Brel, une vie à mille temps
3. Tome 3
Une BD de Rubio, Salva et Sagar chez Glénat (Stéréo) - 2024
02/2024 (14 février 2024) 564 pages 9782344039267 Grand format 491231
« Le temps s'immobilise aux Marquises », retour sur les dernières années de la vie de Jacques BrelVéritable vedette de la chanson en 1969, Brel décide d'arrêter la musique au grand dam de ses fans. Il a d'autres projets en tête... Acteur, il devient l'homme aux personnages multiples avec Les Risques du Métier (1967), La Bande à Bonnot (1968) ou encore Mon oncle Benjamin (1969) puis réalise son premier film Franz (1972). Brel s'amuse, il tourne une dizaine de films dont les célèbres L'Aventure c'est l'aventure (1972) et L'Emmerdeur (1973) et tente... Lire la suite
Les auteurs Salva Rubio (au scénario) et Sagar (au dessin et à la couleur) concluent majestueusement ce triptyque consacré à la vie de Jacques Brel, en abordant les dix dernières années de la vie du poète-chanteur-acteur-cinéaste et, mine de rien comme on le découvre dans ce troisième tome, …aventurier ! Le récit de ce dernier morceau d’existence est l’histoire que j’attendais le plus car il lève le voile sur la partie demeurant jusqu’ici la plus mystérieuse du parcours de l’imprévisible artiste épris d’espaces, de ruptures, de nouveautés, bref de liberté.
Dans l’épisode précédent, Brel quittait la scène et la chanson pour se mettre en quête d’autres voies d’expression. On le retrouve à cette étape. Il commence par adapter, chanter et jouer une comédie musicale américaine sur Don Quichotte, le roman classique de Cervantes. Ensuite, en l’espace d’une demi-douzaine d’années seulement, il bâtit une œuvre cinématographique riche d’une dizaine de films aux rôles variés et remarquables dont certains resteront dans les annales du septième art. Sans compter que son perfectionnisme d’artiste et sa volonté d’absolu le conduisit à en réaliser lui-même deux, dans les plus singuliers de sa filmographie.
Mais l’homme semble être un éternel insatisfait et ne pense qu’à fuir la routine. On découvre un Brel plus téméraire que jamais, littéralement tête brûlée. Il s’élance dans des ambitions audacieuses, comme de décrocher une licence de pilotage d’avion, puis son diplôme de navigation. Il achète un voilier et prend la mer aussitôt. Son itinéraire océanographique, pratiquement improvisé, le mènera aux îles Marquises, où il vivra ses dernières années, après avoir vécu une longue escale en Guadeloupe qui ne lui offrit pas l’anonymat absolu qu’il recherchait à tout prix. Dans le même temps, le cancer commence à ronger son corps, à l’affaiblir. Brel affronte cette situation en étant comme enragé, se mettant perpétuellement en danger dans des expéditions périlleuses, qu’elles soient maritimes ou aériennes.
Il revint à Paris pour se soigner et enregistrer un dernier disque, et finira par mourir dans des circonstances surprenantes et révoltantes que je ne vais pas spoiler ici.
Malgré ses couvertures d’album ratées, la trilogie Brel est l’une des meilleures biographies dessinées qu’on ait faites. Le système narratif, qui veut que Brel se raconte sur les événements qu’il traverse ou provoque, nous connecte à ses états d’âme, tour à tour enjoués ou sombres et tourmentés. Mais on comprend l’homme au travers de ses paradoxes et de sa quête infinie. Les auteurs nous livrent tout cela dans une pudeur et un respect pour cet artiste hors du commun qui transcendent les trois albums. Le dessin est expressif tout en restant dans le semi-réalisme, et sa qualité est constante tout au long de la trilogie. Les couleurs du troisième opus sont particulièrement chaudes comme pour souligner le voyage et l’urgence à vivre lorsqu’on se sait condamné. Bref, on touche ici la quintessence de la catégorie « biographies ».