René·e aux bois dormants
Une BD de Elene Usdin chez Sarbacane - 2021
07/2021 (01 septembre 2021) 260 pages 9782377316984 Grand format 432228
René n'est à sa place nulle part. Ni dans l'appartement qu'il partage seul avec sa mère, femme absente, aux manières froides ; ni avec les autres enfants de son école ; ni dans cette ville canadienne trop grande. Hypersensible, sauvage, il est sujet aux évanouissements durant lesquels il voyage dans des mondes fantasmagoriques. Au cours de l'un d'eux, il part à la recherche de son lapin qui s'est enfui. René bascule alors dans un monde peuplé de créatures aussi terrifiantes que bienveillantes. Sorcière sensuelle et cannibale en souffrance, ogre... Lire la suite
Rarement expérimenté de la sorte. Le livre d'Elene Usdin contient de nombreuses images de rêves qui sortent parfois tout droit de l'imagination d'un enfant. Quel enfant n'a pas conduit sa voiture miniature sur les carreaux d'une couverture en laine, en imaginant que la couverture devient une ville de gratte-ciel. Et tout comme dans le film Koyaanisqatsi (life in unbalance), les lignes entre les carreaux deviennent alors lumière, exprimant la ville en mouvement.
Et ce n'est qu'une facette de ce livre. Pour une description plus complète, voici une citation venant de Goodreads:
Road-trip halluciné à la croisée des mythes. René n’est à sa place nulle part. Ni dans l’appartement qu’il partage seul avec sa mère, femme absente, aux manières froides ; ni avec les autres enfants de son école ; ni dans cette ville canadienne trop grande. Hypersensible, sauvage, il est sujet aux évanouissements durant lesquels il voyage dans des mondes fantasmagoriques. Au cours de l’un d’eux, il part à la recherche de son lapin qui s’est enfui. René bascule alors dans un monde peuplé de créatures aussi terrifiantes que bienveillantes. Sorcière sensuelle et cannibale en souffrance, ogre mangeur de lumière, créatures sans mémoire ou géant au cœur simple, côtoient René, qui lui-même se métamorphose au gré des rencontres. Il devient Renée, fleur, chatte, arbre… Et revisite les mythes fondateurs des Premières Nations, peuples autochtones canadiens. Mais, où s’arrête le rêve ? Et qui rêve, véritablement ? René, petit garçon à la recherche de son lapin ? René, homme au crépuscule de sa vie, à la recherche de ses blessures enfouies ? Ou encore Judith, sa fille, à qui René révélera la terrible histoire de son enfance volée et de sa véritable identité, par l’intermédiaire du rêve ?
Il suffit de feuilleter "René.e aux bois dormants" pour deviner que cet album va nous faire plonger dans l'inconnu.
Chaque page est un nouvel univers qu'Elene Usdin réinvente sans cesse avec un langage graphique radical, peuplé d'Esprits chamarrés, de créatures inquiétantes et de fantômes. Libre et inventive, elle ne fait aucune concession à un quelconque formalisme.
Ce voyage hallucinant où le réel n'a (presque) plus cours, saturé de couleurs, tient plus de l'art que du simple dessin. On pense à Delaunay, à Kirchner, à Bacon, au Fauvisme surtout. Et ce n'est pas qu'un vernis esthétique pour en mettre plein la vue. Cette incroyable palette est porteuse de sens et traduit magnifiquement les puissances de la Nature qui jouent ici un rôle fondamental. L'autrice en fait un poème visuel envoûtant et troublant, fortement teinté d'animisme.
Elle s'immerge dans le ressenti et les sensations, comme emportée par des visions chamaniques qui convoquent en nous quelque chose d'archaïque, quelque chose qui n'a pas de nom. Un déferlement d'émotions crues qui noie tout besoin d'explication : "Allons ensemble nous enivrer du sensible", page 178.
Cette forme fantasmagorique est entièrement au service du fond. Car, il y a bien sûr une finalité à ce vertige chromatique.
On pressent dès le départ que le trame est cohérente et qu'un récit précis, puissant, se construit. Preuve de la maîtrise peu commune d'Elene Usdin : malgré de multiples digressions oniriques imbriquées les unes dans les autres, le fil n'est jamais complètement perdu.
Je savais intuitivement en m'égarant dans ces images qu'il en ressortirait une vérité bouleversante. Mais j'ignorais laquelle.
La quête éperdue de René.e/Judith à la poursuite de leur doudou lapin (hommage à l'Alice de Lewis Caroll) est en réalité une quête identitaire, vitale. Derrière ces métamorphoses, ces transmutations mêmes que vivent les jeunes personnages, c'est l'histoire d'un terrible drame, bien réel, qui remonte à la surface de la mémoire. Le rêve est donc ici un refuge, un mécanisme de défense que l'esprit élabore pour se protéger d'une douleur indicible.
Cette histoire, on le comprend explicitement à la fin, est celle de la "rafle des années 60". Celle du martyr des enfants autochtones du Canada, déracinés de force, arrachés à leur culture, leurs dieux, leur langage, privés du respect ancestral que leur peuple éprouvait pour la nature.
J'en suis ressorti sidéré, groggy.
La question de noter une telle œuvre n'a d'ailleurs pas beaucoup de sens. C'est une expérience plus qu'une lecture.
Je mets évidemment 5 étoiles pour l'impact et la beauté du dessin, la leçon de bande dessinée, la symbolique, la profondeur du propos... Mais d'autres pourraient n'en mettre qu'une, voire aucune. C'est tout à fait insignifiant.
C'est un livre important, hors norme, qu'il faut lire absolument, quitte à ne pas tout saisir.
Magistral !
Comment définir l’album René.e aux bois dormants d’Elene Usdin paru aux Éditions Sarbacane ? Bande dessinée ? Roman graphique ? Difficile d’enfermer dans une case, des cases cet univers onirique, cette quête d’identité traitée par le biais de la métaphore, le rêve et la poésie. Un monde, des mondes, hauts en couleurs dans lesquels personnages et paysages se métamorphosent sans cesse. Un pur chef d’œuvre graphique dans lequel couleurs éclatantes et formes se font narration.
Il rêvait d’autres mondes
« Road-trip halluciné à la croisée des mythes.
René n’est à sa place nulle part. Ni dans l’appartement qu’il partage seul avec sa mère, femme absente, aux manières froides ; ni avec les autres enfants de son école ; ni dans cette ville canadienne trop grande. Hypersensible, sauvage, il est sujet aux évanouissements durant lesquels il voyage dans des mondes fantasmagoriques. Au cours de l’un d’eux, il part à la recherche de son lapin qui s’est enfui. René bascule alors dans un monde peuplé de créatures aussi terrifiantes que bienveillantes. Sorcière sensuelle et cannibale en souffrance, ogre mangeur de lumière, créatures sans mémoire ou géant au cœur simple, côtoient René, qui lui-même se métamorphose au gré des rencontres. Il devient Renée, fleur, chatte, arbre… Et revisite les mythes fondateurs des Premières Nations, peuples autochtones canadiens. Mais, où s’arrête le rêve ? Et qui rêve, véritablement ? René, petit garçon à la recherche de son lapin ? René, homme au crépuscule de sa vie, à la recherche de ses blessures enfouies ? Ou encore Judith, sa fille, à qui René révélera la terrible histoire de son enfance volée et de sa véritable identité, par l’intermédiaire du rêve ? »
Tel est le pitch extrêmement bien fait des Éditions Sarbacane. Chaque mot y est pesé et donne les grandes lignes du récit sans trop en dévoiler.
Les métamorphoses sont la clé même du récit puisqu’elles permettent à l’enfant en passant d’un état à un autre de franchir des seuils et progresser dans son histoire. Chaque transformation va lui permettre de savoir un peu plus d’où il vient et de découvrir ses ancêtres. Et c’est par le rêve qu’on va apprendre en fait les évènements tragiques et le drame qu’a vécus René.e.
Tableaux d’une narration
Artiste protéiforme, peintre de décors de cinéma, photographe et illustratrice de presse et de livres jeunesse, Elene Usdin signe là son premier roman graphique. Projet initié il y a une vingtaine d’années, elle le ressortira de ses tiroirs en 2017 après avoir trouvé lors d’un voyage à Montréal le fil conducteur du récit : l’épisode dramatique qui a frappé la population amérindienne dans les années 60.
Cet album est le fruit d’une véritable démarche artistique. Chaque planche est par sa composition même un véritable tableau en soi. Au commencement sont les couleurs, puis elles prennent forme pour nous raconter une histoire, des histoires. Cette utilisation de la couleur va permettre au lecteur de distinguer les différents fils temporels de l’histoire. Le rêve est un véritable feu d’artifice : on en prend plein les yeux ! La réalité ou plutôt le temps présent est décliné en camaïeu de gris. Monochromes bleus et rouges liés aux souvenirs ou flash-backs ponctuent le récit. Mais tout n’est pas si simple. Où et quand s’arrête le rêve ? Les frontières entre rêve, souvenir enfoui, et réalité sont poreuses. Priorité est donnée à l’image. Les dialogues, la voix off n’ont été posés à la main que lors de l’ultime étape, une fois le découpage achevé.
René.e aux bois dormants
Quel magnifique titre évocateur à la fois du conte et du rêve ! Le fil narratif a été construit à partir des propres rêves de l’autrice qui depuis très longtemps a pris l’habitude d’en garder une trace et en possède des carnets entiers. Ajoutons à cela l’univers des contes et des mythes du monde entier qu’elle connaît bien puisqu’elle a illustré entre autres de nombreux ouvrages de la collection Histoires noires de la mythologie (Nathan) et Mon tour du monde en 80 contes (Lito). Alors, mixant rêves et mythes, l’autrice donnera naissance à cet univers original, un univers animiste dans lequel, aux côtés de l’enfant au pyjama couleur de ciel guidé par Véhicule, le Deux-esprits dont le nom vient de la Mythologie Thibétaine, on croisera les esprits de la forêt chers à Miyazaki, le Mangeur de lumière qui semble tiré tout droit de l’univers de Francis Bacon ... jusqu’à la rencontre avec Isba, femme-oiseau bleue cracheuse de corbeaux descendante des Wendigos qui réalise les vœux des gens qui viennent la consulter.
L’album est truffé de références littéraires, picturales, cinématographiques. Pour n’en citer qu’une, la plus évidente, bien sûr est le clin d’œil à Lewis Caroll. Outre le fait que René part à la recherche de Sucre-doux, son lapin doudou qui connaît tous ses secrets, il va passer de l’autre côté du miroir, non pas par le terrier du lapin mais par le carton du frigo ou les cartons de cette ville froide dans laquelle il vit et qui va se teinter d’ expressionnisme dans ses rêves.
Maintenant, il ne vous reste plus qu’à ouvrir ce splendide album de près de 280 pages et je suis convaincue qu’envoûté.e par la beauté des planches, vous allez vous y plonger, vous laisser dériver au fil des rêves et en ressortir groggy, n’ayant qu’une envie, tout reprendre au début. Une rené.essence !