. En 1914, il avait mis en chantier "Le savant Microbus et son automate", un film comique avec acteurs dans la veine du cinéma muet de l'époque, quand la guerre de 14-18 fut déclarée. Le tournage fut terminé à la hâte (en Août 1914), et il partit sur le front. Blessé en 1915 (une épaule arrachée par un obus) il fut réformé et dès son rétablissement, il se mit à réaliser des films de pantins animés pour inciter les civils à acheter des bons de la Défense Nationale. Il s'agissait de courtes bandes insérées dans les actualités "Eclair-journal." C'est à cette époque qu'il rencontra Emile Cohl et collabora avec lui. Le cabinet Clémenceau l'envoya aux Etats-Unis présenter une exposition d'artistes français mobilisés, en vue de récolter des fonds pour la guerre. C'est là qu'il découvrit avec émerveillement les bandes dessinées de Winsor McCay dans le New York Herald et les studios de dessins animés américains. À son retour en 1919, il fonda sa propre société de production et, après avoir réalisé quelques dessins animés de fiction humoristiques peu rentables, il choisit de s'orienter vers le dessin animé publicitaire. Ses fictions seront adaptées, tronçonnées, pour être diffusées en format 9,5mm, l'ancêtre du Super 8, le "cinéma à la maison". Ces petits films furent distribués par "Pathé Baby". En 1921, il répondit à une commande de deux amateurs genevois, Peyrot et Ehrenhold, initiateurs d'un film consistant à animer la bande dessinée de Rodolphe Toepfer (1799-1846) "Monsieur Vieuxbois". Le film fut produit par Pencil Film et réalisé par les parisiens Lortac et Cavé. Ce fut découvert et restauré par la Cinémathèque suisse à la suite des recherches faites par son conservateur Freddy Buache. Il dure 35 minutes et est une adaptation très fidèle du livre de Toepfer, composé de 3 épisodes des aventures amoureuses de Monsieur Vieuxbois. Sa maison de Montrouge (1926) devint le premier studio de dessins animés en Europe avec entre 10 et 15 collaborateurs et 5 caméras. Il utilisait banc-titre, poupées animées, prises de vues réelles. Il tournait aussi des documentaires et des films techniques et éducatifs. Lortac eut pour collaborateurs Cheval, Jodelet, Landelle, Maleva, Quésada, Poulbot, Raymond Savignac, Leiritz, Hémard, etc, et travailla occasionnellement avec Emile Cohl ou Raoul Guérin. Il forma également Antoine Payen et André Rigal dont les noms s'imposèrent plus tard. À partir de 1922, il lança le "Canard en ciné" "premier journal gai de dessins animés assaisonné par l'Atelier Lortac" : ces courts films d'animation commentaient l'actualité de façon amusante et impertinente. Pathé les distribuait en salle en même temps que les actualités. En 1936, la crise ralentit les affaires et la publicité périclita. Au moment où Lortac commence son activité cinématographique, la révolution technologique bouleverse la vie et l'imaginaire des gens. L'apparition des premières automobiles, les records de vitesse, les avions défiant les lois de la gravité, les progrès dans tous les domaines fascinent et effrayent en même temps. Lortac traite le thème de la modernité sur le mode humoristique : l'automatisation, les aspects à la fois pratiques et dangereux (pouvant se retourner contre leur créateur) de toutes ces inventions. "Le savant Microbus et son automate" met en scène un robot, "La maison automatique" montre comment un savant a automatisé sa demeure pour remplacer les domestiques (le même thème a été traité en film par E. Cohl). "Les déboires d'un piéton", "En vitesse" et "Un horrible cauchemar" exprime les sentiments très mitigés des contemporains (attrait et peur mêlés) au sujet des voitures. Il "inventa" la publicité en dessins animés, il en fit de petites fictions drôles qui créaient la surprise au moment de la citation du produit. Alain Resnais se souvenait d'avoir vu "L'invention du Pr Mécanicas", il a conseillé à Sabine Azéma d'en utiliser un extrait pour son film documentaire sur Lewis Caroll. Après trente années de production continue, la Seconde Guerre mondiale venue, Lortac vendit son matériel de cinéma et s'adonna à l'écriture de scénarios de bandes dessinées et de livres policiers. En tant que scénariste de bandes dessinées, il se spécialise plus particulièrement dans le domaine de la science-fiction, et ce dès ses débuts. C'est ainsi que, dans Gavroche, en 1941, il crée Démonax et Fulguros. Parmi ses oeuvres les plus célèbres on relève des séries comme : Bibi Fricotin (dessins de Pierre Lacroix), Bicot (dessins de ), Les Pieds Nickelés (dessins de Pellos), Météor aux éditions Artima (dessins de R. Giordan) enfin tout ce que dans les universités on appelle de la "paralittérature". Et dans cette branche, ce fut un auteur très, très prolifique avec des histoires souvent d'une grande qualité. Il mourut en 1973, à l'âge de 89 ans.
Texte © Bédés d'antan
Lortac est connu des spécialistes de l'animation, mais est quasiment ignoré du grand public. Pourtant il occupe une place de choix parmi les pionniers du dessin animé, et mérite d'être redécouvert. Sa production est quantitativement la plus importante de toute l'histoire de l'animation en France. "Je suis né le 19 Novembre 1884, à Cherbourg (Manche). Je ne peux pas dire :"J'ai vu le jour", étant venu au monde pendant la nuit". Son père le destinait à une carrière militaire mais, à 16 ans, son tempérament indiscipliné le fit renvoyer opportunément du Prytanée de la Flèche. Il commença alors des études de peinture dans un atelier des Beaux-Arts de Paris. De 1906 à 1914, il collabora à des journaux comme dessinateur-caricaturiste. Il croquait sur le vif les acteurs, pour illustrer les comptes-rendus de pièces. En 1914, il avait mis en chantier "Le savant Microbus et son automate", un film comique avec acteurs dans la veine du cinéma muet de l'époque, quand la guerre de 14-18 fut déclarée. Le tournage fut terminé à la hâte (en Août 1914), et il partit sur le front. Blessé en 1915 (une épaule arrachée par un obus) il fut réformé et dès son rétablissement, il se mit à réaliser des films de pantins animés pour inciter les civils à acheter des bons de la Défense Nationale. Il s'agissait de courtes bandes insérées dans les actualités "Eclair-journal." C'est à cette époque qu'il rencontra Emile Cohl et collabora avec lui. Le cabinet Clémenceau l'envoya aux Etats-Unis présenter une exposition d'artistes français mobilisés, en vue de récolter des fonds pour la guerre. C'est là qu'il découvrit avec émerveillement les bandes dessinées de Winsor McCay dans le New York Herald et les studios de dessins animés américains. À son retour en 1919, il fonda sa propre société de production et, après avoir réalisé quelques dessins animés de fiction humoristiques peu rentables, il choisit de s'orienter vers le dessin animé publicitaire. Ses fictions seront […]