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Si ce gros bouquin impressionne par sa taille, il ne faut pas s’y fier, car il s’avère très léger dans la mesure où il se lit relativement vite, bénéficiant d’une narration fluide et aérée. Ainsi, « Méfiez-vous des apparences » est peut-être le message à retenir de ce très beau roman graphique. Cela dit, l’épaisseur du pavé s’appliquerait aisément au fond davantage qu’à la forme, à savoir une épaisseur psychologique qui sonne si juste qu’on pourrait considérer « New York, New York » comme une fable autobiographique, ou tout au moins « autofictionnelle », ce fameux néologisme utilisé pour qualifier une œuvre mêlant fiction et expérience personnelle.
Le constat qui corrobore cette supposition, c’est que les deux bonnes copines du récit sont canadiennes, tout comme les deux autrices qui non seulement le sont aussi, mais semblent par ailleurs très proches puisque c’est ici leur troisième collaboration. Et s’il fallait une preuve que l’alchimie entre les deux cousines fonctionne à merveille, il faudra ajouter qu’avec « New York, New York », c’est la deuxième fois que le duo Tamaki est récompensé par un prix Eisner, celui du meilleur roman graphique. « Roaming », le titre original, qui se traduit par « itinérance » (on peut s’interroger sur la pertinence du choix de l’éditeur français), est une double allusion, en rapport avec les balades aléatoires du trio de filles dans la métropole géante et au jargon des télécommunications, une fonction qui permet de rester joignable et connecté à l’étranger. Comme on le verra, le téléphone mobile — le modèle à clapet des années 2000 puisque c’est à cette période que se situe le récit — jouera un rôle déterminant dans l’histoire.
L’histoire ? Autant l’annoncer d’emblée, elle n’a rien d’extraordinaire. Elle raconte le séjour de trois jeunes filles canadiennes dans la fleur de l’âge qui se retrouvent pour passer un moment ensemble dans la cité mythique de la côte Est, parfois surnommée « Big Apple ». « La Grosse Pomme » en effet, c’est pas rien pour immortaliser un moment important de sa vie, c’est la ville de tous les possibles et de tous les excès. Parmi ces trois meufs, aucune n’a le rôle principal, les trois ayant une importance équivalente dans leurs différences, pour le propos d’un récit qui s’appuie justement sur cette relation triangulaire, où se diluent les frontières entre amitié et amour, ou plus précisément pulsions amoureuses…
Il y a tout d’abord Dani la pragmatique, celle qui a organisé la rencontre à New York. Un vrai petit poney, la Dani, celle qui veut aimer l’univers entier, disposée à livrer ses sentiments à quiconque voudra bien l’accepter, dans sa vision presque enfantine voire nunuche d’un monde peuplé de licornes. Puis Zoé, sa meilleure amie, une personnalité douce et discrète, adorable et fragile, mais en pleine quête de son identité lesbienne. Et enfin Fiona, dotée d’une forte personnalité, avec un regard aiguisé et déjà blasé sur les gens et la vie, et une posture « badass ». Fiona, c’est la chic fille par excellence, à la fois artiste, rebelle et solaire, qu’on peut trouver sympa au début, mais qui va révéler au fil des pages sa face plus sombre, dès lors qu’elle va jeter son dévolu sur Zoé tout en mettant Dani sur la touche…
Mariko Tamaki a choisi comme théâtre de l’action la ville de New York, qui est d’une certaine manière le quatrième personnage. Symbole de liberté, la mégapole électrique est comme un tourbillon, agissant sur les esprits tel un accélérateur de particules. Les sentiments s’en trouvent plus aiguisés, tout y est plus intense, et là, gare aux brutales désillusions ! Au cœur de ce tourbillon, le trio va en faire les frais, dans une sorte de périple initiatique qui révélera les âmes de chacune des protagonistes. En filigrane de l’histoire se dessine cette mise en garde vis-à-vis des personnalités toxiques, ces vampires psychiques capables de vous polluer l’atmosphère de la façon la plus sournoise et vous laisser sans états d’âme agoniser une fois qu’elles vous ont poussé dans le talus…
Dans sa sobre bichromie pastel d’orange et de mauve, le dessin de Jillian Tamaki révèle une fraîcheur appréciable, tant dans le graphisme que la mise en page, débordante de fantaisie et de poésie. Celle-ci a su retranscrire le tourbillon émotionnel de ces jeunes filles au cœur de cette cité vibrante de mille énergies, aussi bien positives que négatives. Jillian Tamaki est assurément une artiste à suivre.
Difficile de savoir quelle est la part autobiographique de « New York, New York », au niveau du récit comme des personnages, mais cela a au fond peu d’importance. Jillian et Mariko Tamaki nous offrent ici une fable subtile et authentique avec des personnages attachants, donnant envie de découvrir leurs œuvres précédentes. De même, on espère de leur part une longue et fructueuse collaboration dans le futur.