Corb-Nez
Une BD de
Jerome Charyn
et
Emmanuel Civiello
chez Le Lombard
(Signé)
- 2018
Charyn, Jerome
(Scénario)
Civiello, Emmanuel
(Dessin)
Civiello, Emmanuel
(Couleurs)
Herbeau-Civiello, Hélène
(Lettrage)
Herbeau-Civiello, Hélène
(Autres)
Maubille, Geneviève
(Traduction)
06/2018 (15 juin 2018) 72 pages 9782803670864 Grand format 334329
Bernado je suis et serai à jamais, moine, guerrier et voleur de renom. Je chante Guillaume l'Hébreu, l'homme au nez crochu, prince de Narbonne, et chef de guerre sans égal. J'ai rencontré Corb-Nez en l'an de grâce 797. J'étais alors l'esclave de Youssef, wali de Cardona... Guillaume l'Hébreu, dit Corb-Nez, était un vassal de Charlemagne. C'est à ce guerrier vainqueur de mille batailles que l'empereur confia la plus délicate des missions : lui ramener Witgar, l'épouse fière et indomptable du roi de Bourgogne, enfuie chez les Maures.
J'ai trouvé cet album un bon album même s'il m'a demandé plus d'efforts. C'est tout à fait par hasard que j'ai vu cet album et le nom de Charyn m'a interpellé. A première vue, Aix la Chapelle au temps de Charlemagne n'a rien à voir avec New York City (NYC). Mais d'un autre côté, c'est une période équivalente au Wild West américain très peu connue qui peut permettre beaucoup de licence historique.
Rejoignant tout à fait ce qui a été dit précédemment, voici un complément.
La première lecture a été plus ardue que d'habitude à cause de ce que j'appelle des 'dissonances' en gros, ce n'est pas 'raccord'. Cela doit être dû à la technique employée 'peinture directe' qui empêche de faire facilement des modifications ultérieures. En gros, il ne faut pas se planter avec la peinture directe! Ce qui rend par ailleurs ce choix d'autant plus intéressant.
- les visages des héros principaux étant parfois un peu différents d'une case à un autre (le nez en particulier),
- des petits soucis de perspective, et
- également le contraste entre des portraits quasi réels (jusqu'à une finesse incroyable dans les cheveux) combinés avec des portraits secondaires au stade d'ébauche en comparaison.
Mais à chaque fois que j'ai relu, j'ai de plus en plus apprécié. Cela m'a fait apprécier d'autant plus le travail des dessinateurs pour tout faire 'raccord' et nous faciliter une lecture simple et rapide.
Pour le scénario, il y a beaucoup de fantaisie historique avec un certain nombre d'invraisemblances, dont voici quelques exemples:
-le wali qui ne sait pas où se trouve sa soeur et ne demande pas à ses proches de vérifier;
-Charlemagne qui prend une décision qui ne semble pas à priori l'avantager politiquement, etc.
mais on se laisse porter!!!!
Cependant, j'aurais bien aimé que Charyn fouille davantage les personnages et donne un peu plus de profondeur aux héros pour comprendre un peu mieux les dilemnes dûs à leur position, leur évolution. Guillaume 'était un sacré personnage qu'il nous est impossible à comprendre plus d'un millénaire après sans mise en contexte.
-Guillaume - Cousin de Charlemagne, il n'a pas pu se marier sans des raisons politiques.
-Son côté chevaleresque s'affirme au fur et à mesure de l'histoire et préfigure les preux chevaliers moyen-âgeux tels que dans le film Arn, Chevalier du Temple. Mais qu'il n'ait pas concrétisé avec Witgar alors qu'il dit l'aimer depuis son enfance est un peu surprenant, quand sa femme, elle, l'accuse de viol.
-aucune référence à la famille de Witgar et encore moins sa position vis à vis de Charlemagne, alors que son mariage avec le roi de Bourgogne est par définition une alliance politique.
Ce plus de profondeur avec :
-un petit raccord au niveau du scénario (dialogue et/ou commentaire)?
- une mise en contexte qui éclaire le parti-pris de Charyn, en plus du cahier graphique? NB: Récemment, j'ai lu un album où la mise en contexte était très bien faite avec une section à la fin 'Monsieur désire?' Hubert/Augustin (Glénat).
Merci à Shaddam4 pour m'avoir interpellé et motivé à fouiller davantage que ce soit au niveau de genres d'écritures, techniques bd, histoire, etc..
Pour répondre à la question de Shaddam4, quel genre est cet album? hagiographie? chronique historique? farce vulgaire? épopée médiévale? pour moi, cette histoire est une chanson de geste transformée et revisitée à la fantaisie de Charyn. En effet, Guillaume de Gellone (cité par Shaddam4 comme l'inspiration de ce héros) a fait l'objet de chansons de geste moyen-âgeuses (voir définitions de tous ces genres tout en bas)
Définitions de plusieurs genres d'écriture
hagiographie - récit de la vie d'un saint ou biographie excessivement embellie
chronique historique - récit historique qui expose les faits selon un ordre chronologique
farce - courte pièce comique grossière et parfois même vulgaire.
épopée - long poème ou vaste récit en prose au style soutenu qui exalte un grand sentiment collectif souvent à travers les exploits d'un héros historique ou légendaire.
chanson de geste - un long poème épique du Moyen Âge relatant les exploits guerriers de chevaliers. La plus connue des chansons de geste en France est la Chanson de Roland.
Techniques bd
les commentaires de shaddam4 sont très pertinents: "le découpage BD nécessite une certaine finesse et du mouvement, ce qui est difficile avec la peinture (à la différence de la couleur directe qui utilise le dessin classique et l'encrage)."
couleur directe - encrage et mise en couleur réalisée lors d'une étape unique, à la manière d'un peintre (la couleur et les tracés de contour au noir ne sont pas séparés): chaque planche de bande dessinée est alors un petit tableau à part entière. c’est la couleur directement appliquée sur la planche, la couleur indissociable de l’oeuvre originale, la couleur non plus surajoutée à une image qui pourrait se passer d’elle mais constituant sa matière même.
quel est le lien avec NYC?!?
Après une rapide recherche sur Guillaume de Gellonne: il a fondé l'abbaye de Gellone (près de Montpellier) et s'y est retiré. Le cloître de cette abbaye a été intégré dans le musée des cloîtres de NYC, que Charyn a peut-être visité, lui qui connait si bien sa ville?!?
De plus, Guillaume de Gellone a fait l'objet de chansons de geste moyen-âgeuses et a été canonisé 'saint' d'où le nom de la commune de Saint Guilhem le Désert.
petite clarification - c'est la première fois a Signé pour la collaboration Charyn/ Civiello mais Charyn a déjà plusieurs albums à Signé (avec Boucq de mémoire).
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liens des sources utilisées dans cette recherche
https://www.larousse.fr › dictionnaires › francais › hagiographie › 38839
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/chronique/15835
https://lescoursjulien.com › genre-theatral-la-farce
https://fr.wikipedia.org › wiki › Épopée
https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/chanson-de-geste/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Couleur_directe
https://www.editionsdelan2.com/groensteen/spip.php?article63
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arn,_chevalier_du_Temple
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_de_Gellone
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_de_Saint-Guilhem-le-D%C3%A9sert
https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Cloisters
Pour leur première incursion dans la prestigieuse collection Signé, l'auteur américain Charyn et le peintre virtuose Civiello nous narrent la geste courtoise (et un peu barbare quand-même...) de Guillaume Corb-Nez ou Guillaume l’hébreu, compagnon de Charlemagne inspiré du personnage historique de Guillaume de Gellone.
La belle reine Witgar, épouse rebelle du duc de Bourgogne s'est enfuie chez le Wali de Cardona, à l'époque franque où Maures et basques parcouraient le sud de la France. L'empereur envoie Guillaume l'hébreu, féroce guerrier et fidèle compagnon d'arme pour récupérer la fuyarde et laver l'affront. Guillaume sera confronté tout au long de cette épopée à la contradiction entre sa fidélité envers Charlemagne et son amour pour la belle...
Étrange album que ce gros volume de presque cent pages aux cases spacieuses en peinture directe auxquelles nous a habitué l'auteur de la Graine de folie. La difficulté de la technique en peinture directe (Rosinski aussi a eu quelques albums compliqués...) c'est que fondamentalement elle ne se prête pas à la BD: le découpage BD nécessite une certaine finesse et du mouvement, ce qui est difficile avec la peinture (à la différence de la colorisation en peinture directe qui utilise le dessin classique et l'encrage). La qualité graphique indéniable de la technique (notamment sur les plans serrés de visages) nécessite un découpage visuel, des dialogues, des paysages, des albums contemplatifs...
Ainsi dans cette histoire nous profitons de planches très différentes, tantôt sublimes lorsqu'elles sont en plans larges ou très cadrées, parfois un peu brouillonnes lorsqu'il s'agit d'illustrer des séquences d'action et de batailles que le style de Civiello rend un peu figé. En revanche, dès les premières pages montrant le moine entamer son récit alors qu'il enlumine des manuscrits, l'on est subjugué par la qualité artistique des pages et par la suite les visages prennent un réalisme saisissant. Le style est particulier et ne plaira pas à tout le monde. Mais si vous aimez la peinture et les ouvrages d'illustration cela devrait vous plaire.
Ce qui est le plus intéressant dans ce récit très original c'est la description d'une époque que l'on connaît mal. La figure de l'empereur à la barbe fleurie se mélange aux mœurs frustes que l'on imagine de l'époque, l'amour courtois se mêle aux pulsions les plus primales et les moines du grand Suzerain sont autant des propagateurs de la foi et de la culture que des seigneurs de guerre. Le scénario parvient à allier subtilement cette vision romantique et réaliste de cette renaissance de l'Occident après la chute de l'Empire romain. Comme souvent dans ce genre de récit, les moins à l'aise en histoire seront peut-être égarés dans cette époque, mais ils pourront se raccrocher à l'histoire d'amour et cette figure héroïque en diable que celle de Corb-nez.
Le personnage, agencement de plusieurs figures plus ou moins historiques (on pense au Cide ou à Montecritso) est visuellement réussi avec sa figure en nez d'aigle, ses cheveux sauvages et ses cicatrices. La scène de combat dans la prairie est à ce titre très réussie en ce qu'elle illustre la rage et la puissance brute des corps nus en contraste avec l'apparat des tuniques du duc de Bourgogne ou du Sarrazin assiégé. La brutalité physique de Corb-Nez contraste avec sa pureté morale lorsqu'il se brouille avec la belle reine qui lui laisse entendre qu'il n'a pas l'obligation d'obéir à l'empereur. La réalité des relations féodales bouleverseront cette relation et l'approche du chevalier.
Une drôle d'atmosphère flotte sur cette BD sur laquelle il est compliqué de fixer le propos. Est-ce une hagiographie d'un semi-héros? Une chronique historique? Une farce vulgaire ou encore une épopée médiévale? Le projet général me rappelle l'extraordinaire album Le chevalier à la licorne qui racontait la quête sans fin d'un chevalier revenu d'entre les morts et à la limite de la folie, pris entre la réalité brutale de son époque et ses valeurs chevaleresques... Le mélange d'histoire et de fiction participent sans doute à cela et à faire de Corb-Nez un album à part qui a toute sa place dans cette belle collection.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/06/20/corb-nez