Shubeik Lubeik, vos désirs sont des ordres
Une BD de Deena Mohamed chez Steinkis - 2024
06/2024 (06 juin 2024) 527 pages 9782368466926 Format normal 500204
Dans Le Caire contemporain, les vœux sont devenus une marchandise comme les autres et font partie du quotidien des habitants. Répartis en différentes catégories, leurs usages sont réglementés et les citoyens apprennent, parfois à leurs dépens, qu’il faut les manipuler avec précaution. Trois vœux vendus dans un modeste kiosque du Caire lient Aziza, Nour et Shokry et changeront leur vie. Ils ont tous un désir profond, mais pour formuler leur voeu, chacun doit se demander ce qu’il désire vraiment et plonger au plus profond de son être. Ils s’apercevront... Lire la suite
Après 1001 nuits...
...j’ai pu venir à bout de cette BD, de la taille d’une grosse boîte à vœux. En effet, le scénario est densément composé, avec un emboîtement de plusieurs histoires, entre contes et tranches de vie, entrecoupées d’intermèdes immersifs. Deena Mohamed, autrice d'une grande intelligence, raconte ainsi les déboires de trois égyptiens qui, dans un détournement poétique - celui de la recherche de sens à leur vie, d’une voie à prendre – cogitent sur ce qu’ils vont bien pouvoir faire de leurs bouteilles magiques... Et, tout au long du livre, les vœux prennent des fonctions multiformes, dévoilant tout leur potentiel, positif ou négatif : passion débridée, distinction sociale, addiction dangereuse, tabou religieux, soumission violente, assouvissement d’un désir, satisfaction d’un besoin, contentement sans ambition, roue de secours, dot pour la femme, arme vengeresse, rêverie illuminée... Tout ça en soulignant un certain nombre de problématiques sociales, propres aux pays du tiers monde. Il n'empêche qu'il y a des passages très drôles, lorsque les animaux se mettent à parler sous l’emprise d’un génie facétieux par exemple. En ce sens, Deena Mohamed est très forte, tant elle parvient à renouveler son sujet... Du génie !
Si le récit est donc fictionnel, il n’en demeure pas moins saisissant. Vue ma soif de me projeter dans cette culture inconnue, je n'ai donc pas été déçu par ce récit d'une grande profondeur, certes fantasmé mais non moins teinté de réel. Un point de vue inédit pour moi, sur cet univers lointain, onirique, et alors que je suis un fervent lecteur de l’Arabe du futur, plus cartésien. Les dessins, assez personnels, sont très bons pour un roman graphique. J’ai apprécié tout particulièrement le soin apporté aux visages, d’une grande régularité, qui ne sont pas sans me rappeler le manga ou même la rondeur du trait des auteurs Disney. Assez paradoxal vue l’histoire... De même, la composition variée et le découpage aux plans resserrés, sont maîtrisés. Car, en plus d’être une habituée du CairoComix Fesival, Deena Mohamed est aussi passée par la maison des artistes d’Angoulême (Cocorico). En tout cas, j’ai passé de très bons moments - comme les auteurs de la chronique BDGest visiblement, c'est assez rare pour être noté - en particulier sur la fin...
...Ce fut un enchantement.