Jacques Hurtubise, alias Zyx, est sans conteste la personnalité la plus importante de la bande dessinée québécoise des années 1970 et 1980. Dessinateur, scénariste, animateur à la télévision, organisateur d'événements, chroniqueur et éditeur : il n'y a pas de front où Jacques Hurtubise n'ait pas exercé ses activités afin de promouvoir la BD québécoise. Ce n'est pas pour rien (et surtout pas pour avoir un auteur dont le nom commence par la lettre « Z »!) qu'il est un des seuls auteurs québécois, avec Albert Chartier, à voir son nom figurer tant dans The World Encyclopedia of Comics de Maurice Horn que dans le Dictionnaire Larousse de la Bande Dessinée de Claude Moliterni et Patrick Gaumer et dans L'Encyclopédie des Bandes dessinées de Marjorie Alessandrini. Docteur Hurtubise et Monsieur Zyx, deux facettes d'un même personnage qui a marqué de façon indélébile la BDQ. Tenter d'en faire le portrait, c'est écrire une page importante de l'histoire de la bande dessinée québécoise. Né à Ottawa, en novembre 1950, mais ayant grandi à Rimouski, Jacques Hurtubise commence à s'intéresser sérieusement à la bande dessinée alors qu'il étudie en génie électrique à l'Université de Montréal. En collaboration avec Gilles Desjardins et un groupe d'étudiants, il fonde, en 1971, L'Hydrocéphale Illustré. Grâce à une subvention du service d'animation culturelle de l'université et d'une bourse du Secrétariat d'État (programme Perspectives-Jeunesse), le premier numéro de L'Hydrocéphale Illustré paraît en novembre 1971. Tiré à 10 000 exemplaires, il est distribué gratuitement dans les cégeps et les universités de la province. Outre Hurtubise (qui y réalise la série Crézy Rider) et Desjardins, l'équipe de L'Hydrocéphale est composée de Réal Godbout, Françoise Barette, Guy Lacoste, Michel Demers et quelques autres. Pierre Fournier se joint bientôt au groupe à titre d'administrateur. En compagnie de membres de la revue BD, une partie de l'équipe de L'Hydrocéphale s'envole pour la France à l'automne 1971, afin d'y effectuer un stage d'études de trois semaines. Ils rencontrent divers dessinateurs et éditeurs en plus de visiter les rédactions de Pilote, de Charlie et de Phénix. Le second, et dernier, numéro de L'Hydrocéphale Illustré paraît en mai 1972. Même si cette tentative est un échec, elle aura néanmoins convaincu Jacques Hurtubise de l'existence d'un marché potentiel pour la BD au Québec. Au cours de l'été 1972, Hurtubise organise et anime un autre projet subventionné par Perspectives-Jeunesse, qui a pour but d'étudier le milieu de la bande dessinée québécoise, canadienne et américaine. En juillet de cette même année, le groupe de L'Hydrocéphale présente la BD québécoise à la Comic Art Convention, à New York. Tout en poursuivant inlassablement ses activités de promotion de la BDQ, Hurtubise dirige la rédaction et la publication du Guide du parfait petit dessinateur québécois de bandes dessinées de Tibo (Gilles Thibault) en septembre 1972. Puis, c'est au tout début de l'année 1973 que, dans le cadre d'un autre projet Perspectives-Jeunesse et sous l'impulsion de Jacques Hurtubise et Pierre Fournier, les équipes des revues L'Hydrocéphale Illustré, Ma®de in Kébec et Kébec Pouding se réunissent pour former la Coopérative des Petits Dessins, puis les éditions de L'Hydrocéphale Entêté. L'objectif de la Coopérative des Petits Dessins est d'offrir aux journaux québécois des bandes quotidiennes et hebdomadaires selon le principe des syndicates américains. Dans le catalogue de la coopérative, Hurtubise crée, sous le pseudonyme de Zyx, un des personnages les plus mémorables de la BDQ : le Sombre Vilain. De mai à juillet 1973, Jacques Hurtubise participe comme recherchiste et animateur à la réalisation d'un vidéo de 22 heures sur la bande dessinée. Plusieurs auteurs de réputation internationale y accordant des entrevues. En septembre, il est recherchiste et commentateur à l'émission pour jeunes Téléchrome de Radio-Canada. Il y reçoit en entrevue les plus grands noms de la BD et de la caricature en plus d'y tenir une chronique sur l'histoire et le langage de la BD. Toujours en septembre 1973, Hurtubise, Fournier et leur groupe organisent, à Montréal, Le Show de la bande dessinée du Québec, première exposition d'envergure de la BDQ, puis, en février 1974, ils représentent la BD québécoise au Cosmicon de Toronto. C'est au cours du Show de la bande dessinée québécoise qu'est lancée la première publication des éditions de L'Hydrocéphale Entêté : Les Aventures du Capitaine Kébec de Pierre Fournier. Lorsque la direction du Parti québécois parraine la création du quotidien nationaliste Le Jour, en mars 1974, c'est à la Coopérative des Petits Dessins qu'elle commande des bandes dessinées. Le Sombre Vilain de Zyx est parmi les six bandes choisies et devient rapidement une des vedettes du journal. Plus de 550 bandes de ce personnage sont publiées, et quand le journal change de périodicité pour être publié toutes les semaines en 1975, le Sombre Vilain est la seule bande originelle à y figurer encore. En plus de la réalisation de cette bande, Jacques Hurtubise signe sous son vrai nom une chronique régulière sur la bande dessinée. Hurtubise écrit également quelques articles sur le sujet dans Québec français, La Revue du Cinéma : Image et son et La Barre du Jour. En septembre 1974, paraît la seconde publication de L'Hydrocéphale Entêté : L'Illustré no 8. Cette revue, dirigée par Pierre Fournier et véritable prototype de Croc, présente des BD et des illustrations de Réal Godbout, Fernand Choquette, Jean Bernèche, Tibo, Daniel McKale, Pierre Fournier, etc. Hurtubise y signe le scénario de Péniarcade d'Alain Glomo, bande érotico-fantastique, tout en réalisant une demi-planche du Sombre Vilain et en participant au roman-photo Contes et légendes du Québec fantastique. Malgré les qualités indéniables de la revue, L'Illustré n'a pas de suite. Dans les années qui suivent (1975 et 1976), Jacques Hurtubise poursuit sa collaboration au Jour et participe à l'organisation des deux premiers Festival International de la Bande dessinée de Montréal en compagnie de Pierre Huet, Sylvie Desrosiers, Pascal Nadon, Michel Demers, Jean Bastien et quelques autres. Le mois d'octobre 1979 restera à jamais un moment important de l'histoire de la bande dessinée québécoise. C'est à cette date que Jacques Hurtubise lance Croc, une nouvelle revue d'humour et de bandes dessinées. Ayant conclu, au gré de ses expériences, qu'une revue constituée exclusivement de bandes dessinées pouvait difficilement survivre dans un marché aussi restreint que celui du Québec, Hurtubise combine celles-ci à une forte proportion de textes humoristiques. Les deux premières années sont héroïques : malgré une subvention de 80 000 $ du ministère des Affaires culturelles, Jacques Hurtubise doit engager dans l'aventure presque tous ses biens. L'équipe de rédaction, réduite au minimum (Hurtubise, Hélène Fleury et Pierre Huet), travaille d'arrache-pied et Croc obtient rapidement le succès. Ses ventes passent de 20 000 à 75 000 exemplaires (et atteignent parfois, pour certains numéros, des pointes de 90 000 exemplaires!). Première véritable revue professionnelle de bandes dessinées, Croc a vu défiler dans ses pages plusieurs des auteurs et des séries importantes de la BDQ : Michel Risque de Pierre Fournier et Réal Godbout, Les Ravibreur de Raymond Parent et Yves Taschereau, La Légende des Jean-Guy de Claude Cloutier, Jérome Bigras de Jean-Paul Eid, Toto le bosniaque de Jacques Goldstyn, La Sœur violente de Jules Prud'homme et Rémy Simard, Olga et les bêtes de Lucie Faniel, Edgar Klavier de Rossini, Roch Moisan de Patrick Moerell et Claude Meunier, mais aussi Serge Gaboury, Garnotte, Caroline Merola, Al+Flag, Berthio, Gabriel Morrissette, André Rowe, Michel Etter, Martin Dupras, Pierre Fournier, Gité, Christine Laniel, Clément Bérubé, etc. Plusieurs rédacteurs (humoristes et journalistes) y présentent des textes : Stéphane Laporte, Claude Meunier, Yves Taschereau, Roch Côté, Serge Langevin, Sylvie Desrosiers, Christian Tétreault, Jacques Grisé, Yvon Landry, Michel Rivard, etc. Dans les premiers numéros, Jacques Hurtubise y reprend son Sombre Vilain, qui paraît maintenant en couleurs sur une page ou deux. Mais peu à peu, il délaisse son rôle de dessinateur de BD au profit de celui d'éditeur, qui lui semble être un défi plus difficile à relever. Toutefois, il fait régulièrement des apparitions dans les pages de Croc à titre de comédien pour des photo-romans ou de fausses publicités; les auteurs s'amusent aussi à le faire paraître dans leurs planches (Jérome Bigras, Roch Moisan, etc.). Il fait une prestation remarquée, aux côtés de Pierre Lebeau, dans les Incompressibles. En plus de jouer les défenseurs de la veuve et de l'orphelin vêtus de tutus et les amateurs boulimiques de pizzas, les deux compères écrivent ensemble les scénarios de ces aventures délirantes qui les opposent au machiavélique Professeur Maigrelaid (joué par le frère d'Hurtubise, François). Les aventures des Incompressibles paraissent d'août 1987 (no 97, Spécial Gros!) à décembre 1988 (no 113). Mais Jacques Hurtubise n'a pas mis de côté son projet de publier une véritable revue de bandes dessinées québécoises. En octobre 1984, il lance Titanic, titre prédestiné, dont il confie la rédaction à Michel Garneau (Garnotte). Cette belle aventure ne durera que 12 numéros, mais laissera des traces indélébiles sur la bande dessinée québécoise. Plusieurs auteurs y ont confirmé leur talent ou y ont fait leurs premiers pas. Au sommaire de Titanic, on retrouve des séries telles que Red Ketchup de Pierre Fournier et Réal Godbout, Xavier de Jules Prud'homme et Sylvie Pilon, Gilles la Jungle de Claude Cloutier (qui trouveront refuge dans les pages de Croc lorsque Titanic cessera de paraître), Alys de Serge Gaboury, Capitaine Kébec de Pierre Fournier, Zaza d'abord de Rémy Simard, La Malette de plastique d'Henriette Valium, Le Domaine Goul de Raymond Parent, Monsieur Picole de Ded et Flev (François Léveillé) et Marie Gregory de Gaspard ainsi que des BD de Gabriel Morrissette, Caroline Merola, Pierre Pratt, François Brisson, Jean-Paul Eid, Thierry Labrosse, Zed (Gilles Dugas), Michel Breton, Christian et plusieurs autres. Jacques Hurtubise y fait intervenir le Sombre Vilain en plus de signer le scénario de Bougon des Grands-Routes qu'illustre Garnotte. Jacques Hurtubise multiplie alors ses activités éditoriales : pendant la campagne électorale provinciale de 1985, une version hebdomadaire de Croc paraît, Croc-Hebdo, qui commente l'actualité politique et ridiculise les politiciens en lice. En mars 1986, il tente de percer le marché des revues adultes avec le mensuel Maximum : le magazine du plaisir intelligent. Malheureusement, c'est un échec, et Maximum cesse d'être publié après seulement trois numéros (mai 1986). En janvier 1991, c'est le bimestriel Anormal qui voit le jour. Dirigée par Pierre Fournier, cette revue destinée aux adolescents publie des BD et des illustrations de Jean-Paul Eid, Gabriel Morrissette, Denis Rodier, Daniel Shelton, André Rowe, Martin Dupras et plusieurs autres. Anormal cesse de paraître après quatre numéros. En réaction à la parution de Safarir, Hurtubise lance en mai 1991 Mad-Édition Québec, version québécoise de la célèbre revue d'humour américaine. Au fil de ses douze numéros, Mad-Édition Québec publie surtout des traductions de bandes américaines, mais aussi quelques planches de Gaboury et de Gabriel Morrissette, le tout sous des couvertures superbes de Daniel Shelton. De plus, les recueils Croc-Classique rassemblent les meilleurs extraits des numéros mensuels (cinq numéros en 1991-1992). L'entreprise Croc gagnant de l'ampleur, Hurtubise met sur le marché une collection d'albums de bandes dessinées et de caricatures (« Croc-Albums », dix titres parus), un jeu de société (Croc, le jeu qu'on rit) ainsi que divers livres humoristiques et gadgets (t-shirts, agendas, jeux vidéos et même une carte du monde), puis il s'implique dans des émissions radiophoniques (Radio-Croc à CKOI en 1987) et télévisuelles (Le Monde selon Croc à TVA en 1988). En avril 1995, Croc fait paraître son dernier numéro (no 189). Pour Jacques Hurtubise c'est aussi la fin d'une fantastique aventure dans le monde de la bande dessinée, qui aura duré 25 ans. Depuis, il se consacre à l'informatique et à Internet. Après avoir été brièvement éditeur de logiciels, il a été directeur du contenu d'InfiniT de Vidéotron jusqu'en mai 1999. Il est maintenant conseiller principal, stratégie et communication, chez Intellia, la division nouveaux médias de Québécor. On lui doit notamment le site web des magasins Archambault. Si la bande dessinée québécoise est ce qu'elle est aujourd'hui c'est en grande partie grâce aux efforts passionnés de personnes telles que Jacques Hurtubise.
Texte © BD Québec
Jacques Hurtubise, alias Zyx, est sans conteste la personnalité la plus importante de la bande dessinée québécoise des années 1970 et 1980. Dessinateur, scénariste, animateur à la télévision, organisateur d'événements, chroniqueur et éditeur : il n'y a pas de front où Jacques Hurtubise n'ait pas exercé ses activités afin de promouvoir la BD québécoise. Ce n'est pas pour rien (et surtout pas pour avoir un auteur dont le nom commence par la lettre « Z »!) qu'il est un des seuls auteurs québécois, avec Albert Chartier, à voir son nom figurer tant dans The World Encyclopedia of Comics de Maurice Horn que dans le Dictionnaire Larousse de la Bande Dessinée de Claude Moliterni et Patrick Gaumer et dans L'Encyclopédie des Bandes dessinées de Marjorie Alessandrini. Docteur Hurtubise et Monsieur Zyx, deux facettes d'un même personnage qui a marqué de façon indélébile la BDQ. Tenter d'en faire le portrait, c'est écrire une page importante de l'histoire de la bande dessinée québécoise. Né à Ottawa, en novembre 1950, mais ayant grandi à Rimouski, Jacques Hurtubise commence à s'intéresser sérieusement à la bande dessinée alors qu'il étudie en génie électrique à l'Université de Montréal. En collaboration avec Gilles Desjardins et un groupe d'étudiants, il fonde, en 1971, L'Hydrocéphale Illustré. Grâce à une subvention du service d'animation culturelle de l'université et d'une bourse du Secrétariat d'État (programme Perspectives-Jeunesse), le premier numéro de L'Hydrocéphale Illustré paraît en novembre 1971. Tiré à 10 000 exemplaires, il est distribué gratuitement dans les cégeps et les universités de la province. Outre Hurtubise (qui y réalise la série Crézy Rider) et Desjardins, l'équipe de L'Hydrocéphale est composée de Réal Godbout, Françoise Barette, Guy Lacoste, Michel Demers et quelques autres. Pierre Fournier se joint bientôt au groupe à titre d'administrateur. En compagnie de membres de la revue BD, une partie de l'équipe de L'Hydrocéphale s'envole pour la France à l'automne […]