L'arabe du futur
5. Une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994)
Une BD de Riad Sattouf chez Allary Éditions - 2020
11/2020 (05 novembre 2020) 160 pages 9782370733528 Autre format 405149
Le cinquième tome du succès mondial L'Arabe du futur couvre les années 1992-1994. Riad Sattouf y raconte son adolescence.
Est-ce que Riad Sattouf est un génie ?
Malgré un succès retentissant en BD, peu de médias lui donnent ce qualificatif.
Certes, il a le "génie du titre" (qui n'est pas sans faire penser à un chef d’œuvre d'Emile Bravo, L'imparfait du futur), comme le dit poliment Anne Douhaire-Kerdoncuff sur France Inter, "L’Arabe du futur ça claque, ça surprend" (2014). Il sait aussi attirer l’œil par ses couvertures.
Celle du tome 5 se démarque des précédentes par ses couleurs, même si j’avoue que ce n’est pas celle que je préfère. Clémentine avance vers la droite, dans un survêtement de sport qui entre en dissonance avec son geste de prière. Elle est marquée par les cernes, signe d’une dépression, assez compréhensible vu ce qu’elle traverse... mais sourit tout de même, béatement. Les deux fils qui lui restent la suivent, esquissant un léger sourire, leur cartable derrière le dos. Au loin, la plage et la mer, qui s’étendent à perte de vue (on se croirait à la fin des 400 coups de Jean-Luc Godard, réalisateur modèle pour Riad Sattoud). Sur la falaise, un phare, qui fait immédiatement penser au cap Fréhel, en Bretagne. Mais la série, qui a pris un tournant particulièrement dramatique, ne passe pas au "Gwenn ha Du", mais bien au bleu, blanc, rouge. Les couleurs du drapeau syrien sont ainsi remplacées par celles de la France, où se déroule désormais l’action. Si Fadi a disparu, le visage du "père Sattouf", pourtant condamné par la mère de Riad à la "damnatio memoriae", faute de justice, reste présent sur la première de couverture. Ces bouts de photographie s’enfoncent peu à peu dans l’oubli. En quatrième de couverture, les trois frères demeurent symboliquement unis dans le cadre qui surmonte la télé. On veut garder le souvenir de Fadi. Le taureau a lui disparu, envolé pour la Syrie, peut-être définitivement ?
Comme d’autres, je trouve que ce tome est moins abouti que les précédents (mes préférés étant les tomes 3 et 4). D’ailleurs, je ne me suis pas délecté du trait de Riad Sattouf, mais plutôt de la complexité de son récit, qui me transporte toujours. Je reste sans cesse bouche-bée devant cette série à cœur-ouvert. Rares sont ceux qui se sont autant livrés sur leur histoire personnelle en BD, à part peut-être Fabrice Néaud et d’autres de ses compères d'ego comme X...
Mais, même contre vents-et-marée, pour sa mère et sa grand-mère il demeurera toujours un "génie du dessin", tout comme pour sa professeure d’arts-plastiques (personnages que l’on retrouve dans cet opus). Je ne peux qu’applaudir ces femmes, qui ont su encourager le jeune Riad, à persévérer sur sa voie, celle de l’art. D’une certaine façon, on leur doit aussi cette série admirable, elles qui ont su gonfler l'égo de ce cher Riad.
Pourtant, il a rarement été LE meilleur dessinateur (au collège, il est déjà concurrencé par d’autres élèves, comme son copain Grégory). Son père n’approuve d'ailleurs pas sa démarche (en même temps, ce dernier fait de plus en plus figure de contre-modèle pour son fils aîné). Riad Sattouf lui même semble osciller entre une forme d’assurance, voir d’arrogance, et des doutes, un mal-être profond.
Mais, comme il a pu le dire en interview, Riad Sattouf n’a jamais baissé les bras, contrairement à d’autres de ses collègues, dégoûtés par ce métier trop ingrat. Dès sa jeunesse, il s’obstine et s’inspire de certains des plus grands maîtres de la BD (Bilal, Druillet et Moebius), sous l’influence d’une copine qu’il aime en secret, alors qu'il avait déjà découvert Tintin beaucoup plus tôt, par le truchement de sa grand-mère. La vie précaire d’auteur ne semble pas lui faire peur (mais il faut avouer que, d'une certaine façon, c’est plus facile de le raconter lorsque l’on a explosé le Box-Office BD...) et il est fasciné par l’œuvre d'H. P. Lovecraft depuis le collège, auteur à la destinée tragique... Au final, il suit un parcours assez simple pour mener à bien son projet artistique (littéraire, avec une option art dans un lycée rennais) pour finir par intégrer la prestigieuse école d’animation des Gobelins (raconté dans le tome 6), soutenu par sa famille bretonne (notamment son grand-père, qui a payé ses études à Nantes).
D’une certaine façon, on pourrait se dire que Riad Sattouf n’a pas un talent immense, qu’il n’a réussi que par la chance, un certain entêtement, le soutien de ses proches, ou une série de circonstances favorables à sa réussite. Je constate cependant que Riad Sattouf a su révéler une forme de génie, un talent lié à son labeur, à son expérience de la BD, du cinéma d’animation, de la presse, et plus largement de l’art et de la vie, entre Orient et Occident. La quantité phénoménale de commentaires et de critiques positives qui encensent l’Arabe du futur vont dans ce sens, surtout qu’on y trouve toutes les catégories d’âge, tous les sexes... Qui mieux que Rémi George avait auparavant touché un public aussi large en France ?
Si l’on compare avec des auteurs de sa génération, c’est-à-dire de la "nouvelle vague", il me semble plus prolifique que Satrapi, plus précis dans son dessin que Trondheim, moins déprimant que Larcenet, plus rigoureux que Sfar, plus constant et moins de droite que Blain, plus charismatique que Sapin, plus commercial et moins de gauche que Milhiet... avec en plus cette casquette de cinéaste (Les Beaux Gosses, Esther...). S’il attire des jalousies, c’est d’ailleurs qu’il a un certain brio... Néanmoins, il s’est aussi inspiré des autres (dont ceux que j'ai cités plus haut).
Pour moi, si son trait est assez particulier, il n’en demeure pas moins l’auteur de BD le plus complet du XXIème siècle, avec plusieurs bottes secrètes : l’accessibilité de ses histoires et la clarté de son trait pourtant flageolant, un regard presque de journaliste sur les jeunes et leurs problèmes, des caricatures de canailles et autres gredins, la mémoire d’une vie syrienne et une mise en scène plus que convaincante, jouant parfois aussi sur les symboles...
Même si je comprends certaines critiques à l’encontre de son travail, ses multiples récompenses, au FIBD ou à l'international, dans la BD comme au cinéma, me semblent amplement justifiées.
Il est l’un des bédéistes qui m’aura le plus marqué et des BD... j'en ai lus par milliers.
Le cinquième tome relate la vie de sa famille après l'enlèvement de Fadi, son plus jeune frère, par son père. On se situe désormais dans les années 1992-1994. Riad a 14 ans et ses cheveux blonds ont disparu laissant place à un physique plutôt ingrat puisqu'il a été désigné comme le garçon le plus laid de sa classe.
On notera au passage l'inaction de la police française qui ne prend pas au sérieux les femmes mariées. Je m'imagine à la place de cette mère désemparée à qui on enlève son garçon. Pour moi, l'attitude du policier relève de la grave faute professionnelle justifiant un licenciement sur le champ. Mais à la place, on lui rétorque qu'elle peut être poursuivie pour outrage à agent de la force publique, simplement parce qu'elle est insistante à ce qu'il fasse son boulot correctement. On se rend compte que la police détient bien des pouvoirs.
C'est un véritable déchirement dans la vie de l'auteur. La période de l'adolescence est également celle du questionnement amoureux. J'ai effectué le rapprochement avec son film « les beaux gosses » et surtout avec sa dernière série en date à savoir « Le jeune acteur » où il est question du jeune Vincent Lacoste, timide et complexé, qui n'avait jamais imaginé être acteur. On se rend compte que c'est sa propre vie.
Il y a également la vie de famille à organiser surtout après l'enlèvement du jeune frère. Tous les moyens seront d'ailleurs mis en œuvre pour le retrouver. Sa mère usera de tous les moyens légaux pour récupérer son fils. Elle se rend compte de son erreur de vie avec cet homme fourbe et elle s'en veut de ne pas avoir suffisamment protéger son plus jeune fils. Malheureusement, elle se tournera également vers des charlatans qui la plumeront en exploitant sa peine.
Il y a toujours cette alternance entre des passages plutôt drôles et d'autres qui sont plus mélancoliques. Cela reste d'une sincérité magnifique. A noter également des passages un peu plus mystiques dont certains peuvent faire peur. L'ombre du père plane incontestablement sur ce tome.
Le dessin est toujours aussi chouette et cela apporte beaucoup au récit entre souvenirs et petites anecdotes.
C'est toujours aussi captivant même si cela dénote un peu par rapport aux tomes précédents. Il fallait sans doute apporter une autre touche afin d'explorer toutes les facettes de ce personnage qui évolue avec le temps qui passe. Il y a toujours cette merveilleuse part d'humanité qui le rend si touchant.
Je partage également le regard de l'auteur sur les mythes fondateurs des religions dont il a relevé les deux points communs à savoir la haine de la liberté sexuelle et la domination de l'homme sur la femme. Je suis en phase avec ce qui constitue une lutte contre l’obscurantisme religieux et une liberté d'expression. J'espère toutefois que notre auteur ne va pas subir toute la haine qui a été dirigé contre l'écrivain Salman Rushdie pour ses versets sataniques.
Beaucoup de finesse, de respect et sans aucun doute de dignité. Magnifique au final ! Encore un album au top ! Bref, tant au niveau du dessin que du scénario et des dialogues, c’est un sans-faute qui vous remue. Il sera difficile de faire mieux dans le genre.
En parallèle de sa triste histoire familiale, Sattouf raconte ses années collège au début des années 90. Qu'est-ce que ça m'a fait rire ! Pour avoir eu le même âge que Sattouf à la même époque, je me suis totalement retrouvé dans la description de cette période. Michael Jordan, les Bulls, Nirvana, NTM, les doudounes Chevignon, les petites histoires sentimentales du collège, les premières boum ... il ne manquait que l'OM de Papin et Waddle et tout y était ! Mention spéciale aux différentes catégories d'élèves du collège (les "très beaux", les "moyennement beaux" et les "moches") qui faisait qu'on était un "dominant" ou un "dominé". Ha ha ha ! Mais c'était tellement ça !
Avis donné sur les 5 premiers tomes.
J'ai adoré les deux premiers, j'ai aimé le troisième et puis cela s'effiloche au fil des tomes suivants.
Le regard faussement naïf s'estompe progressivement pour faire place à un point de vue plus construit qui est celui de l'adolescent. Mais j'ai un peu l'impression d'une sauce que l'on délaye et qui perd en saveur.
Pour que cette série devienne culte il faut aussi penser à la finir.
Je conseille à ceux qui aiment de lire "Coquelcot d'Irak" de Brigitte Findakly et Lewis Trondheim biographie profonde et tendre en un tome sur un sujet proche.
Je découvre. Je viens de me faire toute la série, du 1 au 5. Et je conseille absolument !!!
Bon, bien sûr, s'il n'y avait pas le bouche à oreille et le succès de librairie, ce n'est pas le dessin qui aurait pu m'accrocher. Mais peu importe.
Pour raconter sa vie, il faut penser que ça peut intéresser les gens, qu'il y a matière. Et là, bingo... une enfance et une adolescence très particulières, une double culture, un double regard, un double étonnement. L'école, les enfants, les adultes, les jeunes, les sociétés si différentes, la place (ou non) des religions, le poids des traditions et de la famille, les préjugés, les clichés, les à priori, la découverte de la vie, des autres, parfois la peur, l'inquiétude... C'est drôle ou dramatique selon les moments, mais jamais dramatisé. Riad Sattouf prend les yeux de l'enfant puis ceux de l'ado, il voit, il découvre, il s'étonne parfois, il relate, il constate. Mais il ne juge pas, l'enfant se souvient, il raconte, c'est tout, ce n'est pas le rôle de l'enfant de porter un jugement, et certainement pas sur ses parents ; tout juste un regard un peu plus critique quand il avance dans l'adolescence. Mais jamais manichéen.
Drôle ou émouvant parfois, passionnant toujours. Vivement la fin !
On finit de lire ce 5ème opus et on n'a qu'une envie c'est lire le prochain.
Un album totalement sur l'adolescence !
Le travail de Riad Sattouf est un magnifique retour sur la société et la culture des années 90 : une vraie "madeleine de Proust".
Autobiographie romancée, le chef d'oeuvre en cours de Riad Sattouf s'étale sur des centaines de pages : comme toujours avec Sattouf on prend des coups de poing tout le temps : personne n'est innocent, personne n'est adulte, c'est lui, c'est eux, c'est nous, et on prend tous cher.
J'ai commencé par ne pas accrocher... C'est quoi ce truc que TOUT LE MONDE trouve génial ? Effet de mode ? Véritable chef d'oeuvre ? Alors je m'y suis plongé avec grand grand mal... Ah ce trait qui semble laborieux, maladroit, trop simple. Et, au bout d'une quarantaine de pages, j'ai perçu que ce dépouillement servait une histoire douloureuse, dont LA force est de raconter, de façon plate, des événements perçus par un enfant, avec une innocence qui laisse une vraie place au lecteur. C'est en effet ce dernier qui fait le boulot d'interprétation, qui évalue, qui analyse, qui se fait son opinion. Et c'est cette rencontre entre l'enfant, l'Histoire et le lecteur qui fait le truc et laisse une empreinte durable à cette lecture. Pour moi, cette série trouve une place très particulière dans l'abondante offre de BD francophone. Mais je conçois parfaitement qu'on puisse détester ou ne pas accrocher. Un conseil ? Empruntez-le, essayez, et voyez par vous même.