Saving human being
Une BD de Zhang Xiaoyu chez Ankama Éditions (Kraken) - 2011
04/2011 85 pages 9782359101607 Autre format 125538
Une seule mission : sauver l’Homme ! Un avion s’écrase dans le désert. À son bord, un pilote et un robot militaire, dont la mémoire ne comporte qu’un seul mot d’ordre : sauver les hommes. Mais cette mission est loin d’être facile ! Pour commencer, il tente de sauver son pilote, blessé et déshydraté, en partant à la recherche d’eau… Mais l’oasis est trop loin et lorsqu’il en revient, il est déjà trop tard… Errant dans le désert, il est alors recueilli par une femme et sa fille, exilées pour fuir la guerre. À leurs côtés, il découvre les sentiments,... Lire la suite
Un robot programmé pour sauver les Hommes ne peut que constater les limites de sa programmation. Dès lors, la conscience de sa finitude l’amènera vers un choix pour le moins cornélien ! Avec un graphisme et une mise en couleur qui - surtout dans la 1ère partie - traduisent mieux que les mots l’existentialité de ses personnages, Zhang Xiaoyan nous emmène à singulièrement douter de l’intérêt à vouloir sauver l'espèce humaine... Et la réponse apportée par le robot traduit bien toute l’ambigüité de ce sacerdoce !
Manga discret sur lequel je suis tombé par hasard, et qui me fait penser à une pierre précieuse à l’état brut : brillant déjà d’un bel éclat, ses facettes imparfaites comme la gangue qui l’enserre lui interdisent d’avoir la valeur qu’elle mériterait.
D’où un avis mitigé et coupé en deux, à l’image du manga :
Rapidement, la « gangue », à savoir la seconde partie, à partir de l’attaque du convoi :
un dessin et un scénario passables qui malgré quelques nuances, doivent trop à Terminator et à Matrix à mon goût (design des robots, idée guerre robots contre humains). Si le « talent » caché du robot est une surprenante révélation, le dénouement est assez facile à deviner, de même que l’enchaînement qui y aboutit. Les personnages sont caricaturaux.
Partie sans aucun intérêt.
Maintenant, la première partie, le joyau imparfaitement dégrossi, qui va de la première page jusqu’au départ définitif du robot de l’oasis :
Les points perfectibles :
- Le dessin du corps du manga qui n’est pas aussi luxueux et sophistiqué que celui de la couverture. Dommage.
- la manie qu’a la petite fille de taper sans cesse sur la tête du robot, même devenue jeune adulte (cf scène de dessin des visages sur le sol). Assez incompréhensible. On pouvait se passer du « Je tape quand je suis content » à mon avis, même si c’est mieux que le « Je vooomis quand je suis content » de Farrugia.
- Le manque de passages émouvants entre le robot et cette fille. D’ailleurs, cela se ressent avec la page des écrans verts, trouvaille ingénieuse qui permet au dessinateur de matérialiser la mémoire du robot : peu d’écrans, peu de souvenirs différents figurés.
- Les dessins de la petite fille très « manga », peut-être trop même à mon goût.
- La ratée majeure du manga : la mention en haut de la page 10, « J’ai vu 1238 couchers de soleil », qui casse radicalement toute la magie et la réussite de ces premières pages. Il fallait au contraire ne surtout pas indiquer ce repaire de durée pour renforcer l’effet de surprise lorsque le robot retourne enfin à l’épave : sans indications, le lecteur se trouvait déboussolé, incapable d’estimer le temps écoulé (2 jours, 10 mois ? 2 ans ?), et il aurait alors été complètement pétrifié en découvrant la « réalité »…
La beauté de ce manga, qui mérite qu’on le lise tout de même et qu’on ne passe pas à côté :
- Le design et le personnage du robot : tout en rondeurs avec ce que cela connote de douceur, la bonté, l’innocence, la naïveté, la bienveillance vigilante et attentionnée…
- Le dessin de couverture, superbe, qui cristallise et sublime ce manga et se suffirait à lui-même: robot aux formes chaleureuses, penché comme un être curieux et bienveillant, incarnation de la douceur protectrice et attentive de la machine qui, plutôt que d’écraser de sa titanesque force mécanique cette petite créature féérique, met au contraire un soin particulier à entourer précautionneusement de ses doigts de fer cette luciole précieuse et vulnérable.
- « La quête de l’eau ». Le dessinateur a un trait et un art de la mise en scène magistraux : sans avoir besoin du secours de l’écrit, en quelques cases au style dépouillé où seul l’essentiel est retenu, le lecteur « ressent » tout avec une incroyable force : la marche interminable, la chaleur accablante, cette détermination du robot qui va à l’eau sans se reposer et qui repart aussitôt, sensation de ce « sens de la mission » de la machine programmée, de l’aspect inébranlable et surhumain du robot, enfin, l’incompréhension, la stupeur interdite du robot quand « rien ne se passe » alors que la mission est techniquement remplie. Cette unique case où le robot verse logiquement l’eau sur l’homme possède ainsi une extraordinaire force de suggestion et d’émotion: l’eau sauve…à certaines conditions…
Le dessinateur réussit ainsi à nous mettre dans la peau du robot et à nous faire partager cette incompréhension, cette détresse finale : « j’ai tout fait, comme on me l’a dit, mais c’est l’échec. Pourquoi, pourquoi bon sang ? ».
- Les scènes de vie avec la famille de l’oasis : là encore, le dessinateur réussit à faire passer de nombreuses impressions et émotions, sans le recours à l’écrit, par les simples mises en situations: impuissance tragique du robot face à la mort, vulnérabilité de l’être humain, petits bonheurs de la vie de tous les jours, temps qui passe, et toujours, inéluctablement, l’unique et inaltérable vérité, terrifiante, qui s’impose : l’homme meurt, la machine reste, seule, riche de souvenirs sans échos et sans lendemain.
Un manga à lire comme une « Vanité », œuvre solaire et sombre à la fois, qui offre ainsi au lecteur sensible l’occasion de faire une expérience riche d’émotions, et de songer, tout simplement.
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