Après l'Enfer
1. Le jardin d'Alice
Une BD de Damien Marie et Fabrice Meddour chez Bamboo Édition (Grand Angle) - 2019
06/2019 (05 juin 2019) 54 pages 9782818966891 Grand format 368329
La guerre de Sécession s’est achevée. Trois anciens confédérés reviennent du chaos sur les terres dévastées d’un Sud exsangue. Leur chemin va croiser celui de deux jeunes filles : Dorothy qui a vécu le pillage de sa ferme comme une tornade et Alice qui semble s’être réfugiée de l’autre côté du miroir pour oublier. Elles sont toutes deux dans un monde qu’elles ne connaissent plus. Ces cinq âmes errantes vont chercher une raison d’accepter la réalité. Ensemble, ils tenteront de retrouver leur humanité au milieu des ruines laissées par cette guerre... Lire la suite
Complètement en accord avec le commentaire d"Erik67.
Cet album m'a immédiatement mis mal à l'aise avec ce soutien implicite, voire explicite, à la cause sudiste, le Nord étant systématiquement décrit comme étant le mal absolu.
Je suis malgré tout allé jusqu'au bout, avec le tome 2 en perspective.
Au crédit de ce 1er tome, un ton, très intéressant et prenant, le dessin bien sûr, malgré quelques imprécisions
De nos jours, certaines oeuvres sont remises en question. C'est par exemple le cas avec le roman et film Autant en emporte le vent qui est jugé pro-raciste pour sa vision romantique d'un Sud esclavagiste. Que dirait-on d'une série bd qui fait la part belle aux sudistes en traitant les présidents Abraham Lincoln et Ulysse Grant de bouchers de guerre ! Certes, on sait que le général Sherman n'a pas fait dans la dentelle mais il se devait en fin stratège de l'armée de l'Union de gagner ce conflit fraticide.
On sait bien que dans chacun des camps, il y a eu de terribles exactions et c'est malheureusement le propre d'une guerre. Cependant, il faut savoir distinguer ceux qui se battent pour une cause vraiment inadmissible et les autres emplis d'un idéal. Les révisionnistes ont par exemple tenté de réhabiliter les nazis. En l'occurence, c'est assez limite même si le contexte est bien la guerre de Sécession. Des statues de Christophe Colomb ou d'autres généraux sudistes sont actuellement déboulonnées par une foule en colère sur ces questions hautement polémiques. Bref, j'ai été choqué par cette vision des auteurs qui constitue sans doute une maladroite réécriture de l'histoire. Mais bon, on peut l'accepter en tant qu'oeuvre mais pas forcément cautionner.
Le Nord convoitait peut-être les richesses du Sud mais ce sont bien ces états sécessionnistes qui ont attaqué les premiers en voulant préserver à tout prix l'esclavage dans leurs champs de coton. Le président Lincoln a tenu sa promesse à la fin de la guerre en essayant de mettre fin à cette barbarie. Cela lui a d'ailleurs coûté la vie lors d'un attentat. Bref, je n'ai aucune sympathie pour le Sud, je pense que vous l'aurez compris.
Cette bd prend le personnage d'Alice au pays des merveilles et celui de Dorothy du Magicien d'Oz pour les faire évoluer à la fin de la guerre de sécession en compagnie de trois anciens confédérés traumatisés par ce conflit meurtrier qui a détruit le sud vaincu. Ce sont 5 âmes brisées qui vont errer à la recherche d'un hypothétique trésor pour oublier toute cette barbarie. J'avoue m'être un peu ennuyé à cette lecture à la limite du témoignage de guerre et du conte dans un paysage de désolation.
Je reconnais par contre un graphisme de très bonne qualité avec un trait fort précis et des couleurs aux tons adéquates. Cependant, j'avoue n'avoir guère été convaincu par l'ensemble même si les intentions des auteurs sont louables pour dénoncer l'horreur de la guerre. Il faut juste savoir choisir son camp.
Je n'ai pas le même enthousiasme que les avis précédents pour ce 1er tome.
Le dessin ne m'a pas totalement convaincu.
Si les personnages sont assez reconnaissables, je ne suis pas très fan des dessins un peu flous. Le style de Meddour me fait un peu penser à celui de Sorel, mais sans la maitrise nécessaire pour une bonne lisibilité de l'histoire.
Les couleurs ne m'ont pas totalement convaincues non plus. Pas sur qu'elles supportent bien le poids des ans, lorsqu'il s'agira de relire cette histoire.
Quant à l'histoire, si le contexte a le mérite de s'intéresser aux vaincus, il n'a rien de nouveau mais ce n'est pas une critique de ma part.
Par contre, c'est noir de chez noir, et il ne faut pas rechercher le divertissement pur en lisant ça. Même si les choses sont suggérées plutôt que montrées, il ne faut pas être déprimé pour attaquer cette lecture.
Je ne suis pas sur de lire la suite, pour toutes ces raisons.
1861-1865 : durant quatre longues années, « l’Union » et la « Confédération » se sont affrontés dans un conflit qui reste le plus meurtrier des Etats-Unis. La Caroline du sud a été le premier état à faire sécession. A l’issue de la guerre, la jeune Dorothy a tout perdu : son père est mort au combat, sa plantation a été dévastée et pillée et sa mère a été violée et assassinée par douze soudards après avoir réussi à la cacher. Dorothy veut se venger. Elle lance son chien sur la piste des « douze » et rencontre lors de sa quête la petite Alice qui a également croisé leur chemin et vécu l’indicible….
Ce premier tome d’un futur diptyque est très original d’abord parce qu’il aborde l’après-guerre de Sécession du point de vue des victimes : une jeune femme Dorothy et une petite fille Alice qui se trouvent mêlées à un conflit dont les tenants et les aboutissants leur échappent. Et cet angle de vue est présenté à travers la pratique de l’intertextualité : Damien Marie annonce dès la page de garde ses « sources/références/hommages » : « The Wonderful Wizard of Oz » de Frank Baum et « Alice’s Adventures in Wonderland » de Lewis Carroll. Pour lui, ces deux œuvres ont comme point commun le basculement d’un enfant dans un autre monde sans aucun repère. Et il se sert de ces deux grands classiques de la littérature enfantine anglo-saxonne, pour donner à comprendre le traumatisme vécu par les deux protagonistes : la guerre a eu l’effet d’une tornade pour Dorothy en balayant tout son univers ; la petite Alice pour échapper à ses cauchemars s’est, quant à elle, réfugiée « de l’autre côté du miroir ». Elle a suivi un lapin blanc imaginaire auquel elle s’adresse et elle parle également au fantôme de sa mère morte sous les coups et les violences des Nordistes. L’horreur de la guerre et de ses exactions est ainsi rendue encore plus grande par contraste. On a les références familières à la chenille, au chapelier et à la reine du conte de Carroll ainsi qu’à la route en briques jaunes du Magicien d’Oz par exemple, mais on est loin des figures drôles ou merveilleuses du texte source : ce sont des surnoms donnés à de véritables bourreaux qui tuent et violent et les « briques jaunes » sont les lingots volés du trésor de guerre sudiste. Et dans le texte comme dans le dessin de l’album, rien n’est édulcoré ou embelli, bien au contraire. Aucun manichéisme ne règne : on n’a pas d’un côté les gentils nordistes humanistes et de l’autre les méchants sudistes racistes. Les nordistes sont présentés comme des pilleurs malgré leurs idéaux et l’apitoiement qu’on pourrait éprouver pour les confédérés est mis à mal par l’évocation des premières exactions du Ku Klux Klan. Dans « Après l’enfer », malgré le sous-titre « le jardin d’Alice », rien n’est bucolique : tout est cru, dérangeant voire insoutenable parfois…
Ces deux femmes meurtries vont croiser la route de trois soldats sudistes démobilisés, des « rebs » devenus parias qui pourraient représenter les trois compagnons de Dorothy dans le conte de Baum : Hunk l’épouvantail, Hickory, l’homme de fer et Zeke le lion peureux qui viennent d’apprendre fortuitement que les « douze » ont mis la main sur le trésor de guerre des Sudistes. Tous trois, « gueules cassées », n’ont plus foi en eux ni en l’homme et souffrent également de stress post-traumatique. Comme dans le conte originel, il va leur falloir suivre un véritable parcours initiatique pour se reconstruire et se retrouver après cette guerre fratricide absurde et meurtrière. Ils trouvent une raison de vivre en accompagnant Dorothy et Alice dans leur recherche des Douze et en se lançant ainsi à la poursuite du trésor volé.
A ce scénario surprenant, qui détourne les archétypes, correspond le traitement graphique tout aussi bluffant de Fabrice Meddour. Il propose de magnifiques planches aquarellées, rehaussées à l’encre ou au pastel sec, souvent monochromatiques. Et il choisit d’associer les couleurs froides (marrons foncés, gris bleutés, verts) à la guerre dans une palette qui peut parfois rappeler celle de Maël dans sa tétralogie des tranchées, Notre mère la guerre, tandis qu’il utilise des tons chauds pour les pages consacrées à ses héroïnes qui évoquent le feu et le sang. L’aspect monochromatique transmet au lecteur le sentiment de « dé-réalité » qu’éprouvent les héros face à l’horreur des tranchées ou des pillages et permet également de faciliter le passage d’une époque à une autre. Seul petit bémol : on regrettera le traitement informatique des onomatopées qui tranche bien trop avec le côté travaillé des vignettes. On appréciera, en revanche, le traitement des personnages qui apparaissent souvent protéiformes. Meddour change l’aspect physique de ses héros au gré de leur évolution psychologique retrouvant ainsi de façon subtile une dimension du conte : la métamorphose. Dorothy apparaît très souvent comme une belle jeune femme mais est présentée aussi sous les traits d’une enfant quand son environnement l’accable ; Hunk, défiguré, devient presque beau quand il recouvre son humanité au contact des deux héroïnes.
A la fin de ce premier tome, le décor est bien campé, les personnages superbement caractérisés et les fils de l’intrigue noués. Vivement le deuxième !
Il y a de l’Ambrose Bierce dans ce « Après l’Enfer » ! La jeune Alice est entre rêves (cauchemars) et confrontation à la vie réelle. Un peu comme dans la sublime nouvelle de Bierce « Ce qui se passa sur le pont de Owl Creek ». L’un se passe pendant la guerre de sécession, l’autre après et bien que le sujet soit différent l’atmosphère tendue est la même.
L’histoire débute avec une description des cinq principaux personnages, Dorothy, Alice, Hunk, Zeke et Hickory. Cela commence d'ailleurs très fort avec Zeke qui, tel Inman dans le roman de Charles Frazier « Retour à Cold Mountain », est victime des tunnels des soldats de l’union gorgés de barils de poudre. Le domaine de Dorothy subit les foudres des troupes de Sherman puis de douze opportunistes du sud, Zeke laisse une partie de son visage dans les combats tandis qu' Hickory se voit muni de cornes dus à des morceaux d’obus. Quant à la jeune Alice, elle reste traumatisée par les actes de salopards qui ont tué sa mère et sa grande sœur.
Les trois ex confédérés n’ont pas encore rencontré Dorothy et Alice quand ils traversent la Caroline du sud. Entre gamins désespérés qui tentent de les rançonner et soldats de l’union qui veulent les humilier, ils avancent vaille que vaille. Ce ne sont que des personnes du commun non concernées par le XIII ème amendement sur l’esclavage qui pourraient ne souhaiter qu’un retour à la vie précédente. Mais, ils gardent une dent féroce contre le nord qui a pillé les terres, les maisons, les parents, les enfants pour fondre tout l’or trouvé en lingots formant un butin de guerre gigantesque.
La capture d’un capitaine nordiste va les aider à se mettre sur la piste de ce trésor. Mais déjà des troupes sont à la poursuite des trois rebs (rebelles sudistes) auxquels se sont joints Dorothy et Alice. La naissance du Klu Klux Klan et leurs exactions concluront de manière horrible ce premier chapitre.
Le choix des couleurs entre les différentes scènes transmet magnifiquement les émotions. L’ocre foncé lors de l’attaque d’une maison d’anciens esclaves par le Klan, des couleurs douces pour la nostalgie d’Alice et violettes, comme portant un demi deuil, quand elle est confrontée au Chapelier. Fabrice Meddour joue magnifiquement de celles-ci pour exprimer les émotions des acteurs de l’histoire. Entre douceur et violence, son graphisme ne peut laisser indifférent tout comme cette histoire qui nous montre un autre visage de cette guerre qui fit près d’un million de morts dont 600 000 soldats.
La couverture de cet album et le pitch l'ont envoyé directement sur ma page des albums les plus attendus... Elle va également illico dans mon top annuel 2019 catégorie Couverture tant cette image et le design du titre marquent et donnent terriblement envie de lire l'album! Bravo global pour cette composition à la fois esthétique et efficace... avec le risque que l'envie donnée ne soit pas totalement récompensée (j'y reviens plus bas). Hormis cela rien de particulier niveau éditorial.
La Guerre a duré quatre ans. Après un demi-million de morts et une politique de conquête sauvage de l'Union, le Sud est ravagé. Après cet enfer nombre de femmes se retrouvent seules dans ce qu'il reste de leurs grandes propriétés. La Loi n'existe plus et permet à des bandes de d'anciens soldats de mener des raids à la sauvagerie inouïe. Rescapées de ces massacres, Dorothy et la jeune Alice vont tenter de se reconstruire entre un monde mort et un imaginaire qui peut leur permettre une certaine résilience. Bientôt elles rencontrent des hommes. Abîmes, fuyant, semblant rechercher la même chose qu'elles. Mais peut-on leur faire confiance?
Damien Marie est une véritable découverte pour moi, n'ayant rien lu de lui et découvrant sur cet album un véritable talent d'écriture comme de découpage. Cette histoire n'était en effet pas simple à développer et très piégeuse. Les histoires de survivants de la guerre, les horreurs de la Guerre de Sécession, ont été beaucoup traités, de même que les variations plus ou moins pertinentes et réussies sur les classiques de la littérature imaginaire. Ici Dorothy et Alice font bien évidemment référence aux pays des Merveilles et d'Oz. L'intelligence de l'auteur est d'utiliser subtilement les références sans tomber dans des liens forcés. Car son histoire est originale et n'a pas vocation à reprendre celles de Lewis Carol et de Lyman Frank Baum. Elle sert de vecteur pour comprendre le traumatisme de la petite fille et son refuge dans un monde imaginaire apaisé. Par moments Marie pose un chat (que l'on suppose de Cheshire), un chien ou un Chapelier... qui restent des habillages, des coloration pour ce qui est le récit dramatique d'une fille violée après le massacre de sa famille. L'Enfer du titre est cette Amérique des Etats du Sud dont les yankees cherchent à se venger en déchaînant les atrocités partout. Comme s'il ne devait rien rester de cette culture certes esclavagiste mais réelle.
L'enfer s'est construit jour après jour, livrant le Sud à la cendre...
La qualité première de cet album est donc ce réalisme qui ne cherche pas à atténuer la dureté des évènements mais sait subtilement suggérer l’indicible, que ce soit graphiquement, par un découpage inventif et élégant (comme cette flaque en première page qui crée un miroir entre deux mondes) ou par le texte très agréable. Sous la forme d'une pseudo-chasse à l'or de soldats rebs blessés et démobilisés qui rencontreront les deux filles, les auteurs nous montrent des gueules cassées, des humains ayant vécu les uns le front et les mutilations, les autres la barbarie de l'arrière, qui ne souhaitent qu'à trouver la paix. Le chêne de l'histoire est Dorothy, que Fabrice Meddour prend plaisir à dessiner et dont l'inspiration a créé cette magnifique couverture. Plus âgée que la fillette, elle est la seule qui semble parvenir à gérer son trauma et réagit dans ce monde ravagé en prenant son destin en main. La galerie de personnages est intéressante, étonnante lorsque l'on s'attend à voir les hommes se défendre de l'agression d'un chefaillon bleu ou lors de la rencontre avec Dorothy. Car si l'aspect de cette équipée reprend les codes du western avec une définition graphique assez simple, ce qui intéresse Marie et Meddour c'est comment on parvient à s'échapper sans tomber à son tour dans la sauvagerie, sans se méfier de tout le monde.
"La reine et le chapelier ont trahis les leurs pour rejoindre le sorcier"
Pour représenter ce monde d'après, Fabrice Meddour propose des tableaux très élégants, en couleur directe avec des choix monochromes variés selon les ambiances et irruption de couleurs vives par moments. Cela permet d'illustrer un monde terne, où la vie semble s'être échappée, comme un voile dressé par ces survivants sur une réalité trop dure. J'avais découvert cet auteur à la même époque que les premiers albums de Luc Brunschwig, sur Le temps des cendres, où j'avais beaucoup aimé son style. Je suis surpris de voir que les faiblesses techniques de l'époque sont toujours présentes, notamment sur les visages et anatomies en situation d'action. Comme chez Perger ou Nguyen cela s'explique en partie du fait de la technique utilisée (qui exclue pratiquement les encrages) qui rend compliquée une grande précision sur les petites cases. Car Meddour sait pourtant dessiner et propose des planches superbes, sensibles et magnifiquement colorisées. Il n'est pas le plus techniques des dessinateurs BD mais propose un design agréable et qui dégage une certaine élégance. Autre détail dommage: les onomatopées sont étonnamment imprimées informatiquement en contradiction avec l'aspect très artisanal de l'album. Dommage.
"Vos cicatrices vous vont bien Hunk..."
Sur le premier tome de ce diptyque au sujet très intéressant, sensible et particulièrement bien écrit, les auteurs nous proposent une vision originale de l'après guerre, une histoire de survivants à la fois dure et sensible, un bel objet où l'on ressent le plaisir et l'investissement des auteurs. Je le conseille.
A lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2019/06/22/apres-lenfer
j'ai adoré !!! Clin d’œil aux contes et histoires de mon enfance mêlés à cet après enfer qui donnent à cette histoire un aspect fantastique et surréaliste !
Les dessins et couleurs sont admirables ... bravo