Le gourmet Solitaire
INT. Le Gourmet solitaire suivi de Les Rêveries d'un gourmet solitaire
Une BD de Masayuki Kusumi et Jirô Taniguchi chez Casterman (écritures) - 2018
08/2018 (07 novembre 2018) 352 pages 9782203136915 Autre format 349906
Il travaille dans le commerce, mais ce n'est pas un homme pressé ; il aime les femmes, mais préfère vivre seul ; c'est un gastronome, mais il apprécie par-dessus tout la cuisine simple des quartiers populaires... Cet homme, c'est le gourmet solitaire. Au gré de ses déplacements et de ses envies, il fait de chaque repas une expérience unique, qui ravive en lui des souvenirs enfouis, donne naissance à des pensées neuves, ou suscite de furtives rencontres.
Je préviens d’avance que ce n’est pas parce que j’accorde un 4 étoiles à cette œuvre que ma critique sera d’une douceur exemplaire. Cette œuvre de Taniguchi est de toute façon la plus décriée comme en témoignent les nombreuses mauvaises notes qui abondent. Les lecteurs n’apprécient pas les bds où il ne se passe quasiment rien. Il leur faut de l’action et une montée en adrélanine. Tout l’art de Taniguchi est de parler de ces petits moments qui comblent notre existence et d’en faire une montagne. C’est clair que ce décalage entraîne inévitablement une avalanche de mauvaises notes qui ne reflète en rien la qualité du travail mais témoigne juste d’une attente non comblée.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’auteur joue dans ce registre qui s’éloigne un peu de ces deux chefs d’œuvre que sont Le Journal de mon père ou encore Quartier lointain. Déjà, Le Promeneur empruntait la même démarche sur le fait de savourer ces petits instants qui passent. La comparaison ne peut qu’être préjudiciable au gourmet solitaire. Et pourtant, tout le talent de l’auteur est présent. Il nous montre une dimension qu’on a rarement l’occasion de voir et cela s’appelle tout simplement vivre …
En l’occurrence, on rentre par exemple dans un restaurant au hasard d’une rue. On se demande ce que l’on va commander comme plat. On regrette parfois notre choix. Souvent, on est agréablement surpris. Bref, chaque chapitre nous livrera un plat différent ainsi qu’une expérience différente. Ce sont de petites sommes d’impressions qui font la richesse de cette œuvre très singulière qui se déguste comme un bon mets.
Je regrette cependant que le personnage principal soit si imbu de sa personne d’une certaine manière. On se concentre sur ses seules envies, sur ce qu’il pense de son environnement, des commerçants qu’il croise, de la satisfaction qu’il éprouve ou pas. On a l’impression que tout lui est dû. Ce qui m’horripile, c’est le fait de savoir le prix de chaque plat comme si c’était un élément primordial. Je rencontre cet aspect mercantile dans beaucoup de mangas. J’ai l’impression qu’un japonais ne sera vraiment heureux que quand il aura le maximum de plaisir pour le plus bas prix possible. On ne pense jamais au restaurateur qui s’esquinte dans sa cuisine et qui aura une très faible marge. La valeur travail n’est guère récompensée dans ce contexte.
Par ailleurs, cela doit être une habitude très japonaise que de dîner tout seul dans un lieu de restauration. Pour ma part, cela ne me viendrait pas à l’esprit. C’est quand même très nombriliste comme approche. Il est clair qu’il y a le mot « solitaire » dans le titre. On voit qu’il essaye de s’occuper comme il le peut et il réussit très bien comme cela. En conclusion, je n’ai pas trop apprécié ce personnage que constitue le gourmet solitaire. Il m’a souvent donné envie de le gifler. Mais bon, ce n’est qu’une bd.
Nous avons là une excellente bd dans la tradition de ce que Taniguchi sait faire de mieux à savoir transmettre des émotions. C’est un travail bien réalisé. On ne s’ennuie pas contrairement à ce qu’on pourrait croire. Cela m’intéresse que de savoir ce qu’un personnage ressent quand il mange un sushi dans un lieu imprégné d’une certaine ambiance. Une vraie bd d’atmosphère en somme. A déguster tout de même avec modération !