Number 5
INT01. Intégrale 1/2
Une BD de Matsumoto, Taiyou chez Kana (Made in) - 2019
01/2019 (18 janvier 2019) 530 pages 9782505060888 Format Manga 356895
Dans un monde futuriste imaginaire, Number Five, tireur d'élite au sein du Conseil Rainbow, une organisation armée pour la protection de la paix s'est révolté et personne ne semble pouvoir l'arrêter ! Il a entraîné dans sa fuite sa la jeune Matriochka. Les troupes du Conseil Rainbow n'auront de cesse de le rattraper et de l'éliminer...
Quelle BD vous a fasciné le plus dans votre jeunesse ?
Pour ma part, c’est sans conteste Number Five, manga de Taiyou Matsumoto (Amer Béton, Ping Pong... là encore un auteur qui mériterait un grand prix). Quoique j’ai du mal à m’y replonger maintenant, tant sa proposition esthétique et son storytelling sont délirants.
Mais de quoi ça parle ?
Dans la première partie de cette « intégrale » (en réalité je vous conseille de lire plutôt la première édition française des albums de N°5, avec quelques pages en couleur et des couvertures magnifiques, si vous avez l’occasion...), l’un des membres du « Conseil Rainbow » (sortes de super-héros institutionnels, garants d’un monde futuriste sois-disant unifié et pacifié), Number Five, se met à liquider ses congénères. S’agit-il d’une vengeance ? D’un acte de rébellion ? D’un délire mystique ? Ou tout simplement d’un pétage de plombs ? D'ailleurs, est-ce que Number Five peut-être considéré comme un anti-héros ? Un vilain ? Un méchant ?
La première partie ne permet pas de répondre à toutes ces questions. D’ailleurs, même après avoir lu l’ensemble de la série plusieurs fois, j’ai toujours un doute quant au sens de cette œuvre... Un article du site Le jardin de Shuwa a intelligemment mis au jour quelques clés de compréhension (évoquant en particulier l’hypothèse d’une domination magique de Matriochka, la femme enlevée par N°5, mais aussi l’idée d’une IA qui transcende les personnages, des machines de chair, des dieux esclaves...), salutaire tant le sujet est occulte.
Et, la lecture de Number Five a été si intense, que je me rappelle encore de la bibliothèque qui me l'a fait découvrir, du lit dans lequel j’ai achevé sa lecture, des copains avec qui j’en ai parlé, de la table où j’ai recopié ses dessins... Une véritable madeleine de Proust...
Je me souviens surtout du choc, celui de l'initiation à l'univers et au trait fulgurant de Taiyou Matsumoto : parfois très détaillé, ou alors complètement caricatural, voir enfantin. Jamais je n’aurais pu imaginer un tel mélange des genres, un tel éclectisme (ses sources d’inspiration, comme Tezuka ou Moebius, sont aussi variées que ne l’est la BD moderne). Il capte avec justesse l’essence des images, donne vie à ses dessins, abreuvés de sensations, de symboles et de rêves. Un aspect surréaliste qui transparait aussi dans son découpage, passant souvent du coq-à-l’âne, du moins en apparence... Riche en émotions donc, mais très exigeant à lire (les apparences sont trompeuses).
Car, on sent dans cette œuvre une dimension métaphysique et politique, à portée universelle, mondiale, mélangeant les cultures, les religions voir les langues humaines et même les espèces animales, dans un très large pot-pourri. Matsumoto s’inspire aussi de son époque : c’est-à-dire le monde à la fin de la guerre froide, point tournant de l'hégémonie américaine... Il rassemble ainsi, pour faire simple, un faisceau d’idées contemporaines : sur l’écologie, le réchauffement climatique, la surpopulation, le malthusianisme, le développement des IA, les OGM, la médiatisation de l'opinion publique... et pose encore d'autres questions, éthiques et morales, sur les gardiens de la paix... Dans le manga, le rapt de Matriochka par N° 5 apparaît ainsi comme l’élément perturbateur, un grain de sable dans un engrenage beaucoup plus vaste, « utopie » qui dévoile peu à peu son vrai visage. Le cocktail est particulièrement chargé et épicé...
C’est peut-être ça qui me refroidit un peu dans ma lecture actuelle de Number Five. Car, si Number Five a quelque chose de prémonitoire (publié au Japon à partir de décembre 2000, il évoque déjà la guerre asymétrique USA vs terroristes et les remises en cause de l’Occident, notamment par les pays émergents, les BRICS...), je trouve que les valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme, l’être humain lui même finalement, pourraient être mieux mis en avant... Ou en tout cas plus clairement.
Une BD qui suscite cependant toujours mon intérêt, sur les plans artistique et narratif. Elle est d’ailleurs très loin des propos polémiques et de l’immoralité d’un Frank Miller (Sin City, 300...) par exemple.
Malgré toutes ces questions sans réponse...