Le piano oriental
Une BD de Zeina Abirached chez Casterman (écritures) - 2015
09/2015 (02 septembre 2015) 208 pages 9782203092082 Autre format 254549
Un récit inspiré de la vie de son ancêtre, inventeur d'un nouvel instrument de musique dans le Beyrouth des années 1960. Folle tentative pour rapprocher les traditions musicales d'Orient de d'Occident, ce piano au destin méconnu n'aura vu le jour qu'en un seul exemplaire, juste avant que la guerre civile ne s'abatte sur le Liban. Une métaphore amusante - et touchante - de la rencontre de deux cultures, de deux mondes, qui cohabitent chez Zeina et dans son oeuvre.
Piano
En petit format (j’ai lu l’édition à 10 euros), paradoxalement, l’œuvre de Zeina Abirached n’est pas d’une accessibilité immédiate. Le trait de l’autrice, qui déjà n’est pas particulièrement élaboré, assez enfantin même, paraît comme compressé dans un livre trop petit pour lui.
Crescendo
Pourtant, c’est une œuvre d’une grande poésie. Dès le début de la BD, j’ai apprécié la qualité de son écriture, d’une grande rareté. A cela s’ajoute la beauté de la composition en noir et blanc. C’est alors le dé-clic. Les figures de Zeina Abirached, d’apparences simples, sont en fait associées pour créer des ensembles riches et complexes. Ainsi, si le découpage peut parfois paraître redondant, d’où une certaine pesanteur, il est finalement contrebalancé par la maestria de la composition, qui monte en puissance : répétition des motifs, des mots, des onomatopées, des notes de musique... qui tapissent parfois le fond des décors ; géométrie des formes, dans un style persan ou années 60 ; jeu sur les marges et disparition progressive des contours des cases, des frontières ; pleines pages, gros plans parfois radicaux ; schémas et cheminements pointillés, qui contrastent avec la musicalité de l’œuvre...
Allegro
J’avoue, Zeina Abirached a su me toucher au cœur plusieurs fois, dans ce récit polyphonique, évoquant son aïeul musicien, l’invention du piano oriental, mais aussi son propre bilinguisme (français et arabe libanais) : « je tricote depuis l’enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux » (citation extraite d'une double page du centre de l’album, mêlant auto-représentation, calligraphie arabe, police Times sur fond uni de « clic » noir et blanc). Et ce chiasme, ce déhanchement permanent pourrait-on dire, est repris allègrement dans cet art si élégant et personnel qui est celui de Zeina Abirached, dénué de pathos mais avec une profondeur aiguë.
Forte
Il s'agit tout d'abord d'un beau livre, graphiquement très réussi, avec entre autres une belle double page qui met en valeur le piano créé par le grand-père de l'auteure. Le lecteur rentre très vite dans cette double histoire, celle de Zeina et de Adballah: nous nous attachons au personnages, la lecture est enlevée, entre autres grâce aux astuces de mise en page, à l'esthétique, aux sons omniprésents (les souliers, la musique...) et à l'humour. Beaucoup de tendresse aussi à la lecture de ces histoires de famille, et surtout à la fin de la vie d'Adballah, abrupte, émouvante. Bref, une réussite!