La liste d'Orwell
Une BD de Hernandez, Carlos chez 21g (Destins D'histoires) - 2022
09/2022 (23 septembre 2022) 96 pages 9791093111261 Format normal 456098
En 2003, suite à des révélations dans la presse anglaise, le monde entier apprend que George Orwell, l'auteur de 1984, dénonciation éloquente de tous les totalitarismes, avait fourni aux Services secrets britanniques une liste d'artistes et de politiciens qui selon lui étaient potentiellement des agents communistes au service de l'U.R.S.S. de Staline. Ces pratiques, dignes d'une «chasse aux sorcières » entachent depuis le parcours d'un écrivain humaniste toujours enseigné dans toutes les écoles occidentales. En mettant en scène son double de papier,... Lire la suite
George Orwell est sans doute l’un de mes auteurs préférés en témoigne mes avis sur les différentes versions de « 1984 » ou encore de « La ferme des animaux ». J’aime sa critique du système totalitaire ou autoritaire conduisant à la privation de libertés chez les individus.
Voilà une singulière biographie qui nous est proposée par l’espagnol Carlos Hernandez. J’ai bien aimé cette approche très moderne dans la façon de raconter cette histoire. Il faut dire que George Orwell n’a pas eu une vie très facile et il a connu la célébrité sur le tard. Il est mort à seulement 46 ans d’une vilaine maladie.
Il y a eu une polémique à son sujet qui a été soulevé par des journalistes en mal de sensation des décennies après sa mort. Notre auteur, Carlos Hernandez, va enquêter sur l'affaire de George Orwell accusé d'avoir fourni aux Services secrets britanniques une liste d'individus qu'il soupçonnait être des agents communistes pour Staline. En effet, il est question d’une liste que le célèbre écrivain aurait établi à destination du gouvernement contre des personnalités ayant des sympathies communistes. On retrouve par exemple l’acteur Charlie Chaplin sur cette fameuse liste aux effets discriminatoires. C’est la fameuse chasse aux sorcières.
Pour autant, l’auteur va expliquer la vie d’Eric Arthur Blain, de son vrai nom, à partir de sa naissance en Indes britannique jusqu’à sa mort prématurée. Il a reçu une éducation typiquement anglaise en faisant partie de la classe moyenne haute. Son père était fonctionnaire dans l’administration des Indes. Il va aller au collège d’Eton, la fameuse institution scolaire que le Prince Harry décrit si bien dans ses mémoires.
Le jeune homme endosse l'uniforme et retourne aux Indes en 1922 pour devenir sergent dans la police impériale en Birmanie. Son tempérament un peu rebelle le fait sérieusement douter de l’impérialisme britannique. Il préfère donner sa démission en revenant en Europe où il va un peu vagabonder pour ne pas dépendre de sa famille. En réalité, il souhaite se consacrer à l’écriture mais les fins de mois sont difficiles. Il explore les bas-fonds londoniens puis parisiens. Dans les années 30, il se décide enfin à accepter un poste d'enseignant dans une école privée.
En 1936, cet aventurier n’a pas hésité à retourner sur le terrain et à combattre les fascistes en Espagne dans le camp des Républicains alors que son gouvernement ainsi que la France les avaient laissé tomber. Durant cette guerre, les partisans de Staline ont pourchassé les autres obédiences socialistes dont celle de notre écrivain (la milice du POUM). Au front, il est blessé par balle au niveau de sa gorge.
Il y a eu surtout la Seconde Guerre Mondiale ainsi que l’émergence de deux super puissances conduisant à la guerre froide. A noter qu’il a été un bon patriote sans verser dans le nationalisme afin de défendre son pays d’une invasion.
A la fin de l’ouvrage, on aura le fin mot de l’histoire à propos de cette fameuse liste dont il faut relativiser les effets pour ne pas tomber dans la calomnie. Certes, c’était un geste sans doute maladroit mais qui n’a eu finalement que peu d’effet sur les personnes visées. Il a juste donné un conseil à une amie alors qu’il était déjà gravement malade en donnant une liste de noms d'autres personnes qu'il était inutile d'approcher, en raison de leurs convictions politiques. Après, la presse a grossi le trait pour en faire un scandale inapproprié.
En réalité, il était en faveur d'une troisième voie entre le communisme soviétique et le capitalisme américain. Il avait beaucoup d’ennemi, c’est le moins que l’on puisse dire. Je trouve même qu’il y avait même de la grandeur chez cet homme qui n’a pas sacrifié ses idéaux et ses valeurs au nom de sa carrière.
Juste un mot sur le dessin. On peut dire qu'il apporte beaucoup de fluidité à la lecture et beaucoup de dynamisme. Il est dynamique, vif et précis, restituant pleinement les ambiances de ce pays et de cette épopée avec une colorisation extrêmement agréable.
Cette BD est passée un peu inaperçue alors que George Orwell est sans doute l’un des écrivains occidentaux les plus étudiés en cours de littérature. Elle mérite qu’on s’y attarde un peu d’autant qu’elle est bien réalisée avec un graphisme tout à fait avenant.