Les mains Invisibles
Une BD de Ville Tietäväinen chez Casterman - 2015
01/2015 (21 janvier 2015) 224 pages 9782203089198 Grand format 236433
Rachid quitte sa femme, sa fille et son pays, le Maroc, pour « passer» en Espagne. Dans cette Europe fantasmée, il espère trouver un emploi rémunérateur et offrir une vie meilleure à sa famille. Il n’y trouve pourtant que des salaires de misère, une vie précaire, des travaux de force et une clandestinité qui ressemble à de l’esclavage. De désillusions en trahisons, la quête de ce travailleur acharné et idéaliste l’emmène jusqu’à Barcelone, où elle se conclue. Enfin. Les Mains Invisibles racontent le choc entre rêves de richesse et réalité de l’immigration... Lire la suite
C’est une bd coup de poing ayant pour thème l’immigration. Ce sujet déchaîne véritablement les passions dans notre pays. Cependant, de la rhétorique xénophobe à la réalité des chiffres : on va être plutôt surpris pour peu que l’on raisonne sereinement.
Les chiffres de l'OCDE montrent tout simplement que la France est bonne dernière, et de très loin, dans l'ensemble des pays européens de taille démographique comparable en matière d'entrée d'immigrants. La France stagne, depuis plus dix ans, à quelque 190 000 immigrants qui entrent sur son territoire par an, alors que le Royaume-Uni en accueille plus de 450 000 et que l’Allemagne dépassait, en 2011, les 800 000 immigrants. Même l’Italie et l'Espagne sont beaucoup plus ouvertes que la France. Cela représente en effet chaque année 0,3% de la population française en moyenne, contre 0,6% pour les pays de l’OCDE. C'est également la plus faible proportion d'Europe, rapportée à notre population.
Près d’un immigré sur deux est d’origine européenne. L’immigration d’origine européenne est majoritairement portugaise, britannique, espagnole, italienne ou allemande. Ces cinq pays représentent 57 % des entrées d’immigrés nés en Europe. La France n’est pas la première destination des immigrants en Europe mais la cinquième, derrière le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne.
63 % des immigrés entrés en France en 2012 sont au moins titulaires d’un diplôme de niveau baccalauréat. 40% des immigrés de plus de 16 ans, non étudiants, entrés en France en 2012, déclaraient avoir un emploi l’année de leur arrivée. La France a enregistré 66 265 demandes d’asile en 2013. C'est près de moitié moins que l’Allemagne (126 995). La France est donc loin de ployer sous le poids des demandes et des réfugiés, comme on l’entend trop souvent. En 2013, 95 196 personnes ont acquis la nationalité française.
Par ailleurs, faut-il s'étonner qu'un nombre croissant d'hommes et de femmes aient envie de venir étudier, travailler, investir sur le continent européen ? L'arrivée d'immigrants est un signe évident d'attractivité d'un pays. L'Europe est attractive pour les immigrants, et la France… ne l'est pas. Voilà la triste réalité.
Certains spécialistes ont une vision positive de l’immigration. Ils la jugent indispensable, vertueuse pour l’économie et inscrite dans le sens de l’Histoire. Bref, la réalité des chiffres nous permet de relativiser.
Au lieu d’aborder les questions fondamentales du partage des richesses et de la réduction des inégalités économiques et sociales, l’extrême droite française - désormais rejointe par la droite - préfère surfer sur la haine de l’étranger. En se basant sur des convictions racistes, elles stigmatisent ainsi une population, nommément celle originaire d’Afrique du nord et d’Afrique subsaharienne, et la rendent - à tort - responsable de tous les ravages engendrés par la doctrine ultralibérale. La bd en question nous montre d’ailleurs de nombreux exemples de cette hostilité vis-à-vis de l’étranger.
Ceci dit et il était utile de le dire dans un contexte de haine globale de la population, cette bd se penche sur les conditions effroyables de l’arrivée de ces immigrés en Espagne. Les passeurs n’hésitent pas à les jeter dans la mer. L’actualité récente de ces naufrages en pleine mer nous démontre toute l’horreur de ces situations. Il y a également cette propagande islamiste qui surfe sur cette misère humaine.
Le dessin table sur une bichromie plutôt réussie. J'ai bien aimé certains passages aériens pour nous présenter cette région de l'Espagne remplie par les serres agricoles. Par ailleurs, le scénario est plutôt dense. C'est une bd assez longue par moment et qui s'attarde véritablement sur les personnages pour leur donner une certaine épaisseur. Il y a une dimension réaliste que j'ai bien apprécié.
La fin de cette bd est désespérante, voire très sombre. On ne peut qu’être touché par tant de désarroi. Cela fixe les choses dans un contexte juste. C’est un récit poignant. A découvrir bien entendu.