Une Maternité rouge
Une BD de Lax chez Futuropolis (Musée du Louvre) - 2019
01/2019 (16 janvier 2019) 133 pages 9782754816601 Format normal 353950
Alou, chasseur de miel, se dirige vers les ruches sauvages d’un baobab. Circulant en 4x4, armés jusqu’aux dents, une bande d’islamistes radicaux foncent sur lui et font exploser le baobab sacré. Parmi les débris du baobab, Alou découvre, intacte, une statuette représentant une femme enceinte. Encouragé par son père, il se rend dans le pays Dogon présenter la statuette au sage du village, le hogon, respecté de tous pour sa culture. Le hogon reconnaît aussitôt cette Maternité rouge . Elle est l’oeuvre, selon lui, du maître de Tintam, dont une première... Lire la suite
Un album (pratiquement) tout en nuances de gris, particulièrement réussi dans les scènes nocturnes. Cette tonalité sert le scénario, consacré aux dangers de la migration et aux difficultés de l'intégration, sujets fort peu .
Malgré tout, j'ai un goût de trop peu que je ne saurais entièrement expliquer.
Une maternité rouge est un récit basé sur les statuettes Dogon qui constituent des trésors précieux pour la culture en provenance du Mali. Or, les Européens avec la décolonisation de l'Afrique ont tout embarqué pour la sauvegarde du patrimoine mondial. Ainsi le Musée du Louvre en France a recueillie pas mal des œuvres d'art premier sous l'impulsion notamment de Jacques Chirac.
Il faut dire qu'en Afrique, des groupes islamistes radicaux détruisent toute autre représentation que celle de leur dieu bienfaiteur. La religion dans son extrêmité semble être la cause d'une destruction du patrimoine ce qui est bien dommage pour la culture dans son ensemble. Encore une fois, ce n'est pas une de mes positions dites politiques mais bel et bien le sujet qui est traité par l'auteur Lax dans cette bd.
Ainsi, notre héros va faire passer en France pour le donner au Louvre une statue dite maternité rouge. Cela ne sera pas facile pour ce migrant de passer de l'Afrique à l'Europe. On se rendra compte que derrière cela, il y a tout un drame humain mais qui n'a finalement que peu d'importance pour les conservateurs de musée. L'art avant les hommes. Notre-Dame avant les pauvres. Un discours maintes fois exprimé mais qui est tourné en dérision devant la sauvegarde d'un héritage culturel primordial.
Cette œuvre soulève de bonnes questions. J'ai bien aimé ce traitement sur un sujet qui est devenu récemment d'actualité.
Cet album fait partie de la prestigieuse collection du Louvre coéditée par Futuropolis dans laquelle ont œuvré entre autres De Crécy, Yslaire et Bilal. Paradoxalement, le musée n’y fait son entrée qu’au bout d’une dizaine de pages. Le vrai sujet est ailleurs : il s’agit de narrer l’aventure d’Alou, un jeune chasseur de miel malien. Un jour, ce dernier est pris à parti par des intégristes qui lui reprochent de vénérer des idoles (il a fait la danse du miel pour remercier la nature de lui avoir indiqué un gisement de miel dans un baobab), ils le menacent et pour l’intimider font exploser l’arbre centenaire. Dans les débris de celui-ci, l’adolescent trouve une statuette dogon ancienne, une « maternité rouge ». Il va demander conseil à un vieux sage Hogon qui lui enjoint de l’amener en France, au Louvre, pour qu’elle soit protégée et sauvée. Le jeune garçon va alors entamer le même périple que tant d’autres migrants, assister à des scènes effroyables (intimidations, viol collectif, meurtres, noyades …) pour trouver au bout du chemin une terre d’asile qui n’en est pas vraiment une…
Deux thèmes fondamentaux s’entrelacent donc : la sauvegarde du patrimoine historique de l’humanité et le sort des migrants. Lax établit une construction en montage alterné : nous suivons d’une part l’odyssée d’Alou et faisons d’autre part connaissance avec des membres du personnel du Louvre qui travaillent au Pavillon des Sessions (département des arts premiers, sorte de « vitrine » du musée du quai Branly) Claude le conservateur érudit et Claire la jeune scientifique radiologue ce qui permet d’aborder « les coulisses » du musée et de rendre hommage à ses travailleurs de l’ombre. Enfin nous rencontrons des bénévoles qui aident de leur mieux les migrants installés dans leur campement de fortune sous la Cité de la Mode en plein Paris et en plein cagnard. Cette démultiplication des intrigues permet de questionner la notion d’engagement et de priorité. Alou s’interroge sur le sens de sa mission : il ne sauve pas une personne à deux reprises pour protéger sa précieuse statuette tout comme Claire qui se demande si ses connaissances en radiologie ne seraient pas mieux employées à sauver des vies plutôt qu’à analyser des œuvres… Le sage Hogon voit lui-même ses certitudes vaciller : ce en quoi il croyait jadis (contrer la spoliation colonialiste) ne tient plus devant la montée des intégrismes… De multiples interrogations naissent pour le lecteur dans la confrontation des destinées et des idéaux mais si l’auteur soulève les questions, il ne pontifie jamais et refuse de délivrer un message unique dans une perception manichéenne. Il propose une fin ouverte et manie très subtilement l’art de l’ellipse et de la juxtaposition significatives ; il évite le « verbiage » et le sermon dans de splendides planches muettes qui sont pourtant profondément éloquentes.
Poursuivant la recherche graphique entreprise dans Un certain Cervantès, il utilise des lavis où se déploie tout un camaïeu de gris savamment travaillés et relevés de bleu et de jaune avec des reliefs, du volume ( apport de blanc, technique du masquage à l’aide de gras). La seule couleur franche, le rouge, étant réservée à la « maternité ». Il met à mal le gaufrier traditionnel et alterne entre personnages hors-case ( Alou exultant de joie lors de sa danse du miel ; le caravansérail …) et paysages grandioses de savane, de désert, de tempêtes et de côtes accidentées en pleine page. Véritables peintures, ces planches sont empreintes de romantisme et de mélancolie.
Un album indispensable tant par son propos que par sa maîtrise artistique qui questionnant le bien-fondé de l’art est la démonstration même que celui-ci peut être utile et engagé tout en n’omettant pas la beauté.
Féru d’art africain, je ne pouvais pas passer à côté de cet album magnifique.
« Une maternité rouge » retrace en effet l’odyssée d’une petite sculpture vieille de 5 siècles, de la savane africaine jusqu’au musée du Louvre, cachée dans le sac à dos d’Alou, un jeune malien chasseur de miel. Et le trajet d’Alou sera exactement celui d’un migrant...
Pour autant, Christian Lax ne prend pas l’actualité à témoin pour dénoncer quoi que soit. Son récit est évidemment un conte, un de ceux qui pourrait être chanté par un griot africain. Il s’adresse avant tout à la culture, la curiosité et l’intelligence du lecteur, sans mièvrerie ni misérabilisme. Lax, dont la virtuosité au crayon atteint ici des sommets, est donc aussi un conteur de grand talent.
Son personnage est une allégorie qui remet l’art et la beauté au centre du jeu, nous rappelant que la création est le reflet du plus haut degré de la civilisation humaine. Elle est donc par définition une arme contre la barbarie.
Le poids de cette parabole n’écrase jamais la sincérité du propos et l’importance des questions posées, dont celle-ci : une œuvre d’art mérite-t-elle qu’on sacrifie des vies pour la préserver ? L’auteur fait preuve d’autant de retenue qu’un vieux sage africain sous l’arbre à palabre en se gardant bien d’y répondre. Il interroge juste, sans dispenser la moindre leçon.
Il fait de même en mettant en lumière les contradictions d’une institution comme le musée du Louvre (coéditeur de l’album…) qui ne voit dans le périple d’Alou que l’opportunité d’avoir une pièce de plus dans ses collections. En fin de compte le destin d’Alou leur importe peu, pourvu que la Maternité Rouge reste. L’homme n’ayant de valeur que par ce qu’il a, non pour ce qu’il est…
N’oublions pas que l’art africain est le plus souvent investi de rôles sociaux et de pouvoirs sacrés ; le mettre en vitrine n’a, de fait, aucun sens ! Pourtant le musée du Louvre et celui du quai Branly regorgent de ces œuvres sous prétexte de les conserver, alors qu’elles sont les fruits d’un pillage organisé à l’époque coloniale… Là encore Christian Lax expose ces curieux paradoxes et laisse au lecteur le soin de se pencher ou non sur la question.
« Une maternité rouge » est donc à mon avis beaucoup plus complexe qu’en apparence et au final, cet album montre surtout que l’art est un patrimoine commun appartenant à l’ensemble de l’humanité. C’était un sacré défi, amplement réussi.
Une belle histoire, grave et simple, merveilleusement illustrée, dont l’apparente naïveté est une force grâce à laquelle elle devient universelle. Et sa valeur est grande. Bravo !
Une histoire fantastique, d'une très grande humanité.
Peut-être l'album le plus émouvant de la collection Futuropolis/Le Louvre.
Et des pages sublimes, avec des dessins magnifiques.
Merci Monsieur Lax.