Tomcat
Une BD de Anastasia Heinzl et Romain Hugault chez Paquet (Cockpit) - 2024
10/2024 (30 octobre 2024) 54 pages 9782889323883 Grand format 505907
25 octobre 1994, un F-14 « Tomcat » approche de l’énorme porte-avions Abraham Lincoln pour se poser, mais une panne soudaine fait dramatiquement basculer l’avion qui fonce vers la mer, incontrôlable. À ses commandes, Kara Hultgreen, la première femme Pilote de combat des États-Unis. Elle était pionnière, et avait la lourde tâche de redorer le blason de la Navy, éclaboussée à l’époque par des affaires de machisme et de viol. Elle était donc mise en lumière, mais pas que. L’avion aussi était légendaire : le « Fast Eagle 107 » avait participé en 1981... Lire la suite
Il y a deux ans Hollywood dynamitait la lassitude des spectateurs en remettant en scène un Golden boy soixantenaire dans l’improbable suite du film Top Gun, qui avait lancé sa carrière et créé une icône de la pop culture avec cet avion au design unique: le F-14 Tomcat. L’impact de cet avion sur l’imaginaire occidental (avec un énorme travail de communication de l’armée US rappelons le) ira jusqu’à incarner les Valkyries, ces avions-robots dans la mythique saga japonaise Macross et comme le raconte Romain Hugault, peu de petits garçons des années 1980 ignoreront les poster d’avions F-14 comme de Ferrari… C’est donc à la fois un hommage nostalgique à une époque, un documentaire sur l’histoire de cet avion et une suite non-officielle à la saga Top Gun que s’adonne le dessinateur-aviateur, avec toujours un si brillant talent technique qui nécessite de rappeler (comme il le fait en making-of bonus) que la totalité des planches sont entièrement dessinées et jamais issues de photographies retouchées. Cela va mieux en le disant.
Un peu comme une reprise du concept de son premier album, le dernier envol, Tomcat propose très humblement deux histoires sur cet avion: celle du premier (et quasi unique) combat contre des avions libyens pour cet engin dont la supériorité technique incitait les adversaires à prendre le large, et celle – touchante – de la première femme pilote de chasse qui disparut tragiquement du fait d’une défaillance moteur connue du F-14. Immédiatement la narration surprend avec cette interventions de l’avion lui-même qui s’immisce fictivement dans les échanges radios des pilotes. Excellente idée qui permet aux auteurs de livrer des informations et donner une âme à cet engin de fer, dans un milieu empli de tradition allant parfois jusqu’au mysticisme. Si la première séquence s’inscrit totalement dans les pas du film Top Gun et nous emporte tout autant entre testostérone et militaro-technicisme reaganien, la seconde est beaucoup plus politique et intéressante puisqu’elle nous décrit une aéronavale restée sur un texte de 1948 interdisant aux femmes de piloter des avions de chasse et dont les soirées orgiaques aboutirent à un gigantesque scandale d’image dans les années 1990 après le viol de dizaines de femmes par de fiers officiels pilotes. En suivant cette brillante pilote, on ressent la fierté d’assouvir enfin ce rêve contre le patriarcat, contre une armée archaïque, contre l’Histoire.
En ouvrant cet album on aurait pu craindre le caprice d’un excellent vendeur de BD d’avions rutilants et on ressort les yeux plein d’étoiles entre la magie du cinéma et le documentaire critique, histoire de profiter des incroyables planches de Romain Hugault sans sombrer dans une image d’Épinal qu’il frôle souvent dans ses albums. Encore un magnifique travail dont on ne se lasse pas et qui nous apprend plein de choses que l’on aurait pas eu l’idée de demander.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/11/13/tomcat/
Cet album est un double hommage de l’auteur, rappelé dans une élégante préface, à sa mère, décédée aux commandes de son avion, et à Kara Hultgreen, première femme pilote de chasse. Mais l’objet principal de ce récit est bien sûr le F-14 « Tomcat », emblème de la guerre froide.
J’avoue avoir été assez déstabilisé par l’incipit de cette aventure, je ne suis pas en effet fan des albums se conjuguant à la première personne lorsqu’il s’agit d’objet ou de machine (à l’instar de « la bombe » d’Alcante, Bollée et Rodier). J’ai appris beaucoup à la lecture de ce one-shot, qui est en fait plus une bande dessinée documentaire qu’un récit d’aventure : ce qui a inspiré « Top Gun », mais surtout le destin extraordinaire de Kara Hultgreen. Comme certains je pense, j’ai fait des recherches sur internet pour en savoir plus sur cette pilote de chasse que je ne connaissais pas du tout.
Mais ce qui fait la force de cet album réside dans le dessin de Romain Hugault qui s’est surpassé ici. Une véritable claque visuelle ! Les planches présentées viennent, il faut l’avouer, combler un scénario assez classique, même si le découpage choisi est assez surprenant (une partie sur le Tomcat et l’autre sur Kara Hultgreen). Je crois n’avoir raté aucun album de ce dessinateur depuis ses débuts mais je suis sûr de le relire plusieurs fois rien que pour la beauté des planches. Il faut dire que j’ai acheté la version grand format (déjà épuisée chez le distributeur) limitée à 3000 exemplaires et qui en met pleins la vue au lecteur. Une véritable réussite et Romain Hugault a fait le bon choix de s’associer avec une nouvelle scénariste pour se renouveler. En effet,le scénario du dernier album co-signé avec Yann (« Anything Goes » de la série Angel Wings), volait vraiment très bas ! Seul le dessin avait sauvé l’album, à mon avis.
Je recommande vivement la lecture de récit, qui s’achève de manière émouvante.