Les navigateurs
Une BD de Lehman, Serge et Stéphane De Caneva chez Delcourt - 2024
10/2024 (02 octobre 2024) 184 pages 9782413049944 Format normal 504174
Expatriée depuis 20 ans, Neige Agopian décide de rentrer à Paris et de renouer avec ses amis d'enfance, Max, Arthur et Sébastien. Mais après quelques jours, elle disparaît dans des conditions étranges. Les garçons mènent l'enquête et se confrontent à un triple mystère : une légende urbaine, une énigme artistique, et un fabuleux monde perdu sur lequel veillent, depuis toujours, les « Navigateurs ».
Un récit captivant oscillant entre folie et mysticisme. Tous les protagonistes sont parfaitement détaillés dans leurs névroses comme dans leur humanité. Le talent des auteurs est de rendre crédible l’incroyable, et d'introduire avec brio de l’extraordinaire dans la vie de gens ordinaires. Une lecture indispensable.
Fidèle à son sacerdoce, consistant à réintégrer la tradition littéraire « fantastique » européenne dans la pop-culture mondiale, Serge Lehman a mis ici en lumière une mouvance marginale dans l’art du XIXe siècle, celle de la peinture symboliste et ésotérique. Pour ce faire, il s’est centré plus particulièrement sur Odilon Redon, artiste tourmenté et décalé qui eut sa période noire, où il représentait des chimères cauchemardesques, avant de s’orienter vers des thèmes plus sobres, plus lumineux. Partant de là, Lehman, scénariste érudit à l’imagination féconde, va tisser un univers fictif et original en évoquant des courriers imaginaires du grand Jean Cocteau, des œuvres disparues, des artistes obscurs ou inventés tel ce Ferdinand Krebs, auteur supposé de la fresque dans la chambre d’une des protagonistes, Neige Agopian.
Et si Serge Lehman se réfère à Cocteau, ce n’est pas totalement par hasard, puisqu’avec « Les Navigateurs », il reprend le credo de l’artiste de mêler le rêve à la réalité. Par la découverte d’une fresque dissimulée sous un vieux papier peint, va naître, comme si une porte avait été ouverte sur l’inconnu, une aventure étrange, entraînant les protagonistes vers une dimension onirique parallèle à la réalité plus familière.
Particulièrement bien ficelé et d’une originalité rare, ce récit nous entraîne en région parisienne, où trois potes d’enfance vont mener leur propre enquête pour retrouver leur amie Neige revenue récemment de l’étranger, celle-ci ayant disparu corps et biens dans la maison familiale où elle venait de s’installer, de façon très mystérieuse. La psychologie des personnages, principaux comme secondaires, est très bien dessinée, et c’est le point fort de cet auteur. Il y a d’abord Max Faubert, écrivain technophobe amoureux de la poésie, rédac-chef d’une petite maison d’édition héritée par Sébastien, fils à papa stylé et faux snob très cultivé, aux opinions bien tranchées. Vivant sa vie un peu à l’écart, Arthur est le rebelle du trio, l’aventurier un brin asocial qui a fait les 400 coups depuis l’enfance, doté d’une prothèse de tibia qui lui donne de faux airs de pirate. Celui-ci, vivant toujours avec ses deux tantes, console sans modération ses douleurs diverses avec l’alcool ou l’herbe. Quant à Max, cette aventure lui permettra-t-elle d’exorciser des traumatismes très enfouis, qui s’accrochent à sa psyché comme le sparadrap qu’il porte sur sa joue ?
Tout au long de ces captivantes 200 pages, les indices vont s’accumuler pour reconstituer peu à peu toutes les pièces d’un puzzle incroyable, jusqu’à ce point de bascule vers une dimension parallèle aux accents oniriques, où une étonnante poésie horrifique échappe à tous les repères temporels, une poésie magnifiée par l’excellent dessin de Stéphane de Caneva. Et comme le suggère le titre, « Les Navigateurs » ont à voir avec le monde de la mer, d’une portée symbolique très riche qui part des mythes ancestraux jusqu’à Freud, pour qui elle représente l’inconscient du rêveur dans son immensité, ce que Lehman va exploiter abondamment ici. Ce fameux « monde de la vieille mer » décrit dans le livre s’appuie sur les recherches hydrologiques du XIXe siècle de l’ingénieur Eugène Belgrand, qui avait découvert que le Bassin parisien était complètement submergé par les eaux à la préhistoire, que Montmartre était une île et Montreuil une ville côtière… N’était-ce pas le sujet rêvé pour l’amateur de mythes et de mystères qu’est Serge Lehman ? Ainsi, comme on le verra, cette aventure vers une réalité maritime alternative donnera à Max l’opportunité de laver son âme blessée…
Stéphane de Caneva, qui en est à sa troisième collaboration avec Serge Lehman, nous livre un dessin maîtrisé qui évoquerait les comics US, mais dans un style écartant la violence souvent inhérente au genre. Il y adjoint une jolie touche poétique qui atteint son summum dans la dernière phase de l’histoire, avec une étonnante variation graphique pour signifier le basculement dans une dimension parallèle.
Véritable invitation au rêve, qui plus est bénéficiant d’une édition soignée pour mettre en valeur la très belle couverture, « Les Navigateurs » s’impose comme une des meilleures aventures fantastiques de l’année, avec en filigrane une quête initiatique plus psychologique sur la façon d’échapper à des traumatismes culpabilisants. Par une documentation poussée qui sert de socle à son imaginaire foisonnant, Serge Lehman parvient à réenchanter un pays qui en a bien besoin (le nôtre !), faisant que ses citoyens n’en finissent pas d’être désabusés par l’absence de perspectives politiques. Depuis le début, Lehman s’inscrit en passeur — moderniste et non nostalgique — d’une tradition littéraire fantastique délaissée en France et en Europe, souvent au profit des productions américaines ou japonaises. Et ça, c’est extrêmement précieux.
Malgré quelques longueurs...
J’ai beaucoup aimé cette BD fantastique. Le scénario – dense et particulièrement fouillé - a valu à Serge Lehman le prix René Goscinny récemment (quoique je ne vois pas trop de similitude avec le style d'écriture du papa d'Astérix).
Les dessins de Caneva, d’un certain réalisme, sont plutôt classiques dans l’ensemble et tranchent avec la magnificence de la couverture... Cet étalement de "matière grise" aurait pu se révéler un peu terne...
Si ce n’est que l’issue – que j’ai attendu en trépignant pendant les 2/3 du livre - est particulièrement intense. Elle est merveilleuse, onirique, palustre... En un mot, tout droit sortie des Abymes de Paris, mais aussi d'un art nouveau, inspiré de celui de la fin du XIXème siècle.
...Cette BD luit finalement d'un clair-obscur, comme un beau négatif de Paris.
Bah, encore une fois, clairement, les scénarii de Lehman, c’est du lourd, du très très lourd. Un des BD de l’année.
Serge Lehman nous emmène, une nouvelle fois, dans un récit où se mêlent aventure, onirisme et références culturelles (littérature, peinture, sciences...). A mon sens, il est actuellement le seul scénariste français à savoir si bien créer des œuvres en s'appuyant sur les aspects mythiques de nos cultures et nos sociétés. Et ce, sans oublier les relations humaines : l'amitié, les amours perdues...
Une histoire dans la lignée de la Brigade Chimérique et encore plus de L'Homme Gribouillé. A lire absolument !
Lorsque leur amie d'enfance disparaît dans des conditions bien étranges, 3 copains se mettent en quête de la retrouver ce qui ne sera pas facile au milieu d'une énigme artistique, une légende urbaine et un fabuleux monde imaginaire autour d'une ancienne mer ayant existé dans la cuvette parisienne il y a bien longtemps.
On s'attache plus particulièrement à celui qui est un écrivain Maxime Faubert et qui a eu un commencement d'histoire amoureuse avec Neige lorsqu'ils étaient adolescents. Il est aujourd'hui un père célibataire bénéficiant de la garde alternée de son fils. Visiblement, il y a un traumatisme caché qui se révélera.
J'ai bien aimé cette introduction qui fait très roman graphique dans l'approche et puis, il y a ce basculement dans le monde du fantastique et qui intervient sans vraiment crier gare. Il est question d'une fresque mystérieuse qui était cachée sous une tapisserie dans une belle demeure d'un quartier de Clamart. L'enquête peut commencer et elle révélera bien des surprises...
Le scénario de Serge Lehman monte en puissance comme à chaque fois pour nous offrir ce qu'il y a de meilleur dans un univers à la fois parisien mais onirique. L'intrigue est assez accrocheuse avec un récit qui ne manque pas de rythme.
Il y a en effet une lente progression vers le mystique avec une frontière plutôt floue entre le réel et l’imaginaire. Cela ressemble d'ailleurs un peu à « l'homme gribouillé » dans son approche et qui était sa dernière œuvre.
Par ailleurs, j'ai été tout de suite séduit par le dynamisme des premières planches de Stéphane de Caneva qui nous entraîne dans un Paris mystérieux et fantasmé.
On sent l'influence du comics mais avec un charme qui fait assez rétro. Les visages ne manquent pas d'expressivité. Comme dit, j'ai toujours aimé le style réaliste qui donne dans la crédibilité.
Au final, voilà un conte des temps moderne tiré d'un passé très lointain avec toujours la capitale en toile de fond. On peut naviguer dans Paris. Certes, on ne trouvera pas un requin dans la Seine mais des créatures bien plus inquiétantes...
Max, Arthur et Sébastien, trois amis d'enfance, voient revenir dans leur vie Neige, une amie de longue date. Cependant, elle disparaît mystérieusement après quelques jours, absorbée par une étrange tapisserie. Les garçons se lancent alors dans une enquête qui les conduit dans un monde fantastique.
Le scénario est fascinant et m'a totalement captivée. L'histoire nous transporte dans un univers singulier, riche en légendes, dissimulé sous Paris.
Présentée en noir et blanc, l'esthétique de la bande dessinée est saisissante. Chaque vignette regorge de détails minutieux, les traits délicats insufflent une vie réaliste aux personnages, et l'univers souterrain dévoilé est d'une richesse inouïe.
Cette bande dessinée m'a émerveillée par son récit et son esthétique.
Un véritable coup de cœur.