Une enfance de paille
Une BD de Lika Nüssli chez Atrabile - 2023
05/2023 (05 mai 2023) 256 pages 9782889231300 Format comics 473283
Ce n'est pas un secret dans la famille: alors enfant, le père de Lika Nüssli a été placé par ses parents dans un foyer paysan; en échange d'une petite pension versée à ses géniteurs, l'enfant servait d'homme à tout faire: nourrir les bêtes, traire les vaches, nettoyer l'étable, faire les courses, etc. C'est ce passé que raconte Lika dans Une Enfance de paille, un quotidien âpre et dénué de confort, quelque part dans les montagnes suisses il n'y a pas loin de 80 ans. Le petit Ernst accepte cette nouvelle vie avec fatalisme, trimant du matin ou soir,... Lire la suite
Chichement vêtu et équipé d’une simple pelle, un petit personnage noir et blanc trace sa route, à la force des bras : un chemin lent et sinueux, le long d’une crête... Énigmatique.
Ce petit bonhomme, c’est le père de l’autrice, qui a fini par lui raconter l’histoire de son enfance, avec force de détails et richesse du vocabulaire, parfois très technique. Lika Nüssli délaisse ainsi le design, pour se projeter dans un autre univers, celui des campagnes suisses après la Seconde Guerre mondiale, le temps d’un roman graphique.
Et quel récit saisissant ! Loin de sa famille, le petit Ernst est placé dans une autre ferme, pour aider aux champs, en échange d’une monnaie... de singe. La vie y est dure et ses gérants ne sont pas tendres avec lui, loin de là, même si Ernst semble faire du bon boulot.
Le trait sombre et épais de Lika Nüssli, vient souligner les émotions, bigarrées, qu’a traversées son père à cette époque : trait parfois fourni et délicat, souvent plus lâché et simple, voir hors de contrôle, avec des gribouillis et autres gloubi-boulga d’images, soulignant toujours avec justesse la détresse du jeune garçon, confronté à un équilibre précaire entre son labeur agricole, l’école du village et quelques rares loisirs. Un certain apprentissage de la vie...
Si la structure du storytelling peut surprendre, tenant parfois plus du livre d’illustration que de la BD, l’absence de cases clairement définies, l’omniprésence de ce fond blanc et le dépouillement de la composition prennent rapidement sens. En effet, on y ressent la routine et l’âpreté des conditions de vie et de travail d’un enfant.
J’aime les libertés prises par Lika Nüssli, dans son dessin, pour caricaturer ce maître trop cruel, qui exploite plus faible que lui, comme beaucoup à cette époque. De même, le corps d’Ernst, devenu serviteur docile, se transforme selon les émotions, les aléas du travail et les sévices qu’il subit.
Certes, c’est une éducation à la dure et on pourrait penser qu’il s’aguerrit... Mais, dans cette société d’après-guerre encore peu mécanisée, le travail fragilise aussi les corps et use les esprits. Au final, le père de Lika Nüssli n’est-il pas devenu, à ce moment-là, un colosse aux pieds d’argile, un homme d’apparence forte mais aux blessures profondes ?
Dans tous les cas, après avoir fini l’album, on ne verra plus de la même manière le paysage de la couverture, d'apparence pourtant si tranquille...