Karmen
Une BD de Guillem March chez Dupuis - 2020
02/2020 (07 février 2020) 152 pages 9791034733514 Grand format 385071
Il arrive qu'on se suicide sur un malentendu. C'est l'heure du rapport : un "code rouge" pour Karmen. À Palma de Majorque, la jeune femme avec ses cheveux roses et ses taches de rousseur, habillée d'une combinaison noire de squelette pénètre dans l'appartement d'une coloc étudiante. Elle se rend tout droit à la salle de bain où Catalina s'est taillé les veines. Dans l'instant suspendu entre la vie et la mort, l'introspection commence pour la jeune fille et son chagrin d'amour, emportée dans une narration fantastique qui jongle en mises à distances... Lire la suite
Scénario qui va traiter de thèmes difficiles tel que la mort, la rédemption, l'acceptation et la remise en question de soi , sa place dans la société etc ... Tout cela sur fond d'histoire d'amour traditionnelle entre le beau gosse du lycée et sa meilleure amie marginale .
L'auteur parvient parfaitement à jouer avec les sentiments contraires, use de nombreuses références culturelles (Ghost avec Patrick Swayze, le destin de Lisa, Angelina Jolie et quelques autres) et intègre des discours (trop) explicites dans un monde onirique pour ne pas perdre complètement le lecteur . Guillem March s'amuse également à nous déboussoler visuellement en passant d'une scène semi érotique à un évênement tragique, puis du réalisme au fantastique en quelques cases . Cette "Karmen" n'est pas dénuée d'humour, même s'il faut apprécier le genre salace, ce qui est paradoxal car graphiquement la nudité dans cette histoire est utilisée à des fins philosophiques voire religieuses (bon même si certaines positions semblent cocasses) .
Ce fût une lecture sympathique, esthétiquement plaisante . Les thèmes abordés me parlent, même si je lui aurais préféré un récit plus mature . Cependant, c'est justement cette légèreté qui fera son succés et permettra à un public plus sensible/fragile d'aborder des questions philosophiques difficiles, aisément .
Qu'est-ce que j'ai pu en lire des histoires de purgatoire où un ange laisse une seconde chance à un mort en sursis ! Là, il s'agit de l'ange mortel Karmen qui veille sur la jeune et belle Catalina qui vient de se suicider à Palma de Majorque à la suite d'un qui pro quo amoureux. Voilà pour le décors.
Je suis toujours preneur de ce genre de récit de rédemption. Certes, un chagrin d'amour peut conduire au suicide mais cela reste assez léger et égocentrique. Heureusement, Karmen qui a des problèmes avec sa hiérarchie va conduire notre héroïne à bien réfléchir aux conséquences de son acte.
A noter un dessin qui correspond tout à fait aux attentes. C'est parfois des envolées et des cadrages défiant la gravité tout à fait magnifiques. Il faut dire que l'on peut flotter par dessus les airs une fois mort. Les vues plongeantes sur Palma sont à tomber.
Bref, nous avons là une lecture assez planante et qui part d'une bonne intention et avec un peu d'humour pour passer sur les aspects dramatiques.
Une mise en page pop
« Karmen » reprend le thème d’« Essence » de Benjamin Flao : un ange vient accompagner une âme pendant les quelques secondes qui séparent de vie à trépas. Si la vraie héroïne de l’album est Catalina, Guillem March a souhaité insister sur le côté ésotérique de l’aventure en faisant de l’ange l’héroïne éponyme de son album et en la mettant en avant sur une couverture d’un rouge claquant : rouge comme le sang qui s’écoule de la jeune suicidée, rouge comme le code, rouge comme la passion aussi. Karmen (avec un K comme Karma) est présentée dans une étonnante pose de contrition : elle ne regarde pas le lecteur et a la tête baissée comme prise en faute. Sa chevelure rose et sa combinaison de squelette donnent l’impression qu’elle porte un déguisement d’Halloween. Le rose adoucit la violence de la couleur du fond et donne du peps. Cette couverture attire l’œil. On ne sait pas trop vers quelle histoire nous allons être embarqués d’autant que la quatrième de couverture est énigmatique : elle ne montre que l’héroïne en plein vol, sur trois vignettes, entourée d’autres gens. On a donc envie d’en savoir davantage.
La mise en page est tout aussi détonante et surprenante : styles et format des cases varient. Il y a des pleines pages et même des doubles pages qui s’affranchissent du gaufrier. Les fonds ne respectent pas la tradition non plus : ils sont souvent en couleurs. La première page est très intrigante et ressemble à un tableau de Pollock passé sous le pinceau pop d’Andy Warhol ! Elle est reprise à la 4eme. Seul le récitatif change et l’on comprend qu’on a affaire à une sorte de prologue.
Une œuvre entre poésie et dynamisme
Le prologue met en place des flashbacks qui seront explicités par la suite. La juxtaposition et l’ellipse pourraient perdre le lecteur mais l’on comprend qu’à chaque fois ces épisodes concernent Catalina et son ami d’enfance Xisco. L’arrivée de Karmen et son rôle sont très bien expliqués également par le raccourci : on voit Catalina assise à discuter sur les toilettes de la salle de bains et quand elle sort en compagnie de Karmen, son corps inanimé est dans la baignoire rouge de sang. Au départ, l’histoire peut paraître étrange par ce mélange des genres : l’auteur hésite entre une chronique amoureuse et une histoire fantastique. L’album est volumineux (160p) et séparé en 4 chapitres de longueur très inégale ; C’est d’ailleurs le reproche principal que je lui ferai : un déséquilibre dans la composition. La promenade à Majorque de Catalina et Karmen est trop longue et pas assez rythmée. On a l’impression que March se fait un « trip » de dessinateur au détriment de l’histoire. Les trois autres chapitres : ceux de l’introspection, de la rencontre des autres, de la résolution du quiproquo amoureux et de la confrontation de Karmen et des fonctionnaires de l’au-delà paraissent, au contraire, trop courts pour brasser tant de thèmes.
Certains dialogues sonnent un peu creux aussi mais l’album a cependant un atout indéniable et de taille : son dessin !
Les couleurs sont plutôt pastel. Ce qui surprend vu le thème. Les décors sont particulièrement soignés et réalistes et permettent d’accorder plus de crédibilité à cette histoire fantastique. Certaines planches deviennent abstraites. Il y a de très beaux effets de transparence et de superposition. March rend un vibrant hommage à sa ville natale : on voit Palma de Majorque sous tous les angles … et l’héroïne aussi. L’auteur réussit l’exploit de ne pas tomber dans la grivoiserie alors que Catalina se promène nue tout le temps. Les prises de vue et les perspectives alors qu’elle vole accompagnée de son ange gardien au-dessus de la ville sont très inventives.
March a travaillé pour les comics et ça se voit dans sa façon d’accélérer ou au contraire de ralentir le mouvement. Il mêle poésie et dynamisme. Il aurait été impossible de publier ce roman graphique en noir et blanc tant la couleur (en collaboration avec Tony Lopez) est importante pour le ressenti du lecteur. Les fonds multicolores permettent d’isoler les séquences « fantastiques » tandis que le fond blanc ramène les lecteurs dans la réalité. Les couleurs joyeuses permettent également de donner une tonalité optimiste voire « feel good » à l’ensemble.
Portrait d’une génération perdue
Je ne suis pas particulièrement fan du personnage de Karmen. Son côté frondeur, iconoclaste est un peu trop appuyé dans ses dialogues et ses attitudes à la limite du scatologique parfois. L’ange de Wim Wenders dans « les ailes du désir » avait bien plus de classe ! Mais en revanche j’ai bien aimé la description de Catalina. Sa présentation est assez subtile : elle apparaît réservée, inhibée et malheureuse et égocentrique…plutôt antipathique au fond. Karmen la « débloque » lors de leur vol au-dessus de la ville : elle s’émancipe en s’affranchissant par son invisibilité du regard des autres et en devient plus légère au propre comme au figuré ! Mine de rien l’auteur en dit beaucoup sur une jeunesse qui vit une situation précaire (Cata habite en colocation par défaut car elle « ne trouve que des contrats de merde »), sur la désocialisation, la dépression, la difficile mutation vers l’âge adulte et le besoin d’être à l’écoute les uns des autres.
C’est donc une œuvre un peu brouillonne, qui aurait gagné à être élaguée ( tandis que son carnet graphique aurait lui tout intérêt à être plus fourni : 3 pages c’est mince !) mais qui fait preuve de beaucoup d’inventivité surtout au niveau du graphisme. On espère que ce coup d’essai se transformera en coup de maître au prochain album. En tous cas, le potentiel est là !
Catalina a tout pour être heureuse. Elle a une famille qui depuis son départ conserve sa chambre intacte, une colocatrice avec qui elle s'entend bien et il y a Xisco cet ami qui est là pour elle depuis toujours. Xisco, c'est un peu son alter-ego, celui avec qui elle partage tout, cet ami si précieux.
Et pourtant il lui manque quelque chose, elle n'est pas heureuse et décide de se tailler les veines dans sa baignoire.
Alors que Catalina est entre la vie et la mort, Karmen, une jeune femme aux cheveux roses entre dans l'appartement, se dirige dans la salle de bain. C'est l'heure du bilan, Karmen est là pour faire son rapport avant que son âme se réincarne. Mais Catalina est un code rouge, une âme perdue... Elle n'a tué personne, elle n' a jamais volé, elle n'a juste pas vécu, pas profité de la vie, pas assez aimé.
Avec Karmen le lecteur explore un univers fantastique avec un regard optimiste sur la vie, sur les gens et sur la mort. Guillem March porte le lecteur à croire à une mort qui n'en est pas une et aux actes qui peuvent faire changer une destinée. Coté graphisme c'est incroyable, il mêle poésie et dynamisme, il croise les pages au découpage version comics avec des planches où Catalina vole nue dans le ciel tel un ange. C'est vertigineux. L'ensemble emporte le lecteur vers une autre destination, vers un autre espoir, vers une autre vie, vers une autre mort.
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Encore un digne représentant d'une Ecole espagnole qui ne cesse de ravir nos pupilles! Avec vingt ans de carrière, le majorquin Guillem March propose avec Karmen sans doute son plus ambitieux travail graphique. L'espagnol a travaillé sur de nombreuses publications DC souvent sur des personnages féminins, souvent teinté d'érotisme. Projet aussi étrange, surprenant que personnel, Karmen reprend (en version féminine) le thème de l'excellent Essence de Benjamin Flao, celui de l'ange venu accompagner une âme pendant les quelques micro-seconde qui séparent la vie de la mort...
Qui dit projet de dessinateur dit graphisme généreux et très clairement la première qualité de cet ouvrage est sa liberté totale. L'auteur prend prétexte de ces heures de libération de l'âme, cette pérégrination de Catalina dans la cité ensoleillée accompagnée par l'ange contestataire Karmen pour donner libre cour à sa virtuosité et à ses envies. On observe ainsi la jeune femme vaguement grassouillette parcourir le monde, croiser ses contemporains dans le plus simple appareil, déviant les lois de la gravité quand elle comprend que seule sa volonté la limite dans ce nouveau plan d'existence. Les cases sont larges, les pages souvent pleines et le cadrage donne le tournis en proposant des cadrages improbables par-ci en eye-fish, par-là accompagnés de formes en surimpressions... tout cela est hautement imaginatif et magnifique. Le modèle Manara est bien sur présent avec cette justification toute relative de montrer l'héroïne nue sous toutes les coutures avec un petit côté voyeur mais absolument pas vulgaire ni érotique. Le sexe féminin n'est jamais montré malgré certaines vues vertigineuses et l'on sort de l'album avec la vague impression d'avoir parcouru des travaux de graphisme anatomiques ou un carnet de paysages urbains. C'est beau, c'est précis, c'est inspiré... pour le dessin. [...]
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Un premier tiers vraiment très bon (original sur tous les plans), puis un deuxième tiers où on espère ne pas déjà deviner la fin, et enfin le dernier tiers qui tombe dans la niaiserie.
Au final, j’ai un avis très mitigé et c’est le début de l’histoire qui me reste en tête, heureusement (d’où la note).
Le sujet délicat du suicide et de ses conséquences est abordé de façon délicate et intelligente.
J'ai été totalement séduit par le mécanisme narratif, qui pourtant démarre sur un parti-pris assez "casse gueule" : l'héroïne sera totalement nue durant la majeure partie de l'album.
Tout ceci fonctionne à la perfection, la nudité est bien vite oubliée, et nous suivons les aventures de Catalina avec beaucoup d'intérêt.
C'est l'heure du rapport : "code rouge" pour Karmen. À Palma de Majorque, la jeune femme avec ses cheveux roses et ses taches de rousseur, habillée d'une combinaison noire de squelette pénètre dans l'appartement d'une coloc étudiante. Elle se rend tout droit à la salle de bain .
Toc toc toc , la porte s'ouvre et notre diva pénètre dans la salle d'eau. On y découvre alors assise sur les toilettes une jeune fille pulpeuse, les cheveux rose pâle, le regard hagard, les yeux cernés et rempli de larmes. La scène est morbide accentuée par un cadrage en contre-plongé qui nous donne littéralement l'impression de baigner dans une mare de sang au pied de Catalina.
Karmen chasse très vite cette noirceur, la balayant de quelques pas de danse et d'une petite chansonnette sarcastique pouvant expliquer l'état d'esprit du moment de sa cliente. (Catalina est une jeune fille très introverti et réservé, ami d'enfance de Xisco dont elle est amoureuse depuis toujours. Sans jamais parvenir à lui révéler.)
La tristesse et l'amertume l'ont poussé a franchir la ligne, elle s'est tranché les veines.
Une fois les plaies pansées et la vue du sang dissimulé à notre regard; le voyage peut commencer.
Un voyage qui malgré le sujet dur et glacé, tabou dans beaucoup de société, est traité avec bienveillance et douceur. L'auteur parvient à rendre la nudité de Catalina pure et chaste; nous ne sommes à aucun moment des voyeurs, juste des spectateurs dans ce voyage astral auréolé de teintes froides et aux traits d'une grande justesse. Le découpage lui aussi très intelligent aide à l'immersion et rajoute en fluidité à la narration jusqu'a donner le vertige dans certains plans.
C'est au cours de ce voyage astral, forme d'introspection, que notre héroïne va comprendre qui elle est vraiment et les raisons qui l'ont poussé à commettre l'irréparable.
Guillem March, né en 1979 à Palma de Majorque, est un dessinateur de bandes dessinées et de comics espagnol. Après avoir travaillé pour les Éditions Paquet et Dupuis, il est engagé par l'éditeur américain DC Comics. Là il dessine surtout des histoires qui se situent dans l'univers du Batman: Batman, Birds of Prey, Catwoman. (d'ailleurs la combi noire de Karmen n'est pas sans rappeler le costume de Catwoman). Il continue dans le même temps à dessiner des séries pour Dupuis. Il reconnaît comme influence, Neal Adams pour le dynamisme qu'il transcrit dans ses planches, Jean-Pierre Gibrat et Milo Manara.
Son propos dans cette oeuvre magistrale me fait penser à une citation de Nicolas Bouvier dans " L'usage du monde" : "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait". Le pari est réussi, un véritable bijou livré par Dupuis agrémenté d'une couverture somptueuse.
On ne sort pas indemne de ce conte à mi-chemin entre onirisme, ésotérisme et Métaphysique. Nous sommes touchés au plus profond de notre être, comme si notre âme entrait en résonance avec le récit, ne nous laissant pas d'autres choix que de suivre Catalina dans ses pérégrinations. Forme de parcours initiatique qui nous mènera jusqu'à l'illumination.
J'ai été totalement conquis par la tournure des événements, le traitement sous toutes ses formes de la narration. Un récit atypique, transcendant et séduisant .Un album a posséder obligatoirement ; un pur coup de coeur.
Un regard neuf sur la mort et son messager... une pépite exceptionnelle en ce début d'année 2020 à dévorer d'urgence. La mort vous va si bien, profitez-en !