Le château de mon père
Une BD de
Maïté Labat
et
Alexis Vitrebert
chez La Boîte à Bulles
(Hors Champ)
- 2019
Labat, Maïté
(Scénario)
Veber, Jean-Baptiste
(Scénario)
Vitrebert, Alexis
(Dessin)
<N&B>
(Couleurs)
Lemardelé, Stéphane
(Storyboard)
12/2019 (11 décembre 2019) 150 pages 9782849533475 Autre format 377611
Comme toute sa famille, Henri mène une vie de château… Et pas dans n’importe lequel ! Au château de Versailles où son père travaille. Mais grandir dans un palais ne rend pas la vie forcément plus belle, surtout lorsque votre père a décidé de dédier la sienne à cet édifice. En 1887, Pierre de Nolhac est nommé attaché au Château de Versailles afin de veiller sur ses collections, derniers trésors d'une royauté désormais abolie. Le jeune homme a de l'ambition : rapidement promu conservateur, il veut que le palais du Roi-Soleil retrouve une place de... Lire la suite
Ce titre m'a un peu induis en erreur car j'ai cru naïvement qu'il s'agissait d'une œuvre de Marcel Pagnol. Il faut dire que les personnages pouvaient correspondre à ce standard.
En réalité, il s'agit de relater la vie de Pierre de Nolhac qui s'installe en 1887 avec sa famille dans le château de Versailles laissé à l'abandon par la Troisième République. Ce dernier va consacrer une vie à le restaurer afin de lui rendre son prestige d'antan et il va y parvenir non sans quelques difficultés.
Il y aura par exemple la Première Guerre Mondiale où le château servira de refuge à des soldats blessés. Il y aura également la signature de l'armistice dans ce lieu hautement symbolique où Bismarck avait fait la même chose en 1871.
Je dois reconnaître qu'il a su mener à bien sa mission mais cela s'est fait au détriment de ses relations familiales car il a privilégié son château à son épouse et à ses enfants par exemple.
En effet, cet homme ne m'est pas du tout paru sympathique avec ses grands airs et le fait qu'il se considère comme le chef de famille régissant les mariages de ses enfants sans tenir compte de leurs sentiments. On dit qu'il a été le produit de l'éducation de son époque pour l'excuser. Certes.
Pour le reste, la lecture a été assez intéressante. On a du mal à croire qu'il y a moins de 150 ans, ce château était tombé dans l'oubli. Il a fallu toute l'obstination d'un homme pour le faire renaître. La France lui doit beaucoup incontestablement surtout au vu de ce qu'il a sacrifié pour y parvenir.
Ce roman graphique est passionnant à plus d’un titre, notamment parce qu’il raconte autant la « renaissance » du Château de Versailles vers son entrée dans le XXe siècle que le parcours d’un homme, Pierre de Nolhac, dont la vie avait fini par se confondre avec le monument dont il fut le conservateur pendant près de trente ans. A tel point que cela n’avait pas été sans conséquences sur sa vie privée, occasionnant brouilles et disputes avec sa famille. En particulier sa femme, qui finira pas le quitter, considérant que le château avait pris l’ascendant sur elle-même et ses enfants.
A travers ce personnage remarquable et pourtant méconnu, sont évoqués les faits historiques ayant jalonné sa vie, de la construction de la tour Eiffel pour l’exposition universelle de 1889 jusqu’à la première guerre mondiale, en passant par la construction du métro parisien, ou, plus anecdotique, l’arrivée du téléphone à Versailles même… Inspirée des mémoires de Pierre de Nolhac lui-même, cette saga familiale se déroulant sous l’ombre imposante voire écrasante du célèbre château bénéficie d’une narration fluide et prenante. On est littéralement immergé dans cette Belle époque qui succédait à une période de troubles, mais où désormais tous les espoirs étaient permis à l’approche d’un XXe siècle que révolutionneraient à coup sûr les progrès scientifiques et techniques. Las, ceux qui en connaîtront les deux premières décennies verront ces espoirs bien vite douchés…
Sans être forcément très précis, le trait semi-réaliste en noir et blanc d’Alexis Vitrebert met davantage l’accent sur les atmosphères, avec sobriété. Le dessin n’est parfois qu’esquissé, permettant au lecteur de s’en emparer pour reconstituer et extrapoler lui-même les décors et les situations, dans une approche à mi-chemin entre BD et littérature. On peut concevoir, comme le dit très bien Jean Dytar, dont le style est similaire, ces « images pensées comme des maillons de la chaîne narrative, qui n'ont pas de sens en dehors de cette économie [de détails, ndr] ». Et comme par une magie inexplicable, le château, se réveillant d’un long sommeil, nous fait entendre le grincement de ses parquets fatigués, nous fait humer avec délice les vapeurs de cire de son mobilier antique, ainsi que l’odeur de poussière de ses vastes pièces bien souvent abandonnées…
« Le Château de mon père » est donc une excellente BD historique avec une perspective très originale, de l’intérieur, une description passionnante de ce symbole d’une royauté engloutie, sans nostalgie malsaine ni admiration ostentatoire, un symbole qui aura d’une certaine manière permis à la République de se réconcilier avec la monarchie.
Ce récit revisité par Maïté Labat, en quelque sorte héritière de Nolhac puisqu’elle a travaillé huit ans dans le mythique château, et Jean-Baptiste Véber, fut possible grâce aux témoignages d’un homme, d’une énergie peu commune, qui à la fin de sa vie trouva encore la force de les consigner par écrit, un homme animé par une passion qui se transforma au fil des années en obsession et fut parallèlement son drame, puisqu’elle entraîna l’éclatement de sa famille. Enfin, le titre, comme une évidence, n’est pas qu’un clin d’œil au roman de Marcel Pagnol, puisque les auteurs ont décidé de placer le fils du conservateur, Henri, dans la position du narrateur, ajoutant à cette histoire le doux parfum de l’enfance.