Capital & idéologie
Capital & idéologie d'après le livre de Thomas Piketty
Une BD de
Claire Alet
et
Benjamin Adam
chez La Revue dessinée - Seuil
(La Revue Dessinee)
- 2022
Alet, Claire
(Scénario)
Adam, Benjamin
(Dessin)
<Quadrichromie>
(Couleurs)
Piketty, Thomas
(Adapté de)
11/2022 (18 novembre 2022) 162 pages 9782021469578 Format comics 460480
D'où viennent les inégalités et pourquoi perdurent-elles ? Pour répondre à ces questions, le livre propose une version accessible à tous du best-seller de Thomas Piketty, Capital et Idéologie. Dans cette grande enquête historique, parfois teintée d'humour, Claire Alet et Benjamin Adam ont conçu une saga familiale. Jules, le personnage principal, né à la fin du XIXe siècle, incarne le rentier, figure privilégiée d'une société hyper inégalitaire où la propriété est sacralisée. Lui, sa famille et son entourage vont vivre l'évolution des richesses... Lire la suite
En 2012 l’économiste proche du Parti Socialiste Thomas Piketty acquiert une renommée internationale après la sortie de sa somme Le Capital au XXI° siècle, ambitionnant de mettre à jour l’indépassable Das Kapital de Karl Marx, dont les 160 ans au compteur nécessitaient une adaptation à notre époque. Conscient du prisme occidental de son ouvrage, Piketty choisit une mise à jour en 2019 pour analyser l’histoire des idéologies qui installent et font perdurer les inégalités.
Pour adapter ce pavé de plus de mille pages, les auteurs Claire Alet et Benjamin Adam choisissent d’illustrer le propos de l’économiste au travers d’une dynastie française, des ancêtres propriétaires esclavagistes aux descendants enseignants et militants écolo. Ce dispositif permet de raconter une histoire, d’apporter des personnages et de marquer visuellement les époques en faisant vivre à ces ancêtres les soubresauts de l’Histoire. Graphiquement on a un visuel typique des reportages de la Revue Dessinée, simple et tranché par des aplats de couleur et qui alterne les séquences BD et diagrammes explicatifs des mécanismes économiques et de répartition des richesses.
Le prisme idéologique de Piketty est bien entendu marxiste et ses principales critiques viennent du camp libéral. Une fois dit cela, le déroulé est limpide et permet à tout un chacun de comprendre comment les inégalités de répartition des richesses issues de l’Ancien Régime se transforment mais se maintiennent sous les évolutions politiques et civilisationnelles. Ainsi on rappelle que la pauvreté chronique d’Haïti vient directement de la rançon payée par les esclaves qui y avaient proclamé leur indépendance aux anciens propriétaires, jusques mi-temps du XX° siècle, de quoi nous rappeler les violentes joutes entre la Grèce exsangue et l’Allemagne ordolibérale lors de la crise des dettes souveraines en 2012 où le gouvernement d’Athènes rappelait que les vols de richesses nazi n’avaient jamais été rendus à la Grèce après la Libération en raison de l’établissement de la Guerre Froide…
Plus proche de nous on nous explique que les différents mécanismes d’imposition profiteront toujours aux propriétaires, jusqu’à nos jours, avec cette courbe de l’Elephant qui démonte le concept de ruissellement en montrant que l’essentiel de la croissance reviens mécaniquement aux plus riches (les fameux 1%). Les deux grandes évolutions seront issues des deux guerres mondiales, la première car la masse d’argent nécessaire à l’effort de guerre impliquait de ponctionner les riches, la seconde car la pression socialiste et le besoin de rebâtir un pays établirent un équilibre inédit dans la juste répartition des richesses. Assez rapidement, avec le choc libéral de Reagan et Thatcher, la « norme » revint au galop et la chute du Mure de Berlin permit trente ans d’enrichissement débridé qui allaient provoquer la polycrise du capitalisme que nous vivons actuellement.
Très didactique l’album réussit comme documentaire plus que comme BD (l’introuvable alchimie de ce type d’ouvrage). Le dessin n’est pas en cause, sa simplicité restant lisible et efficace. En revanche l’artifice des histoires familiales nous perd un peu malgré l’arbre généalogique et le récit qui s’adresse directement à nous pour nous rappeler le fil du récit. Avançant rapidement pour ne pas nous lasser, ne restant pas trop sur les personnages pour pouvoir expliquer le propos de Piketty, les auteurs nous noient quelque peu entre les membres de cette famille avec des sauts vertigineux de plusieurs décennies. Si ce choix nous permet de personnaliser des situations (surtout sur les dernières strates de la dynastie), je reste cependant dubitatif sur le gain final, les séquences ainsi utilisées manquant peut-être pour entrer plus en détail dans l’explication des idéologies.
On ressort néanmoins de la lecture bien renforcé dans notre connaissance de l’histoire des inégalités de notre pays. L’album se termine par des propositions concrètes (un peu utopiques je dois dire) de Thomas Piketty présentées comme une ébauche de programme économique (il a été conseiller économique sur la campagne présidentielle de Benoit Hamon avant de soutenir le programme économique de la NUPES récemment). Sans être le docu-BD de l’année, Capital et Idéologie permet en 160 pages de connaître l’analyse et les propositions d’un des économistes les plus importants de notre époque et c’est déjà pas mal!
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/01/27/capital-ideologie/
Qui ne connaît pas Thomas Piketty ? Il est depuis de nombreuses années l'un des plus grands économistes de France. Voilà que son livre est enfin adapté sur le support de la BD grâce à des auteurs dont une journaliste indépendante Claire Alet.
Un mot sur le dessin de Benjamin Adam qui a tout de même été diplômé des arts décoratifs de ma ville Strasbourg. Le dessin colle à merveille au propos économique de par sa simplicité et sa sobriété.
J'aime bien Thomas Piketty car bien qu'issu d'un milieu très aisé, il s'est tout de suite intéressé à la redistribution des richesses qui était loin d'être équitable. Il est vrai que beaucoup de gens qui se trouvent dans l’opulence ne se soucie guère des autres car ils estiment que leur réussite les place au-dessus.
La théorie assez singulière de cet économiste est d'affirmer que les inégalités de revenus ont baissé au XXème siècle en France et que c'est lié à la progressivité de l'impôt sur le revenu. Plus on gagne de revenus, plus on va financer la misère sociale et les caisses de l'Etat de manière générale. Du coup, l'argent est redistribué.
Il est vrai que cela pose un problème à beaucoup de gens qui se lèvent tôt pour travailler afin que certains puissent vivre un peu décemment sans fournir le moindre effort. On ne peut en vouloir farouchement à cette pensée quand on voit concrètement comment se passent les choses.
Cet économiste est défavorable à juste titre au mouvement de baisse de la fiscalité intervenu depuis les années 90 car cela favorise la reconstitution des grandes fortunes et cela accroît considérablement les inégalités. Le gouvernement macroniste actuel ne va d'ailleurs pas dans le sens préconisé par notre économiste puisqu'il préfère ne pas toucher à l'impôt en mettant à contribution les travailleurs pour une durée de travail plus longue jusqu'à la retraite.
Les Bernard Arnaud n'ont aucun souci à se faire avec une telle politique dont les effets négatifs seront du côté des petits travailleurs. Oui, c'est bien le retour en force des inégalités qui nous guette avec un petit pourcentage de milliardaires contrôlant presque toutes les richesses mondiales. On se retrouve à peu de choses près dans une société avant la révolution française où il y avait trois ordres : le tiers-état, le clergé et la noblesse représentant 2% de la population et qui contrôlaient la majorité des biens et des ressources.
Il faut savoir que certains économistes américains ont critiqué assez sévèrement les conclusions de Thomas Piketty en indiquant qu'il dramatisait la situation. Je ne sais pas mais je constate dans la vraie vie que les inégalités n'ont jamais été aussi fortes. Ceux qui sont du bon côté se complaisent dans cette situation et se barricadent face aux critiques en indiquant qu'ils le méritent. Mais bon, ce n'est pas une vulgaire question de jalousie mais plutôt de justice sociale. Bref, cet auteur a énormément de détracteur qui vont essayer de casser ses démonstrations pourtant constructives.
Cette présente œuvre étudie les idéologies justifiant les forts niveaux d'inégalités à travers le temps. C'est réalisé de manière ludique afin de faire passer le message. Il est vrai que dernièrement, Piketty a co-signé une tribune soutenant le programme économique de la NUPES ce qui ne va pas forcément plaire aux économistes américains. Moi, je suis plutôt sensible aux propositions fiscales et économiques qu'il réalise pour qu'on puisse vivre dans un monde plus juste et plus équitable.
Bonne idée également le fait que cela soit présenté sous forme de saga familiale qui part de la Révolution française à nos jours sous 8 générations de la même famille. On se rend compte que la richesse se transmet grâce à la succession. Par ailleurs, dans le passé, beaucoup ont profité des bénéfices de la colonisation.
On apprendra au passage ce que l'état français a fait à la République d'Haïti qui a obtenu son indépendance en 1804. Près de 20 ans après cette indépendance, la France sous la menace des armes a exigé une compensation financière astronomique pour la perte de son exploitation de l'île. C'est le monde à l'envers avec une indemnisation demandée aux descendants d'esclaves. Ce pays a mis près d'une centaine d'année à procéder au remboursement intégral avec les intérêts. Il est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres de la planète car cette spirale d’endettement a paralysé Haïti pendant plus d’un siècle. C'est véritablement scandaleux car Haïti est le seul pays au monde où des générations de descendants d’esclaves ont versé des réparations aux héritiers de leurs anciens maîtres !
Bref, c'est une enquête assez intéressante qui nous apprendra beaucoup de choses sur un mode parfois teinté d'humour. Il est clair que cette œuvre a bousculé la pensée économique depuis 20 ans avec un autre regard sur le passé.