La ferme de l'enfant-loup
Une BD de Jean-David Morvan et Facundo Percio chez Albin Michel - 2021
06/2021 (02 juin 2021) 126 pages 9782226455932 Grand format 425736
Maquis du Vercors - début juillet 1944 Six résistants prennent leurs quartiers dans une ferme abandonnée pour guetter l'arrivée des Allemands par le pont de la Goule Noire, un des rares accès au massif du Vercors. Ces deux femmes et quatre hommes vont apprendre à se connaître et, après une série d'incidents angoissants, vont découvrir un enfant devenu sauvage suite au massacre de sa famille par des Nazis. Le 21 juillet 1944, le petit groupe subit de plein fouet l'invasion par la 157e division de la Wehrmacht, appuyée par la Milice française. Le... Lire la suite
Très bon album relatant la fin du maquis du Vercors. On n'échappe pas aux caricatures, avec au centre de l'action un groupe de maquisards excessivement hétéroclite: un polonais, un espagnol, une allemande, une citadine, un montagnard… C'est bien de souligner la diversité de la résistance mais point trop n'en faut!
Quelques approximations historiques (des chars Tigre à l'assaut du Vercors?!).
Mais on peut pardonner au vu de l'intérêt du sujet et du scénario bien maîtrisé.
Recommandé.
Moins d’un an après avoir ouvert le ban de la collection « bd » chez Albin Michel avec l’adaptation des « Croix de bois » de Dorgelès, Morvan et Percio nous proposent un nouvel opus chez le même éditeur. Il s’agit cette fois d’un scénario – ô combien ! - original qui prend comme arrière-plan les derniers jours du maquis du Vercors.
Le 8 juin 1944, un groupe de sept résistants, deux femmes et cinq hommes, avance péniblement sur un chemin escarpé qui mène à une ferme abandonnée sur le plateau du Vercors d’où ils doivent surveiller l’un des accès au massif : le pont de la Goule noire. Cette « ferme du loup » où ils s’installent a été le lieu d’un événement tragique quatre ans plus tôt. Une famille entière, les Aguettaz, y a été massacrée par les Nazis. Entière ? pas si sûr …
Les protagonistes de ce récit sont inventés mais le cadre et les événements relatés sont bien réels. Si la Résistance est souvent source d’inspiration pour les auteurs de bande dessinée (à commencer par JD Morvan lui -même scénariste de la série jeunesse « Irena » nommée aux Eisner Awards ou de la biographie de Madeleine Riffaud à sortir en août), étonnamment l’épopée du Vercors n’avait guère été abordée. C’est désormais chose faite et ce de façon très habile.
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Le groupe de résistants est un assemblage à la fois hétéroclite et emblématique : on y trouve une cheffe de groupe opposante allemande au régime, un juif polonais qui a fui le nazisme, un Espagnol qui a combattu durant la guerre civile, un tirailleur sénégalais, un habitant du Vercors, une jeune femme à la fois radio et infirmière, tous venus d’horizons différents et unis par la même soif de liberté et de justice.
Chacun d’eux va être l’occasion de flash-backs qui permettent de leur donner une épaisseur et un vécu mais surtout d’effectuer un rappel de l’Histoire de façon dynamique et non pas didactique. On va ainsi apprendre de la bouche de Jeannette par exemple à qui Dalloz lui-même l’avait raconté comment est née l’idée du « plan montagnard ». On revient également dans les conversations sur le martyre du village de Vassieux en Vercors.
Cela crée un suspense : on comprend que ce qui avait été considéré comme une forteresse naturelle imprenable est devenu une souricière. L’épisode de Vassieux prend le rôle du prologue tragique : tout est joué d’avance et l’Histoire se répète…
En dehors de ces flash-backs, le lecteur assiste alors au déroulement du plan « montagnard » avec le verrouillage des points d’entrée (dont le pont de la goule noire) le 8 juin, puis à la proclamation de la République en Vercors le 3 juillet et au début de l’assaut de la Wermarcht le 21 juillet. Ce dernier occupe le dernier tiers de l’album : le temps s’étire, le rythme lent crée une dramatisation comme un « ralenti » cinématographique pour souligner l’horreur et la violence dont l’épisode quasi insoutenable de la grotte de la Luire. L’horreur culmine dans une ellipse : le bilan des exactions et des pertes dans une simple page sur fond noir p.116, factuelle et glaçante … L’horreur liée à ces terribles faits historiques est soulignée aussi par la puissance de l’allégorie : grâce au destin fictif de l’enfant (l’innocence) devenu loup en ces temps particuliers à cause de la cruauté des hommes.
Le tout est secondé - ou plutôt accompagné comme un musicien qui interprète et sublime une partition- par le puissant dessin de Facundo Percio. Il utilise le fusain et le pastel ce qui donne un aspect brut et viscéral. L’artiste vient des comics et a collaboré avec Warren Ellis et Alan Moore … la noirceur, il connaît ! Il a un trait jeté et charbonneux. Il croque aussi bien des trognes expressives en gros plan que les reliefs tourmentés des montagnes dans des pleines pages ou des scènes de massacre en plan d’ensemble. Il conviendrait d’adjoindre au duo Morvan-Percio le coloriste Delpeche. Souvent considéré comme un « homme de l’ombre » il est ici cité sur un pied d’égalité avec les deux autres sur la couverture de l’album tant il est vrai que ses couleurs un peu délavées participent intégralement à l’établissement de l’atmosphère.
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On a souvent tendance à réduire la Résistance à De Gaulle. Avec un tel album Morvan, Percio et Delpeche rendent hommage aux Résistants de l’intérieur, montrent leurs sacrifices et les dommages collatéraux … Si Vassieux en Vercors fait partie des cinq communes élevées au rang de compagnon de la Libération (avec Lyon, Grenoble, Paris et L’ile de Sein), c’est ainsi la mémoire de toute une région qui est honorée grâce à cet album. Une lecture passionnante, enrichissante, salutaire et marquante... Indispensable !