La force de l'ordre
La force de l'ordre - Enquête ethno-graphique
Une BD de Frédéric Debomy et Jake Raynal chez Seuil - Delcourt - 2020
10/2020 (02 octobre 2020) 100 pages 9782413012955 Autre format 406917
Didier Fassin a partagé pendant deux ans le quotidien d'une brigade anti-criminalité. Loin des imaginaires du cinéma ou des séries, il raconte l'ennui des patrouilles, la pression du chiffre, les formes invisibles de violence et les discriminations. Cette enquête montre à quel point les habitants de ces quartiers restent soumis à une forme d'exception sécuritaire.
Je tiens à le dire d'emblée: je suis assez admiratif dans l'ensemble du travail qu'effectue les forces de l'ordre dans un métier parfois très difficile car confrontés aux tristes réalité de terrain. Ils ne sont pas vraiment soutenus par leur hiérarchie, par la justice et par l'opinion public de manière générale. Pour autant, le reste qui va suivre ne va pas forcément vous plaire.
En effet, l'auteur a demandé à être un observateur durant des mois afin de réaliser une enquête ethnographique sur le travail de la police dans les quartiers populaires. Il a partagé le quotidien des policiers d'une grande circonscription de la région parisienne alors que la police se laisse difficilement observer en particulier par les chercheurs. Il en résulte cette BD après avoir été un livre qui a été assez décrié car les conclusions sont hautement sensibles.
Ainsi, on voit des jeunes de quartier qui n'ont rien fait et qui sont accusés à tort et plutôt malmené par les forces de l'ordre. Cela crée des tensions entre cette communauté issu de l'immigration nord-africaine et les autorités. On verra que les idées d'extrême droite ainsi que le racisme sont bien ancrés dans cette police.
On se souvient tous du soulèvement populaire sur tout le territoire suite au drame de Clichy sous Bois en 2005 où des jeunes avaient été électrocuté en tentant de fuir un simple contrôle d'identité. Je n'ai jamais subi de contrôle d'identité dans ma vie mais ces jeunes n'ont même pas encore la majorité qu'ils ont été contrôlé une dizaine de fois. Je m'interroge tout de même sur une telle discrimination opéré par les forces de l'ordre.
A noter que le ministère de l'intérieur avait déclaré que ces adolescents avaient été impliqué dans un cambriolage ce qu'une enquête allait démentir. Qu'importe, le ministre de l'intérieur de l'époque voulait à tout prix se faire élire président de la république sur le message de nettoyage de ces cités au karcher ce qui rencontrait une opinion plutôt favorable du reste du pays.
Quand les policiers arrivent; les jeunes courent immédiatement ce qui n'est pas une réaction normale mais c'est un réflexe instinctif chez eux même s'ils n'ont rien fait de répréhensible. L'expérience avait appris ces jeunes qu'il ne suffisait pas de n'avoir rien à se reprocher pour échapper aux contrôles, aux fouilles et parfois aux interpellations.
En 2007, rebelote avec une voiture de police qui tue deux jeunes sur un scooter qu'on allait encore accuser alors que la violence du choc prouvait un excès de vitesse de la part des policiers. Là encore, relaxe des policiers. A noter que le syndicat des policiers en rajoute encore en parlant de violences perpétrées d'une incroyable sauvagerie inqualifiable à l'encontre des forces de l'ordre. Sur le terrain, la réalité semble différente.
A noter que ces unités d'élite n'hésitent pas à enfoncer des portes de logement quand on pouvait se contenter de sonner pour qu'on leur ouvre. Bref, ils ne font pas dans la dentelle. Ils font même dans la provocation tant ils haïssent ces jeunes des cités qu'ils surnomment pas très affectueusement les bâtards. Quand un jeune invoque une raison à un acte répréhensible, ils pensent que c'est un foutage de gueule et peuvent leur coller jusqu'à sept infractions pour se venger.
Les Brigades anti-criminalités seront passées au peigne fin par l'auteur qui a répertorié toutes leurs inconvénients. Ils doivent faire du chiffre et pour cela, ils sont prêt à tout. Ce sont ces agents qui sont redoutés par les habitants des cités. En effet, ils prennent souvent des libertés avec la loi dans les quartiers populaires surtout vis à vis des jeunes. C'est assez arbitraire et ce sont des vexations répétées qui ne concourent pas au vivre ensemble.
J'avoue que cette enquête mené de manière objective m'a fait assez froid dans le dos même si toute les forces de l'ordre ne pratiquent pas ainsi mais la police est d'ores et déjà noyauté par les idées d'extrême-droite (tout comme l'armée d'ailleurs). Ainsi, ils peuvent mettre leurs pratiques en conformité avec leurs opinions politiques. Et ceux qui ne partagent pas ces idées sont souvent écartés ce qui conduit à une concentration des agents les plus xénophobes et racistes au sein de ces unités.
Il y a un véritable profilage par couleur de peau qui leur permet d'interpeller des personnes en situation irrégulière quitte à les pousser à la faute pour y parvenir sans paraître enfreindre la loi. Des exemples assez iniques nous seront montrés sur leurs pratiques. Les outrages et rebellions contre personne dépositaire de l'ordre publique ont connu une croissance spectaculaire au cours de ces trois dernières décennies car ils sont encouragés à déposer des plaintes. Pour autant, ceux qui désirent porter plainte contre leur brutalité font l'objet d'épouvantables pressions. Et puis, leur parole est de peu de poids face à celle d'un agent assermenté dont les collègues viennent confirmer la version des faits à l'audience.
On est loin d'une police nationale qui concourt à la garantie des libertés, à la protection des personnes et des biens.
La police se donne parfois pour mission de protéger la jeunesse dorée (ceux qui vont dans des écoles à 10000€ l'année) de l'éventualité d'un vol ou d'une agression par la jeunesse des quartiers.
Sans aller plus loin,l'auteur va montrer pourquoi les policiers agissent de la sorte. Et ce n'est pas triste. Il y a comme une action de légitimation de leur agressivité en retour. Punir dans la rie leur apparaît comme une manière de se substituer à la justice qu'ils pensent défaillante.
Des études sérieuses révèlent que dans les quartiers populaires, les délits sont commis par un très petit nombre d'individus et reprouvés par la majorité des habitants. Cependant, les policiers ne savent plus faire la différence entre ces voyous et les honnêtes gens pauvres. Et puis, il y a les politiques qui hâtisent les tensions en stigmatisant ces habitants de cités.
Par ailleurs, dans le recrutement des policiers, il y a des erreurs de casting. On envoie ceux issus des milieux ruraux en première ligne dans les circonscriptions urbaines difficiles malgré le manque d'expérience. Or, il est prouvé que si on envoyait des policiers issus de ces quartiers urbains, cela se passerait autrement car ils privilégient le dialogue et la négociation pour résoudre les problèmes et non l'affrontement. Bref, la diversité sociale serait une solution pour s'en sortir.
Il est vrai qu'on se situe actuellement dans un contexte où l'on a accordé à la police des prérogatives de plus en plus large. Dans cette période de crise sanitaire, ces quartiers ont été les premiers à être contrôlé ainsi qu'en terme d'amende infligée alors que les beaux quartiers n'étaient pas en reste pour organiser des fêtes clandestines.
Je n'aime pas ce pouvoir discrétionnaire car il permet de pratiquer la discrimination en fonction de la classe sociale, de la couleur de peau, de leur lieu de résidence et parfois de leur religion.
La conclusion est sans appel à savoir le glissement de l'état social vers l'état pénal en réponse politique à l’aggravation des inégalités économiques. Le renforcement de l'action policière n'est pas la bonne solution mais bon. Au final, il convient de s'interroger sur les dérives policières de notre société car le maintien de l'ordre n'excuse pas tout. Une excellente BD qui ouvre à ce genre de réflexions.