La partition de Flintham
Une BD de Barbara Baldi chez Ici Même Éditions - 2018
05/2018 (25 mai 2018) 120 pages 9782369120445 Format normal 333671
Le temps passe dans le Comté de Nottinghamshire, les saisons se suivent et se pourchassent, comme celles de la vie. Avec la mort de la Comtesse, Clara hérite du domaine et sa soeur, à son grand dam, du patrimoine financier. Les soeurs se séparent. Clara abandonne ses beaux atours pour enfiler ceux du labeur, bien décidée à sauver le domaine qui tombe en décrépitude. Malgré ses sacrifices et ses efforts, elle est bientôt contrainte de vendre, de congédier les serviteurs, et d’abandonner sa grande passion, le clavecin…
Une très belle histoire de château anglais, romanesque et gothique à l'époque victorienne. Par ailleurs, c'est couronné par un graphisme pictural remarquable qui semble presque magique. On est réellement tout de suite subjugué par la grâce et la beauté de cette oeuvre.
Enfin, on ne fera pas d'effort pour entrer directement dans le coeur du sujet tout en comprenant le sens. Chaque case est une pure merveille graphique avec pourtant de tristes paysages froids balayés par le vent, la pluie ou la neige. Les landes anglaises seront perçues comme réellement hostiles. Voilà pour le décor certes un peu lugubre !
Je suis étonné de savoir que c'est le premier roman graphique de l'auteure Barbara Baldi qui réussit tout de suite à nous impressionner sans crier gare. Il s'agit d'une histoire d'héritage entre deux soeurs très différentes dont l'une est plutôt douée pour un instrument de musique à savoir le clavecin. Il y a aura beaucoup d'épreuves pour la plus gentille avec un espoir de s'en sortir au bout du chemin.
Une oeuvre esthétique d'une délicate beauté avec un scénario qui ne nous lâchera pas. Bref, une oeuvre rare car brillante.
Une bonne BD peut-elle atteindre à la "grandeur" par la seule force de son dessin ? Le sens commun suggère que non, bien sûr, puisque la dictature du scénario tout-puissant nous a depuis longtemps convaincus d'exiger aussi une bonne histoire. Mais voilà que cette "Partition de Flintham" arrive pour ébranler nos certitudes. Premier livre d'une visiblement brillante illustratrice italienne, Barbara Baldi, ce livre nous envoûte, nous enchante, nous promène, simplement (?) à l'aide de ses images sublimes, sombres aquarelles rendant régulièrement hommage aux chefs d'œuvre de la peinture classique.
Le livre est construit sur de très rares dialogues, et sur une histoire qui évoque immédiatement certains clichés romantiques éternels (les Soeurs Brontë, coucou !), avec son héroïne retranchée dans un refus du monde presque arrogant, mais prête à tous les labeurs et toutes les humiliations pour sauver l’héritage de sa grand-mère bien-aimée. "La Partition de Flintham", titre français un peu absurde sans doute imposé par le caractère intraduisible du titre original en Italien ("Lucenera", lumièrenoire ?), peut également nous rappeler les réflexions socio-politiques de "Downton Abbey" sur les contraintes économiques de la noblesse et sur les rapports entre maîtres et servants...
Baldi ne pousse pas toutefois pas la logique de son histoire jusqu'au bout : elle abandonne sans résolution les divers fils de son intrigue, et refuse de conclure de manière logiquement tragique le destin de Clara, la sauvant grâce à un happy rend par trop improbable, en nous faisant le coup usé du Deus Ex Machina (même si les deux dernières cases, énigmatiques, laissent planer un doute salutaire)... On ne peut donc pas dire que Barbara Baldi ait vraiment misé sur son scénario, qui ne paraît jamais vraiment l'intéresser, qui relève parfois plus de la logique des rêves (des cauchemars... puisque le pire est toujours certain !) que du rationnel.
Pourtant, et c'est là toute la magie de ce livre plus singulier que formaliste, il est difficile de le reposer avant de l'avoir terminé : chaque illustration nous entraîne dans le monde douloureux de son héroïne romantique sur laquelle s'abattent tous les malheurs imaginables. La chute est cruelle, longue, étourdissante, mais la manière dont Baldi injecte une petite lumière vaillante dans la nuit noire et froide qui menace sans cesse d’engloutir Clara est si belle que la jouissance du lecteur se fait de plus en plus aiguë.
"La Partition de Flintham" est une expérience rare.