La synagogue
Une BD de Joann Sfar chez Dargaud - 2022
09/2022 (30 septembre 2022) 173 pages 9782205203356 Autre format 453298
Joann Sfar cherche depuis trente ans à inviter son lecteur dans le monde juif. Tous ses récits sont des appels désespérés à la fraternité.
Je me suis petit à petit détourné des œuvres de Joann Sfar. J'aimais beaucoup ce qu'il faisait au début avant de connaître un immense succès avec le chat du rabbin qui l'a conduit jusqu'au cinéma. J'ai retenté une approche à travers ce dernier titre et visiblement, cela a bien fonctionné puisque j'ai renoué.
On s’aperçoit que des jeunes de 17 ans sont engagés par la communauté juive pour se jeter sur d'éventuels terroristes afin de protéger coûte que coûte la synagogue. Voilà le ton est donné dès les premières cases de cet album. Cette protection est liée à un attentat intervenu il y a plus de 43 ans rue Copernic à Paris qui avait fait 4 morts.
J'ignorais que l'auteur avait failli mourir du COVID à seulement 49 ans. Il est vrai que ce virus a fait plus de 7 millions de morts sur l'ensemble de la planète et qu'on est vite passé à autre chose sans se sentir horrifié par ce chiffre vertigineux. Comme dit, il faut savoir tourner la page pour ne pas rester accrocher constamment à un événement négatif et vivre dans la peur. L'auteur profite d'ailleurs de sa convalescence sur son lit d'hôpital pour raconter un épisode de sa vie d'adolescent.
Il insiste sur les actes antisémites commis en France depuis sa propre naissance dont on verra un glossaire en fin d'album. Dans cette météorologie anti juive comme il l'appelle, on notera à la date du 10 avril 2022 où Marine le Pen est qualifiée au premier tour de la présidentielle pour le second tour. Ses 13 millions d'électeurs apprécieront sans doute mais on sait que l'auteur est un engagé contre l'extrême-droite. De manière générale, on peut comprendre l'inquiétude légitime des juifs de France qui souhaitent privilégier la vigilence.
L'holocauste est souvent abordé comme si ce mal absolu servait de justification à toutes les actions d'auto-défense près d'un siècle après ce qui peut poser question. Il sera d'ailleurs question du passage de l'auteur dans le monde de la sécurité et l’entraînement aux sports de combats.
A chacun sa conviction pour peu qu'elle soit bien défendue. J'ai vu beaucoup de contradiction dans cette œuvre comme le non-recours à la violence mais le fait de s'y employer quand même, père et fils compris. Certes, il existe des situations où on n'a pas trop le choix et on recourt à l'extrême face à la brutalité de notre monde.
Maintenant, j'ai apprécié certaines réflexions qui m'ont paru justifiées dans ce long bavardage qui demeure sincère et intéressant, voire parfois touchant. Je ne suis pas certain que cette œuvre puisse faire un consensus parmi les lecteurs de toutes les communautés. A vrai dire, je n'aime pas trop le terme « communauté » car cela divise le pays qui n'en n'a certainement pas besoin. Le racisme et l'antisémitisme sont malheureusement répandus dans toute la société.
Quoiqu'il en soit, j'ai bien aimé cette œuvre malgré tout car il constitue un témoignage honnête d'une situation assez difficile ainsi qu'un appel à plus de fraternité par l'un des plus grands noms de la BD française.
Ce n'est pas le livre du siècle mais c'est quand même un livre intelligent. Le rapport de l'extrême droite avec la population juive est ici décrite à travers l'expérience juvénile de l'auteur qui dans les années 80 montait la garde près de la synagogue de Nice.
C'est un peu distancié comme toujours chez Sfar, il n'y a pas les bons sous toutes les coutures et les irrémédiablement mauvais, l'auteur est plus nuancé, même s'il choisit clairement son camp.
Le récit aurait peut être gagné à être plus construit car j'ai eu l'impression que l'album est sorti d'un seul jet. C'est dommage.
A lire pour mieux identifier les tendances nauséabondes de nos sociétés.