J'ouvre les yeux au monde le soir de Noël 1981, sous l'action d'une intraveineuse d'ocytocine haut-débit infusée par des infirmières pressées d'aller réveillonner. Trop speed depuis pour rester des heures courbé sur une table à dessin, me reste deux issues : entamer une carrière de jardinier (mais demeure ce problème d'impatience), ou me consacrer à ma vraie passion, le croquis sur le vif. Pas le temps de coucher sur le papier un hypothétique monde intérieur, il faut d'abord aller le voir. Le monde. Et ses habitants. Après six mois d'errance dans les réseaux de solidarité et de sociabilité de la capitale, mon diplôme d'illustration prend finalement la forme d’un reportage dessiné : Portraits Cachés, une relecture de la loi contre les exclusions (prix du jury Grands Reportages 2002). Pourtant pas vraiment l'âme d'un grand voyageur, mais je réalise qu'on peut partir pour des territoires inexplorés, en prenant simplement le temps de s'arrêter au coin de sa rue.Je choisis dès lors de vivre en immersion, pour mieux les comprendre, dans des mondes présumés clos, ou nécessitant une initiation (tribus électroniques, communautés Emmaüs, groupes de sans logis, usagers de drogues, squatters...). Les crayons seraient des clefs permettant de pénétrer les interstices d'une société où la présence du dessinateur est tolérée (comme dans les tribunaux). Comme si ce médium, subjectif et imparfait, était susceptible de préserver une part du secret. Du visage et du témoignage. Le dessinateur serait en quelque sorte accepté à proportion de son impuissance à "faire preuve", à représenter "vraiment", "complètement". Mais le croquis demeure surtout un formidable outil de rencontre, en même temps qu'une manière de porter un regard sur mes propres nuits... et de boire des coups à l'œil. Restait à théoriser la chose. Va pour un Master en arts plastiques, autour des enjeux du dessin dans l’approche documentaire ("Carnets de Bord", Paris I Sorbonne, 2005). Mais les questions se formulent surtout dans la confrontation quotidienne à d'autres yeux dans le monde. Compréhensifs, exigeants, critiques, mais toujours ouverts. Quand je ne tiens plus à ma table à dessin, je réalise des reportages dessinés ou en BD pour l’édition, la presse (Le Monde, Casemate, Mag de la Seine Saint Denis), les associations (Aides, Médecins du Monde, Asud, AFR...) ou dans le cadre de résidences (à Clermont-Ferrand, Cholet, Beauvais... voire même plus loin encore).
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J'ouvre les yeux au monde le soir de Noël 1981, sous l'action d'une intraveineuse d'ocytocine haut-débit infusée par des infirmières pressées d'aller réveillonner. Trop speed depuis pour rester des heures courbé sur une table à dessin, me reste deux issues : entamer une carrière de jardinier (mais demeure ce problème d'impatience), ou me consacrer à ma vraie passion, le croquis sur le vif. Pas le temps de coucher sur le papier un hypothétique monde intérieur, il faut d'abord aller le voir. Le monde. Et ses habitants. Après six mois d'errance dans les réseaux de solidarité et de sociabilité de la capitale, mon diplôme d'illustration prend finalement la forme d’un reportage dessiné : Portraits Cachés, une relecture de la loi contre les exclusions (prix du jury Grands Reportages 2002). Pourtant pas vraiment l'âme d'un grand voyageur, mais je réalise qu'on peut partir pour des territoires inexplorés, en prenant simplement le temps de s'arrêter au coin de sa rue.Je choisis dès lors de vivre en immersion, pour mieux les comprendre, dans des mondes présumés clos, ou nécessitant une initiation (tribus électroniques, communautés Emmaüs, groupes de sans logis, usagers de drogues, squatters...). Les crayons seraient des clefs permettant de pénétrer les interstices d'une société où la présence du dessinateur est tolérée (comme dans les tribunaux). Comme si ce médium, subjectif et imparfait, était susceptible de préserver une part du secret. Du visage et du témoignage. Le dessinateur serait en quelque sorte accepté à proportion de son impuissance à "faire preuve", à représenter "vraiment", "complètement". Mais le croquis demeure surtout un formidable outil de rencontre, en même temps qu'une manière de porter un regard sur mes propres nuits... et de boire des coups à l'œil. Restait à théoriser la chose. Va pour un Master en arts plastiques, autour des enjeux du dessin dans l’approche documentaire ("Carnets de Bord", Paris I Sorbonne, 2005). […]